«Du nez qui voque à Milles et Chateaugué : entretien avec Alain Périsson» Léo Bonneville. Séquences : la revue de cinéma, n 66, 1971, p. 4-7.

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1 «Du nez qui voque à Milles et Chateaugué : entretien avec Alain Périsson» Léo Bonneville Séquences : la revue de cinéma, n 66, 1971, p Pour citer ce document, utiliser l'information suivante : Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 4 February :32

2 Alain Périsson pendant le tournage de Milles et Chateaugué du nez qui voque Milles et Chateaugué [entretien avec Jalain [Périsson] SÉQUENCES 66

3 Co-produit par la France (Dovidis et Marianne Productions) et le Canada {Prima Films), le film Milles et Chateaugué devrait sortir au début de la prochaine ftnnée. Le film est tiré d'un roman de Réjean Ducharme, Le nez qui voque, et c'est un jeune réalisateur français qui, pour son premier film, s'est attaqué à ce sujet avec enthousiasme. Juste avant qu'il ne quitte Montréal, à la fin du tournage, nous l'avons rencontré pour une interview qui renseignera nos lecteurs sur un long métrage susceptible de trancher sur les productions du Québec. L.B. L.B. - Pourquoi avez-vous choisi, pour première oeuvre, le roman de Réjean Ducharme, e nez qui voque? A.P. - Ce n'est pas un choix, Un jour on m'a fait lire le roman que j'ai trouvé très beau et on a parlé d'adaptation. L.B. - Il ne me semble pas facile d'adapter un roman de Réjean Ducharme. Comment s'est opérée l'adaptation? A.P. Tout d'abord, je n'étais pas d'accord pour toucher un roman littéraire. Surtout pas Le nez qui voque car il s'agit d'une langue un peu spéciale, imaginative et très verbale. Aussi après une première lecture, j'ai pensé qu'il ne fallait pas toucher à une oeuvre comme ça. Mais on a tellement insisté qu'avec Thierry Joly et Alain Viguier j'ai commencé une série de travaux qui ont fini par se matérialiser. Après plusieurs jets, nous sommes tombés d'accord. L.B. - Comment arrivez-vous à traduire tous les calembours, les traits d'esprit, les jeux de mots qu'on trouve abondamment chez Réjean Ducharme? i A.P. - Je ne sais pas si nous y parviendrons. Tout d'abord, les dialogues ont été réduits au minimum pour laisser à l'image une exubérance gestuelle un peu éloquente. Il fallait trouver une possibilité d'adaptation réellement cinématographique à partir d'une oeuvre exclusivement littéraire. L.B. - Comment avez-vous choisi vos acteurs? A.P. En les cherchant à Paris d'abord puis à Montréal. Comme j'ai eu peu de temps pour les chercher à Montréal, les deux protagonistes sont deux jeunes comédiens français. Tout le reste de la distribution est assuré OCTOBRE 1971 par des Canadiens dont un des rôles principaux revient à Luce Guilbault. L.B. - En choisissant deux jeunes Français pour incarner les deux personnages importants, ne croyez-vous pas trahir le roman de Réjean Ducharme? A.P. - Non, parce que je pense que Ducharme lui-même croit que son roman n'est pas Québécois. C'est un roman avant tout. L.B. - Avez-vous été en relation avec Réjean Ducharme avant de commencer votre travail? A.P. - Pas avant mais très longtemps après. Toutefois j'ai eu son accord pour porter sqn livre à l'écran et ensuite il m'a laissé carte blanche. L.B. - Il n'a point influencé le scénario? A.P. - Nous nous sommes rencontrés alors que le scénario était définitivement terminé. Il m'a suggéré quelques idées dont j'ai retenu certaines. Mais comme, à l'époque, la production était formellement engagée nous étions à deux pas de démarrer le tournage il y a des choses qu'il était impossible de reconsidérer parce que cela posait trop de problèmes matériels. L.B. - Donc Réjean Ducharme a lu votre scénario. Quelle a été sa réaction? A.P. - Il m'a envoyé des pages qu'il a tapées durant toute une nuit. Il m'a dit : "Fais ce que tu veux avec ça. Tout de même regarde. Il y a peut-être des choses... Et puis, ce n'est peut-être pas la peine de toucher au scénario définitif." L B. - Les dialogues sont-ils de Réjean Ducharme ou les avez-vous refaits? A.P. - On a puisé ce que l'on a pu chez Ré-

