Intervention faite à Paris à l occasion du Xe congrès mondial des professeurs de français - FIPF, juillet Les auteurs face aux contraintes.

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1 Intervention faite à Paris à l occasion du Xe congrès mondial des professeurs de français - FIPF, juillet Les auteurs face aux contraintes. On nous demande souvent et avec raison si les auteurs qui écrivent pour la collection FF se trouvent soumis à des contraintes dans leur travail artistique. Il est important d aborder la question pour savoir en quoi Fiction Française se distingue d autres collections destinées à l enseignement du français. Pour répondre à cette question je dirai Oui, mais. Oui parce que s il n y avait pas de contraintes, nous, les professeurs de français, nous n aurions pas besoin de chercher des textes spéciaux pour l enseignement du français, et nous pourrions facilement en trouver dans n importe quelle librairie française. Nous savons parfaitement que cela ne nous mènerait pas loin. Oui, mais, en mettant l accent sur le mais, parce que ces contraintes sont d ordre spécifique, ce dont je vous parlerai dans quelques instants. En tant qu éditeurs, nous nous sommes trouvés dans un dilemme : d une part la collection Fiction Française est déstinée aux étudiants qui viennent de terminer une méthode de français élémentaire ou sont de niveau intermédiaire ; à ce moment crucial, nous savons qu il faut être extrêmement conscient de ce que nous présentons à nos élèves si nous voulons éviter qu ils ne se découragent et si nous voulons les inciter à continuer leurs études de français. D autre part, comme vous le savez, l idée fondamentale de Fiction Française est de présenter aux étudiants des auteurs français et francophones actuels tels qu ils sont, tels qu on les connaît à partir de leurs ouvrages déjà publiés, avec les préoccupations qui sont les leurs et l écriture qui est la leur. C est-à-dire sans contraintes. Comme l éditeur vient de le souligner, on veut absolument éviter de publier des ouvrages de type textes en français facile, textes classiques en 2000 mots etc, c est-à-dire des textes transformés et coupés, pour ainsi dire, de leur qualité littéraire.

2 Comment faire pour résoudre ce dilemme entre liberté artistique et accessibilité linguistique, comment s y prendre sans faire de la littérature proprement pédagogique, comment faire pour ne tricher ni avec les auteurs, ni avec les étudiants? J aborderai le problème en me concentrant sur deux aspects du travail lié à la collection : 1) la chance de Fiction Française 2) la collaboration avec les auteurs. 1) La chance de Fiction Française - Une nouvelle écriture? Peut-on parler d une nouvelle écriture? Je ne sais pas. Ce qui explique mon point d interrogation. En tout cas, notre projet a été aidé, sauvé peut-être, par un courant littéraire qu on pourrait appeler minimaliste. On peut constater qu un nombre important d écrivains contemporains, notamment parmi les jeunes, choisissent de s exprimer dans un langage plus simple qu avant, dépouillé parfois, surtout en ce qui concerne la syntaxe, employant des phrases courtes et peu de subordonnées ; il s agit d une façon directe de s exprimer, parfois presque lapidaire, qui fait penser au style journalistique. C était là la chance de notre collection : on s est dit qu il fallait trouver des auteurs à qui cette écriture ne serait pas étrangère ou mieux qui écrivaient déjà ainsi.. - Et la clarté du français? Point d interrogation. Vous le connaissez tous, ce mythe de la clarté de la langue française. Ce mythe, est-il bien fondé? Oui et non. Il n existe pas, contrairement aux idées reçues, de langue qui soit en elle-même plus claire qu une autre, mais il existe des personnes qui s expriment plus ou moins clairement, indépendamment de la langue en question. Un autre mythe, ou cliché plutôt, veut que ce soit la langue avec ses qualités prétendues qui a donné naissance aux oeuvres littéraires. C est l inverse, évidemment. Cependant, peut-être depuis l installation des écoles jésuites, il existe en France une longue pratique de la clarté dans l expression, on pourrait même dire une éthique de la clarté dans la pensée et dans la formulation. Et la clarté en tant que vertu stylistique est la condition sine qua non pour une expérience comme celle de Fiction Française. D un certain point de vue, c est donc la rencontre entre la tradition de clarté et l écriture minimaliste qui a profité à Fiction Française. 2) La collaboration avec les auteurs est le deuxième aspect de mon intervention.

