Alors que sommes-nous censés faire pendant l éloignement du maître? Les deux paraboles comportent des accents différents.

Transcription

1 Lc Restez en tenue de travail et gardez vos lampes allumées. Et soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, afin de lui ouvrir dès qu il arrivera et frappera. Heureux ces serviteurs que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller. En vérité, je vous le déclare, il prendra la tenue de travail, les fera mettre à table et passera pour les servir. Et si c est à la deuxième veille qu il arrive, ou à la troisième, et qu il trouve cet accueil, heureux sont-ils! Vous le savez : si le maître de maison connaissait l heure à laquelle le voleur va venir, il ne laisserait pas percer le mur de sa maison. Vous aussi tenez-vous prêts, car c est à l heure que vous ignorez que le Fils de l homme va venir. Pierre dit alors : Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole ou bien pour tout le monde? Le Seigneur lui dit : Quel est donc l intendant fidèle, avisé, que le maître établira sur sa domesticité pour distribuer en temps voulu les rations de blé? Heureux ce serviteur, que son maître en arrivant trouvera en train de faire ce travail! Vraiment, je vous le déclare, il l établira sur tous ses biens. Mais si ce serviteur se dit en son cœur : Mon maître tarde à venir et qu il se mette à battre les garçons et les filles de service, à manger, à boire et à s enivrer, le maître de ce serviteur arrivera au jour qu il n attend pas et à l heure qu il ne sait pas : il le chassera et lui fera partager le sort des infidèles. Ce serviteur qui connaissait la volonté de son maître et qui pourtant n a rien préparé ni fait selon cette volonté recevra bien des coups ; celui qui ne la connaissait pas et qui a fait de quoi mériter des coups en recevra peu. A qui l on a beaucoup donné, on redemandera beaucoup ; à qui l on a beaucoup confié, on réclamera davantage. Evidemment ces deux paraboles nous parlent de l attente. On trouve, dans ce passage, à de nombreuses reprises, les verbes arriver ou venir. Cela nous parle donc de la situation où le maître est absent. Il est loin, on ne sait pas où il est exactement, on ne connaît pas ses intentions dans le détail, on ne sait pas quand il va se manifester. Mais on sait dans les grandes lignes ce qu il attend de ses serviteurs et il ne les a pas oubliés. C est une situation qui nous est familière. Il nous arrive souvent de nous interroger sur les intentions précises de Dieu à notre égard. Il nous est difficile de savoir précisément ce qu il attend de nous à tel ou tel moment. Nous ne trouvons pas sa volonté sur un petit bout de papier que nous découvrons au fond de notre chaussure. Mais il ne nous a pas oubliés et nous connaissons sa volonté dans les grandes lignes.

2 Que Jésus parle aussi ouvertement de son absence à ses disciples, au moment même où il est présent à leur côté, signifie toute l importance qu il accorde à cette configuration. Il compte bien que ses disciples sauront faire face lorsqu il ne sera plus physiquement à leurs côtés. Jésus veut faire de nous des êtres responsables et pas simplement des machines qui exécutent ses volontés sans réfléchir. Il dessine donc un espace pour notre activité, où il n est pas là à nous surveiller et à nous reprendre à chaque instant, mais où il a fixé des lignes directrices et des bornes temporelles. Celui qui dépasse les bornes finit par se heurter au retour du Seigneur. Alors que sommes-nous censés faire pendant l éloignement du maître? Les deux paraboles comportent des accents différents. Dans la première, la situation est inhabituelle. On connaît des paraboles où des jeunes filles attendent l époux ; on connaît des paraboles où les gens sont invités à des noces. Mais ici le maître est parti se marier et ses serviteurs attendent qu ils reviennent de la noce. Qu est-ce que cette image nous dit? Pour moi je vois la figure du Christ entré dans sa gloire, suite à sa mort et à sa résurrection. Il est déjà en train de fêter les noces de l agneau. Et pendant ce temps, ses serviteurs attendent sur Terre. Mais l attitude des serviteurs sur Terre est passive : ils sont disponibles, ils sont tournés vers la personne du maître qui est loin, ils attendent. Ils ne font rien de spécial. J y vois, pour ma part, une attitude méditative, une forme de louange ou d adoration. Les serviteurs sont dans la conscience du fait que leur maître est à la noce et cela leur suffit. Pendant ce temps, il est bien possible que les serviteurs ne soient pas à la noce, comme on dit! Et cela explique sans doute la suite, assez étrange de la parabole, lorsque le maître revient. C est lui qui se met au service de ses employés! Il est assez inhabituel d imaginer Jésus comme exerçant une fonction de serviteur, mais n est-ce pas, au fond ce qu il est. Lorsqu il était sur Terre, Jésus a été un serviteur. Et de son élévation il continue à nous rendre service.

