Trois ophtalmostats : exposition et fixation de l œil. dans la chirurgie oculaire au XIXe siècle

Transcription

1 Trois ophtalmostats : exposition et fixation de l œil dans la chirurgie oculaire au XIXe siècle Jean-Michel MEUNIER

2 Page 1 Trois ophtalmostats : exposition et fixation de l œil dans la chirurgie oculaire au XIXe siècle Jean-Michel MEUNIER Ophtalmologiste Contact : jph.meunier300@orange.fr Lorsqu on consulte un ancien traité de chirurgie oculaire, il apparait que les doigts de l oculiste et de son aide ont longtemps été les meilleurs instruments d exposition et de fixation de l œil. De nombreuses illustrations en témoignent [Fig. 1]. Figure 1 : Gravures extraites de l atlas de «Nouveaux éléments de médecine opératoire» Velpeau Paris Baillière 1832 et «Opérations qui se pratiquent sur les yeux» par le Dr Desmarres atlas de janvier 1850 du «journal des connaissances médico-chirurgicales». Avec un peu d entrainement cette méthode simple permettait de réaliser des interventions délicates sans pression sur l œil. Les doigts pouvaient se retirer facilement et rapidement en cas de risque de complication per-opératoire. A. Guérin, dans ses «Eléments de chirurgie opératoire» explique au sujet du doigt : «beaucoup de chirurgiens, même dans l extraction de la cataracte, n emploient pas d autre fixateur» (1). Pourtant au cours des derniers siècles des instruments variés ont été inventés avec des appellations diverses : miroir à œil, speculum oculi, ophtalmostat (ou ophthalmostat (2)) en principe réservé à l immobilisation de l œil, releveur, palpébrostat ou blépharostat pour le seul maintien des paupières.

3 Page 2 Il existe une confusion dans les appellations. O. Aubry expose dans le «Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales» d A. Dechambre que «l usage veut que l on rapproche des ophthalmostats proprement dits les instruments qui servent à écarter les paupières ou blépharostats» alors que l étymologie du mot correspond à œil-arrêté (3). Leur nombre, leur diversité, témoignent de leur imperfection et de leur difficulté d emploi imposant de nouveaux essais. Les seuls à s être maintenus jusqu à nos jours sont le releveur type Desmarres utilisé pour l examen et le blépharostat qui existe sous de nombreux modèles, pour la chirurgie. Trois instruments oubliés vont être présentés [Fig. 2]. Figure 2 : les trois ophtalmostats : à gauche Lüer, au centre Charrière, à droite, anonyme. Collection de l auteur. Ils ont pour caractéristiques communes : - d être à la fois des blépharostats et des ophtalmostats puisqu ils maintiennent les paupières ouvertes et peuvent limiter les mouvements du globe oculaire. - d être des instruments à manche. - de pouvoir être utilisés indifféremment pour les deux yeux (4). - d être conçus pour la position assise de l opéré mais leur utilisation sur un patient allongé est possible. - de ne figurer à ma connaissance dans aucun catalogue français d instruments chirurgicaux.

4 Page 3 OPHTALMOSTAT de CHARRIERE : Ce bel instrument à manche d ivoire est en argent. Sa longueur est de 18,5 cm [Fig. 3]. Figure 3 : ophtalmostat de Charriere. Coll. de l auteur. Son aspect raffiné et sa signature permettent de le dater du début du XIXe siècle. Il est à la fois simple, élégant et astucieux. Il est conçu pour que la poignée soit placée en face de l œil adelphe de l œil opéré. La tige qui poursuit le manche est cintrée en dôme pour éviter la saillie de la pyramide nasale puis plonge vers le canthus interne. Une fourche formée par deux arcs mousses articulés la prolonge. Placés dans les sillons orbitopalpébraux, ils refoulent par leur appui les paupières tout en enserrant le globe oculaire pour limiter ses mouvements. Ces arcs mobiles sont à la fois blépharostat et ophtalmostat. De profil l ensemble évoque immanquablement une tête de mammouth [Fig. 4]. Figure 4 : ophtalmostat de Charriere. Le profil évoque celui d un mammouth. Coll. de l auteur. Cet instrument est certainement le fruit d une amélioration du speculum oculi présenté dans les traités de Scultet, J.L. Petit et Garengeot, dont parle de Wenzel dans son manuel de l oculiste : «tige de fer dont l extrémité est bifurquée, et représente deux espèces d arc inégaux au milieu desquels est placé le globe qui doit être soumis à l opération. Ces deux arcs embrassent l organe, soulèvent les

5 Page 4 paupières et représentent assez les contours et la forme de l œil. En appuyant sur le globe, en le forçant à se loger dans l espace qu on voit entre les deux arcs, on prétendait le fixer» (5) [Fig. 5]. Figure 5 : La fourche formée par les arcs mobiles. Coll. de l auteur. L ophtalmostat peut se retirer instantanément et facilement si nécessaire : il suffit de relâcher la pression. Il a les grands avantages de ne créer aucun traumatisme oculaire et d exposer parfaitement le globe, mais certainement l inconvénient de ne bloquer que partiellement les mouvements oculaires. La signature Charrière est visible sur la tige de l instrument [Fig. 6]. Figure 6 : marquage Charrière. Coll. de l auteur.

