Le nécessaire respect du principe de laïcité dans le service public. Un régime juridique précis et solide
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- Claudette Lafontaine
- il y a 7 ans
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1 Laïcité à l hôpital Un principe constant et uniforme, une pratique de terrain évolutive et variée Isabelle Génot-Pok, Clothilde Poppe Juristes consultantes au centre de droit Jurisanté, CNEH Ce sujet est des plus délicats et des plus vifs car il touche les fondements mêmes de la République française. La période a été marquée par un grand débat au sein du corps social, sur la liberté religieuse, la neutralité de l État et le principe de non-discrimination, en particulier dans les services publics tels que l école. Ce débat n épargne évidemment pas l hôpital, lieu sensible des préoccupations sociales. Le dernier arrêt de la Cour européenne des droits de l homme (CEDH) du 26 novembre 2015, affaire Ebrahimian c. France 1, nous rappelle à quel point le sujet est toujours d actualité, et contesté. Ceci alors même qu il semble réglé depuis plusieurs années par le dispositif juridique comme par la jurisprudence. Tout agent public est appelé à comprendre le principe de laïcité et à le respecter. À l inverse, le non-respect de ce principe constitue un manquement à ses obligations qui doit trouver une réponse de la hiérarchie, garante du bon fonctionnement de ce service public. Aussi importe-t-il de rappeler ce qu implique, pour les hospitaliers, le devoir de laïcité dans le «LAIKOS» Le terme «laïque» provient du grec laikos, dérivé de laos («peuple»). Il désignait celui que ne faisait pas partie du clergé, par opposition à klericos (celui qui détenait le pouvoir religieux). service public. Mais aussi les actions à mener afin d en garantir la mise en œuvre à l hôpital, comme l imposent la réglementation et la jurisprudence. Le nécessaire respect du principe de laïcité dans le service public Un régime juridique précis et solide La base du régime juridique de la laïcité dans notre République est issue de la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l État. De ses articles 1 et 2, il ressort que «la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l intérêt de l ordre public». «La République ne reconnaît ni ne subventionne et ne salarie aucun culte.» Ces principes sont venus nourrir les fondements de la République en prenant valeur constitutionnelle dans l article 1 de la Constitution de 1946 «Elle [la République] assure l égalité devant la loi de tout citoyen sans distinction d origine, de race ou de religion. Elle respecte les croyances», puis confirmé dans l article 1 er de la Constitution du 4 octobre 1958 : «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.» En posant le principe de non-discrimination des citoyens en raison de leur religion ou de leur absence de religion s exprime l affirmation, au plus haut degré, de notre droit de la liberté de conscience. Le Conseil d État, dans son arrêt du 6 avril 2001, Syndicat national des enseignements de second degré (SNES), rappelle la valeur constitutionnelle du principe de laïcité et la neutralité du service public qui en découle. Nombre de textes internationaux exposent les mêmes principes de rapport entre les Églises et l État 2. Sans parler explicitement de laïcité, ils garantissent la liberté de conscience et le pluralisme religieux, ainsi que l absence de discrimination et le respect de la liberté religieuse, en admettant des restrictions légitimes à la manifestation de cette liberté 3. Cependant, après avoir rappelé le principe de la liberté de conscience et son corollaire, celle de la religion, nos textes 8 # 568 Janvier - Février 2016
2 Stockbyte admettent des restrictions à l expression de cette liberté. Ces limites sont légales et s imposent pour préserver l équilibre rendant justement compatible la liberté personnelle avec la cohésion sociale et l ordre public. L un des premiers symboles du combat pour la laïcité a été d interdire l usage des signes religieux dans les lieux publics. La loi du 9 décembre 1905 dispose «qu il est interdit d élever ou d apposer des signes ou des emblèmes religieux sur les monuments publics ou sur les emplacements publics à l exception des édifices cultuels» (article 28). Dans les établissements publics, il est également fait interdiction d apposer des signes ou symboles religieux. L hôpital public, lieu par excellence de rencontres de mixité des populations, n échappe pas à ces devoirs républicains. Il doit les respecter et les faire respecter. La règle de droit et