3 Tout d abord je tiens à souligner que la collaboration avec les auteurs a été pour moi un vrai plaisir parce qu ils ont, sans hésiter, accepté des contraintes qui au groupe de rédaction paraissaient incontournables. Il s agit de personnes créatives extrêmement douées non seulement pour écrire mais aussi pour écouter quand j essaye tant bien que mal de m expliquer. Mon principe est de me mêler le moins possible. Pourtant, un auteur peut quelquefois trouver l expérience dure, douloureuse même, j en suis convaincue. Je pense p.e. au cas où un texte serait, du point de vue linguistique, juste ce que nous recherchons et que j aurais pour cette raison très envie de le publier, mais où les complications seraient d ordre structural, et ce à un degré qui, d après mes expériences, gênerait la compréhension et par là affaiblirait l intérêt des étudiants. On risquerait qu ils abandonnent mentalement en cours de route. Pour expliquer aux auteurs ce que, du point de vue du langage, nous recherchons pour la collection, j essaye d être aussi concrète que possible. Il faut donc parler du vocabulaire et de la syntaxe. Au début de notre expérience, avant de pouvoir montrer des ouvrages déjà publiés, j ai envoyé des extraits de textes d auteurs connus, qui figurent au programme des lycées danois, et que nous étudions avec succès en classe, des textes comme L amant de la Chine du Nord de Duras, Le grand cahier d Agota Kristof ou le scénario du film Au revoir les enfants de Louis Malle. Ce sont des textes simples du point de vue du vocabulaire et de la syntaxe, simples mais pas simplistes. De plus, ils racontent une belle histoire cruelle il est vrai - mais cela, c est une autre histoire. Maintenant avec les 15 ouvrages de FF déjà publiés, les discussions sur le langage sont devenues plus faciles, bien que les auteurs cités soient toujours utiles en tant qu exemples. J ai quelquefois incité les écrivains à s appuyer sur un vocabulaire qu on pourrait appeler transparent, c est-à-dire un vocabulaire similaire en français et en anglais, en français et allemand, en français et danois etc. Ce sont des langues qui possèdent de nombreuses racines communes issues notamment du latin. Les apprenants comprendront immédiatement ce vocabulaire parce qu il existe déjà dans leur langue maternelle. Il y a là tout un vocabulaire gratuit, disponible pour l auteur et rassurant pour l étudiant. Cette proximité de vocabulaire des langues germaniques et romanes est un atout considérable pour les apprenants de français et favorise, au moins sur le

4 plan de la lecture et de la compréhension globale, le plaisir de l étudiant à l approche de la littérature. J ai l impression que nous, les professeurs de langue, ne travaillons pas assez le vocabulaire avec nos élèves et que nous n insistons pas assez sur le fait qu il existe tout ce contingent de mots communs dont la connaissance facilite énormément l apprentissage d une langue étrangère, quelle qu elle soit. À part ces deux contraintes qui nous paraissent incontournables, celle de la clarté et celle de la simplicité du langage, les auteurs peuvent choisir leur thème, leur style et le genre qui les intéressent : roman court, nouvelle longue ou recueil de nouvelles, mémoires, science-fiction, roman policier ainsi que grosso modo la longueur de l ouvrage (entre une trentaine et une centaine de pages). Nous prions pourtant les auteurs de bien vouloir situer l action dans un cadre français ou francophone. Ceci parce que Fiction Française est destinée à la communication entre élèves, à la discussion de thèmes qui sont à la fois d ordre général, communs aux hommes dans le monde entier, et d ordre spécifique puisque les situations sociales et culturelles ne sont pas les mêmes d un pays à l autre. Tout en approfondissant leur connaissance de la langue et tout en étudiant un ouvrage littéraire français, les élèves acquièrent des connaissances non seulement sur la culture étrangère mais aussi par un effet de miroir - sur leur propre culture, et nous, les professeurs de français savons que cette rencontre entre cultures est essentielle dans l enseignement des langues, puisqu elle incite à discuter, à se poser des questions, bref, à se développer. Encore une fois, il est essentiel que l auteur n assimile pas notre projet à la littérature enfantine et qu il ne tombe pas dans le piège de la littérature pédagogisante. Pour l éviter, l auteur pourrait imaginer comme destinataire, en principe de toute façon, un public adulte, français ce qui n excluerait en aucun cas que les protagonistes soient des enfants p.e., ni le conte en tant que genre. Il ne faut pas oublier que les apprenants connaissent déjà ou étudient dans d autres matières des auteurs classiques comme Andersen, Blixen, Hamsun, Strindberg pour ne citer que des Scandinaves. Finalement, il faut tenir compte du fait que, bien que débutants en français, il y a d autres domaines de leur existence où ils ne le sont pas.

5 Je vais terminer cette intervention en vous racontant une anecdote sur la collaboration que j ai eue avec Annie Saumont qui a publié chez nous le beau recueil de nouvelles intitulé Nostalgie. Annie Saumont est une grande nouvelliste avec un style bien à elle. La façon dont elle fait communiquer ses personnages est proche de la langue parlée avec ses pauses, ses interruptions etc. Et, trait caractéristique, elle ne met presque pas de virgules. Nous étions assises l une en face de l autre pour discuter des textes qu elle m avait envoyés. À un moment donné, je lui ai demandé si elle accepterait de mettre plus de virgules pour marquer les pauses et par là faciliter la compréhension des élèves. Je lui ai montré mes propositions. Alors, en souriant et en me regardant avec un mélange d indulgence et d incrédulité elle a dit que non, que c était impossible, qu elle ne mettait pas de virgules, qu elle était comme ça. Voilà. Très gentiment. J ai compris. C était à prendre ou à laisser. Une petite anecdote qui montre que, s il y a des contraintes, les auteurs font souvent comme si elles n existaient pas. Les auteurs ont toujours le dernier mot. Pour reprendre le slogan de ce Xe Congrès mondial, nous souhaitons montrer la modernité et la diversité de la littérature française et francophone tout en restant solidaires avec les auteurs dans leur travail créatif. Merci de votre attention.