Emotion car nous pleurons aujourd hui les victimes des attentats du 13 novembre dernier autre forme de barbarie.

Transcription

1 Discours prononcé par M. Christian RIGUET, Secrétaire Général de la préfecture du Bas-Rhin l occasion du 72 ème anniversaire des événements de Clermont-Ferrand du 25 novembre 1943 Monsieur le Président de l Université de Strasbourg, Monsieur le Recteur de l Académie de Strasbourg, Monsieur le Vice-Président du Conseil Départemental, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs les témoins de ces temps que nous commémorons, Et vous, Etudiantes et Etudiants du temps présent, porteurs d avenir, Mesdames et Messieurs, C est avec une particulière émotion que je prends la parole aujourd hui devant vous. Je voudrais tout d abord excuser Stéphane Fratacci, préfet de la Région Alsace, Préfet du Bas-Rhin, retenu par d autres obligations, qui m a demandé de le représenter. Emotion car il s agit d honorer la mémoire des étudiants, professeurs et personnels de l Université de Strasbourg, victimes de la barbarie nazie le 25 novembre Emotion car pour un fonctionnaire de l État, évoquer cette période de l histoire de notre pays suscite la question toujours présente : qu aurais-je fait, moi, dans ces circonstances? Emotion car nous pleurons aujourd hui les victimes des attentats du 13 novembre dernier autre forme de barbarie. 1

2 Nous sommes au cœur de l Université de Strasbourg. C est à l Université de Paris, à la Sorbonne, que le Président de la République a choisi d observer une minute de silence au lendemain des attentats, qui ont frappé en premier lieu des jeunes, et parmi eux, de nombreux étudiants et universitaires. Aujourd hui, alors que nous commémorons, 72 ans après, les événements de Clermont-Ferrand, puissions-nous nous inspirer du courage et de l intégrité des étudiants et enseignants de l Université de Strasbourg en 1943 pour avoir la force de défendre à notre tour, les valeurs de la République et de l humanisme face à l ennemi qui nous menace. Face à l idéologie mortifère du nazisme, face au renoncement et parfois même au reniement des valeurs les plus fondamentales de notre République, de nombreux Français, d Alsace ou d autres régions, étudiants, professeurs, personnels administratifs, simples citoyens, ont su dire NON. NON au régime nazi, NON à l obscurantisme idéologique, NON à la discrimination, au racisme, finalement, NON à l indifférence et à la lâcheté. Il faut maintenant énoncer les faits car commémorer c est aussi réprandre et répéter inlassablement les faits, pour les inscrire comme vérités de l histoire, Dès janvier 1939, à la suite des accords de Munich, 128 professeurs de l Université de Strasbourg avaient écrit une pétition au Président de la République pour leur faire part de leur inquiétude face aux revendications territoriales de l Allemagne nazie et à la tentation de repli des autorités françaises. 2

3 Ils demandaient dans cette lettre «que la France maintienne les traditions de liberté, de tolérance politique, religieuse et ethnique qui constituent, au même titre que le territoire, le patrimoine de la nation, font la force de son patriotisme et sont à la source de son rayonnement universel.» Au moment de la déclaration de guerre, sur décision de l Etat major des armées, Alsaciens et Lorrains sont évacués dans le Sud-Ouest de la France. L Université de Strasbourg est transférée à Clermont-Ferrand et devient le symbole de la résistance universitaire. Un an plus tard, à l automne 1940, elle met en défaut la pression nazie et refuse de retourner à Strasbourg, où est créée peu après la sinistre Reichsuniversität Strasbourg. En février 1943, à Berlin, le Reichsführer SS prend la décision de dissoudre l Université de Strasbourg, considérée comme un nid de résistants et de terroristes. Le 25 novembre 1943, lors d une rafle dans les bâtiments universitaires à Clermont- Ferrand, des centaines de personnes, professeurs, étudiants, personnels administratifs, sont arrêtées. 130 d entre eux seront déportés. Au total, 139 membres de l Université de Strasbourg sont morts en captivité ou au combat. Nous sommes devant cette trop longue liste de noms. Aujourd hui, la France est à nouveau en guerre. Les paroles de notre hymne national, si souvent chantées et entendues au cours des derniers jours, résonnent d une tragique actualité : nous pleurons encore les victimes de «féroces soldats», Nous sommes à nouveau confrontés à une idéologie barbare, obscurantiste et mortifère, qui infiltre notre propre jeunesse. Face à la menace insidieuse qui nous assaille, nous ne devons pas céder à la tentation du repli sur soi, ni de la division. 3

4 L Histoire nous apprend que la France sait faire prévaloir ses valeurs. Mais c est au prix d un engagement à la fois collectif et personnel, qui repose sur les efforts de chacune et chacun d entre nous. C est à cela que nous invitait déjà Albert Schweitzer, dont nous avons commémoré cette année le 50 anniversaire du décès. Que chacun s efforce dans le milieu où il se trouve de témoigner à d autres une véritable humanité. C est de cela que dépend l avenir du monde. Je m adresse donc à vous, universitaires, étudiants, pour vous rappeler le rôle éminent qui est le vôtre, dans ce combat. Les événements de 1943 l ont montré : la communauté de ceux qui défendent la liberté de penser sera toujours confrontée à la haine de ceux qui veulent asservir l homme en annihilant son intelligence. L Université a toujours été un lieu de critique féconde, un lieu où la raison trouve à s exercer et faut-il le rappeler, historiquement d abord c est sur la lecture des textes sacrés, depuis les querelles universitaires de l époque de Thomas d Aquin. Aujourd hui, la France a besoin de penseurs qui interrogent notre société et les causes de son malaise. La France a besoin de professeurs qui transmettent une culture commune et des repères partagés. La France a besoin de chercheurs et d enseignants qui forment notre jeunesse à une réflexion exigeante, loin du confort du prêt-à-penser fourni par les idéologies ou des réactions d épiderme qui vont de clic en clic d un bout à l autre du monde. Dans La crise de la culture, Hannah Arendt écrivait: «Pour préserver le monde de la mortalité, il faut constamment le remettre en place. Le problème est tout simplement d éduquer, de façon telle qu une remise en place demeure effectivement possible, même si elle ne peut jamais être définitivement assurée». 4

5 Mesdames et Messieurs, je voudrais finir mon propos sur des paroles d espoir en évoquant celles qui ont été rappelées tout à l heure, prononcées par Robert Werth dans son wagon de déportation, ou en suivant celles du poète Aragon, que nous avons entendues il y a quelques instants : «enseigner, c est dire, espérance, étudier, fidélité». En ces temps de deuil, de trouble et d inquiétude, il nous revient à tous - il vous revient à vous - de défendre les valeurs de la culture, de l intelligence, de la solidarité, ces valeurs qui sont porteuses d espérance. Avec ceux dont le martyre en 1943 a rendu témoignage à ces valeurs, soyons fidèles à cette mission! Nous aurons ainsi tiré positivement pour aujourd hui et demain, les leçons de l Histoire, Histoire de notre pays, de cette histoire entre 1940 et 1944 qui nous fait frissonner aujourd hui - quand on a fait le choix de servir l État et l intérêt général. Je vous remercie. 5