Histoire(s) de placement : Comment de jeunes femmes intègrent leurs expériences en centre jeunesse

Transcription

1 Histoire(s) de placement : Comment de jeunes femmes intègrent leurs expériences en centre jeunesse Mathilde Turcotte Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale (Centre jeunesse de Québec) Nadine Lanctôt Chaire de recherche du Canada sur la délinquance des adolescents et des adolescentes Université de Sherbrooke

2 Les points de départ La transition à la vie adulte chez les jeunes ayant été placés o La recherche met en lumière les risques que les jeunes avec un historique de placement vivent la transition à l âge adulte en situation de dépendance aux institutions et services publics o Rôle du placement en soi sur les trajectoires de ces jeunes à l'âge adulte Le caractère prometteur de la recherche sur l identité o On sait que le placement pourrait être associé à une moins bonne image de soi C est particulièrement vrai chez les filles et les jeunes mères o Aspect très peu étudié mais essentiel à la compréhension du devenir des jeunes

3 Un premier test Ajout d un questionnaire sur la stigmatisation perçue dans l étude de Lanctôt ( ) au tournant de l âge adulte (T6 ; ans) La plupart des gens croient qu une fille qui a été placée en CJ (n=134) % vrai et tout à fait vrai Est délinquante 75 % N est pas une bonne personne 51 % N est pas fiable 51 % N est pas quelqu un en qui ont peut avoir confiance 45 % Ne s en sortira jamais %

4 Méthode Récit de vie o Rendre les choix et les évènements «cohérents» o L auditeur (l intervieweur) et la multitude d auditoires (vous) o Certaines histoires ou constructions sont plus «solides» ou mieux intégrées Réaliser le film de sa vie Adaptation du protocole de McAdams (1995, 2008) o Les grands moments de ta vie o Les grands personnages o Les fiertés et les accomplissements o Les critiques

5 Échantillonnage L étude évaluative de N. Lanctôt Le volet quantitatif ( ) À l admission n=182 3 mois après 6 mois après 12 mois après 18 mois après Au tournant de l âge adulte (18-21 ans ; n= 134) Le volet qualitatif la présente étude (2015) n=20 jeunes femmes choisies avec 3 variables Parcours de placement Génération (immigration) L âge (20 ans et +) Analyse (sens) ce que la participante dit de son placement, de son parcours et d ELLE Qu est-ce que cela veut dire pour elle d avoir été placée? (représentation) comment la participante parle de son placement Comment procède-t-elle pour rendre le placement cohérent? Les omissions, les tentatives d éviter des sujets, les contradictions

6 Avoir été placée en centre de réadaptation Signes d un malaise lié aux expériences en centre jeunesse

7 Une représentation visuelle d un parcours de placement Cinq ans et + de sa vie, mais à peine quelques mots sur le placement QUELQUES FEMMES REFUSENT D ACCORDER AU PLACEMENT LE STATUT D ÉVÉNEMENT MARQUANT

8 Quelle «place» est donnée au placement dans le récit de vie En général, le placement en centre de réadaptation apparait dans le film L entrée en placement comme un moment important La sortie de placement comme un moment important Les intervenants comme des personnages importants Nombre de femmes 13 sur sur sur 20 Minimiser l influence du placement sur qui elles sont devenues Tentatives évidentes des jeunes femmes de ne pas présenter le placement comme les définissant Au mieux : Le placement m a gardée en vie Retrait des influences négatives J y ai appris à fonctionner «Avoir passé au travers» incluant du placement comme étant le message du film 19 sur 20

