UNIVERSITÉ PARIS IV-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE 1 : Mondes anciens et médiévaux THÈSE

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1 UNIVERSITÉ PARIS IV-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE 1 : Mondes anciens et médiévaux Cotutelle Internationale Sorbonne-Tirana THÈSE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L UNIVERSITÉ PARIS IV-SORBONNE Discipline : Histoire ancienne Présentée et soutenue publiquement par Albana META Le 7 janvier 2013 RECHERCHE SUR L HISTOIRE MONÉTAIRE DE DYRRACHION : LE MONNAYAGE EN ARGENT (milieu du IV ème siècle milieu du I er siècle avant J.-C.) Directeurs de thèse : Monsieur Olivier PICARD, Professeur émérite de l Université de Paris IV-Sorbonne Madame Shpresa GJONGECAJ, Professeur à l Institut Archéologique de Tirana JURY Monsieur François de CALLATAΫ, Directeur d Etudes EPHE M. Arthur MULLER, Université de Lille 3

2 Argumentaire de thèse Cette thèse est consacrée à l étude des monnaies en argent de la cité de Dyrrachion. Celle-ci se situe dans l Albanie d aujourd hui, sous l actuelle ville de Durrës, en Albanie centrale, au bord de la mer Adriatique. Elle a été fondée par un groupe de colons de Corinthe et de Corcyre sur un territoire appartenant précédemment aux Taulantins, une importante tribu illyrienne d Illyrie Méridionale. La fondation a eu lieu vers 627 avant J.-C. Sa position géographique très favorable au bord de la mer a permis à Dyrrachion de s affirmer rapidement comme une ville prospère et développée. Les sources littéraires l attestent et les fouilles archéologiques témoignent elles aussi de la richesse de la cité. La position stratégique de la cité fournissait aux deux cités fondatrices un accès vers les peuples de l intérieur, dans l arrière-pays illyrien, et permettait ainsi de rejoindre par des routes terrestres les régions du nord de la péninsule balkanique. La découverte dans le territoire illyrien de produits de Corinthe et Corcyre permet de suivre ces mouvements dès le VI ème siècle avant J.-C. Dyrrachion, qui est la ville la plus ancienne fondée sur le territoire illyrien, sera également la première à frapper monnaie. L étude du monnayage de la cité est primordiale parce que celuici permet de reconstituer d abord la politique monétaire de la cité, puis d établir comment cette politique monétaire a été infléchie par les épisodes importants de l histoire de la ville. Nous avons pris en considération les types en argent frappés par la cité, qui se répartissent en trois séries successives (statères à types corinthiens, à types corcyréens, drachmes à la vache allaitant) et se subdivisent en sept dénominations différentes, pendant environ trois siècles. Pour disposer d une base documentaire solide, nous avons constitué un corpus monétaire établi sur une étude par coin, qui réunit un total de 3095 monnaies. Celles-ci ont été répertoriées dans les collections des principaux Cabinets Numismatiques du monde ainsi que dans les publications des musées et de nombreux catalogues de vente. Le catalogue est construit sur une base chronologique et typologique. Bien que la monnaie soit apparue en pays grec vers le début du VI ème siècle avant J.- C., Dyrrachion a mis longtemps avant d adopter cet instrument de paiement. Il faut attendre environ deux siècles et demi pour voir apparaître les premières monnaies de la cité, qui datent de la deuxième moitié du IV ème siècle avant J.-C. Ce sont des statères de types corinthiens, qui portent au droit un Pégase, accompagné de l ethnique et au revers la tête d Athéna casquée et une massue symbolisant la cité. La légende de la fondation raconte qu Héraclès était le dieu fondateur et le protecteur de la cité. Il n est donc, pas étonnant de voir la massue, son arme, paraître sur les monnaies de Dyrrachion. Ces statères débutent vers 344 avant J.-C. et l étude par coin montre que leur frappe n a pas duré très longtemps. La frappe de ce monnayage est