3 Il veut prendre la tenue de travail et nous mettre à l aise. La lecture de la parole, la prière, la cène, le baptême, la vie communautaire, sont des occasions aux travers desquelles Jésus se met à notre service. Depuis la gloire qui est la sienne, il se tourne vers nous et nous donne ce dont nous avons besoin. Mais encore faut-il que nous soyons disponibles pour recevoir ces dons. Celui qui reste tourné vers le Christ, qui lui reste attaché, qui lui fait confiance malgré son éloignement, reçoit le repas que le Christ veut lui servir. Jésus parle de vigilance et, sans doute, la parabole évoque le retour de Jésus. Mais, à mon avis, pas seulement. Elle évoque aussi les nombreux moments où le Seigneur s approche de nous, où sa présence nous est plus perceptible. Sommes-nous disponibles pour le repas qu il nous prépare dans ces moments? Ou bien sommes-nous tellement absorbés par notre activité que nous oublions notre lien fondamental au Christ? Voilà : parabole numéro 1 : soyons prêts, dans un esprit de disponibilité, à recevoir le Christ et à recevoir ce qu il nous donne. C est une parabole sur la réceptivité. La deuxième parabole est plutôt une parabole sur l activité. Elle est introduite par la question de Pierre que je ne suis pas sûr de bien comprendre. En tout cas, Jésus répond à la question : pour qui? Par «pour tous ceux qui se sentent investis des responsabilités que je leur confie». Et du coup on passe de l attente réceptive à l action. Cette fois-ci c est «heureux ce serviteur que ce maître, en arrivant, trouvera en train de faire ce travail». C est intéressant de penser à la vie chrétienne comme à un travail. Ce que Jésus attend de nous s assimile à un travail, en tout cas dans cette deuxième parabole. Et ce qu il nous demande c est, à notre tour, de nous mettre au service des autres pour faire face à leurs besoins. Donc ces paraboles sur l attente sont pour qui? Pour tous ceux qui ont compris que la mission du maître ne s est pas arrêtée au moment où il est parti, mais qu elle s exerce, largement, au travers de ceux qui ont endossé la position d intendants de la mission du maître, pendant son éloignement.

4 Et là, évidemment, on connaît les pièges. On commence par servir et puis on finit par mettre les autres à notre service. Tous les métiers sont guettés par cette dérive. Donc l idée n est pas de se prendre trop au sérieux, mais de faire notre travail, en respectant les autres. Et donc la parabole est pour tous ceux qui se sentent concernés par cette mise en garde de Jésus. Quelle est donc la juste attitude en attendant le retour de Jésus? Il y a eu, et il y a encore, pas mal de débats dans l Eglise à ce propos. Les uns se voient plutôt comme les serviteurs qui attendent le retour de leur maître en se tenant prêts à lui ouvrir la porte au moment où il vient. Les autres se voient plutôt comme les serviteurs qui se consacrent à une activité et que le maître trouve occupés à leur travail. On peut, ainsi, opposer les contemplatifs aux actifs. Mais Jésus refuse d opposer les deux catégories de personnes. Pour lui, ce qui compte c est que, dans les deux situations, on ne perdre pas de vue pourquoi on fait ce que l on est en train de faire. Celui qui s absorbe dans la contemplation peut, sans s en rendre compte, s intéresser de beaucoup trop près à lui-même. En pensant contempler Dieu il peut contempler son nombril. Et celui qui agit peut agir aussi dans son intérêt : pour se faire bien voir, pour s enrichir, pour dominer les autres. C est correct de penser que Jésus veut travailler pour nous. Et c est correct de penser que Jésus nous demande de travailler pour les autres. Mais l essentiel est de rester dans ce courant qui part de Jésus, qui passe par nous et qui va jusqu aux autres. Dans un cas Jésus nous demande de veiller. Dans l autre cas Jésus nous demande de travailler, de préparer, de faire, de distribuer. Ce sont deux activités importantes. Le maître lui-même part faire la noce et revient travailler ou bien confie ses biens et revient régler la situation. Il y a des moments de célébration et des moments de travail. Des moments où Jésus nous laisse agir et des moments où il manifeste de nouveau clairement sa présence.

5 Mais si nous sommes des êtres adultes dans la foi, nous ne sommes pas comme des enfants qui font les cent coups dès que leurs parents ont tourné le dos! Dans les deux histoires je vois à l œuvre une générosité fondamentale : Les serviteurs sont prêts à attendre et à perdre du temps, juste pour que leur maître se sente accueilli lorsqu il revient de ses noces. Et l intendant distribue les biens au moment opportun. Ils donnent tous quelque chose. Juste avant il y a plusieurs textes sur les richesses et sur le risque de garder pour soi. Garder pour soi nous donne une assurance à court terme. Mais l attitude vraiment mûre et tournée vers Dieu est de donner ce qui nous a été donné. C est là que l attente du retour de Jésus-Christ prend tout son sens. Et le maître se fait une joie de donner à ceux qui ont aussi, de leur côté, mis en œuvre la joie de donner. C est la belle image qui me touche dans ce passage.