REGARD SUR UNE PAGE D EVANGILE

Transcription

1 REGARD SUR UNE PAGE D EVANGILE Dans le cadre de ce numéro de Sklerijenn consacré au regard, je vous propose un arrêt sur une page d évangile. Mais, me direz-vous, ces pages, nous les connaissons, nous les avons entendues si souvent!!, nous les commentons même à nos élèves au cours des temps de catéchèse ou d enseignement religieux. Alors quelle nouvelle découverte? Cette forêt, à deux pas de chez moi, je la connais depuis ma plus tendre enfance. Je suis né dans le village voisin et le dimanche, avec mes parents, nous sortions au bois. Et puis avec mon épouse et mes enfants, je suis resté fidèle à ces promenades au cœur de la forêt. Je m y rends parfois seul. C est une nouvelle découverte à chaque fois : il y a tant de changements selon les saisons et puis il y a eu les tempêtes mais aussi le reboisement et la forêt a vu son visage se transformer au fil des années. Accepter de plonger dans un texte d évangile qui nous est familier, c est vivre cette même expérience. Au delà des mots, c est tout le sens du texte qui nous est dévoilé à travers notre histoire, notre vécu. En préparant ce parcours sur le texte de la Samaritaine, mon regard s intéressait aux objets de cette scène évangélique et plus particulièrement à la cruche : vous l avez sûrement remarqué, quand la Samaritaine s en va annoncer aux gens de la ville la découverte qu elle vient de faire en la personne de Jésus, elle abandonne sa cruche, objet devenu inutile : elle possède désormais la source d eau vive. J ai rapproché cette anecdote de la rencontre de l un des moines de Tibhirine avec son voisin musulman, Mohamed. «Depuis qu un jour, dit-il, il m a demandé tout à fait à l improviste de lui apprendre à prier, Mohamed a pris l habitude de venir s entretenir régulièrement avec moi. Nous avons ainsi un longue histoire de partage Un jour, il trouva la formule pour solliciter un rendez-vous : «Il y a longtemps que nous n avons pas creusé notre puits!» Une fois, par mode de plaisanterie, je lui posai la question : «Et au fond de notre puits, qu est-ce que nous allons trouver? De l eau musulmane ou de l eau chrétienne?» Il m a regardé, mi-rieur, mi-chagriné : «Tout de même, il y a si longtemps que nous marchons ensemble, et tu te poses encore cette question Tu sais, au fond de ce puits-là, ce qu on trouve, c est l eau de Dieu!» Sklerijenn n 24, 1 re partie 7

2 Alors, si vous l acceptez, faites aussi ce voyage de la redécouverte de la Bonne Nouvelle. Je vous propose un parcours très simple : - Entrez dans le texte comme on rentre en forêt. Vous sentez, vous vous imprégnez des odeurs, vous vous remplissez les yeux des couleurs de la saison, vous ouvrez vos oreilles pour capter les bruits! Lisez le texte calmement, à voix haute, silencieusement, comme vous le sentez! -Attention pour ne pas se perdre, on prend quelques repères : situez le texte, comme vous avez le souci de repérer ce coin de bois par lequel vous êtes rentrés. - Partez à la découverte des essences d arbre, des plantes. Vous les connaissez? Vous n êtes pas sûrs? Au retour vous allez regarder de plus près dans vos documents. Découvrons dans le texte les mots, les personnages, les objets. - Mais il ne s agit pas de se perdre dans tous les détails, il faut resituer ces éléments dans leur ensemble : le bois vit, les allées s entrecroisent, Alors observons ce qui se passe dans le déroulement de l épisode d évangile. - Il restera une dernière étape dans notre promenade : s arrêter, faire silence et s imprégner de tout ce que cette visite nous a apporté. C est le temps où devant une page d évangile, nous nous disons : oui cela me concerne aujourd hui. Quel sens pour moi, quel apport pour ma vie de chrétien, de baptisé? 1- Lisons le texte LA SAMARITAINE Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean, - à vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas mais ses disciples il quitta la Judée et regagna la Galilée. Or il lui fallait traverser la Samarie. Sklerijenn n 24, 1 re partie 8