la jurisprudence constante rappellent les agents publics à leurs strictes obligations. Cette interdiction de démonstration de signe religieux fait écho au principe de neutralité, lequel est un rempart contre la discrimination des usagers. Sans quoi on pourrait penser qu un agent qui ne respecte pas le principe de neutralité est susceptible de trahir les principes du service public pour lequel il travaille et qu il représente aussi dans son comportement. Il serait alors déduit de CHARTE DE LA LAÏCITÉ : OBJET ET RÔLE «La charte vise à rappeler aux agents publics, et usagers des services publics, leurs droits et devoirs à l égard du principe républicain de laïcité, et ce afin de contribuer au bon fonctionnement des services publics. Son contenu a été proposé par le Haut Conseil à l intégration. Son rôle est de renseigner usagers et agents sur leurs droits et leurs obligations concernant la laïcité et la liberté religieuse. À cet effet, elle doit être affichée de manière visible et accessible dans les lieux qui accueillent du public, et être portée à la connaissance des agents. Concernant les agents du service public Tout agent public a un devoir de stricte neutralité. Il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience. Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations. Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l application du principe de laïcité dans l enceinte de ces services. La liberté de conscience est garantie aux agents publics. Ils bénéficient d autorisations d absence pour participer à une fête religieuse dès lors qu elles sont compatibles avec les nécessités du fonctionnement normal du service.» Extrait : 1. Tous les arrêts sont répertoriés dans les encadrés «Références» pages suivantes. 2. Article 9 de la Convention européenne des droits de l homme ; article 18 de la Déclaration universelle des droits de l homme ; articles 18 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 3. Avis n 41 sur la laïcité de la Commission nationale consultative des droits de l homme, point 5. # 568 Janvier - Février
3 ce non-respect que l agent pourrait discriminer en faveur ou en défaveur d un usager selon ses propres convictions religieuses. Dès lors, la neutralité du service public interdit à tout agent public, quel que soit son statut (fonctionnaire titulaire ou contractuel), de manifester ses croyances religieuses lorsqu il est en service, que ce soit par ses actes ou par le port de signes religieux. L obligation de neutralité est sans appel et de caractère strict. Pour autant, la liberté de conscience étant garantie aux agents publics, ceux-ci peuvent bénéficier d autorisations d absence pour participer à leurs fêtes religieuses. Mais à une seule et unique condition : que ces absences soient compatibles avec Celui-ci fait une application de la règle particulièrement rigoureuse qui ne peut souffrir d exception, au risque de ne plus maintenir l équilibre - dont il est le garant - entre l intérêt général et l ordre public d une part, et la liberté de religion et son expression d autre part. Le juge administratif est au cœur de la construction et de la pérennisation de cet équilibre qui doit demeurer inébranlable 4. La neutralité de l État implique des conséquences concrètes pour les agents des services publics et notamment hospitaliers. Cette neutralité interdit strictement aux agents publics (fonctionnaires ou contractuels) de manifester de quelque manière que de foi par les agents. Elle implique, notamment, l interdiction du port de tout signe destiné à marquer l appartenance de l agent à une religion et cela quelles que soient les fonctions qu il exerce. Sont donc concernés non seulement les enseignants, ainsi que les autres membres de la communauté éducative, mais plus généralement l ensemble des agents publics.» Cette position a été confirmée par la jurisprudence postérieure à l avis Marteaux, reprise notamment dans la décision du tribunal administratif de Paris (17 octobre 2002). Cette dernière rappelle que le principe de neutralité du service public est un principe de protection des usagers du service «de tout risque d influence ou d atteinte à leur propre liberté de conscience». Les agents publics peuvent bénéficier d autorisations d absence pour participer à leurs fêtes religieuses à une seule et unique condition : que ces absences soient compatibles avec le fonctionnement du service. le fonctionnement du service auquel ils sont attachés (circulaire FP n 901 du 23 septembre 1967). Toutefois, bien que la loi et les textes internationaux soient clairs et précis, le Conseil