La révolution syrienne, de la guerre civile à la crise internationale Par M. Jean-Pierre Filiu, au lycée François 1 er

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1 La révolution syrienne, de la guerre civile à la crise internationale Par M. Jean-Pierre Filiu, au lycée François 1 er Le 17 septembre 2013, 3 classes de terminales L et ES du lycée ont eu la chance d assister à une conférence animée par M. Filiu ayant pour thème la Syrie. En effet, ce sujet est au cœur de l actualité depuis plusieurs mois et M.Filiu (CERI-SciencesPo.) en est le premier spécialiste français. La Syrie, cœur du Moyen-Orient Tout d abord, arrêtons-nous sur la notion de Moyen-Orient, un terme est relativement récent. En effet, l amiral Alfred Mahan, théoricien américain des routes maritimes, avait compris avant la grande guerre que celui qui contrôlerait les routes maritimes aurait un contrôle global sur le monde. Mais il fallut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les États-Unis s implantent dans cette région du monde et inventent le terme de «Middle East». Elle fut baptisée ainsi car au centre des routes de contrôle maritime grâce notamment au canal de Suez. La Syrie se trouve être historiquement le cœur de cette région. La ville de Damas, qui comme Alep porte un héritage de plus de 8 millénaires, est nommée «sham» ce qui signifie qu elle est le cœur du monde arabe. En effet, c est à Damas que s installa la première dynastie musulmane des Omeyyades vers l an 661. La Syrie sous le mandat français Nous connaissons la France pour son passé colonial, nous la connaissons moins pour avoir été présente en Syrie pendant trente ans. C est grâce notamment à une succession d accords passés par le Royaume-Uni que la France a eu accès à l administration syrienne. En effet, en 1916 les Anglais promirent dans un premier temps aux peuples arabes la création d un «Empire arabe». Ils passèrent ensuite un accord avec les Sionistes visant à l établissement d un «foyer national juif». Néanmoins aucun de ces accords ne put être honoré car la Grande-Bretagne s engagea auprès de la France à se partager le Moyen-Orient suite notamment à la guerre arabo-turque. C est ainsi que des mandats furent mis en place par le Royaume-Uni et la France au Moyen-Orient afin d aider les peuples à accéder à la démocratie. Or en réalité, la logique appliquée en Syrie fut la même que celle appliquée dans les colonies : une politique infantilisante de domination. Sous le mandat français la Syrie est divisée en 5 provinces : deux correspondent aux villes de Damas et Alep et les trois autres sont données aux populations Druze, Kurde et Alaouite. Or la population musulmane des Alaouites, issue d une tribu montagnarde, a été présentée par le pouvoir comme pro-française. Cette différenciation opérée au sein de la population permet d illustrer la volonté du gouvernement français de diviser le peuple syrien pour mieux le commander. L Etat syrien s est donc construit en réaction à la suprématie française, malgré que cette dernière essaye toujours d empêcher l accès du peuple à l auto-détermination. En effet, la France a systématiquement dissout l assemblée Syrienne à la suite des élections. C est cette volonté de créer un Etat uni qui conduira le peuple syrien à se battre pour accéder

2 à l indépendance. Celle-ci formellement accordée en 1943 ne prendra en réalité effet qu en 1946 après le retrait des troupes françaises. La Syrie gardera de cette époque des séquelles qui sont toujours présentes aujourd hui. En effet, l armée y a gardé un rapport presque colonial à son pays : une volonté de contrôle et de domination. La Syrie des Al-Assad La période post-seconde Guerre mondiale est caractérisée en Syrie une alternance de coups d Etat et de tentatives démocratiques. L année 1947 voit la création d un parti à doctrine laïque, le parti Baas qui signifie «résurgence». Celui-ci se positionne face à la majorité sunnite en faisant appel aux minorités, notamment