La rivalité Iran/Arabie Saoudite : une question religieuse, politique, stratégique ou de société? Par Bernard HOURCADE

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1 Compte-rendu de la conférence Euromed-IHEDN du 2 février 2015 à Marseille La rivalité Iran/Arabie Saoudite : une question religieuse, politique, stratégique ou de société? Par Bernard HOURCADE Bernard HOURCADE est géographe, directeur de recherche émérite au CNRS et au W. Wilson Center Global Fellow (USA). Assistant de géographie à l université de Pau ( ), puis directeur de l'institut Français de Recherche en Iran ( ), il a dirigé l équipe de recherche «Monde iranien» (CNRS, ). Depuis 1970, il a souvent séjourné en Iran et effectué, en collaboration avec des universitaires iraniens, des recherches sur la géographie sociale, culturelle et politique de l Iran et les questions d urbanisme, notamment à Téhéran. Ses travaux et analyses sur les rapports entre société, territoires et politique en Iran et sur la géopolitique de la république islamique ont été publiés par de nombreuses revues scientifiques et par les medias français et internationaux. Il participe comme expert aux travaux de nombreux think tanks et collabore comme consultant sur les questions politiques, géopolitiques, sociales et économiques de l Iran auprès d institutions publiques ou privées françaises et internationales, et d entreprises. Bernard Hourcade est agrégé (1969) et docteur en géographie (Paris-Sorbonne, 1975). Introduction L Iran est peu connu voire mal connu : les idées reçues et les idées fausses circulent sur ce pays et peuvent parfois même impacter la vision de la diplomatie occidentale. Pourtant, l analyse de l Iran n est pas si compliquée pour autant qu on sorte d un raisonnement simpliste. En comparaison, l'analyse de l Occident est bien plus complexe eu égard à son évolution sophistiquée. Un sujet majeur qui est celui de la relation entre l Iran et l Arabie Saoudite est aujourd hui complètement occulté ou lorsqu il est abordé, c est par les prismes trop réducteurs des antagonismes religieux, du pétrole ou des rivalités frontalières. Or l état de la rivalité entre les deux Etats est un facteur de stabilisation ou déstabilisation de la région. I] Au moins trois dynamiques interfèrent dans la relation Iran-Arabie Saoudite La nation : des peuples, des langues, des histoires et des frontières L islam : religion partagée par les deux états (dynamique d unité), mais qui divise car l Iran est le pays le plus chiite du monde tandis que l Arabie Saoudite, gardien des lieux, est en quasi-totalité sunnite La mondialisation : ces pays ne sont pas simplement des nations sunnites et shiites, il existe une bourgeoise moyenne, urbaine et cultivée intégrée dans la mondialisation. Lorsque les américains ont débarqué à Bagdad, ils ont oublié cette bourgeoisie moderne, cette population a été éliminée. Résultat : une guerre civile a éclaté en Irak résumée à des divisions religieuses. II] Deux mondes qui se font face L Iran et l Arabie Saoudite ont des points de ressemblance : Iran : 77 millions d habitants, 88% de citadins, un PIB de 550 milliards de dollars Il s agit du plus ancien pays du monde. La population n a quasiment pas bougé, elle est restée de manière continue sur ce territoire, ce qui peut expliquer un nationalisme important, facteur de 1

