Une langue au cœur de la vie économique

Transcription

1 1 Une langue au cœur de la vie économique Survol de l utilisation du français en milieu de travail Introduction La vitalité des communautés francophones et acadiennes ne dépend pas de l usage du français dans un seul aspect de la vie, mais de la capacité de s épanouir dans un continuum qui va de la petite enfance, à la santé, en passant par l éducation, les services publics, le travail, etc. Depuis 2001, nous avons une meilleure idée de la langue que les francophones utilisent au travail grâce aux données du recensement. Cette courte présentation jette un peu de lumière sur la langue dans laquelle travaillent les francophones. Par francophones, nous entendons les individus dont le français est la première langue officielle parlée 1. Le recensement offre deux indicateurs concernant la langue de travail : - la langue utilisée le plus souvent au travail, c est-à-dire de manière prédominante ou encore à égalité avec une ou plusieurs autres langues; - une autre langue utilisée régulièrement au travail, c est-à-dire moins souvent que la langue utilisée principalement. Cette distinction est intéressante, car elle nous permet de voir si le français fait partie de l environnement de travail même si le contexte est majoritairement anglophone. D autre part, nous pouvons aussi observer 1 Selon la définition qu en donne Statistique Canada (voir Dans cette étude, la catégorie francophone inclut ceux qui ont le français et ceux qui ont à la fois le français et l anglais comme première langue officielle parlée. dans quelle mesure des anglophones utilisent le français, participant ainsi au paysage francophone du milieu de travail. Nous allons explorer ce que nous enseignent ces données, d abord à l échelle géographique des provinces et territoires, ensuite en ce qui concerne les industries et les professions, puis les groupes d âge et le sexe à l échelle du pays. 1. Portrait pancanadien Il est intéressant d observer la progression sensible à l échelle du Canada de l utilisation du français au travail entre 2001 et Si on inclut le Québec, on note que 94 % de la population francophone au pays utilise le français le plus souvent ou régulièrement au travail en À l extérieur du Québec, les deux tiers (66 %) des francophones, soit environ personnes, utilisent le français au travail. Dans les deux cas, on a gagné un point de pourcentage en cinq ans. À l extérieur du Québec, francophones et anglophones emploient le français au travail. Si on regarde de plus près la population francophone en situation minoritaire qui utilise le français au travail en 2006, on note que, pour environ 60 % d entre eux, le français est la langue le plus souvent utilisée au travail, alors que pour le reste (40 %), le français est une autre langue utilisée régulièrement (voir tableau 1). On note le score des Acadiens du Nouveau- Brunswick qui utilisent le français à la même

2 2 hauteur que la moyenne canadienne (93 %). Un autre groupe de provinces et territoires offre à au moins 50 % de leurs francophones l opportunité de travailler en français : il s agit des autres provinces de l Atlantique, l Ontario, le Manitoba et les trois territoires. Dans les autres provinces de l Ouest (Saskatchewan, Alberta et Colombie-Britannique), environ un tiers des francophones peuvent utiliser le français au travail. À titre complémentaire, on peut noter que plus d un quart de million d anglophones actifs utilisent le français au travail dans les provinces à majorité anglophone. En 2006, ils sont environ à parler le plus souvent en français et à le parler régulièrement au travail. Cette population a sensiblement progressé en cinq ans. Si on additionne les francophones et les anglophones qui parlent souvent ou régulièrement le français au travail, on obtient une masse critique de quelque personnes qui composent le paysage francophone dans le monde du travail à l extérieur du Québec. 2. Selon les secteurs d industrie Les données du recensement nous renseignent sur la langue parlée dans les principaux secteurs d industrie. Rappelons que deux tiers des francophones en situation minoritaire utilisent le français au travail. En 2006, il y a un groupe d industries où environ les trois quarts des francophones actifs utilisent le français, soit les administrations publiques ( personnes, soit 81 %), les services d enseignement ( personnes, soit 76 %), l agriculture, foresterie, pêche et chasse (74 %), les soins de santé et assistance sociale (70 %) et la finance et les assurances (70 %). Même si l écart n est pas énorme face à celles-là, les types d industrie affichant le moins d utilisation du français au travail sont les services publics (46 %), l extraction minière, pétrole et gaz (52 %), la gestion de sociétés (52 %), les services immobiliers et de location (53 %) et les services professionnels, scientifiques et techniques (54 %). ADMINISTRATIONS PUBLIQUES Le secteur d industrie qui se démarque au niveau de la langue de travail est celui des administrations publiques. Il compte le plus grand effectif de francophones en situation minoritaire parlant français au travail (55 000), et ces derniers représentent 81 % de l ensemble des francophones de ce secteur. L Ontario pèse dans cette équation, car ses francophones utilisant le français au travail dans ce secteur comptent pour 65 % de tous les francophones en situation minoritaire, alors sa part de la francophonie minoritaire active est de l ordre de 55 %. La présence d une partie importante des fonctionnaires fédéraux sur le territoire de l Ontario et la politique linguistique de cette province y sont pour quelque chose. Les secteurs d industrie où les anglophones sont plus à même d utiliser le français sont les administrations publiques ( personnes, soit 7 %) et les services d enseignement ( personnes, soit 5 %). Il s agit des secteurs qui semblent le mieux faciliter le bilinguisme au travail, ce qui n est pas étonnant vu les efforts en ce sens du gouvernement fédéral et, dans une certaine mesure, des gouvernements des provinces et territoires, depuis plusieurs années. 3. Selon les catégories professionnelles Certaines catégories professionnelles semblent plus à même d offrir un environnement de travail où l on peut utiliser le français. C est le cas des professions relatives aux sciences sociales, enseignement et administration publique où personnes, représentant 76 % des francophones actifs dans ces professions, utilisent le français le plus souvent ou régulièrement au travail. D autres types de professions affichent aussi un haut niveau d utilisation du français : les affaires, finance et administration (71 %), le secteur de

