Le ciel de l'antiquité à nos jours Origine antique des sciences de l air et de l espace : Le Timée ou la cosmologie de Platon

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1 Le ciel de l'antiquité à nos jours Origine antique des sciences de l air et de l espace : Le Timée ou la cosmologie de Platon Dans ce chapitre, nous allons intéresser à la cosmologie du philosophe grec Platon ( av. J.-C.). Cependant, dans le cadre du cours, nous allons également aborder la cosmologie avant Platon, avec les penseurs présocratiques, penseurs ayant vécu avant Socrate ( av. J.-C.) et donc avant Platon, puisque Socrate était le maître de Platon. L édition de référence sera : PLATON, Timée, traduction de Luc Brisson, Paris, GF- Flammarion, Le Timée est un dialogue écrit par le philosophe grec Platon, dix ou douze ans avant sa mort, c est-à-dire autour de 358 av. J.-C. Le Timée est une œuvre qui a traversé les siècles : elle a suscité de nombreux commentaires dans l Antiquité, notamment par Aristote, elle a été lu au Moyen Âge par les savants juifs, arabes et chrétiens, et elle a exercé une grande influence dans la culture occidentale jusqu à la Renaissance. Quelles sont les raisons de l engouement pour ce texte? On pensait que ce texte contenait une sagesse mystérieuse et l ensemble des connaissances humaines. Mais nous allons voir que cette œuvre peut encore nous apprendre des choses au XXI e siècle. Le Timée devait faire partie d une trilogie, avec le Critias, qui est un texte inachevé, et l Hermocrate, dont nous n avons aucune trace. Cette trilogie avait une grande ambition : proposer une description rationnelle de l origine de l univers, de l homme et de la société. Dans le cadre de cette trilogie, quelle est l ambition du Timée? Timée I L ambition du Timée : décrire de façon rationnelle l univers et son origine 1/ Le premier ouvrage «complet» de cosmologie et la première «encyclopédie» Le Timée est un ouvrage de cosmologie, car il expose un modèle (une représentation) cohérent et rigoureux de l univers. C est même le premier ouvrage de cosmologie qui nous soit parvenu dans son intégralité. Mais il faut noter que, dans le Timée, la cosmologie est mêlée aux autres domaines de connaissance (mathématiques, physique, biologie, chimie, médecine, politique ). Cela fait également du Timée la première «encyclopédie» des connaissances grecques (même s il n y a pas de classification méthodique des disciplines, car les domaines de connaissance n ont pas d autonomie dans l antiquité). 1

2 2/ De la cosmogonie à la cosmologie : d Hésiode aux présocratiques Le Timée s insère dans une tradition, qui est celle de la recherche de l origine de l univers. Cette tradition commence avec les poètes grecs, qui ont écrit des cosmogonies, c est-àdire des récits mythiques sur les origines du monde. Ainsi, Hésiode, écrit la Théogonie, poème du VIII e siècle av. J.-C., qui est un essai d harmonisation de l ordre du monde. Pour cela, le poète utilise un type de discours qui est le mythe (récit, qui se déploie dans le temps et décrit l action de personnages héroïques ou divins ). Cette tradition se poursuit avec les philosophes présocratiques, les physiologues, qui, à partir du VI e siècle av. J.C., ont pris le relais des poètes. Mais la forme que prend leur discours n est plus celle du mythe : ils écrivent des cosmologies, c est-à-dire des discours rationnels sur la formation de l univers. Les physiologues décrivaient l apparition et l évolution de toute réalité (univers, homme et société), dans des ouvrages que l on nommera «Sur la nature». Les réponses des physiologues sur la question du principe explicatif de l origine de l univers furent diverses. Certains en firent l un des quatre éléments : Thalès l eau ; Anaximène l air ; Héraclite le feu. Pythagore fit des nombres le principe de toute chose. Anaxagore (sur lequel nous reviendrons) fit de l intelligence le principe de tout l univers. Le Timée s insère dans cette tradition cosmologique, même si Platon prend une distance critique avec les présocratiques.. 3/ L invention de la méthode scientifique, la méthode hypothético-déductive : axiomes, règles d inférence, mathématiques, observation et expériences. Pour la première fois, le Timée pose le problème de la connaissance scientifique : elle doit présenter un caractère d idéalité, c est-à-dire qu elle ne peut pas se déduire de façon immédiate des données de la perception sensible. Pour résoudre ce problème, le Timée met en place ce qui deviendra la méthode de toute recherche scientifique, la méthode hypothético-déductive. Cette méthode consiste à : - poser une liste d axiomes, de présupposés, - puis, en se fondant sur des règles d inférence, à déduire de ces axiomes des propositions, des théorèmes, qui sont exprimés en langage mathématique. Un théorème est une affirmation qui peut être démontrée, c'est-à-dire établie comme vraie au travers d'un raisonnement logique construit à partir d'axiomes. - enfin à vérifier s il y a une correspondance des théorèmes avec les données de l observation, notamment par le biais d expériences. Ainsi, dans le Timée, les propriétés de l univers sont déduites logiquement d un ensemble d axiomes et sont exprimées au moyen des mathématiques. 2