2 tension avec l Arabie Saoudite. Arabie Saoudite : même configuration pour un état moins peuplé de 28 millions d'habitants, et avec un PIB plus élevé de 745 milliards de dollars. Une même proportion de citadins et surtout il s'agit de l'état gardien des lieux saints. Ryad est devenu la vraie capitale politique du pays. Ce sont deux sociétés en plein mouvement: La réforme blanche 1 mise en œuvre par le dernier Shah d'iran, a précédé la révolution islamique. Grâce à cette réforme, la majorité de la population vivait en ville et savait lire et écrire. Les slogans de démocratie et de liberté de la révolution islamique ont pu faire échos chez une société déjà préparée à ce type de concepts. Après la révolution, la population urbaine et l'alphabétisation ont explosé. La population estudiantine a été multipliée par 20. En résumé, l'édification d'un Etat moderne en Iran a commencé en 1930, la dynamique s'est poursuivie du temps du dernier Shah d'iran, puis du temps de» Khomeiny. En Arabie Saoudite, l'état investit et soutient la classe moyenne, notamment bourgeoise de Djeddah, formée à l'étranger. Eu égard aux révolutions arabes et à l'évolution iranienne, le souverain apaise les tensions sociales en soutenant très fortement la société civile (notamment par l'augmentation très forte des salaires). Les sociétés sont inégalitaires: Le statut de la femme cristallise les inégalités au sein de ces deux États. Il est cependant à noter que le statut de la femme en Iran n'a aucun rapport avec celui de la femme en Arabie Saoudite. Les femmes ont en quelque sorte pris le pouvoir à Téhéran comme si leur statut difficile avait boosté leur combat : elles manifestent, votent, ont une activité sociale, sont in fine les femmes les plus socialisées de la région. Le changement social vient par les femmes... Chiisme contre sunnisme? C'est plus compliqué que cela. Les ratios de confessions religieuses par pays ne sont pas aussi tranchés. Des sunnites vivent en Iran et des chiites vivent en Arabie Saoudite. En regardant attentivement la carte du pétrole de la région, on s'aperçoit que celle-ci correspond à la carte religieuse. Les interventions occidentales dans la région ne sont pas sans lien,,, Plusieurs chocs ont secoué la région: La guerre Irak-Iran (80-88) : guerre profonde, la plus longue du 20ème siècle, qui laisse ses séquelles aujourd'hui. Après la guerre, Saddam Hussein a voulu récupérer l'argent promis par le Koweit, ce qui a déclenché les suites que l'on connaît. Les anciens combattants sont très nombreux. Ils ont un rôle essentiel dans la gestion de l'iran notamment. Ils sont. ambassadeurs, cadres, directeur de service, etc.. 1 Wikipédia : La Révolution Blanche est une série de réformes à grande portée lancée en 1963 par le dernier Shah d'iran Mohammad Reza Pahlavi. Le Shah voulait que ces réformes soient une régénération non-violente de la société iranienne à travers des réformes économiques et sociales, avec pour objectif à long terme de transformer l'iran en une puissance économique et industrielle mondiale. Le Shah introduisit des concepts économiques novateurs comme la redistribution des profits aux ouvriers et initia des projets d'industrie lourde financés par le gouvernement, ainsi que la nationalisation des forêts, des pâturages et des ressources en eau. Le plus important, cependant, était la réforme agraire qui fit perdre aux grands propriétaires terriens la plupart de leur influence et de leur pouvoir. Socialement, la Révolution Blanche accorda plus de droits aux femmes, permit le développement du corps médical, et injecta des fonds dans l'éducation, particulièrement dans les zones rurales. 2

3 La chute de Saddam Hussein en 2003 a mis les chiites au pouvoir en Irak. Pour l'arabie Saoudite, cela est inadmissible : le fait de donner le pouvoir à des chiites est un scandale historique. Si l'on donne ainsi le pouvoir aux chiites en Irak, cela peut arriver en Arabie Saoudite (10 à 15% de la population est chiite). La chute de Hosni Moubarak a aussi été un choc. Les différences sur le plan religieux : En Iran, la république est islamique, Pour certains ayatollahs, l'islam politique, perverti par les souverains, est incompatible avec la démocratie et les droits de l'homme. Khomeiny avait pourtant pour idée de moderniser l'islam. Le débat reste très important (Le conseil des ouléma s'appelle le conseil des gardiens de la constitution. Celle-ci prévoit des structures de débat.), En Iran, c'est finalement la politique qui l'emporte sur le religieux En Arabie Saoudite, c'est bien autre chose. La religion a pris le pas sur le politique. Les religieux, opposés à la famille royale composée de 4000 princes, sont un contre-pouvoir. Les deux groupes ont leur logique propre. Le wahhabisme est fondamentalement anti chiite. En outre, les troupes américaines sont tolérées avec difficulté et le désir se fait sentir d'interdire l'accès des chrétiens, ingénieurs, au pays. III] Une monarchie wahhabite qui défend son pré carré contre une république islamique qui joue l'ouma : Salmane ben Adbelaziz al Saoud VS Seyyed Ali Kameini L'impact des révolutions des années 1970 : En 1971, les Emirats Arabes Unis sont créés. Le Qatar et Bahreïn n'entrent pas dans la fédération. A cette époque, Dubaï n'était rien, c'était un port, occupé par des Iraniens. Tous ces états n'existent pas. En 1974, le choc pétrolier donne des ailes à ces petits États et donne une nouvelle réalité à la région. Ces pays ont brutalement des moyens financiers qui leur donnent une indépendance de facto. Ils connaissent une évolution sans précédent : leur fortune est immense. A cette période, le Shah d'iran dirige la région, il est le gendarme du golfe En 1979, la révolution islamique érige une république iranienne, la royauté est écartée. Cela implique un système politique différent. La même année, l'urss envahit l'afghanistan. Pour tous les observateurs, la révolution islamique était un coup des soviétiques. Au même moment, la grande mosquée de la Mecque était attaquée par des wahhabites radicaux. Les codes sont renversés, Durant les années , plusieurs conflits se succèdent : Guerre Irak-Iran, Guerre civile au Liban : l'iran soutient le Hezbollah Conflit Iran États Unis : l'iran fait partie de l «axe du mal». Contentieux sur le nucléaire, début des sanctions, l'iran est mis en dehors du jeu, Or les Tween Towers ont été balayées par un citoyen saoudien... Dans les faits cependant, les États Unis, par leur politique extérieure, déroulent un tapis rouge à 3

