Etude du comportement des voûtes en maçonnerie renforcées par matériaux composites

Transcription

1 Etude du comportement des voûtes en maçonnerie renforcées par matériaux composites Maamoun SAADE 1,2, Stéphan KESTELOOT 1, Chafika DJELAL 1, Lotfi HAMITOUCHE 2, Idriss BENSLIMANE 2 1 LGCgE, PRES Université Lille Nord de France IUT, 1230 Rue de l Université Béthune saade.ma@gmail.com 2 Structure & Réhabilitation Tour Gallieni 2, 36, avenue du Général de Gaulle, Bagnolet RÉSUMÉ. L objectif de ces travaux de recherche est de mettre au point de nouvelles méthodes de restructuration plus économique que les méthodes usuellement utilisées pour les ouvrages d assainissement en maçonnerie. Le but de cette campagne expérimentale est de comparer le comportement de trois séries de voûtes, renforcées par un mortier fibré, renforcées par des lamelles de carbone de faibles épaisseurs et renforcées par du béton projeté armé d une épaisseur de 6 cm. Des essais de rupture sur des voûtes maçonnées sont présentés. Un gain important est alors constaté ainsi qu un retardement de la fissuration. ABSTRACT. The objective of this research is to develop new methods of restructuring that are more economical than the standard methods used for masonry sewerage systems. The aim of this experimental campaign is to compare the behavior of three series of vaults, reinforced by a fiber mortar, reinforced by thin composite materials and a reinforced shotcrete lining (6 cm thick).crushing tests on masonry vaults are presented. An important gain is then observed as well as a delay in cracking. MOTS-CLÉS : mortier fibré, matériaux composites, ouvrages d assainissement, maçonnerie, béton projeté, voûte, réhabilitation. KEY WORDS: fiber coating, composites materials, sewerage systems, masonry, shotcrete, vault, rehabilitation.

2 31 èmes Rencontres de l AUGC, E.N.S. Cachan, 29 au 31 mai Introduction Les ouvrages d assainissement en maçonnerie meulière représentent un patrimoine important en région parisienne. Actuellement, ces ouvrages sont réhabilités en priorité par rapport à leur état structurel. Afin de rendre les fonctions primaires d un ouvrage dégradé, les techniques de réhabilitation existantes telles que les injections, les chemisages par projection de béton ou de mortiers ou par tubage d éléments préfabriqués sont à la fois coûteux et réparties sur la périphérie intérieure de l ouvrage. La réhabilitation de ces ouvrages est un domaine peu investi compte tenu de la disparité des types de maçonnerie. Les inconvénients majeurs de la technique de réparation par béton projeté armé résident dans la réduction significative de la section hydraulique. De plus, les coûts dépassent souvent l enveloppe budgétaire allouée. Des problèmes liés à la corrosion des armatures et au flambement de l acier sont aussi rencontrés. Pour ces contraintes, il est donc intéressant de mettre en œuvre de nouvelles techniques de renforcement ponctuelles. La réparation et le renforcement des ouvrages par collage de matériaux composites ont révélé de bons résultats dans les domaines du bâtiment et des travaux publics, et a plus récemment été appliqué à des ouvrages d assainissement en béton [KES 06]. L objectif de ces travaux de recherche est de transposer cette technique aux ouvrages d assainissement en maçonnerie. La mise au point de ces procédés permettra de maintenir la capacité hydraulique des ouvrages, d éviter la pose d aciers en milieu agressif sans réduction de section. Ils permettront également une économie sensible des travaux du fait de la réduction de leur délai de réalisation. Notre étude concerne les ouvrages d assainissement de forme ovoïdale, visitables en maçonnerie (T210), appelé collecteur. Ces ouvrages sont constitués d une voûte, de piédroits et d un radier (figure 1). Figure 1. Ovoïde en maçonnerie