9 Question : Quand tu disais que tu es arrivée au camp de cadets et tout, puis que tu avais peur du jugement des autres, Qu'est-ce que tu pensais que les gens pensaient de toi, à ce moment-là? Bien, que Que genre Je ne sais pas comment le dire, mais c'est comme dans le sens que j'avais peur que Bien, pas peur, mais t'sais, qu'ils se fassent des jugements en tant que tels en disant que si les gens de centres jeunesse sont mal élevés, c'est à cause qu'ils n'écoutaient pas leurs parents. T'sais comme, souvent, quand les gens me disaient : «Ah, c'est parce qu'elle s'est plaint que ses parents la frappaient» ou quelque chose de ce genre-là, moi, ça venait m'enrager parce que dans le sens que : «Tu connais pas ma vie. Ça fait que pourquoi tu viens» T'sais, j'ai fait Comme : «Tu me connais pas, puis tu viens me juger de même? Eille, va-t'en! Tu n'as rien à dire, là. Est-ce que moi, je viens te dire que tu as de l'air d'une pouilleuse ou t'sais, tu as de l'air de ça? Les plus pouilleux, ceux qui ont l'air plus pouilleux, ça ne peut être les plus riches, puis tu ne le sais pas. T'sais, moi, j'haïs tellement ça, là, le jugement. C'est comme Puis les perceptions des gens, là, ça, là. Puis l'extérieur, bien, c'est ça que ça me faisait. Ça me faisait souvent qu'il y avait des gens qui avaient des mauvaises perceptions des gens placés, puis de la DPJ, tout ça. LA PEUR DU JUGEMENT DES AUTRES EN LIEN AVEC LE PLACEMENT EN CENTRE JEUNESSE

10 Le discours sur les jeunes avec des expériences de placement Lorsque la peur du jugement se traduit par une volonté de montrer que l étiquette de «fille de centre jeunesse» ne s applique pas

11 Question : Pourquoi tu as choisis le centre jeunesse comme le moment le plus négatif que tu veux mettre dans ton film? Oui. Je le souhaite à personne, là. Moi, j'ai trouvé le centre jeunesse vraiment difficile, là. Je trouve que c'est un endroit pas approprié pour les jeunes. De mettre des jeunes tous ensemble qui ont tous pas les mêmes problèmes, moi, j'ai trouvé ça vraiment En fait, j'ai trouvé ça fou, là. une fille qui pétait des coches à l'école, que t'sais il fallait des sécurités. J'ai jamais eu de problèmes avec la police. Fait que, t'sais, moi, des filles qui pétaient des coches, que j'entendais hurler dans les couloirs parce qu'ils se faisaient pogner par des sécurités T'sais, vraiment des histoires, là, que Là, moi, je capotais. Je comprenais pas ça. J'étais comme T'sais, tu mets tous les jeunes dans un même bateau, là, tous des niveaux différents de besoins, en espérant que tu vas pouvoir tous les combler. Mais ça marche pas comme ça, t'sais. T'sais, c'est pas T'sais, on sortait dehors, là, puis il y avait des filles qui savaient tellement pas vivre qu'on dirait qu'elles n'avaient jamais vu ça, des gars. C'était me Même que, à un moment donné quand moi j'ai eu mes sorties, bien, ils ont coupé le droit des sorties aux filles, parce que c'était comme C'était pas Ils savaient pas comment se tenir, admettons, t'sais, adéquatement à l'extérieur. Fait que, t'sais, c'était C'est vraiment dur de mettre toutes les filles dans le même bateau. Moi là, je comprenais pas, quand j'étais là. Parce que j'avais pas des T'sais, j'étais pas

12 Le discours sur «les filles de centre jeunesse» S en distancer au plan du devenir «Parce que j'en connais, j'en vois, des filles Toutes les filles que j'ai été avec en centres jeunesse, aujourd'hui, que je regarde mon parcours, puis leur parcours : puis c'est ridicule, leur affaire. ils n'ont rien appris encore, là. moi, j'ai changé pour le mieux. Mais peut-être pas pas grâce aux centres jeunesse parce que quand je suis sortie de centre jeunesse, j'ai fait plein de conneries, là. Mais je veux dire, t'sais, aujourd'hui, toutes les filles que j'étais avec eux en centres jeunesse c'est toutes rendues des escortes, puis des prostituées. Ça fait que Puis des danseuses»

13 Avoir été placée en centre de réadaptation Comment les jeunes femmes s assurent de rendre le placement cohérent dans l histoire de vie

14 Histoire(s) de placement Quand et comment intervient-il dans le récit? L erreur de jeunesse, les possibilités de la vie adulte Le passé troublant, le présent trouble Survivre au placement