3 liée à un moment particulier de l histoire de Corinthe, quand la cité envoie en Sicile une expédition dirigée par Timoléon. Le financement des opérations militaires en Sicile demandait certainement des grosses sommes d argent. Apparemment en difficulté pour se procurer tous ces sommes, Corinthe a fait appel à ses colonies pour l aider à financer ces campagnes. La réponse à cet appel fut positive : toutes les colonies de Corinthe, y compris Dyrrachion, frappent des Pégases pendant la deuxième moitié du IV ème siècle. Ceux-ci suivent bien évidemment le même système métrologique que les Pégases de Corinthe. Ce qui distingue ces monnaies est l ethnique qui est différent pour chaque cité participant à l opération. Soulignons qu il n y a aucun doute que la frappe des Pégases de Dyrrachion ait bien été effectuée dans l atelier de la cité. Il n y a aucune liaison de coin entre les statères de la cité et ceux de Corinthe. Mais nous avons également découvert qu en deux autres occurrences, Dyrrachion avait déjà pris part à la frappe de statères de types corinthiens, cette fois-ci dans l atelier de Corinthe. Nous avons catalogué trois statères datant des années 480 avant J.-C., qui ne portent aucun ethnique mais présentent une massue au revers. Notre analyse de ces monnaies nous a amenée à les considérer comme des monnaies frappées au nom de Dyrrachion. Il est vraisemblable que la cité avait contribué en fournissant une masse d argent non monnayé, qui a été transformé en monnaie, à aider Corinthe à financer l effort de guerre de Salamine et de Platées. En second lieu, la présence sur quelques monnaies de la lettre epsilon au droit et d une massue au revers a nous permis d affirmer que ces monnaies avaient été également frappées à Corinthe, au nom de Dyrrachion, pendant la guerre civile qui a divisé la cité dans les années 434 avant J.-C. Vers la fin de la première moitié du IV ème siècle, Dyrrachion adopte un système monétaire qui utilise pour modèle le statère du type corcyréen, dont elle reprend non seulement les types, mais également le poids et le diamètre. Trois dénominations plus petites seront frappées parallèlement aux statères : les quarts de statères, les huitièmes et les seizièmes de statères. Ces types seront frappés jusque dans les années 270 avant J.-C. Des statères à l ethnique de Dyrrachion ainsi qu au nom et au titre d un roi illyrien ont attiré l attention sur les rapports de la cité avec ce roi et les Illyriens. Il est probable qu à la suite de conflits de nature militaire opposant ce roi à la cité, le roi avait obtenu le pouvoir de frapper ses statères dans l atelier de la ville en y apposant son nom. A moins que le manque d argent ait amené la cité à conclure un accord avec le roi et à accepter d utiliser ses monnaies a dans la circulation ordinaire. L étude des monnaies a montré que jusqu au III ème siècle avant J.-C. l histoire de Dyrrachion est fortement liée aux cités fondatrices, Corinthe et Corcyre. Le choix des types monétaires frappés par l une et l autre et l emploi du même système métrologique, la réponse à l appel de Corinthe attestent l étroitesse des rapports qui existaient entre Dyrrachion et ses deux métropoles. De même, l intervention militaire des deux cités, qui s opposent alors, dans les événements des années 435 avant J.-C. qui déchirent Dyrrachion montre clairement

4 l importance que la cité avait pour Corinthe et pour Corcyre. La circulation monétaire en Illyrie Méridionale et à Dyrrachion montre que les monnaies de Corinthe et Corcyre sont présentes dans ces territoires à partir du VI ème siècle jusqu au III ème siècle avant J.-C. au moins. La focalisation de la cité sur ses deux métropoles doit s expliquer par l influence encore faible des Illyriens de l arrière-pays dans les premiers deux siècles après sa fondation. Ce n est qu à partir du IV ème siècle que les Illyriens de cette région développent leur organisation politique et ce ne sera que dans le courant du III ème siècle que l urbanisation de l Illyrie Méridionale prend cours. C est aussi pendant ce siècle que les Illyriens deviennent le facteur important dans les événements de la région. Ces changements dans l arrière-pays ont influencé la politique de Dyrrachion d une manière qui apparaît de manière explicite dans le monnayage de la cité. A partir de 270, un nouveau système monétaire est adopté à Dyrrachion. A la base de ce système on trouve la drachme qui utilise les mêmes types que les statères corcyréens, une vache allaitant son veau au droit et un cadre carré décoré de motifs floraux au revers. L autre dénomination en argent du système est l hémidrachme. Ces monnaies pèsent la moitié de la drachme et ont au droit l avant cops d une vache et au revers le même motif floral. Trois modules en bronze complètent le système. L emploi de petites dénominations l introduction du monnayage de bronze s explique seulement par la situation en Illyrie. Les villes illyriennes sont désormais des acteurs importants dans «l arène» régionale. L intensification des centres urbains et l organisation de l espace rural autour des villes a «animé» la région. Les fouilles archéologiques montrent l existence d un marché intérieur en Illyrie Méridionale. Cela a eu apparemment un impact direct sur la politique monétaire de Dyrrachion. Désormais la cité est plus orientée vers son arrière-pays et vers l intérieur. La zone principale de la circulation des nouveaux types monétaires est principalement l Illyrie Méridionale et surtout les villes qui offrent le plus grand nombre des monnaies retrouvées. La croissance de ses activités commerciales dans l arrière-pays n a fait qu augmenter l importance de Dyrrachion, qui était le pont de passage des produits qui arrivaient par la mer. Les drachmes constituent la monnaie la plus importante en termes de quantité de métal frappé par la cité. Nous avons identifié cinq phases de frappe entre 270 et 60/55 avant J.-C. Les deux premières ( avant J.-C. et 230/ avant J.-C) sont caractérisées par un nombre peu élevé d émissions. On constate l intensification des émissions durant la troisième phase ( /100 avant J.-C) et on atteint le nombre le plus élevé pendant la quatrième phase (120/100-80/70 avant J.-C). La dernière phase (80/70-60/55 avant J.-C) est caractérisée par la rareté des émissions, qui ne sont quatre, mais par l importance du nombre des coins. Cette différence entre les phases est liée aux événements qui ont affecté la politique monétaire de la cité. Les deux premières phases montrent une activité monétaire ordinaire, avec un rythme de frappe moyen. Puis, dans les années avant J.-C., les drachmes de Dyrrachion circulent en quantités très importantes dans les régions au nord des Balkans, surtout dans le territoire de l actuelle Roumanie, de la Bulgarie et de la Moldavie. Cette circulation particulière s explique par des raisons précises. Durant cette période, la région voit