3 Etude du comportement des voûtes en maçonnerie renforcées par matériaux composites 3 Après avoir présenté les pathologies et les techniques de réparations des ouvrages d assainissement visitables ou non, les essais de caractérisation des différents matériaux (meulière, mortier de liaison et mortier fibré à haute performance) seront donnés. Du fait de la complexité de la géométrie des ovoïdes en meulière, les essais à l échelle 1 sont menés sur des voûtes en meulières non enduites, enduites de 2 cm par mortier fibré et enduites de 2 cm renforcées par des matériaux composites. Le comportement de ces voûtes sera comparé au comportement des voûtes renforcées par du béton projeté armé afin de démontrer l utilité de la réalisation d un chemisage mince pour la réhabilitation de ces collecteurs. 2. Ouvrages d assainissement en maçonnerie 2.1. Pathologies Les pathologies des collecteurs d assainissement sont nombreuses [RES 04]. Cependant, il est important de citer les pathologies propres aux collecteurs en meulière. Les détériorations principales sont les défauts des pierres, le déjointoiement, les fissures. Figure 2. Fissures Figure 3. Déjointoiement 2.2. Techniques des réparations Plusieurs types de techniques de réparation des structures existent. Les plus couramment rencontrées sont la consolidation par injections, le chemisage armé de 6 cm à 10 cm d épaisseur et la pose d éléments préfabriqués [RES 04]. Figure 4. Béton projeté armé Figure 5. Eléments préfabriqués

4 31 èmes Rencontres de l AUGC, E.N.S. Cachan, 29 au 31 mai Caractéristiques des corps d épreuves et des renforts 3.1. Les voûtes en maçonnerie Du fait de la complexité du matériau et de sa géométrie, il est nécessaire de retenir une géométrie simplifiée afin de pouvoir effectuer les essais en laboratoire. Les corps d épreuve retenus pour notre étude sont des voûtes réalisées après des calculs numériques [KHO 08]. La voûte a une largeur de 110 cm et une longueur de 120 cm. Figure 6. Caractéristiques géométriques du corps d épreuve Sept voûtes ont été construites en respectant les techniques de construction utilisées à l époque du Baron Haussmann (milieu du 19ème siècle) [HER 97]. Cette tache a été confiée à des tailleurs de pierres spécialisés dans la construction ou la rénovation des monuments historiques. Les blocs de meulière qui ont été utilisés pour la construction des voûtes proviennent des carrières situées à une centaine de kilomètres de Paris [ANN 34]. L ensemble des essais de caractérisation montre que la meulière est un matériau très dispersé (couleur différente, cavités plus ou moins importantes, ), (cf. tableau 1). Le mortier de liaison disposé entre les différentes pierres est identique à celui utilisé lors de la construction des égouts de Paris. A cette époque, le liant servant à la maçonnerie était un mélange de 3/5 de ciment et 2/5 de chaux hydraulique. Ce mortier est un liant de 400 kg/m 3. Ses caractéristiques mécaniques sont données tableau 1. caractéristiques meulière mortier Module d'élasticité (MPa) Résistance moyenne à la compression (MPa) 12 à 26 0,9 Résistance moyenne à la traction par arrachement (MPa) 1,47 - Résistance à la flexion (MPa) - 0,5 Tableau 1. Caractéristiques mécaniques de la meulière et du mortier Un enduit d une épaisseur de 2 cm est appliqué sur les voûtes. Cet enduit est un mortier fibré de réparation. Il est utilisé dans les travaux de réagréage et de reconstitution des formes. Ce mortier permet la transmission des efforts du collecteur aux composites. Le tableau 2 présente les caractéristiques mécaniques de mortier fibré.

5 Etude du comportement des voûtes en maçonnerie renforcées par matériaux composites 5 désignation caractéristiques Teneur en eau (%) 12 Résistance à la flexion (MPa) 7,79 Résistance à la compression (MPa) 52,53 Contrainte d'adhérence (MPa) 2,2 Résistance à la traction par fendage (MPa) 4,31 Module de Young (MPa) Tableau 2. Caractéristiques mécaniques du mortier fibré 3.2 Les renforts Le procédé de renforcement à l'aide de lamelles composites va être comparé à un procédé traditionnellement utilisé pour le renforcement ou la réparation des ouvrages; il s'agit de la technique du béton projeté. Les lamelles de carbone sont collées à l'intrados, sur la surface enduite à l'aide d'une résine époxydique à deux composantes. Les lamelles sont des plats composites à base de fibres de carbone noyées dans une matrice polymère. Elles ont une largeur de 50 mm et une épaisseur de 1,2 mm. Leurs caractéristiques mécaniques sont résumées dans le tableau 3. désignation lamelles de carbone Module d élasticité en traction > 165 GPa Résistance en traction > MPa Allongement à la rupture > 1,7 % Tableau 3. Caractéristiques des lamelles de carbone de carbone Le rôle de l adhésif est très important dans le cas de renforcement par matériaux composites, du fait de la transmission des efforts dans la structure aux matériaux composites. Les caractéristiques mécaniques de la colle sont résumées dans le tableau 4. désignation caractéristiques Module d élasticité MPa résistance à la flexion 30 MPa à 2 jours à 20 C Adhérence sur béton 4 MPa (rupture dans le support) Tableau 4. Caractéristiques des colles La préparation de cette colle consiste à mélanger deux composants A et B avec un malaxeur, afin d obtenir un mélange bien homogène. La mise en œuvre d une lamelle de carbone s effectue par un double encollage (figure 7). On applique donc une fine couche de colle sur le support et sur la lamelle. Puis on maroufle à l aide d un rouleau afin d enlever le surplus de colle (figure 8).