15 Le rôle des femmes dans leur histoire de placement o «l échec» des parents est à l origine de toutes les histoires de placement cet échec prend différentes formes Abus et négligence Pratiques parentales trop ou pas assez sévères Cas particuliers : immigration, perte d un parent, situation handicap o Si la participante admet ainsi des comportements problématiques avant le placement, ils sont la conséquence des difficultés dans la famille d abord (et jamais la cause à proprement parler) Le placement est ainsi présenté comme non-nécessaire ET injuste

16 Participante : Quand j'ai appris qu'il fallait que je rentre en centre. Intervieweuse : OK. Ça ressemble à quoi, ce moment-là? Pourquoi veux-tu montrer ça? [Silence] Ça ressemble à moi en train de de faire ses bagages chez eux, genre, puis en braillant puis en m'en allant, t'sais. Parce que malgré tous les problèmes je dis pas que je suis la fille la plus facile à vivre, on s'entend [rire]. Mais comme, j'ai comme pas mal pris tout le blâme sur moi. T'sais, mon père n'a pas été l'exemple parfait du père, genre, quand on était petits. Puis c'est comme moi qui ai tout pris le blâme. T'sais, le fait que tout le monde puisse rester chez nous, genre, puis que moi je sois celle qui soit partie, t'sais, que je sois le résultat des conséquences, puis de la colère que je sois devenue par rapport à mon père, bien, ça, j'ai trouvé ça dur. Parce que, t'sais, c'est comme, quand tu vas dans les centres jeunesse, c'est toujours l'enfant qui est puni, t'sais C'est pas l'adulte nécessairement qui est puni, même si le père l'a touchée, même si c'est pas de la faute de la fille, là. C'est le père qui l'a touchée, mais c'est la fille qui s'en va en centre. Fait que t'sais, c'est elle qui est punie, d'une certaine façon. C'est pas nécessairement l'adulte. C'est ça qui est le plus dur, de savoir que même si c'est pas de ta faute, bien, c'est toi qui s'en vas, t'sais, puis que le reste de tes frères et sœurs, bien, ils sont tous chez vous, genre.

17 Parle-moi maintenant de ta vie adulte qu est-ce que tu considères important de montrer dans ton film? Mais t'sais, sincèrement, j'aurais pas été en centre jeunesse, je pense même pas que j'aurais été danseuse. Sincèrement. Puis c'est vraiment le fait que quand je suis partie de là, j'avais rien! Ils ne te donnent pas d'argent. T'as pas de compte de banque avec de l'argent, puis tout ça, puis quand tu t'en vas : t'as pas d'argent prends-toi ci, prends-toi un appartement. Non. Tu sors, pis si t'as pas tes parents, t'es toute seule. Ça fait que c'est quoi qui est le plus facile pour une fille de se faire de l'argent plus vite? C'est de danser! Oui, tu peux trouver une job, mais le temps que tu ramasses de l'argent, t'sais Mettons que t'es danseuse, tu vas ramasser de l'argent une semaine pour quasiment deux, trois mois de loyer. Tu te trouves une job normale, puis ça va te prendre quasiment un mois pour avoir, t'sais, deux mois de loyer payés. Puis je suis une fille qui aimait beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup l'école. T'sais, j'étais genre tout le temps première de classe, moi à l'école, à part en mathématiques. Mais j'ai tout le temps, tout le temps aimé l'école, puis j'ai lâché parce que j'étais plus capable d'être enfermée dans une classe avec des filles à problèmes que genre que le professeur nous parle quasiment comme si on était des dévergondées, des comme des comme si on était en prison. J'aimais pas ça! Ça fait que j'ai lâché l'école.

18 Les suites Les explications o La «résilience» Stabilité relationnelle Alliance Parentalité Sentiment de compétence Etc. Les conséquences o Capacité à s identifier des accomplissement, des qualités, des valeurs o Survivre au passé versus vivre le présent o Capacité à se projeter dans l avenir Merci! mathilde.turcotte.ciussscn@ssss.gouv.qc.ca