3 3 la santé (69 %), es arts, culture, sports et loisirs (69 %) et le secteur primaire (68 %). Les professions les moins enclines à favoriser l utilisation du français sont les sciences naturelles et appliquées (53 %) et les métiers, transports et machinerie (59 %). Comme les francophones, les anglophones sont plus enclins à utiliser le français dans les professions des sciences sociales, enseignement et administration publique ( personnes représentant 5 % des anglophones actifs dans ces professions) ou dans le secteur des arts, culture, sports et loisirs (4 %). Ils sont par contre moins enclins dans les catégories des métiers, transports, machinerie, transformation, fabrication, services d utilité publique et secteur primaire (1 %). Les professions davantage axées sur le savoir semblent donc favoriser le bilinguisme. Les trois-quarts de tous les francophones œuvrant dans les sciences sociales, l enseignement et l administration publique utilisent le français au travail. 4. Selon les groupes d âge Les données selon les groupes d âge indiquent une progression générationnelle de l utilisation du français en milieu de travail chez les francophones actifs. Ainsi, si un peu plus de la moitié (54 %) des francophones actifs âgés de 65 ans et plus utilise le français en milieu de travail, ce taux grimpe à 66 % chez ceux âgés de 45 à 64 ans et à 68 % chez ceux âgés de 20 à 44 ans. 5. Selon le sexe Les femmes occupent des emplois plus favorables à l utilisation du français au travail, ou sont plus enclines à le faire. Les données de 2006 indiquent en effet que 70 % des femmes francophones utilisent le français au travail, comparativement à 64 % des hommes francophones. Elles se démarquent en particulier au niveau du français parlé le plus souvent au travail, à 42 % contre 31 % pour les hommes. Chez les anglophones, les femmes (3 %) sont aussi plus susceptibles d utiliser le français à leur travail que les hommes (2 %). On note que les femmes francophones comme anglophones utilisent davantage le français au travail que les hommes. 6. Conclusion Soixante-six pour cent des francophones utilisent le français au travail. Cette seule donnée donne à penser que le français n est pas si malmené au travail qu on aurait pu le croire à la lumière d autres indicateurs alarmistes. Citons par exemple le poids démographique et l identification linguistique des francophones qui s effritent, ou le taux de transfert linguistique et le vieillissement de la population qui rongent cette collectivité. On peut certes se demander ce que signifient les données relatives au français comme autre langue utilisée régulièrement au travail, lesquelles pèsent de façon importante dans ce profil. Nous avons vu qu il s agit de 40 % des francophones utilisant le français au travail. Dans le recensement, il s agit d une langue que le répondant estime utiliser régulièrement dans le cadre de son emploi ou d un projet important, bien que moins souvent que la langue utilisée principalement. Il est prévu que ce ne peut être une langue utilisée seulement lors des pauses ou des repas. Il reste que l interprétation reste à la discrétion du répondant et il n est pas clair si la langue est utilisée habituellement ou seulement à l occasion 2. 2 Marmen, Louise, Jean-Pierre Séguin et Christina Jaworski (1999). Test du recensement national de Analyse des variables linguistiques, Statistique Canada, miméo, cité dans Office québécois de la langue

4 4 L Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle propose une autre façon de mesurer l utilisation de la langue : l indice général d utilisation des langues au travail (ou dans d autres domaines) 3. Il s agit d un indice pouvant varier entre 1 et 5, où 1 représente l utilisation de la langue majoritaire seulement et 5 l utilisation de la langue minoritaire seulement. Cette enquête a constaté qu en moyenne les francophones en situation minoritaire affichent un taux de 2,6, soit «autant la langue majoritaire que minoritaire». On reste donc dans une zone grise. Nous avons aussi relevé des défis parmi lesquels certains secteurs et certaines professions liés aux sciences naturelles, aux services ou à la transformation qui restent plus réfractaires à l usage du français. Ce sont quelques pistes d engagement à envisager. Nous savons au moins que les milieux de travail dans les communautés francophones en situation minoritaire restent des espaces à conquérir. Cette étude a mis en lumière quelques points d appui pour y parvenir. Les anglophones sont de plus en plus nombreux, et quasiment aussi nombreux que les francophones, à utiliser le français, même si ce n est pas de façon prépondérante, au travail. Ce sont des alliés potentiels ou, en tout cas, une composante inespérée du paysage francophone en milieu de travail. Les femmes ont fait des avancées plus rapides que les hommes : il y aurait lieu d en tirer des leçons. Les industries et les professions axées sur le savoir et celles engagées dans le secteur primaire sont les plus francophiles. française. (2006). Langue du travail : indicateurs relatifs à l évolution de la population active et à l utilisation des langues au travail en 2001, p Corbeil, Jean-Pierre, Claude Grenier et Sylvie Lafrenière. (2007). Les minorités prennent la parole : résultats de l'enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle Ottawa, Statistique Canada.

5 5 Tableau 1 : Population active utilisant le français au travail, Canada, provinces et territoires Francophones Anglophones Francophones + Anglophones 2001 % 2006 % CA NL PE NS NB ON MB SK AB BC NT YT NU CA moins QC Notes : % : les pourcentages sont calculés en rapport avec la population active totale de la catégorie correspondante. Français comme langue utilisée le plus souvent ou régulièrement au travail, seul ou avec d autres langues. Francophone : personne ayant le français, ou le français et l anglais, comme première langue officielle parlée. Anglophone : personne ayant l anglais comme première langue officielle parlée. Source : Statistique Canada, commandes spéciales, données des recensements de 2001 et 2006