6 31 èmes Rencontres de l AUGC, E.N.S. Cachan, 29 au 31 mai Figure 7. Mise en place de la colle sur les lamelles Figure 8. Collage des lamelles à l intrados Pour la seconde technique de renforcement (béton projeté), le renfort utilisé est un treillis soudés de diamètre 0,9 mm possédant une maille de 50 x 50 mm 2. Les différentes étapes de la technique sont : - Projection du béton sur une épaisseur de 2 cm - Mise en place d un treillis soudés - Projection du béton sur une épaisseur de 3 cm - Projection du béton de 1 cm d épaisseur (couche de finition) Le béton est préparé en mélangeant les constituants suivants : Kg de ciment gris CEM I 52,5 N CE PMES CP2 NF "HRC" - 1 m 3 de sable sec (conforme à la norme XP P ) La résistance du béton projeté a été obtenue en effectuant des essais de compression sur des éprouvettes 6x12 cm 2 (les éprouvettes ont été carottées dans une caisse de béton projeté). La résistance moyenne du béton projeté est de 36,7 MPa (la résistance donnée par le fournisseur est de 30 MPa). Figure 9. Voûte renforcée par béton projeté armé.

7 Etude du comportement des voûtes en maçonnerie renforcées par matériaux composites 7 4. Essais à la rupture des voûtes 4.1 Procédure expérimentale Les essais sont réalisés pour un chargement vertical en voûte, la résultante horizontale des poussées des terres n est pas prise en compte afin de mettre en évidence la zone la plus sollicitée, c'est-à-dire la clé de voûte vis-à-vis des contraintes de traction présentes en clé de voûte. Ce chargement représente le cas le plus défavorable. Afin de répartir la charge uniformément en clé de voûte, un profil métallique (0,20 m x 1,20 m) est placé sur celle-ci. L application de la charge s effectue de manière uniforme. Le vérin de la presse a une capacité de 250 KN piloté numériquement. L ensemble de l essai est piloté en déplacement à raison de 0,01 mm/s (figure 10). La charge appliquée est enregistrée en fonction du déplacement. Un capteur de déplacement a été placé au niveau de la clé de voûte. 4.2 Résultats des essais Les voûtes testées sont : Figure 10. Essai de rupture - Deux voûtes non enduites et non renforcées - Deux voûtes enduites à l aide d un mortier fibré de 2 cm d épaisseur - Deux voûtes enduites et renforcées par plats composites - Une voûte renforcée par béton projeté armé Dans le cas où deux voûtes ont été restées, les résultats sont donnés pour une seule voûte du fait d une bonne reproductibilité des essais. L évolution de la charge est donnée en fonction du déplacement figure 11.

8 31 èmes Rencontres de l AUGC, E.N.S. Cachan, 29 au 31 mai Charge (KN) Enduite Renforcée par plats de carbone Renforcée par béton projeté Enduite de 2 cm Non enduite 0 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 Flèche (mm) Figure 11. Evolution de la charge appliquée en fonction du déplacement Le tableau 6 donne la charge de la première fissuration ainsi que la charge à la rupture et la flèche en clé de voûte. Voûtes Charge d'apparition de la Charge à la rupture première fissuration [kn] [kn] Non enduite 8 9,32 Enduite de 2 cm par mortier fibré Enduite de 2 cm renforcée par lamelles 70 85,85 Renforcée par béton arme Tableau 5. Résultats des essais sur voûtes. La première fissure est apparue dans les joints du mortier au niveau des reins à l extrados pour une charge de 8 KN pour les voûtes maçonnées non enduites. Les fissures sont ensuite apparues en clé de voûte à l intrados. Ces fissures se sont propagées dans les joints de la maçonnerie. Figure 12. Fissuration dans les joints du mortier au niveau des reins à l extrados et en clé (voûtes non enduites) Pour les voûtes maçonnées enduites, la première fissure est apparue en clé de voûte à l intrados. Des fissures sont ensuite apparues au niveau des reins à