d État dut, au cas par cas, rappeler la règle et préciser son application dans une remarquable et inévitable constance. Une jurisprudence rigoureuse et constante L obligation de neutralité est posée depuis plus d un demi-siècle dans la jurisprudence du Conseil d État (CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau ; CE, 3 mai 1950, Demoiselle Jamet). UNE DÉFINITION DE LA LAÏCITÉ ce soit leurs croyances religieuses lorsqu ils sont en service ou en fonction (par exemple par des actes religieux tels que le port de signe religieux, notamment des vêtements), indique le Conseil d État dans son avis devenu célèbre du 3 mai 2000, Mademoiselle Marteaux. Aussi, il ne peut être accepté que l on oublie sciemment les missions pour lesquelles l agent a été embauché, et qu il doit servir et représenter le service public : «Ils [les agents publics] n ont pas la possibilité [ ] de manifester leurs croyances dans le cadre du service. Cette interdiction s applique de façon rigoureuse et elle s oppose à toute démonstration Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l Église et de l État et qui exclut les Églises de l exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l organisation de l enseignement. Elle repose sur trois principes issus de la loi de 1901 : la liberté de conscience et la liberté du culte, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, l égalité de tous devant la loi, quelles que soient les croyances ou les convictions. La laïcité n est pas une opinion parmi d autres, mais la liberté d en avoir une. Elle n est pas une conviction, mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve de la préservation de l ordre public. Par ailleurs, il incombe au juge administratif de veiller à ce que l administration ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à la liberté de conscience des agents publics lorsque la neutralité de l État est invoquée. Le Conseil d État, dans un arrêt du 15 octobre 2003, tout en réaffirmant le principe de neutralité et son application stricte, a estimé «valable la sanction infligée à un fonctionnaire qui avait mis son adresse professionnelle à disposition d une organisation sectaire». De même, pour la Cour européenne des droits de l homme, le principe de neutralité ne constitue pas une violation de la liberté de conscience (CEDH, arrêt du 15 février 2001, Lucia Dahlab c. Suisse). Dès lors, il est établi que toute manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service est interdite et le port de signes religieux aussi. En conséquence, une obligation de neutralité particulièrement stricte s impose à tous les agents du service public, quel que soit ce service. L arrêt récent précité de la Cour européenne des droits de l homme démontre cependant qu il est encore, et toujours nécessaire, de redire le droit et les principes qui le sous-tendent. À savoir que la laïcité est un principe fondateur de 10 # 568 Janvier - Février 2016
4 l État français. Celui de la neutralité imposé aux agents des services publics ne constitue pas une violation du droit à la liberté de religion. Mais force est de constater que si la loi et les textes européens posent les principes et en prévoient des limites, suivis d une jurisprudence constante, les difficultés de terrain demeurent. Il appartient donc aux responsables des établissements de santé (et médico-sociaux) de faire respecter de la manière la plus stricte le principe de laïcité au sein du service public. Comment agir face au non-respect du principe de laïcité? Depuis la loi du 21 décembre 1941, le directeur d hôpital a l autorité hiérarchique sur l ensemble du personnel non médical. Depuis la loi HPST du 21 juillet 2009, il exerce son autorité «sur l ensemble du personnel» (CSP, art. L ). Pour les praticiens hospitaliers, cette autorité est encadrée par certaines garanties telles que «le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s imposent aux professions de santé». Or, la manifestation extérieure de ses croyances constitue bien pour un agent public une faute susceptible de sanction, dans la mesure où les actions de prévention et les avertissements n ont pas permis l arrêt de ces agissements Ces sanctions seront prises par le directeur de l hôpital, ou par le Centre national de gestion des carrières (CNG) s agissant du personnel médical. Actions de prévention et d avertissement Face à des agissements contraires au respect du principe de laïcité à l hôpital, comme par exemple prendre du temps de prière, porter des éléments ostentatoires (voile islamique, kippa, etc.), refuser de servir du porc, etc., le