Lectures : Genèse 14, 17 à 21, Epître aux hébreux Ch 7 (en entier), Luc 9, 10 à 17 Prédication pour le dimanche 1er novembre 2009

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1 Lectures : Genèse 14, 17 à 21, Epître aux hébreux Ch 7 (en entier), Luc 9, 10 à 17 Prédication pour le dimanche 1er novembre 2009 Frères et sœurs, chers amis, Je vous invite à continuer à évoquer ce matin la fête de la Réformation, avec une semaine de retard sur le calendrier liturgique qui situe cette commémoration le dernier dimanche du mois d octobre, au lendemain du 31 octobre, date anniversaire. Nous en rappelons rapidement le contexte théologique et historique, des thèses de Luther à l'affaire des Placards. Le 31 octobre 1517, Martin Luther fait placarder à Wittemberg quatre-vingt-quinze thèses théologiques sur la puissance des indulgences, afin qu elles soient soutenues et discutées publiquement. Moine, prêtre et docteur en théologie, Luther se révolte contre la campagne de vente d'indulgences qui se développe à cette époque dans la chrétienté et notamment en Allemagne. Nous célébrons cette date car elle marque l origine de ce qui deviendra rapidement la Réforme protestante en Europe. Parmi les quatrevingt-quinze thèses, nous choisirons aujourd hui la soixante-deuxième qui place la Bible au centre de la foi chrétienne et de la théologie protestante. Elle affirme en effet : Le véritable trésor de l'église, c'est le très-saint Évangile de la gloire et de la grâce de Dieu.. Cette proclamation de la primauté de l écriture de la Bible sur les gloses et les dogmes que les églises chrétiennes ont construit peu à peu et qui sont devenues de fausses paroles d évangile, aura rapidement de nombreuses conséquences. Parmi celles-ci figure en bonne place la réforme de la messe catholique. Cette remise en question de l eucharistie est à l origine d un épisode tragique de l histoire du protestantisme français naissant, que l on désigne sous le nom d affaire des Placards et que nous allons rappeler maintenant. Nous en tirerons des conséquences sur la façon dont nous pouvons aujourd hui envisager la Sainte Cène à la lumière des textes bibliques. Qu est-ce que l affaire des placards? En octobre 1534, des placards (affiches) contre la messe sont distribués ou apposés en une nuit sur les murs de Paris et en province à Orléans et Amboise, où réside la cour, ainsi que devant la porte de la chambre du roi François I er à Blois. Ces placards sont d'une grande violence : ils traitent les rites de la messe de sorcellerie et accusent le pape, les évêques, les prêtres et les moines de mensonge et de blasphème. Le titre en est : Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables 1

2 abus de la messe papale inventée directement contre la Sainte Cène de notre Seigneur seul médiateur et sauveur Jésus Christ. Ces placards proviennent de Neuchâtel où un pasteur, Antoine Marcourt, les a fait imprimer. Ce pasteur fait partie d'un groupe de Français réfugiés en Suisse auprès de Guillaume Farel. Jusqu'alors les protestants étaient poursuivis par les parlements et parfois mis à mort comme hérétiques mais le roi lui-même était plutôt tolérant et clément à leur égard. Il rêvait de rétablir l'unité de la chrétienté là où Charles Quint avait échoué : il avait envoyé un ambassadeur auprès des principaux réformateurs en Allemagne et en Suisse. Pour le roi, c'est l'échec de sa tentative de conciliation, mais surtout il considère qu'il s'agit d'un complot organisé qui menace sa propre autorité. L'affaire des placards provoque une indignation considérable dans l'opinion. Le roi décide de préserver le royaume de l'«hérésie» et déclenche la répression. De nombreux suspects sont inquiétés, emprisonnés, jugés, voire exécutés à Paris et en province. Beaucoup de protestants et de sympathisants s'enfuient. En janvier 1535, l'église catholique organise à Paris une procession expiatoire annoncée dans toutes les paroisses et à laquelle le roi participe. Le même jour six «hérétiques» montent sur le bûcher. Ces faits historiques étant posés et les temps ayant changé, nous ne reprendrons pas à notre compte cette polémique violente contre l Église catholique et ses prêtres à propos de la messe. Nous sommes passés des luttes fratricides à une coexistence qui, bien qu elle n évacue pas les désaccords fondamentaux et nous prive toujours de l inter-communion, s efforce de ne pas rallumer un conflit stérile car sans issue à court ou moyen terme. Mais au-delà du contexte historique et de la violence du langage, habituelle dans les controverses du XVIe siècle, il y a encore beaucoup à apprendre du texte des Placards et sur la signification que nous donnons à notre Sainte Cène. C est cet aspect que nous allons privilégier. En premier lieu, nous y puisons la référence au texte biblique comme unique source de légitimité de notre conception de la Saint Cène. C est une application directe de la soixantedeuxième thèse de Luther citée plus haut et du «soli scripturae» de Calvin. Les Placards réfutent la communion comme sacrifice ou eucharistie de la messe catholique en se basant sur les chapitres 7, 9 et 10 de l épître de Paul aux Hébreux. Au chapitre 7, Paul développe sa conception d un Jésus nouveau grand prêtre pour l éternité à la manière de Melkisédeq. C est une référence à l histoire d Abraham que nous relisons maintenant au chapitre 14 du livre de la Genèse. 2

