Enseignement des sciences : vaincre la désaffection
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- Étienne Lafleur
- il y a 7 ans
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1 enjeu d avenir Enseignement des sciences : vaincre la désaffection Il existe aujourd hui un large consensus à l effet que la science est partie intégrante de la culture. Mais peut-on en dire autant à Maurice? Avonsnous une démarche scientifique dans notre vie de tous les jours et vis-àvis des problèmes auxquels nous faisons face? Nous sommes très fiers, à Maurice, du niveau très élevé d alphabétisation. Mais qu en est-il du niveau scientifique du Mauricien? La science a été longtemps associée à la connaissance, à la volonté de connaître, ces nouvelles connaissances étant générées par la recherche. La science est maintenant de plus en plus associée au progrès et à la richesse économique, la transformation de la connaissance en progrès économique se faisant par le biais de l innovation. La science est jugée à sa capacité à produire de l utile. Des indicateurs bien précis et bien établis tels que le nombre de publications scientifiques et le nombre de brevets par million d habitants permettent de juger du niveau scientifique d un pays. Selon les chiffres de 2001 de la Commission Européenne, le trio scandinave Suède-Danemark- Finlande occupe les toutes premières places du classement mondial pour ce qui est des publications alors que les Etats-Unis se retrouve tête de liste pour les brevets, cela étant synonyme d une très grande capacité à innover. Alors que la société a le plus besoin de la science et des scientifiques, l on note une désaffection pour les sciences. Est-ce un problème mauricien? Quelle est la situation au niveau mondial? La problématique de la science et de l école paraît universelle. Ainsi, un sondage réalisé en Europe impute cette désaffection aux raisons suivantes : cours peu attrayants (59,5%) ; science trop dure (55%) ; pas intéressé par les sciences (50,2%) ; salaires pas très attrayants (41,8%) ; image négative de la science (31,4%). Des études montrent que l enseignement des sciences, tel qu il est pratiqué, ne permet non seulement pas d acquérir l esprit et la culture scientifiques mais favorise l élitisme, d où cette formule : «Nos enfants ont non seulement la tête bien vide, mais aussi mal faite». De surcroît, à Maurice, le problème est accentué en raison a) du problème des langues et b) de la disparité dans la formation des maîtres au niveau secondaire. Ceux-ci provenant de divers pays et dans la grande majorité n ayant pas été formé au préalable pour le professorat ; c) la quasiabsence de formation continue des maîtres. Dans un rapport, la Banque Mondiale note : «Il n existe à présent aucune vérification indépendante du niveau des enseignants du secondaire»,
2 cela comparé aux standards de l OCDE que la majorité des pays d Asie ont adoptés. Quelles sont donc ces valeurs que transmet la science? Elles ont trait bien-sûr à l acquisition des connaissances mais aussi à la formation de l esprit et on peut les sérier comme suit : a) la curiosité engageant à connaître et à comprendre ; 2) la capacité de formaliser ; 3) l esprit critique et rationnel ; 4) le sens de l observation et de l investigation ; 5) la capacité d argumenter et la rigueur ; 6) l expression écrite et orale ; 7) le goût du travail bien fait ; 8) la confiance en soi ; 9) l esprit d initiative ; 10) l autonomie ; 11) l honnêteté ; 12) la liberté de pensée et la capacité d être au-dessus des intérêts de groupe (lobby). Et aussi, comme le dit le prix Nobel de Physique Pierre-Gilles de Gennes : «La capacité à ne pas se laisser enfermer dans les certitudes, mais d apprendre à douter». L enseignement des sciences Toutes les études sont unanimes pour souligner l échec relativement important de l enseignement des sciences. Il serait donc illusoire de prétendre trouver facilement des solutions communes à tous les pays. Les résultats récents en didactique des sciences ont mis e n évidence que tout apprentissage ne pouvait s effectuer sans la participation active des apprenants et qu il faut donc prendre en compte leurs conceptions. Le développement des sciences passe aussi par une maîtrise du langage de la part des enfants. On note à Maurice que l enseignement des sciences privilégie une accumulation des connaissances axée sur la mémorisation plutôt qu une démarche intellectuelle. On ne peut continuer encore longtemps à imposer des programmes scolaires surchargés, aux contenus parfois incohérents, figés dans le temps et souvent en déphasage par rapport aux nécessités actuelles! Par conséquent, avant de pouvoir aborder les nouvelles méthodes et nouvelles approches, encore faudrait-il se poser les questions suivantes : 1) Quels sont les principaux objectifs d un enseignement scientifique? 2) Que faut-il enseigner aux enfants (au primaire)? 3) Quelle méthode d enseignement serait la plus efficace? 4) Quels savoirs sont nécessaires? 5) Quelles connaissances seront opératoires dans 20 ou 50 ans? 6) Comment gérer l augmentation considérable du flux de connaissance? On observe un accroissement exponentiel des savoirs. Par exemple, ils ont été multipliés par deux en huit ans en chimie.