directeur prendra les mesures nécessaires pour faire cesser ces comportements. Avant de sanctionner, il est important de bien informer les agents sur la mise en œuvre de leurs droits et obligations tels que, notamment, le principe de neutralité. Pris par le temps et l urgence des recrutements, trop d établissements négligent cette information et omettent parfois de les mentionner dans le livret d accueil. De la même manière, une journée d accueil doit être organisée pour les nouveaux arrivants dans la fonction publique (fonctionnaires, contractuels et personnels médicaux) afin d éviter notamment les incidents sur les manifestations religieuses. Comment, dès lors, ne pas être surpris de voir arriver un agent recruté quelques jours auparavant en tant que gynécologue au sein d un centre hospitalier et portant le voile islamique dès la première consultation (voir d autres exemples dans l encadré page suivante)? Plusieurs documents permettent d avoir des éclaircissements sur ces modalités : ainsi du livret d accueil qui doit être remis à chaque nouvel agent, du règlement intérieur qui reste un document obligatoire pouvant prévoir une partie dédiée à l application des droits et obligations des agents, et même de la charte de la laïcité, élaborée récemment mais affichée dans moins de 50 % des établissements sanitaires 5. Enfin, si l information n est pas passée ou si l agent ne l a pas comprise, il est préférable, avant toute sanction disciplinaire, de mettre en place un avertissement. Celui-ci est présenté dans la loi n du 13 juillet 1983 comme la première sanction du groupe 1. Mais aucune trace d avertissement ne doit être apposée dans les dossiers administratifs. Il s agit donc plus précisément d une mise en garde, qui, si elle est prise en compte, n a aucune incidence sur la carrière de l agent. L information, l échange, voire l avertissement, sont donc évidemment à privilégier et permettent dans la majorité des cas de résoudre les conflits et d éviter le recours aux sanctions disciplinaires RÉFÉRENCES Textes nationaux Articles 1 et 2 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l État Article 1 de la Constitution du 27 octobre 1946 Article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 Instruction n 7 du 23 mars 1950 et circulaire n 901 du 23 septembre 1967 relatives aux autorisations d absence pour fêtes religieuses Circulaire n du 2 février 2005 relative à la laïcité à l hôpital Circulaire n 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la charte de la laïcité dans les services publics Circulaire du 5 juillet 2011 du ministère de l Intérieur sur la laïcité à l hôpital À noter : deux textes déposés actuellement devant le Parlement concernent directement ou indirectement la laïcité dans les établissements publics de santé : le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ( gouv.fr), la proposition de loi de Michel Terrot et plusieurs de ses collègues visant à rappeler les principes de laïcité et de neutralité dans les établissements de santé, enregistré à la présidence de l Assemblée nationale le 25 mars 2015 ( Textes internationaux Article 10 de la Déclaration des droits de l homme et du citoyen, 1789 Article 9 de la Convention européenne des droits de l homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 Article 18 de la Déclaration universelle des droits de l homme, 10 décembre 1948 Article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966 Sanctions disciplinaires Après avoir mis en œuvre les éléments de prévention et d avertissement nécessaires, le directeur peut être amené à sanctionner les agents pour non-respect du principe de neutralité. S agissant du personnel médical, il devrait réunir des éléments et transmettre le dossier au Centre national de gestion. La 4. Conseil d État, «Le juge administratif et l expression des convictions religieuses», Les Dossiers thématiques du Conseil d État, novembre Cf. le rapport de la FHF sur la laïcité du 15 juin # 568 Janvier - Février