6 Page 5 OPHTALMOSTAT DE LÜER : Il s agit encore d un remarquable travail de coutellerie dont le manche est en ivoire [Fig.7]. Figure 7 : Ophtalmostat de Lüer. Coll. de l auteur. Il ne figure pas dans le catalogue Lüer de On en trouve une représentation dans un catalogue de 1866 du fabricant américain J.H. Gemrig (Philadelphie) sans le nom de son inventeur (6). Il s agit d un instrument à mécanisme qui comporte au sens littéral un blépharostat formé de deux releveurs dont un mobile, et un ophtalmostat qui est une pince à griffes [Fig. 8]. La longueur est variable suivant le degré d ouverture des releveurs : de 15,5 cm à 17,5 cm. On peut imaginer que la poignée se place vers le bas, face à la pommette car vers le haut l arcade sourcilière gênerait l introduction des releveurs surtout en cas d œil enfoncé. Figure 8 : Ophtalmostat de Lüer. Coll. de l auteur. Un bouton-poussoir coulisse dans une rainure du manche. Il permet d écarter le releveur supérieur. Le mouvement serre les mors de la pince à griffe entre deux plots fixes [Fig. 9]. Cette pince maintient l œil en bloquant la conjonctive plissée ou le muscle droit inférieur.

7 Page 6 Figure 9 : Les releveurs s écartent et la pince à griffe se resserre. Coll. de l auteur. La signature Lüer est présente sur le manche et sur le mécanisme [Fig. 10]. Figure 10 : la signature Lüer sur l instrument. Coll. de l auteur. Ce système ingénieux et sophistiqué présente au moins trois inconvénients. L action de la pince à griffe est certainement pénible voire douloureuse pour l opéré en l absence d une anesthésie profonde, l extraction rapide de l instrument sans dommage pour l œil incisé semble impossible surtout si le patient serre les paupières au moment du retrait, enfin la tige du releveur supérieur masque partiellement le champ opératoire et peut gêner l accès des instruments chirurgicaux. OPHTALMOSTAT ANONYME : C est un instrument à manche d ébène dont l aspect est plus rustique que celui des deux précédents. On penserait presque à un instrument vétérinaire mais ses dimensions sont bien adaptées à l ophtalmologie humaine [Fig. 11]. Figure 11 : Ophtalmostat de constructeur anonyme. Coll. de l auteur.

8 Page 7 Il s agit encore d un instrument à système qui comporte au sens littéral un blépharostat formé de deux releveurs dont un mobile et un ophtalmostat formé d une pique. Comme pour l instrument de Lüer la poignée se place vraisemblablement face à la pommette mais il faut noter une angulation de l instrument qui permet peut-être une utilisation poignée face au front [Fig. 12]. Figure 12 : Cliché de profil montrant l angulation de l instrument. Coll. de l auteur. Sa longueur est fixe : 17 cm, car c est le releveur inférieur qui est mobile. Les releveurs du blépharostat sont conçus comme le classique releveur de Pellier à partir d une tige métallique cintrée et laissent l œil bien exposé. Un bouton-poussoir (manquant) coulisse dans une fente et permet d écarter ou de rapprocher les releveurs [Fig. 13]. Figure 13 : Pique en trident de la fonction ophtalmostat. Coll. de l auteur. Aucun catalogue ne présente cet instrument mais l aspect rappelle un releveur plus simple, décrit par Compérat dans le «Journal des connaissances médico-chirurgicales» en 1839 [Fig. 14]. Figure 14 : Instrument de Compérat (7).

9 Page 8 Sur l instrument présenté l ophtalmostat est constitué par un petit trident manipulé par un levier à pédale mobile sur un pivot. Il est possible de piquer ce trident au limbe à la manière d une pique de Pamard en nasal ou en temporal. Si l œil est ici bien exposé pour le travail de l oculiste on imagine sans peine que le trident est source de traumatisme oculaire et que l extraction rapide de l ophtalmostat, sans dommage pour l œil opéré, est pratiquement impossible. Conclusion Ces trois instruments ont certainement été fabriqués et utilisés entre 1830 et Ils ont en commun d être originaux et de répondre à un problème toujours d actualité pour l ophtalmologiste : l exposition et l akinésie du globe oculaire pour la chirurgie. Leur utilisation était sans doute difficile, source de complications, sauf pour l instrument de Charrière dont l inconvénient était certainement d immobiliser imparfaitement l œil. Ils représentent les derniers essais d amélioration d un instrument issu du XVIIe siècle, abandonné puis remplacé par le blépharostat à la fin du XIXe siècle. Le nom d ophtalmostat (ou ophthalmostat) s est progressivement et définitivement effacé du vocabulaire ophtalmologique à partir de cette période. Les sources manquent pour l attribution et la datation précise de ces instruments. Tout lecteur de Clystère pouvant aider à leur documentation sera bienvenu. Références 1- Une description figure p.381 des «Eléments de chirurgie opératoire ou traité pratique des opérations» par Alphonse Guérin Paris Chamerot Le terme aurait été inventé par Le Cat. Voir le «Manuel de l oculiste ou dictionnaire ophthalmologique» par M. de Wenzel, Paris, bureau de Lavater, 1808, T.1, p Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Directeur Dechambre, 1881, Vol. 68, oph-ore ophthalmostats p. 124 à Certains ophtalmostats ne s utilisaient que pour un côté. Deux instruments étaient nécessaires. Par exemple l instrument de Le Cat.

10 Page 9 5- Manuel de l oculiste ou dictionnaire ophthalmologique par M. de Wenzel, Paris, bureau de Lavater, 1808, T.1, p Le catalogue est visible sur le site : chapître Eyes instruments Planche XI, n 15, p Description succincte d un nouvel ophthalmostat pour l opération de la cataracte par le Dr Compérat, Paris, Imprimerie Lange Lévy et cie,1839. Toute référence à cet article doit préciser : Meunier JM. : Trois ophtalmostats : exposition et fixation de l œil dans la chirurgie oculaire au XIXe siècle. Clystère ( novembre 2016.