3 Si nous souhaitons un renouveau des objectifs de l enseignement scientifique, il nous faut accepter de dépasser le traditionnel programme de notions encyclopédiques. Cela se fera à trois niveaux. Au niveau conceptuel, il existe des préalables pour une attitude scientifique. Cela implique une maîtrise des démarches d investigation (démarche expérimentale et maîtrise de l information) Au niveau contextuel, en vue du développement d une expérience actuelle, il s agit d intégrer au mieux l individu à son milieu de vie, immédiat ou social, avec lequel il est en interaction. La divulgation du savoir moderne est à repenser. Celle -ci doit se prolonger sur les outils récents : ordinateur, four à micro-ondes etc. Au niveau culturel, il est souhaitable de rechercher une organisation du savoir autour de concepts structurants, ce qui implique de ne pas négliger l enseignement de l histoire et de la philosophie des sciences, de même qu entrevoir ce que l état de la connaissance provoque dans le champ de la réflexion épistémologique. Enseignement supérieur Toute politique de renforcement de la formation scientifique dans l enseignement supérieur est étroitement liée à la préparation des élèves aux niveaux inférieurs. En contre-partie, on ne peut pas dire que l enseignement supérieur prépare les étudiants pour l enseignement secondaire. Les contenus disciplinaires sont le plus souvent différents des notions abordées dans les programmes du secondaire. Après tout, l enseignement des sciences au secondaire ne doit en aucune façon être un condensé des notions abordées à l université, d où l importance d une formation en didactique des sciences. André Giordan et Yves Girault rappellent ceci : «Nous avons demandé aux étudiants en maîtrise de didactique des sciences (donc futurs professeurs de l enseignement secondaire) de regrouper sur une semaine l ensemble des articles scientifiques qu ils pourraient trouver dans les journaux non spécialisés. Ce simple exercice, disent-ils, permet de souligner le désarroi de certains étudiant, ayant obtenu des résultats très brillants dans le cursus universitaire scientifique, mais qui n avaient aucun regard critique sur le discours scientifique et sur sa production.» La formation des maîtres est à revoir de fond en comble à Maurice. Regardons d un peu plus près la situation à l université de Maurice J y déplore l absence d un département de didactique et, à plus forte raison, de didactique des sciences. Le travail expérimental occupe une place très importante, c est le cas tout au moins en chimie. Outre les travaux pratiques obligatoires (4 modules de 45 heures sur 2 ans), les étudiants reçoivent une initiation à la
4 recherche au travers d un projet expérimental au cours de leur dernière année d étude (2 jours par semaine durant toute l année). Au cours de ce projet, les étudiants sont amenés à travailler en binômes pour favoriser les discussions et pour leur permettre de développer l esprit d équipe. Durant leur formation, les étudiants sont appelés à travailler sur un sujet scientifique de leur choix, à rédiger un rapport et à le présenter à tout le groupe. Exemples étrangers Nous évoquions plus haut la performances des pays scandinaves et celles des États-Unis. La corrélation entre les potentiels scientifiques de ces pays et leur pratiques éducatives devraient nous inspirer à Maurice. Voyons d abord les caractéristiques de la Suède : Ecole obligatoire (compulsory school) de 7 à 16 ans : 12% du programme couvre les sciences et la technologie. Pas d examens, l accent étant mis sur l acquisition de la connaissance plus que sur la mémorisation de faits ; Ecole secondaire (upper secondary) de 16 à 19 ans : enseignements des sciences (plusieurs niveaux) à tous les élèves qu ils suivent la filière scientifique ou sociale ; Cours de rattrapage (bridging courses) en sciences pour permettre au plus grand nombre de suivre les filières scientifiques à l université. Voyons à présent l approche adoptée aux États-Unis : Dès le plus jeune âge, l accent est mis sur des projets scientifiques individuels ; Ecole d été en sciences organisée par l université (exemple : Centre for Talented Youth à la John Hopkins University) Les élèves du secondaire travaillent sur des projets scientifiques sur plusieurs semaines (en dehors des heures de classe). Ce sont les élèves eux-mêmes qui décident de leurs projets pour promouvoir l esprit de créativité. Quelques autres idées que l on pourrait développer à Maurice pour promouvoir les sciences : Projections de films scientifiques suivies de débats (sur le modèle des dossiers de l écran) Projet expérimental Le développement ne dépend pas seulement de quelques spécialistes scientifiques à formation de haut niveau, mais aussi de l existence d une main -d œuvre de niveau intermédiaire correctement formée et d une population possédant les rudiments de la culture scientifique. L enseignement scientifique et technique doit intégrer dans sa perspective
5 l idée des métiers. Qu il permette à ceux qui souhaitent ou doivent quitter tôt les études de le faire en un projet positif et non dans un sentiment d échec! Voici quelques mois, dans un article d opinion, un journaliste mauricien évoquait ce qui, selon lui, pouvait être les prémisses d un bon enseignement des sciences. Cela paraissait fort juste et cela indique bien que cette réflexion n est pas réservée aux chercheurs et scientifiques mais qu elle devrait être une préoccupation de tout citoyen. Dr Dhanjay Jhurry
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