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- Sylvaine Guérin
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1 MCC et incertitude 10 mars 2015 Par Christophe Béesau et Christian Leliepvre
2 Avec Altran, Solar Impulse s attaque au défi du tour du monde à l énergie solaire. Depuis 2010, Solar Impulse vole à l énergie solaire et a accumulé les records pour ce type d avion expérimental. Pourtant, avec la tentative de tour du monde qu elle réalisera cette année, toute l équipe s attaque aujourd hui à un défi qui dépasse de loin en difficulté tout ce qu elle a déjà entrepris. La réalisation du tour du monde nécessitera en effet : Des vols de très longue durée, jusqu à 120 heures, Des traversées océaniques de 7 000, voire peut-être kilomètres, La confrontation avec des situations météorologiques délicates car instables. Si relever ce défi nécessitait bien la construction d un second avion, plus puissant et plus robuste, adapté aux vols de longue durée, c est au sol que se joueront les étapes décisives de cette aventure hors du commun. Car l équilibre à trouver est périlleux : d une part, il ne faut manquer aucun des créneaux de vol possibles, sous peine d accumuler progressivement un retard pouvant entrainer, à terme, l impossibilité de finir le tour du monde en une seule année. D autre part, il faut bien sûr assurer aux pilotes un niveau de sécurité et de préparation des vols qui, malgré les conditions extrêmes du défi, reste optimale. Il s agit donc de saisir à chaque fois les meilleures opportunités de décoller, tout en ne laissant rien au hasard. L ennemi des vols : l incertitude Depuis 3 ans, au sein de la MCC, toute l expérience acquise sur les vols dès 2010 a été analysée et adaptée à la prise en compte des conditions du défi. Car la principale difficulté que représentent les très longs vols est la part grandissante des aléas potentiels que l avion peut rencontrer : quel sera le niveau de charge de la batterie à chaque lever de soleil? Les nuages de la nuit se seront-ils dissipés? Trouverons-nous en altitude le vent favorable prévu, sans lequel la traversée durera 7 jours au lieu de 5? La stratégie de vol, définie à la minute près sur les 120 prochaines heures, représente-t-elle bien une solution robuste et fiable? Sans une réponse précise à ces questions, les vols de l avion sont impossibles, à tel point que si Aristote pouvait s exprimer aujourd hui, il ne dirait peut-être pas «La nature a horreur du vide» mais «Le Solar Impulse a horreur de l incertitude». Au cœur du Mission Control Center (MCC), de nouveaux systèmes de simulations et de calculs ont donc été développés par Altran, afin de pouvoir répondre à ces questions cruciales : Quand voler? Avec quelles marges de sécurité? Quels sont les risques?
3 Intégrée au cœur de la MCC, l équipe Simulation d Altran a en effet pour rôle d explorer les possibilités de vol, et de construire des stratégies optimisées afin d alimenter en continu le processus décisionnel dirigé par le Flight Director. Les solutions sont détaillées sous tous les angles, et discutées avec les autres spécialistes de la MCC : météorologues, contrôleurs aériens, ingénieurs de vol. Ces systèmes de calcul innovent tant par leur capacité à investiguer de gigantesques masses de données météorologiques, qu à anticiper précisément les paramètres de vol de l avion, à chaque instant. Ceci permet alors à l équipe Simulation d étudier et de construire la meilleure stratégie pour un vol donné, et de «vivre» le vol avant de le réaliser. Ils fournissent également les cartes et graphiques qui sont intégrés au Plan de Vol Opérationnel confié au pilote, et alimentent en continu, au sein de la MCC, les écrans de contrôle présentant la situation de vol en cours et la situation prévisionnelle. Ceci permet à chaque instant «d éclairer la route» et d anticiper les éventuelles difficultés. En parallèle, l équipe Simulation d Altran est en charge des études de cas spécifiques, par exemple des cas de panne, ce qui permet de disposer de plans de secours en un temps extrêmement réduit, et de les maintenir actualisés au fur et à mesure de la progression de l avion. Un processus décisionnel complexe Comme on peut s en douter, ces contraintes et les informations élaborées pour en tenir compte déterminent un processus décisionnel complexe au sein du Mission Control Center. Chaque stratégie de vol, précisément adaptée pour voler un jour donné, peut être remise en cause d heure en heure, en fonction de l évolution de la météo ou des contraintes du trafic aérien. Ainsi, lors des exercices de vols virtuels en temps réel, réalisés au printemps 2014, le vol simulé de la traversée de l Atlantique a-t-il dû être adapté en urgence. En effet, un ballon d observation scientifique avait soudainement généré une interdiction de vol à plus de 7000 mètres dans la zone où le Solar Impulse devait atteindre les 8500 mètres requis afin d assurer «la survie» énergétique de l avion la nuit suivante. Dans ce type de situation, la priorité est là encore donnée à l équipe Simulation pour élaborer une nouvelle stratégie adaptée aux contraintes du moment. Finalement, et contrairement à ce que l intuition pouvait suggérer, il fut décidé de ne pas détourner l avion mais de poursuivre le vol en restant à 7000m, puis de réaliser au dernier moment, une fois franchie la zone du ballon, une ascension à pleine puissance permettant de gagner le maximum d altitude avant le déclin du soleil. Un exercice acrobatique qui a permis à l avion de «survivre» la nuit suivante, avec une marge d énergie plus que raisonnable!