chrétiennes et alaouites. Au moment où le pays en mal d un gouvernement stable se laisse englober par son voisin égyptien dirigé par Nasser débute une agitation partisane. On entend alors parler d un militant alaouite du parti Baas : Hafez El- Assad. Trois ans après que la Syrie a recouvré son indépendance, c est le parti Baas qui prend le pouvoir. Celui-ci présente une façade civile mais correspond en réalité à une organisation militaire. En effet, Hafez El-Assad, devenu général, y régna d une main de fer grâce au soutien de l armée depuis sa prise de pouvoir en Hafez El-Assad mit en place un système inédit pour la Syrie. Tout d abord, il créa la première république héréditaire du monde arabe en s inspirant de celle mise en place par Kim Il Sung en Corée du Nord. El-Assad était en effet un proche du dictateur nord-coréen et s était pris de fascination pour son régime. D autre part, il assura la promotion de son régime en permettant à la paysannerie pauvre d accéder aux services de l Etat. Cette mesure eut pour effet une hausse soudaine de la natalité dans les couches les plus pauvres de la société au dépend des élites urbaines principalement sunnites. C est pour cette raison que l armée écrasa le soulèvement des frères musulmans entre 1979 et Ces actes de violence qui ont fait entre sept et vingt-cinq mille morts étaient d ailleurs inconnus du monde occidental. Ces évènements nous permettent de soulever un autre point clé constituant le régime d Hafez El- Assad : la terreur. Afin d entretenir ce sentiment de terreur, le gouvernement maintient sansarrêt une opacité absolue que ça soit en rapport avec le bilan des victimes ou les forces armées. On sait par exemple que le régime possède des polices politiques mais leur nombre demeure inconnu, entre 8 et 12 selon les estimations. Ces dernières jouent d ailleurs un rôle majeur dans ce système. En effet, comme dans l URSS de Staline, il s agit d éliminer la menace avant même qu elle ne se déclare, qu elle soit intérieure ou extérieure à la Syrie. De même, les changements arbitraires et réguliers de l administration permettent d accroître encore un peu plus le danger, allant même jusqu à une autonomisation de la terreur. En 2000 Bachar El-Assad succède à son père après trente ans de règne. Cet événement s opère par des élections auxquelles seul El-Assad peut se porter candidat. L arrivée du fils du dictateur est vécue comme une humiliation. En effet, cet ancien docteur en ophtalmologie se voit tour à tour promu général des armées et secrétaire général du parti Baas. Néanmoins, on constate chez Bachar Al-Assad la volonté de se distinguer de son père par une modification du fonctionnement de l Etat en se tournant vers la globalisation. Dans un premier temps un grand nombre d entreprises d état sont libéralisées. Malheureusement, leur direction est le plus souvent arbitrairement confiée aux alliés des El-Assad. D autre part la politique d aide par l Etat des populations pauvres mise en place sous la direction d Hafez El-

3 Assad est réduite jusqu à être quasiment supprimée sous celle de son fils. La baisse des conditions de vie et l exode rural massif de la couche inférieure de la population sont des raisons du soulèvement actuel de la population. Une crise a d ailleurs failli débuter en 2003, mais a été évitée par l invasion de l Irak par les troupes américaines. En effet, le chaos postdictatorial et l arrivée de plus d un million de réfugiés irakiens en Syrie a servi à Assad d argument pour calmer son peuple. Mais la révolte ne pourra pas être contenue éternellement. La Syrie, théâtre d une crise internationale Dans la lignée directe du printemps arabe, la Syrie a elle aussi vécu en mars 2012 une révolution. A l origine, la question du maintien de Bachar El-Assad au pouvoir ne se posait pas. En effet, le peuple s est battu pacifiquement durant six mois dans le but d améliorer ses conditions de vie et ses droits. Mais durant cette période le régime