9 Etude du comportement des voûtes en maçonnerie renforcées par matériaux composites 9 l extrados. Ces fissures se sont propagées dans les joints de la maçonnerie. Le schéma d apparition des fissures est donné figure 13. Figure 13. Cartographie d apparition des fissures (voûtes enduites) Lors de l essai, les fissures sont apparues en clé et dans les joints d un seul côté. Toutes les voûtes testées ont le même mécanisme de ruine. Les voûtes enduites renforcées par plats de carbone ont des fissures qui sont apparues à partir de 70 KN. Visuellement, on aperçoit un décollement des lamelles au niveau de la clé de voûte à l intrados. Les gains en charge à la rupture sont de l ordre de 820% par rapport aux voûtes non enduites. Les fissures sont apparues dans les joints du mortier au niveau des reins à l extrados et en milieu de piédroits à l extrados pour les deux voûtes testées. Détachements des plats Fissurations à l extrados Figure 14. Détachement des plats Figure 15. Fissuration dans les joints du mortier au niveau des reins à l extrados A partir des charges des premières fissurations, les voûtes s endommagent progressivement en perdant leur rigidité. Comparé à un chemisage mince par mortier fibré de 2cm, le chemisage par mortier fibré de 2cm renforcé par matériaux composites a permis de retarder l apparition de la première fissuration. Il a également été noté un gain en termes de rigidité structurelle. Une augmentation de charge de l ordre de 300% a été obtenue pour les voûtes renforcées par matériaux composites par rapport aux voûtes enduites.

10 31 èmes Rencontres de l AUGC, E.N.S. Cachan, 29 au 31 mai Le renforcement par des matériaux composites a traduit une faiblesse en termes de rigidité globale et aussi par rapport à la charge de la première fissuration par rapport à la méthode de réhabilitation par béton projeté. Ceci est dû à la faiblesse de l interface matériaux composites/enduit lieu des premiers endommagements. Pour les voûtes renforcées par béton projeté armé, les fissures sont apparues en clé de voûte à l intrados. La charge de fissuration est de 164 KN pour une flèche de 2,25 mm. Fissuration en clé de voûte à l intrados Figure 16. Fissuration en clé de voûte à l intrados 5. Conclusion A partir des résultats obtenus, les conclusions suivantes peuvent être effectuées : - Augmentation de la durabilité des procédés : en évitant d utiliser de l acier (matériaux corrosives), - Maintien de la section hydraulique (par rapport à la méthode de béton projeté), Des essais d arrachement par traction directe seront réalisés pour vérifier la bonne tenue de l enduit, de la colle et du composite. Cette étude sera complétée par des essais réalisés sur des éprouvettes 5x5x20 cm 3 dans un milieu agressif représentant les ouvrages d assainissement (H2S, humidité de 90%, présence de chlorures, ) pour un temps équivalent à 10 ans (durabilité par vieillissement accéléré). 6. Bibliographie [ANN 34] Annales des Ponts et Chaussées, 1834, 1836, 1854 et 1856, Central Library des Ponts et Chaussées. [HER 97] HERVIEU J., Traité Pratique de la Construction des Egouts, Paris BAUDRY & CIE Editeurs, [KES 06] KESTELOOT S., DJELAL C., BARAKA S., BENSLIMANE I., «Modelling of sewerage systems strengthened with composites plates», Construction and Building Materials 20, pp , [KHO 08] KHOUFACHE N., Contribution à la restructuration des ouvrages d assainissement en maçonnerie au moyen des matériaux composites, thèse de doctorat, Université d Artois, [RES 04] Restructuration des collecteurs visitables - Guide technique, Tome 1 et 2, Projet National RERAU, Edition Lavoisier 2004.