3 C est ainsi qu il parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph, là même où se trouve la source de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement à même la source. C était environ la sixième heure. Arrive une femme de Samarie pour puiser de l eau. Jésus lui dit :» Donne-moi à boire.» Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger. Mais cette femme, cette samaritaine, lui dit :» Comment? Toi, un Juif, tu me demandes à boire à moi, une femme samaritaine!» Les juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les samaritains. Jésus lui répondit :» Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : «Donne-moi à boire», c est toi qui aurais demandé et il t aurait donné de l eau vive.» La femme lui dit : «Seigneur, tu n as même pas un seau et le puits est profond : d où la tiens-tu donc cette eau vive? Serais-tu plus grand, toi, que notre père Jacob qui nous a donné le puits et qui, lui-même, y a bu ainsi que ses fils et ses bêtes?» Jésus lui répondit : «Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l eau que je lui donnerai n aura plus jamais soif ; au contraire l eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle.» La femme lui dit : «Seigneur, donne-moi de cette eau pour que je n aie plus soif et que je n aie plus à venir puiser ici.» Jésus lui dit : «Va, appelle ton mari et reviens ici.» La femme lui répondit : «Je n ai pas de mari.» Jésus lui dit : «Tu dis bien : «Je n ai pas de mari» : tu en as eu cinq et l homme que tu as n est pas ton mari. En cela tu dis vrai.» «Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer.» Jésus lui dit : «Crois-moi, femme, l heure vient où ce n est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut provient des Juifs. Mais l heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité : tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit et c est pourquoi ceux qui l adorent doivent adorer en esprit et en vérité.» La femme lui dit :» Je sais qu un messie doit venir celui qu on appelle Christ. Lorsqu il viendra, il nous annoncera toutes choses.» Jésus lui dit : «Je le suis, moi qui te parle.» Sur quoi les disciples arrivèrent. Ils s étonnaient que Jésus parlât avec une femme ; cependant personne ne lui dit : «Que cherches-tu?» ou «Pourquoi lui parles-tu?» La femme alors, abandonnant sa cruche, s en fut à la ville et dit aux gens : «Venez donc voir un homme qui m a dit tout ce que j ai fait. Ne serait-il pas le Christ?» Ils sortirent de la ville et allèrent vers lui. Entre-temps, les disciples le pressaient : «Rabbi, mange donc.» Mais il leur dit : «J ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas.» Sur quoi les disciples se dirent entre eux : «Quelqu un lui aurait-il donné à manger?» Jésus leur dit : «Ma Sklerijenn n 24, 1 re partie 9

4 nourriture, c est de faire la volonté de celui qui m a envoyé et d accomplir son oeuvre. Ne dites-vous pas vous-mêmes : «Encore quatre mois et viendra la moisson?» Mais moi je vous dis : levez les yeux et regardez ; déjà les champs sont blancs pour la moisson! Déjà le moissonneur reçoit son salaire et amasse du fruit pour la vie éternelle, si bien que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble. Car en ceci le proverbe est vrai, qui dit : «l un sème, l autre moissonne». Je vous ai envoyés moissonner ce qui vous a coûté aucune peine ; d autres ont peiné et vous avez pénétré dans ce qui leur a coûté tant de peine.» Beaucoup de samaritains de cette ville avaient cru en lui à cause de la parole de la femme qui attestait : «Il m a dit tout ce que j ai fait.» Aussi lorsqu ils furent arrivés près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer parmi eux. Et il y demeura deux jours. Bien plus nombreux encore furent ceux qui crurent à cause de sa parole à lui ; et ils disaient à la femme : «Ce n est plus seulement à cause de tes dires que nous croyons ; nous l avons entendu nous-mêmes et nous savons qu il est vraiment le Sauveur du monde.» Deux jours plus tard, Jésus quitta ces lieux et regagna la Galilée. 2- Situons le texte Un homme, une femme. Une rencontre qui, comme bien des histoires d amour, de la Bible (Isaac et Rébecca, Jacob et Rachel) et d ailleurs, commence autour d un puits. Mais ici l amour est transfiguré : la Samaritaine dont la vie amoureuse allait d échec en échec, va vivre une expérience inouïe. Celui qui nous raconte cela? Le quatrième évangéliste, ce disciple que Jésus aimait, Jean. Son évangile a pris la forme que nous connaissons vers l an 90 après avoir été raconté, médité, porté pendant de nombreuse années par lui et ceux qui s en réclamaient. Il sait approfondir chaque épisode de la vie de Jésus avec génie. 3- Découvrons : Les personnages : Jésus, la Samaritaine et les Samaritains, les disciples Alors un mot de ces Samaritains : c est un peuple qui naquit après la prise de Samarie par les Assyriens en 722 avant Jésus-Christ. Ces derniers firent venir dans les pays conquis des colons étrangers qui se mélangeaient aux Juifs autochtones pour créer le peuple samaritain. Descendants de ces étrangers qui avaient ajouté à leurs dieux traditionnels le culte de Yahvé, les Samaritains considérés comme des hérétiques par les autres Juifs. Sklerijenn n 24, 1 re partie 10