a débuté la répression de la population par des bombardements de plus en plus fréquents. S enclenche alors une véritable guerre civile. Les rebelles s organisent en conseils, combattent et prennent le contrôle de certaines régions. La lutte est menée par l armée syrienne libre, composée en majorité par des déserteurs de l armée régulière. Ils adoptent symboliquement le drapeau de 1941, voulant renverser un régime qu ils considèrent comme étranger. Bachar El-Assad utilise alors la même tactique que son père. Il veut avoir l air de faire face à une menace terroriste, à des combattants musulmans mais facilite ainsi l arrivée dans le pays des djihadistes. Enfin, la guerre civile prit une tournure internationale lorsqu en 2012, l ONU diligenta des observateurs afin de vérifier la régularité des combats. Or, cette action fut un échec car les émissaires n ont pu se renseigner qu auprès du régime et non sur le terrain. Néanmoins, les atrocités commises par l Etat syrien ne peuvent être stoppées car celui-ci profite de l armement massif ainsi que du soutien presque inconditionnel de la Russie au conseil de sécurité de l ONU. Ainsi, beaucoup d occidentaux sont convaincus que la guerre en Syrie ne pourra avoir d issue que lorsque les Etats-Unis et la Russie trouveront un accord. Mais une telle vision est en réalité une offense faite au peuple syrien qui se bat pour avoir une légitimité et ne plus exister qu au travers d un seul homme. Quel avenir pour la Syrie? Pour M. Filiu, les combats ne peuvent plus avoir de fin acceptable car il est trop tard. D après lui, des changements ne seront possibles en Syrie qu avec le départ du dictateur. Néanmoins, l avenir risque de d être de moins en moins acceptable moralement car il permettra une accentuation de la barbarie. Héloïse FICARA, TL1

4 Questions post-conférence : Après un exposé d une heure, les élèves de TL et de TES, ainsi que les professeurs présents, ont posé leurs questions à monsieur Jean-Pierre Filiu. Tout d abord a été posée la question de la succession du pouvoir en cas d'un départ de Bachar El Assad. Monsieur Filiu a souligné l'importance de formuler la question sous forme d hypothèse, étant donné qu à ce jour, rien n indique un éventuel départ du dictateur Bachar El Assad. Pour l intervenant, sans aide extérieure, il ne fait aucun doute que le pouvoir serait conquis pas les islamistes djihadistes, pour la simple raison que les rebelles de l Armée Syrienne Libre, qui arbore le drapeau syrien de l indépendance de 1961 s opposant à celui choisit par le père de l actuel dirigeant du pays, doit faire face à deux fronts : les forces de Bachar El Assad et les islamistes. Étant plus affaiblis, en cas d'un départ de Bachar El Assad, l Armée Syrienne Libre et ses dirigeants ne seraient pas à même de vaincre les islamistes, qui, faisant montre de plus de violence risqueraient de prendre la tête du pays. De plus, si beaucoup d hommes politiques pensent qu aider la rébellion revient à aider les islamistes, ils se trompent, selon Jean-Pierre Filiu, et de cette façon, en refusant une aide à l Armée Syrienne Libre, préparent le terrain à l ascension des djihadistes en Syrie. La possibilité de porter secours apparaît ainsi, en Occident, comme impossible, suite aux fâcheux amalgames faits. De cette manière, aujourd hui, une intervention entraînerait une grosse instabilité. Il faut également compter que plus les jours passent, plus les contraintes à une possible intervention sont nombreuses, et rendent ainsi ses chances moindres. Cette réponse précède la seconde question qui demande des précisions sur l organisation et la forme que pourrait prendre une intervention en Syrie. Monsieur Filiu, après avoir souligné que la guerre durait depuis plus de 30 mois en Syrie et qu elle ne débuterait pas avec une intervention, a précisé que personne ne savait quelle stratégie adopter pour intervenir en faveur de l Armée Syrienne Libre. Mais il a ajouté qu il serait évident que la