5 des dérouler des combats très violents entre les peuples locaux et Rome. Jusque dans les années 80, les guerres contre les Thraces, doublée par celle contre le roi du Pont Mithridate Eupator, puis les conflits avec le roi dace Burebista ont créé un climat d instabilité dans la péninsule. Pour financer ces campagnes militaires, Rome avait besoin de grandes quantités de monnaies. Payer les mercenaires, entretenir les troupes, les nourrir, entraînent des frais considérables. Il n était certainement pas facile de se procurer du numéraire pour financer ces dépenses dans une région où les types grecs constituaient la monnaie principale utilisée et où le denier romain ne pénètre massivement qu après les années 60. Pour cette raison, Rome utilise plusieurs types monétaires grecs afin de couvrir ses besoins militaires. Parmi ces types, il y a les drachmes de Dyrrachion. Nous avons établi que l atelier de la cité frappe des drachmes pour les besoins de Rome à partir du dernier quart du II ème siècle jusque dans les années avant J.-C. Pour mieux comprendre les motifs qui y ont amené, nous avons essayé d analyser la nature des relations entre Rome et Dyrrachion. L intérêt de Rome pour la côte en face de l Adriatique s accroît durant le III ème siècle avant J.-C. La première intervention militaire date de 229 quand les Romains attaquent la reine illyrienne Teuta, qui avait fait de la piraterie une activité de l Etat. Les troubles causés par les pirates de Teuta aux marchands romains commerçant avec l Illyrie Méridionale, ont donné lieu à ce qui est connu comme la première guerre de Rome contre les Illyriens. Après le conflit militaire, Rome établit son protectorat sur une partie importante de l Illyrie Méridionale, Dyrrachion inclus. A partir de ce moment les rapports de Dyrrachion avec Rome s intensifient constamment. La cité était un pont important dans les rapports entre les deux côtes mais également un point protégé pour le débarquement des troupes lors des conflits de Rome dans la région. A partir de la guerre de 229, toutes les troupes romaines débarquaient dans le port de Dyrrachion pour rejoindre leur destination finale depuis ce lieu. L intérêt de la cité est évident : avec les troupes il y a des marchands qui débarquent et qui font du commerce dans la cité mais pas seulement. Notre recherche nous a permis d affirmer que Dyrrachion est une ville dont l économie se développe surtout par le commerce. Cette affinité avec Rome continuera jusque dans les années de la guerre civile à Rome, pendant laquelle la cité a servi de base au camp de Pompée. Notre recherche sur les drachmes a permis de comprendre un aspect important de l activité monétaire de la cité, l organisation de l atelier monétaire. Le progrès des études sur les monnayages grecs a montré que dans la plupart des cas, les cités avaient une organisation des ateliers monétaires très différente les unes des autres. Dans le cas de Dyrrachion l explication du système mis en œuvre par la cité pour contrôler son monnayage a été fondamentale pour reconstituer l organisation de l atelier. Ce système de contrôle est constitué par deux séries de deux marques de contrôle : un nom de monétaire apparaissant un au droit et un autre au revers des monnaies à quoi s ajoutent des symboles généralement gravés au droit. La relation qui existe entre ces deux séries de noms et les symboles ainsi que les constatations faites sur les liaisons entre les noms de monétaires et les éléments stylistiques, nous ont permis de conclure que les drachmes de Dyrrachion avaient été frappées

6 par des catégories de monétaires dont les fonctions sont différentes. Nous avons identifié les monétaires du droit comme les responsables de l émission et ceux de revers comme des maîtres d ateliers qui exercent des tâches de nature technique dans la frappe. Soulignons que le même système de contrôle a été employé pour les hémidrachmes. L arrêt de la frappe des drachmes marque un changement important dans l activité monétaire de Dyrrachion. Une réforme monétaire qui vise à adopter le monnayage en bronze de la cité à celui d Antoine, suit l arrêt du monnayage en argent. Le nouveau monnayage en bronze sera frappé jusqu à la fin des guerres civiles. Puis, avec l arrivée d Auguste au pouvoir à Rome, Dyrrachion est érigée en colonie romaine. Cette décision de Rome est probablement due à la décision de Dyrrachion de soutenir Pompée contre César pendant les guerres civiles. Pendant toute la période impériale, la cité ne frappera aucune monnaie. Notre travail a donc cherché à reconstituer et à analyser la politique monétaire suivie par Dyrrachion pour son monnayage en argent. Il vise à expliquer les décisions de nature monétaire en éclairant les événements historiques de l époque. Inversement, les faits numismatiques viennent à l aide de l histoire en montrant la participation de la cité à des événements sur lesquels les sources littéraires ne nous renseignent que partiellement. Nos conclusions prouvent encore une fois la forte liaison entre la numismatique et l histoire.