5 EXEMPLES DE PRATIQUES QUI CONTREVIENNENT AU PRINCIPE DE LAÏCITÉ Un médecin chirurgien qui porte sa kippa sous sa charlotte de bloc ; Un cadre de santé qui prie avec une patiente pour la soulager ; Les personnels d un CHU qui demande à la direction d organiser une messe pour le personnel dans l hôpital afin de rendre hommage au pape Jean-Paul II suite à son décès ; Une orthophoniste qui égraine son chapelet avant chaque consultation ; Un médecin qui consulte avec la Bible sur son bureau ; Une gynécologue qui reçoit les patientes en portant le voile islamique ; Des personnels qui quittent leur poste sans autorisation pour prier dans les vestiaires. Nota bene : ces différentes situations ont été observées dans le service public hospitalier. légalité de la sanction sera déterminée au regard de la nature de l expression des convictions religieuses, du niveau hiérarchique de l agent, ainsi que des fonctions qu il exerce, ou encore des avertissements qui auraient déjà pu lui être adressés. La sanction doit également être proportionnée. Dans ce RÉFÉRENCES Principales jurisprudences de la Cour européenne des droits de l homme CEDH, 26 novembre 2015, affaire Ebrahimian c. France, n 6484/11 CEDH, 15 février 2001, Lucia Dahlab c. Suisse Principales jurisprudences du Conseil d État CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, rec. p. 464 CE, 3 mai 1950, n 98284, Demoiselle Jamet, rec. p. 247 CE section intérieure, avis du 27 novembre 1989, n CE, 6 avril 2001, Syndicat national des enseignements de second degré (SNES), n , n et n , rec. p. 521 CE, avis du 3 mai 2000, n , Mlle Marteaux, AJDA 2000, p. 673 CE, sect., 15 octobre 2003, n , M. Jean-Philippe O CAA, Lyon, 27 novembre 2003, n 03LY01392, Mlle Nadjet Ben Abdallah CAA, Versailles, 23 février 2006, n 04VE03227 Jurisprudence des tribunaux administratifs TA de Paris, 17 octobre 2002, n /5 TA de Lyon, 8 juillet 2003, n , Mlle Nadjet Ben Abdallah TA de Paris, 22 janvier 2009, n /5, Mlle C. R souci, la nature et le degré du caractère ostentatoire du signe religieux seront pris en compte. En effet, le Conseil d État a tout d abord posé que le principe de laïcité faisait obstacle à ce que les agents disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses et que «les suites à donner à ce manquement, notamment sur le plan disciplinaire, doivent être appréciées par l administration sous le contrôle du juge, compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, comme des autres circonstances dans lesquelles le manquement est constaté» (CE, avis du 3 mai 2000, n , Mademoiselle Marteaux). Dans une autre affaire, les manifestations religieuses des agents publics ont pu être caractérisées comme une faute grave. En effet, la cour d appel administrative de Lyon considère «que le port, par Y X, détentrice de prérogatives de puissance publique, d un foulard dont elle a expressément revendiqué le caractère religieux, et le refus réitéré d obéir à l ordre qui lui a été donné de le retirer, alors qu elle était avertie de l état non ambigu du droit applicable, a, dans les circonstances de l espèce, constitué une faute grave de nature à justifier légalement la mesure de suspension dont elle a fait l objet» (CAA, Lyon, 27 novembre 2003, n 03LY01392), même si en l espèce la sanction est annulée pour insuffisance de motivation. De la même manière, le refus réitéré de retirer le voile peut constituer un motif justifiant légalement le non-renouvellement de son contrat (s agissant du refus réitéré d une contrôleuse du travail de retirer le voile qu elle portait, CAA, Lyon, 27 novembre 2003, n 03LY01392, précité). Une solution identique a été retenue à propos d une assistante maternelle, alors même qu elle se trouvait en situation de grossesse au moment de son licenciement (CAA, Versailles, 23 février 2006, n 04VE03227). Cette jurisprudence s applique également à l hôpital. À titre d exemple, en janvier 2009, le tribunal administratif de Paris a estimé justifier le licenciement pour faute grave d une assistante sociale d un service de pédopsychiatrie de l AP-HP qui avait «refusé d enlever le couvre-chef par lequel elle manifestait son appartenance religieuse» (TA de Paris, 22 janvier 2009, n /5 Mademoiselle C. R.) Le tribunal considère en effet que «le fait pour un agent public de manifester, dans l exercice de ses fonctions, ses croyances religieuses par le port d un signe vestimentaire rituel et de refuser d obéir aux injonctions de sa hiérarchie l invitant à adopter une tenue vestimentaire respectueuse de ses obligations, constitue une faute disciplinaire d une particulière gravité». Cette obligation de neutralité et de laïcité trouve à s appliquer avec une rigueur particulière dans les services publics dont les usagers sont dans un état de fragilité ou de dépendance. Cet arrêt vient d être confirmé par la Cour européenne des droits de l homme en novembre 2015, dans le cadre d un non-renouvellement de contrat à durée déterminée justifié par le refus de l agent d ôter son voile islamique (CEDH, 26 novembre 2015, n 64846/11, précité). Il a également été jugé que l utilisation par un agent public de son adresse électronique professionnelle sur le site d une association confessionnelle et sa présentation sur le site de cette 12 # 568 Janvier - Février 2016