5 Et les relations vont s envenimer au fil des ans et la rupture sera consommée en 107 avant Jésus-Christ avec la destruction du Temple du Garizim, symbole du culte pour les Samaritains. Du puits de Jacob où se situe notre rencontre, on aperçoit le mont Garizim «Nos Pères ont adoré sur cette montagne». Les objets : la cruche, le puits, la nourriture La cruche, instrument indispensable pour puiser l eau (d ailleurs Jésus ne peut pas en puiser sans faire appel à cette femme, une Samaritaine!) ; elle devient inutile, la source est désormais à l intérieur. Le puits : c est le lieu de vie du quotidien, le passage obligé pour qui veut survivre. Nous pouvons aisément faire appel aux images de ces pays du soleil et de la sécheresse pour comprendre l importance du puits. La référence que la Samaritaine fait des ancêtres est également là pour le signifier. La nourriture : elle met les disciples dans l incompréhension : ils se sont déplacés pour aller à la recherche de cette nourriture et, au retour, voilà que Jésus leur dit qu il a ce q il faut!! C est en s appuyant sur ce malentendu, comme précédemment avec la Samaritaine, que le Christ va transmettre son message.. Nous pourrions aller à la rencontre de certains mots, verbes, adjectifs pour en dégager la richesse. (N oublions pas que les Evangiles n ont pas écrits en français!! et que derrière la traduction qui nous en est faite, il y a toute la richesse du texte d origine). 4- Comprenons le sens Sur ce texte, je vous propose deux parcours, à l image de votre promenade dans un coin de votre forêt. Tout d abord, observons le dialogue de sourds qui s engage entre Jésus et la Samaritaine. Tout part de cette eau, réalité quotidienne de première importance pour cette femme mais aussi image biblique des dons de Dieu. Et puis un homme et une femme, face à face, seuls. Un mariage en sera-t-il l issue heureuse? Non, il demande à la Samaritaine d aller chercher son mari. Son mari? Elle en a eu six. Finalement quel est le vrai mari? Quel est le vrai Dieu? Jésus donne une réponse : le vrai Dieu, c est le Dieu d Israël. Oh, comme ce dialogue ressemble étrangement à nos dialogues d homme et de femme et à notre dialogue avec Dieu : nous voudrions tant qu il nous vienne en Sklerijenn n 24, 1 re partie 11

6 aide dans nos problème humains, comme la Samaritaine qui espérait avoir une solution à cette corvée de l eau!! En second lieu, regardons l acte de foi de la Samaritaine : de l éblouissement à la conversion, suivons la transformation de la relation entre Jésus et cette femme. Elle découvre progressivement la véritable identité messianique de Jésus et elle va en être toute transformée. Au début, Jésus se manifeste comme l itinérant fatigué et assoiffé La rumeur court qu il concurrence Jean-Baptiste. Et en face de ce voyageur fatigué, la Samaritaine est en position de force : c est son pays, le puits est un héritage de son peuple. Elle se moque presque de ce voyageur qui prétend puiser de l eau sans seau. Et puis le doute s installe : «Serais-tu plus grand que notre père Jacob?» La samaritaine va alors passer de la religion (le culte qu elle n a pas choisi : «Nos pères») à la foi. C est l adhésion libre à quelqu un qui lui donne d exister. Cette itinéraire est magnifiquement traduit dans les mots successivement utilisés par la femme pour désigner Jésus : Seigneur, le Prophète (celui qui, sans la condamner, lui révèle sa situation personnelle), le Messie et plus tard, avec les gens de son peuple, le Sauveur du Monde 5- Prions avec ce texte Tu t es arrêté au puits, fatigué, à l heure de midi. Il fait chaud et tu as soif. Nous sommes seuls, toi et moi. Et voilà que tu m adresses la parole à moi une femme étrangère, de surcroît. Tu me demandes à boire Je pensais tout d abord que c est moi que tu voulais Mais quand tu as dit : «Celui qui boira l eau que je donne n aura plus jamais soif», j ai dressé l oreille. J ai réalisé que mon existence était vide comme une citerne qui fuit. Trop d hommes et pas d amour. Ton regard a percé ma douleur : alors j ai tout compris. La source de l amour, c est toi. Les barrières élevées par les humains ne comptent plus. Tu es le Messie, tu es mon sauveur. Yvon GAREL Sklerijenn n 24, 1 re partie 12