coordination entre les «rebelles» et les forces d intervention serait à la base de tout plan et permettrait ainsi la protection et l auto-détermination du peuple syrien. Il a également ajouté que, si beaucoup croyaient tenir la clé de la crise syrienne, personne n'avait saisi le problème. Cette absence de décision des Occidentaux, n aidant bien sûr pas les syriens, résulterait d une absence de contrôle qui empêcherait ceux-ci d agir. Je cite «il faut accepter d aider des gens que l on ne contrôle pas». De plus, la tardive prise de conscience de la situation en Syrie a rendu toute forme d action plus sensible et plus incertaine, propos souligné par la comparaison de monsieur Filiu de la situation actuelle de la crise syrienne à un «Game Changer» : «Maintenant on pourrait appuyer sur 10 boutons sans être sûr que quelque chose changera.». S est ensuite posé la question du rôle de l Iran dans cette crise aujourd hui non plus seulement interne mais internationale. En 1979, lors d une révolte sunnite, Hafez El Assad, père de Bachar El Assad, avait fait un accord stratégique avec l Iran, qui a aujourd hui toujours court. Par cette alliance, Hafez El Assad rompit symboliquement avec les autres pays du Moyen-Orient, qui étaient solidaires de l Irak, ennemi de l Iran. Aujourd hui, cet accord prend son importance avec, en plus, la promesse de soutien de la Russie de monsieur Poutine. Par cette alliance, l Iran gagne une fenêtre sur la Méditerranée à travers la Syrie et la Syrie gagne le soutien de Moscou et l aide du Hezbollah, lié à l Iran. La Russie, elle, espère l obtention de la bombe H par l Iran, ce qui permettrait de contenir l influence politique des États Unis au Moyen-Orient, par le biais d une possible menace sur l État d Israël.

5 La question d un rapprochement entre la situation de la SDN pendant l entre-deuxguerres et la position de l ONU aujourd hui fut ensuite formulée. Monsieur Jean Pierre Filiu a en effet souligné la pertinence de la comparaison, faite auparavant par John Kerry, secrétaire d État des États Unis. En effet, on peut noter que l ONU a reconnu Bachar El Assad comme étant le représentant légitime de la Syrie en raison de l absence de représentant de l Armée Syrienne Libre. Cette panique bureaucratique rappelle celles de la SDN face aux agressions du Troisième Reich. Ainsi, l ONU ne reconnaissant pas la Coalition «rebelle», toutes les aides humanitaires de l ONU sont distribuées dans les zones gouvernementales. On pourrait donc dire, selon Jean Pierre Filiu, que cette crise syrienne discrédite l ONU comme la SDN l a été sept décennies auparavant. L avant dernière question porta sur une possible similitude entre la situation syrienne au cas où le régime de Bachar El Assad tomberait et celle de l Irak en 2003 après la chute de Saddam Hussein. L'intervenant répondit tout d'abord que personne ne comptait envoyer des troupes en Syrie, contrairement à George W. Bush en Irak, en De plus, en Irak, les guerres entre sunnites et chiites n ont débuté que 3 ans après l intervention des États Unis, tandis qu en Syrie, il y a déjà des combats entre sunnites et chiites. La dernière question demanda la position des chrétiens dans la crise syrienne. Monsieur Jean Pierre Filiu a répondu qu ils souffraient autant que les autres dans ce conflit, mais qu'en tant que minorité, Bachar El Assad les avait plus ou moins fait prisonniers, en nommant, par exemple, un chrétien au poste de ministre de la Défense. Ainsi de nombreux chrétiens de Syrie ont migré dans les zones gouvernementales et attendent des garanties de sécurité de la part du dirigeant. Cependant, les basses classes sociales de l Église syrienne ne sont pas solidaires du gouvernement de Bachar El Assad, bien que leur nombre ait diminué presque de moitié. En effet, le président du Conseil national syrien et vice-président de la Coalition nationale des forces de l opposition et de la révolution, Georges Sabra, est chrétien. Aude RAIMBAULT, TL1.