4 jean Ducharme. Comme il y a des scènes qu'on ne trouve pas intégralement dans le roman, il a fallu trouver une sorte d'adaptation. On a laissé tomber des scènes du roman; par contre, on en a ajouté de nouvelles. De plus, certains mots qui reviennent souvent dans le roman se retrouvent dans le film Par ailleurs, on en a inventé d'autres. L.B. - Le roman a-t-il été utilisé en sa totalité ou en une seule partie comme par exemple, pour A l'est d'eden de John Steinbeck? A.P. - Le roman de Ducharme est une sorte de complainte des temps modernes chantée par deux adolescents. Bien sûr, l'histoire se retrouve intégralement dans le film. Cela dit, il ne s'agit pas vraiment d'une histoire mais plutôt d'une complainte. L.B. - Où le film a-t-il été tourné? A.P. - On a tourné pendant trois semaines en studio à Paris : tout ce qui se passe dans la chambre. La plus grande partie du film a été tournée près de Montréal ainsi qu'à Berthierville. L.B. - Avez-vous rencontré des difficultés en faisant jouer ensemble des comédiens français et des comédiens canadiens? A.P. - Il y a eu parfaite intégration. D'ailleurs, il n'y a que trois rôles principaux. Cela facilitait passablement les choses. Les deux rôles des jeunes sont endossés par des Français, Pascal Pressy (16 ans) pour le rôle masculin de Milles et Nathalie Drivet (18 ans) pour le rôle féminin de Chateaugué. Luce Guilbault remplit le rôle de Questa. Les deux jeunes comédiens se sont très vite bien entendus et ils ont fait la connaissanc de Luce avec ue harmonie parfaite. Il n'y a eu aucun problème de langue et de moeurs. L.B. - Vous avez fait du théâtre et puis de l'assistanat pendant quatre ans. Voyez-vous une différence entre diriger les acteurs au théâtre et les diriger au cinéma? A.P. - C'est très différent. Toutefois, il y a une chose qui revient et qui est à peu près la même : c'est l'approche psychologique. Au théâtre, on est obligé d'être sur le dos des comédiens à peu près tout le temps parce qu'il y a une continuité à travailler et un rythme difficile à conserver. Au cinéma, on peut essayer de créer un climat psychologique brutal. Cela amène parfois des incidences douloureuses. Il y a une technique que j'ai essayée et qui consiste à insérer les comédiens dans l'aventure du film plus que dans l'aventure du rôle. Je crois que cette technique est surtout intéressante dans le cas de jeunes comédiens qui se sentent parfaitement concernés par le film. L.B. - Ces deux jeunes acteurs vous cnt-ils créé..des difficultés particulières? A.P. - Au contraire. Ce sont deux jeunes comédiens extraordinairement gentils et attentifs. L.B. - Avaient-ils fait du théâtre ou joué dans un film auparavant? A.P. - Pascal avait un peu travaillé pour de petits bouts de rôles. Nathalie était au conservatoire de Saint-Germain-en-Laye. Par conséquent, leur expérience était très limitée. L.B. - Comme le film ne comporte que trois personnages principaux, peut-on parler de film intimiste? A.P. - C'est difficile à dire. Tout se passa par rapport à l'environnement. L.B. - Le langage de vos jeunes acteurs est-il un langage châtié ou très libre? A.P. - Ce sont des jeunes très spontanés. L.B. - Cette langue qu'ils utilisent s'entendelle partout ou est-elle exclusive au Québec? A.'P. - Dans la préparation des dialogues, nous avons travaillé avec André Melançon qui a supervisé le contenu canadien du film pour que tous les mots employés ainsi que les accessoires et les décors utilisés soient vraisemblables au Canada mais pas exclusivement au Canada. Il fallait que le tout soit accessible à la fois aux Français et aux Québécois. Cela exigeait un peu d'attention et ne créait pas trop de complications. Il n'y aura pas de version supplémentaire pour l'expor- SÉQUENCES 66

5 ^*^ tation. Toutefois, on a tourné une version qui sera doublée en "canadien", c'est-à-dire que les voix des comédiens français seront remplacées par des voix de comédiens canadiens. L.B. - Pourquoi avez-vous accepté ce compromis? A.P. - Parce que cela était imposé par la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne (SDICC). L.B. - Une question de financement? A.P. Oui. Mais c'est surtout parce que la direction de la SDICC ne veut pas que le film soit détérioré par rapport au contenu qu'elle estime canadien. Ce n'est pas l'opinion de Réjean Ducharme. L.B. - La direction de la SDICC craint donc qu'en employant des acteurs français vous profaniez le texte? A.P. - Je crois que ce doit être ça car je ne vois pas d'autres raisons. L.B. - Cette attitude est-elle défendable? A.P. - Pas du tout. Je suis violemment contre parce que je crois que le roman de Réjean Ducharme a des répercussions absolument universelles et que c'est un détail de peu d'importance par rapport au contenu d'une oeuvre comme celle de Réjean Ducharme. L.B. - Assumerez-vous vous-même ce (faux) doublage? A.P. - Personnellement, je n'y tiens pas. Toutefois, je le ferai par acquis de conscience mais a contrecoeur. L.B. - Une fois le film terminé, on le reprendra et on changera les voix pour des voix canadiennes. A.P. - Absolument. L.B. - Etes-vous satisfait des conditions de travail que vous avez trouvées ici? A.P. - Je suis très satisfait des conditions de travail parce que j'ai trouvé ici un climat de travail en équipe assez rare dans une production cinématographique supervisée par un producteur (Paul Neurisse) d'une gentillesse qui deviendra proverbiale. L.B. - Peut-on savoir combien a coûté la production du film? A.P. - $300,000 pour un film en couleur 35 mm. L.B. - Cette première expérience amène-t-elle à penser qu ;l y aura un prochain film pour vous? A.P. - Je l'espère car ce film est une expérience qui m'a coûté trois ans de travail. C'est la quatrième fois que je reviens à Montréal. Je prévois une prochains coproduction avec le Maroc.