3 Cependant, cette méthode, dont Platon pose que les prémisses, ne va pas s imposer. En effet, elle va être attaquée par son disciple, Aristote. 4/ La critique d Aristote : critique des mathématiques et rétablissement du langage ordinaire. Aristote (Métaphysique) fera à Platon le reproche d avoir fait des mathématiques toute la philosophie. Par conséquent, Aristote va rétablir la prééminence du langage ordinaire, et ceci jusqu à la Renaissance et surtout jusqu à Galilée ( ), qui soutiendra que «la nature est un livre écrit en langage mathématique». Timée II Les degrés de réalité du réel : choses sensibles et «formes intelligibles» Après la «Conversation Introductive», débute l exposé de Timée sur la nature de l univers, qui se poursuit jusqu à la fin du texte. 1/ Le monde comme «sensible» et le «sensible» comme «devenir» Le Timée propose une cosmologie, c est-à-dire un modèle explicatif de l univers, du monde. Or, chez Platon, le monde a pour synonyme «le sensible», c est-à-dire l ensemble des choses sensibles (perçues par les sens). Mais le «sensible» est aussi synonyme de «devenir». Toute réalité sensible est soumise au devenir : 1/ elle est engendrée 2/ elle ne cesse de se transformer et se corrompt, se dégrade, et 3/ elle disparaît. Or, cette définition du monde, comme sensible et comme devenir, renvoie à un problème. 2/ Problème posé, dans l Antiquité grecque, par la cosmologie : l impossible connaissance d un monde en perpétuel devenir Pour Platon, la cosmologie, qui s intéresse au monde, doit résoudre un problème qui repose sur un postulat admis par toute la Grèce ancienne : 1-Il n y a pas de réalité véritable dans le changement. 2-Il n y a ni connaissance ni discours possibles sans une certaine permanence. 3-Donc, le monde, qui est en devenir perpétuel, n est pas la réalité véritable. Le monde est «ce qui devient toujours, sans être jamais». Remarque : Ce que l on croit être réel (vu, touché ) n est pas vraiment réel. 4-Donc, le monde, qui est en devenir perpétuel, devrait rester inconnaissable. La question que pose le Timée est donc : Si le monde ne cesse de changer, comment est-il possible de le connaître? 3

4 3/ Les conditions de la connaissance du monde : «formes intelligibles» et «participation» Le monde peut devenir connaissable à deux conditions. - Première condition. Il doit exister, en plus des choses sensibles, des réalités qui ne changent pas et donc peuvent être objet d une connaissance : les formes intelligibles ou Idées. Remarque : Le réel est donc composé de différents degrés de réalité : le monde et les formes intelligibles. Une «forme intelligible» ou Idée est une réalité qui : 1- existe en dehors de notre esprit : ce n est pas un objet mental, 2- est non sensible : on ne peut pas la saisir par les sens, 3- n est pas soumise au devenir, donc «est toujours», est éternelle, et «reste identique», est immuable, 4- est la seule réalité véritable, 5- est saisie par l intellect et donc peut être objet d une connaissance véritable et d un discours vrai, contrairement à une chose sensible, qui est saisie par la sensation et l opinion, qui ne permettent pas d accéder à la «science». Remarque : Il existe des degrés dans la connaissance que l on peut avoir du réel. - Deuxième condition. Le monde doit avoir, dans son changement, quelque chose qui ne change pas. Pour cela, il faut que les choses sensibles aient un rapport avec les formes intelligibles, qui ne changent pas, équivalent à celui d une copie à son modèle. Ce rapport, Platon l appelle «Participation». Le monde, parce qu il est la copie ressemblante d une forme intelligible parfaitement stable et permanent, a une certaine stabilité et permanence, suffisante pour que l on puisse le connaître. Dans le monde, cette stabilité et cette permanence se manifestent sous la forme de rapports de causalité (tout effet dépend d une cause et la même cause produit toujours le même effet). Ces rapports, formulés en termes mathématiques, sont l essentiel de ce que l homme peut connaître du monde. Timée III La double causalité du monde 1/ Articulation des causes «accessoires» et des causes «véritables» : un univers engendré par «l artisan du monde» contemplant les «formes intelligibles» pour mettre en ordre les éléments Pour avoir une connaissance du monde, il faut comprendre sa cause. Or, pour Platon, il en existe deux types : - les causes «accessoires» (matérielles et mécaniques), qui expliquent comment une chose est constituée (ex. la flûte est fabriquée en bois), 4