3 Le roi de Sodome s'avança vers la vallée de Shawé, c'est-à-dire la vallée du roi, à la rencontre d'abram qui revenait victorieux de Kedorlaomer et des rois qui l'accompagnaient. C'est Melkisédeq, roi de Salem, qui fournit du pain et du vin. Il était prêtre de Dieu, le Très-Haut, et il bénit Abram en disant : «Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui crée ciel et terre! Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes adversaires entre tes mains!» Abram lui donna la dîme de tout. Comme le dit Paul dans l épître aux Hébreux, ce Melkisédeq est un personnage énigmatique, sans généalogie, sans commencement ni fin, contrairement à la lignée des Lévites, fils de Lévi, prêtres sacrificateurs du peuple hébreux depuis leur établissement par Aaron jusqu à la destruction du Temple de Jérusalem. Il est doté des plus hautes qualités, qualifié par son nom de prince sage et porteur du titre de roi de paix. De manière totalement inédite dans l ancien testament, il fournit du pain et du vin pour appeler la bénédiction de Dieu sur Abraham au lieu des traditionnels sacrifices sanglants d animaux. Avec Paul qui connaît bien ses classiques, nous pouvons trouver dans ce récit, la justification de la suppression des sacrifices d animaux encore pratiqués au Temple de Jérusalem au temps de Jésus. Rappelons-nous que Marie et Joseph vont offrir en sacrifice «un couple de tourterelles ou deux petits pigeons» lors de la présentation de Jésus au Temple. D une certaine façon, on est en droit de penser que ces holocaustes seront remplacés par la communion de pain et de vin proposée aux nouveaux chrétiens par Paul et les évangélistes et telle que nous la pratiquons encore de nos jours dans nos églises protestantes. Qui plus est, où que l on cherche dans l Ancien Testament, ce geste de Melkisédeq n est jamais répété. Paul va reprendre cette idée d un geste unique, semblable à celui de Jésus, prince de paix qui n a pas de filiation avec la tribu des sacrificateurs du temple et a donné sa vie pour nous en sacrifice une unique fois pour toutes. C est cette affirmation que les Placards expriment de la façon suivante : À tout fidèle chrétien il est et doit être très certain que... Jésus Christ, comme grand Évêque et Pasteur éternellement ordonné de Dieu, a [donné] son corps, son âme, sa vie et son sang pour notre sanctification, en sacrifice très parfait : lequel ne peut et ne doit jamais être réitéré par aucun sacrifice visible.. Cette profession de foi est toujours valable et ne pose pas de problème aux protestants d aujourd hui. Puisque notre Sainte Cène n est pas un sacrifice qu est-elle donc? Nous pouvons, 3

4 là encore, commencer à répondre avec un second passage des Placards qui résume très fidèlement le chapitre 7 de l épître de Paul aux Hébreux et en souligne deux aspects importants : celui de la célébration de la mémoire de la crucifixion du Christ et en même temps celui de la communion du chrétien avec Dieu à travers son fils. Ils l expriment ainsi et, mis à part la langue utilisée, nous n avons aucune difficulté à reprendre ces affirmations à notre compte : Ce fruit de la sainte cène de Jésus-Christ, est de publiquement faire protestation de sa foi et en confiance certaine de salut avoir actuelle mémoire de la mort et passion de Jésus Christ, par laquelle nous sommes rachetés de damnation et perdition. Avoir aussi souvenance de la grande charité et dilection de quoi il nous a tant aimés qu'il a donné sa vie pour nous. Aussi, en prenant tous d'un pain et d'un breuvage, nous sommes admonestés de la charité et grande union en laquelle tous d'un même esprit nous devons vivre et mourir en Jésus-Christ.. La communion est donc avant tout un acte de foi. En prenant la Cène nous manifestons notre communion de croyant avec Christ et par Christ avec Dieu. Mais cette communion serait imparfaite si elle n intégrait pas aussi l intercommunion des fidèles qui partagent le pain et le vin. Le cercle que nous formons autour de la table de communion symbolise clairement cette volonté de constituer un seul et même corps et nous y attachons beaucoup d importance. Ce passage nous dit encore autre chose. Lorsque nous lisons : «en prenant tous d'un pain et d'un breuvage», nous pensons à l aspect symbolique des deux espèces. C est pourquoi, lorsqu il veut expliquer la singularité de l Église réformée sur une affiche placardée dans le hall du temple et sur le site internet de la paroisse, notre conseil presbytéral reprend cette notion sous la forme suivante : «Une église protestante est une église qui accorde une valeur symbolique au pain et au vin partagés quand il y a communion au cours d un culte.» Cette façon d envisager la Sainte Cène nous permet d ouvrir librement à tout un chacun, pour autant qu il le souhaite, la communion fraternelle. Elle sous-entend également la plus grande liberté individuelle en matière d accès au morceau de pain et à la coupe de vin. Un membre du cercle qui pour une raison quelconque, s abstient de toucher au pain et/ou ne désire pas poser ses lèvres sur la coupe, participe pleinement à la communion par sa présence dans le cercle et par les simples gestes de passer le plat et la coupe à son voisin. 4

5 Car au-delà de la communion, la Sainte Cène se veut aussi action de grâce pour les bienfaits de Dieu, suivant en cela l exemple donné par Jésus qui à chaque fois qu il rompt le pain, que cela soit pour la foule affamée ou pour les disciples rencontrés sur le chemin d Emmaüs et qui le reconnaîtront à ce geste, le bénit et rend grâce à Dieu. Dans le cas de la multiplication des pains cette bénédiction est associée à l exhortation à répondre à cette grâce par la charité. En effet que dit Jésus aux disciples inquiets face au le dénuement de la foule, rassemblée au milieu de nulle part et sans rien pour se nourrir? «Donnez-leur vous même à manger.» Cette exhortation que nous devons reprendre à notre compte doit nous inciter à manifester notre foi par la charité, c est-àdire par l aide matérielle et morale que nous sommes tenus d apporter à ceux qui sont dans le besoin. Non pas pour mériter le paradis, mais pour rendre grâce à Dieu qui nous comble de ses bienfaits. Amen 5