4 l'iran en le débarrassant tour à tour des Talibans (guerre en Afghanistan) et de Sadam Hussein (guerre d'irak), L'Iran ne meurt pas : il discute avec les plus grandes puissances du monde d égal à égal. L'Iran est en passe aujourd'hui de disposer d une arme nucléaire. (Négociation Iran EU2+3). On assiste ainsi à l'émergence d'un Iran stable en position de force : une seule crainte, son ennemi saoudien L'Arabie Saoudite et les monarchies pétrolières : : Une expansion économique sans égal. Ces monarchies réussissent des exploits internationaux et uniques. Au sein de ces pays, une bourgeoisie moyenne a émergé. D'autres fores ont émergé sur cette période : en effet, l'arabie Saoudite a soutenu le développement de réseaux terroristes,, Les EU, de leur côté, ont laissé» faire voire soutenu le développement du réseau des oulémas qui détiennent le pétrole depuis le Nigeria jusqu'aux Philippines. Mais ces madrasa se sont radicalisées et passent désormais à l'action. Tout le réseau wahhabite a été subventionné par les cousins et autres membres de la famille des dirigeants saoudiens. Au Niger, il y a eu 10 morts suite aux événements «Charlie Hebdo» : ces morts sont dus à une révolte anti-chrétiens liée à la construction en 1982 d'une grande université prés de Niamey pour former les cadres musulmans. Depuis 86, 95% des imams sont formés dans cette université, très conservatrice. La France aussi avait soutenu la création de cette université pour empêcher l'iran de diffuser son islam jugé dangereux. Le nationalisme religieux vient du politique. En 2011 : face au retrait d'afghanistan et d'irak, et aux révolutions arabes: Avec le départ des Occidentaux, Iran et Arabie Saoudite se retrouvent seuls et face à face. Les premiers conflits directs entre les deux gendarmes du Golfe interviennent en Syrie : la force Qods (forces spéciales iraniennes) interviennent en soutien du Hezbollah et du régime de Damas tandis que l'armée saoudienne intervient militairement à Bahreïn et soutient Daesh en tentant de les contrôler. Pour l'iran, si Damas tombe entre les mains des Saoudiens, c'est Bagdad qui tombe également. Il faut éviter la chute du régime, le pays tomberait alors aux mains de Daesh. Pour l'arabie Saoudite, l'objectif est de couper l'arc chiite. Deux systèmes politiques et sociaux se font face : Arc chiite contre arabes sunnites? L'opposition n'est pas théologique. Les querelles religieuses n'expliquent pas la relation. Axe des républiques en crise face à l'axe des monarchies pétrolières? Sans doute. L'opposition entre l'iran et l'arabie Saoudite, (une fois l'irak éliminé, la Turquie demeurant à part) tient au système politique. Nous Européens, devons réfléchir au message de ces différents pays. Le rapprochement entre les deux États sera difficile : les Iraniens sont conscients de leur position de force. Les États-Unis, principal allié de l'arabie Saoudite, ont de facto soutenu l''iran par les interventions en Afghanistan et en Irak. L'Arabie Saoudite craint donc un renversement d'alliance et veut des garanties de sécurité. Les Occidentaux ont à ce titre un rôle majeur à jouer. 4

5 Le rôle des grandes puissances : Etats-Unis : 35 ans d'hostilité vis à vis de l'iran et 35 ans d'amitié avec les monarchies pétrolières, un rééquilibrage des relations est-il possible et voulu? On évalue actuellement l'alliance qui amène toute la région à feu et à sang, Daesh met en lumière l'ennemi le plus urgent, Pax petrolea : pas de guerre du pétrole, le pétrole doit couler. La vraie menace? L'influence du modèle de la femme iranienne est un danger stratégique pour une monarchie saoudienne qui essaie de se maintenir... III] Questions : En Arabie Saoudite, les 6 millions d'émigrés représentent-ils un problème politique? Pas pour l'instant non. En Iran, les étrangers installés depuis longtemps ne représentent pas non plus un problème L'influence de la culture iranienne en Occident est ancienne et diffuse. Les cadres de l'empire arabe étaient perses. Antisémitisme d'ahmadinejad? Le meilleur passeport pour entrer dans le monde musulman est celui du combat pour la Palestine. Ahmadinejad est un produit de la révolution islamique de Khomeiny. La principale cible de Daesh est l'arabie Saoudite qui craint que les milices saoudiennes ne rejoignent Daesh, d'où l'attitude de l'occident : on maintient un pouvoir pour éviter qu'un monstre ne prenne le pouvoir Quelle est la politique étrangère de la Chine vis à vis de la région? La Chine regarde la situation pourrir, les Occidentaux faire des erreurs et ramasse la mise. La Chine veut s'assurer d'un pétrole bon marché et sûr pour assurer son développement. Sur le nucléaire, elle n'est pas active. La famille royale saoudienne subventionne les imams. La rente pétrolière est distribuée entre les membres de la famille royale avant d'être remise à l'état 5