5 - les causes «véritables» (finales), qui expliquent pourquoi une chose est (ex. la flûte est faite pour jouer de la musique). Le Timée articule ces deux causalités pour échapper à l erreur des présocratiques, qui ont expliqué l univers uniquement à partir des causes accessoires, se contentant d expliquer comment l univers est, sans comprendre pourquoi il est. Platon tient compte de cette causalité accessoire : il propose une explication de l univers fondée sur une formulation mathématique 1/ de la constitution des 4 éléments se manifestant sous la forme de 4 polyèdres réguliers et 2/ de leurs transmutations. Cependant, Platon subordonne les causes accessoires aux causes véritables : - Comme le monde est sensible et donc soumis au devenir, il a été engendré. - Comme il a été engendré, il a une cause responsable de son engendrement : le dieu «artisan du monde», qui n est pas un dieu créateur d un monde ex nihilo, mais ordonnateur : il met en ordre les éléments préexistant en leur donnant une forme géométrique. - Comme l «artisan du monde» est bon, le monde a été fabriqué en prenant pour modèle une forme intelligible, le Vivant-en-soi, ce qui lui donne une stabilité suffisante pour être objet d une connaissance. 2/ L inversion des critères de la rationalité Selon les critères de la science moderne, l étude des causes accessoires est la partie la plus rationnelle de la cosmologie de Platon et en fait un précurseur de la physique moderne. Mais selon les critères de Platon, l étude des causes accessoires est la partie la moins rationnelle de sa cosmologie. 3/ La critique d Aristote : l engendrement du monde et la cosmologie artificialiste La critique d Aristote (Traité du Ciel), qui porte sur deux points, explique pourquoi le Timée est la seule cosmologie artificialiste dans l Antiquité grecque : - L idée d engendrement du monde est contradictoire : le monde ne peut pas être engendré et éternel. - La figure du dieu «artisan du monde» doit être remplacée par une «nature démiurge», qui agit sur l univers non pas du dehors, comme un potier façonne une poterie, mais du dedans, comme une âme façonne un visage. Timée IV Le monde, l univers, le ciel 1/ L univers est un vivant avec un corps et une âme Timée définit le monde comme un être vivant. Pourquoi? Un être vivant possède un corps et une âme. Or, l âme étant le principe explicatif du mouvement (c est elle, par exemple, qui fait se mouvoir l animal), cette hypothèse permet d expliquer les mouvements de l univers. 5

6 2/ Le corps du monde : composition, forme et mouvement Le corps du monde est composé de la totalité des quatre éléments. Sa forme est celle d une sphère, figure géométrique à la symétrie parfaite, où la totalité des figures peuvent s inscrire. Son mouvement est celui d une rotation sur son axe. 3/ L âme du monde et les mouvements des corps célestes L âme du monde est le principe des mouvements dans l univers et ce qui leur donne une structure mathématique. Ceci est valable pour les mouvements des choses sensibles dans le domaine sublunaire (cf. transmutations des éléments), comme pour les mouvements des corps célestes, qui sont les plus permanents, car circulaires, et réguliers, car régis par des rapports mathématiques comparables à des rapports d harmonie musicale. A travers cette hypothèse de l âme du monde, Platon fonde l astronomie mathématique, posant que le «Ciel» est organisé selon des rapports mathématiques. Conclusion : Les degrés de connaissance du réel 1/ La connaissance de l intelligible ou la science et le vrai. La connaissance du sensible ou le «vraisemblable» Existe-t-il des degrés dans la connaissance que l on peut avoir du réel? Platon fait la distinction entre deux types de réalités : choses sensibles et formes intelligibles, qui ont un rapport de ressemblance, de copie (choses sensibles) à modèle (formes intelligibles). Cette distinction fonde deux types de connaissances : celle des formes intelligibles relève de la science et peut être vraie et celle des choses sensibles est «semblable au vrai» ou «vraisemblable», car elle a un rapport de copie à modèle avec la connaissance des formes intelligibles. 2/ Le statut du discours cosmologique : un discours «vraisemblable» Le discours cosmologique de Timée est un discours sur le monde sensible. Or, le monde sensible n est qu une copie d une forme intelligible. Par conséquent, le discours cosmologique de Timée ne peut pas être un discours vrai, mais seulement «vraisemblable». Le Timée permet donc, une fois de plus ici, d interroger notre conception moderne de l univers et du «Ciel», des sciences de l air et de l espace, par sa confrontation avec une conception radicalement différente et «étonnante». 6