4 Schématiquement, ce processus décisionnel est chronologiquement structuré en 7 étapesclés : 1. Entre 6 et 8 jours (J-8 à J-6) avant le décollage envisagé, les calculs débutent avec pour objectif d identifier les opportunités de vol à horizon «une semaine environ». Les jours de vol sont ainsi définis «vert», «orange» ou «rouge» en fonction de leur niveau de difficulté. Toutes les deux heures, de nouvelles solutions sont élaborées pour peaufiner les stratégies de vol et les adapter au mieux aux contraintes alors connues, principalement la météo et le trafic aérien. 2. Progressivement, au fur et à mesure de l approche du jour J, l équipe Simulation affine l étude de ces contraintes avec les autres spécialistes, et finalise les stratégies de vol en fonction de leurs réponses. Est-il possible de négocier telle ou telle restriction du contrôle aérien? Peut-on s attendre à ce que l altitude maximale des cumulus soit en réalité, localement, plus importante que celle prévue? Peut-on craindre des turbulences d altitude? Ces réponses permettent de définir des stratégies de vol consolidées. 3. Ces stratégies sont ensuite discutées avec le Flight Director et les ingénieurs mission, et également avec les pilotes. La faisabilité des vols est alors évaluée avec précision, et les calculs mis à jour toutes les 6 à 12 heures afin de vérifier la stabilité des solutions trouvées. 4. A J-1, si la situation est toujours favorable, le GO est donné pour le vol. Cependant, des imprévus de dernière minute sont encore possibles : brouillard sur la piste, condensation sur l avion Pendant ce temps, l équipe Simulation élabore la mise à jour des stratégies de secours : détermination du PNR (Point de non-retour), route vers les aéroports «alternates», stratégie à adopter en cas de panne d un générateur solaire, d un moteur, d un bloc de batteries Toutes les situations sont évaluées. 5. Le jour J, décollage, généralement à l aube afin d éviter les turbulences de basse altitude dues aux thermiques. En raison du décalage horaire avec le lieu de l avion, le décollage peut correspondre à n importe quelle heure du jour et de la nuit au Centre de Contrôle Mission à Monaco. 6. En temps réel, les calculs sont alors réactualisés en permanence. Le moindre écart avec les données de télémétrie est analysé et pris en compte dans les mises à jour des simulations. Ces calculs intègrent aussi bien sûr les demandes du contrôle aérien au fur et à mesure de la progression du vol, que les études actualisées des experts météo. Des briefings avec le pilote sont menés toutes les 6 heures environ, avec une fréquence pouvant être beaucoup plus importante si la situation est difficile.
5 7. Le vol se termine enfin par l atterrissage, puis le débriefing permettant d analyser le déroulement des évènements et de mieux préparer les vols suivants! Les mathématiques au secours de l anticipation maximale Réduire les incertitudes est un travail de longue haleine car avec un avion particulièrement sensible aux conditions météorologiques, l influence de la moindre variation devient rapidement significative sur les paramètres de vol. Qu il s agisse de l épaisseur de la nébulosité à haute altitude, de la vitesse et de l orientation exacte des vents, ou bien de l humidité des masses d air traversées, la stratégie de vol doit être construite pour maîtriser au mieux le risque de variation de ces paramètres critiques. Depuis Edward Lorentz et son célèbre discours sur «l effet papillon», on sait que la difficulté des prédictions météorologiques croît extrêmement rapidement avec l horizon de prédiction. A cause de l instabilité des systèmes d équations différentielles qui régissent les phénomènes météorologiques, chaque jour gagné pour repousser l horizon de prédiction nécessite donc, en théorie, des efforts considérables. Pourtant, c est sans utiliser de supercalculateurs qu Altran a développé des systèmes de calculs adaptés aux besoins de Solar Impulse. En considérant le problème différemment, il est possible de faire apparaître d autres équations et de focaliser l effort de recherche pour «faire parler les données» et en extraire une information cachée, significative. Ainsi, il a été par exemple possible de développer une approche non standard du traitement de l information, en considérant l avion comme une «sonde» d exploration des données météo futures, c est-à-dire un raisonnement inverse de la logique «standard»! Ce renversement de paradigme offrait dès lors de nouvelles possibilités de traitement des données, conduisant aux réponses attendues. Une façon d assurer encore quelques tours d hélice d avance au pilote, précieuse information au moment de monter dans le cockpit!
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