6 FÉDÉRATION HOSPITALIÈRE DE FRANCE DROIT & JURISPRUDENCE organisation en qualité de membre constituent un manquement au principe de laïcité et à l obligation de neutralité. Ce manquement a justifié la sanction d exclusion temporaire des fonctions pour une durée de six mois, dont trois mois avec sursis (CE, sect., 15 octobre 2003, n ). Il peut être difficile pour l employeur de sanctionner des comportements de manifestation religieuse qui ont pu être tolérés pendant plusieurs mois. Pour autant, le tribunal administratif de Paris a indiqué que «l autorité administrative, en refusant de ne pas renouveler le contrat d un agent venu à expiration pour le motif implicite du port d un vêtement manifestant de manière ostentatoire l appartenance à une religion, n a pas entaché sa décision d erreur de fait, d erreur de droit, d erreur manifeste d appréciation ou de détournement de pouvoir ; qu ainsi, alors même que l employeur de Madame E. a toléré le port de ce voile pendant plusieurs mois et que ce comportement ne peut être regardé comme délibérément provoquant ou prosélyte, le centre hospitalier n a commis aucune illégalité en décidant de ne pas renouveler son contrat à la suite de son refus d enlever son voile» (TA de Paris, 17 octobre 2002, n /5). Ainsi, la jurisprudence conforte depuis des années les textes adoptés sur la laïcité, et notamment la circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements relevant de la fonction publique hospitalière. La question religieuse est, depuis plusieurs années, un sujet récurrent. Les députés ont adopté, le 7 octobre 2015, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires 6. L article 1 er dispose que le fonctionnaire «exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité», en étant tenu, dans l exercice de ses fonctions, à l obligation de neutralité, tout en respectant le «principe de laïcité». «Il doit notamment s abstenir de manifester, dans l exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses» et «traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité». Ce texte devrait donc enfin intégrer de manière explicite l obligation du respect des principes de neutralité et de laïcité des fonctionnaires, et ainsi confirmer la jurisprudence européenne et nationale en la matière. Les exigences relatives à la laïcité de l État et à la neutralité des services publics ne doivent pas conduire à la négation de la liberté de conscience dont les agents publics peuvent se prévaloir, laquelle est garantie par l article 6 de la loi du 13 juillet Cet article précise d ailleurs qu aucune distinction ne doit être faite entre les agents selon leurs croyances religieuses. Tout est question d équilibre : l équilibre entre la liberté d opinion et la neutralité de service public définit la notion de laïcité. 6. Projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, n 1278, RÉFÉRENCES Ouvrages Sonia Orallo, La Laïcité en pratique, Prat, Michel Miaille, La Laïcité, Dalloz, 2 e édition, Isabelle Lévy, Menaces religieuses sur l hôpital, Presses de la Renaissance, Articles de doctrine Valérie Lasserre, professeure à l université du Maine, «Droits et religion», Recueil Dalloz, n 17, 26 avril Alain Ondoua, professeur à l université de Poitiers, «Le service public à l épreuve de la laïcité : à propos de ma neutralité religieuse dans les services publics», Institut de droit public (AE n 2623), Droit administratif, n 12, décembre 2008, étude 22. Rapports et études Conseil d État, «Un siècle de laïcité», rapport public Conseil d État, «Le juge administratif et l expression des convictions religieuses», Les Dossiers thématiques du Conseil d État, novembre Étude demandée par le Défenseur des droits le 20 septembre 2013, adoptée par l assemblée générale du Conseil d État le 19 novembre CNCDH, «Avis sur la laïcité», assemblée plénière du 26 septembre 2013, paru au JO du 9 octobre «La laïcité dans les établissements publics de santé et médico-sociaux», rapport de la commission des usagers, FHF, 30 juin Sites Observatoire de la laïcité : observatoire-de-la-laicite Revue générale du droit : # OC SEP 566 TOBRE TEMBRE 2015 REVUE HOSPITA ALIÈRE DE FRANCE REVUE DU MANAGEMENT ET DES RESSOURCES HUMAINES HOSPITALIÈRES RECHERCHE EN LIGNE PAR MOTS CLÉS, ARCHIVES, ACCÈS ILLIMITÉ POUR LES ABONNÉS RES SOURCESHUMAINES Nouveaux métiers, nouvelles compétences DOSSIER Quelle fonction achat à l é FÉDÉRATION HOSPITALIÈRE DE FRANCE # 568 Janvier - Février
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