Épilepsie évolutive du nourrisson : comment la classer?
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- Maxence Roussel
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1 Cas clinique Cas clinique Épilepsies 2008 ; 20 (1) : 51-6 Épilepsie évolutive du nourrisson : comment la classer? Epilepsy changing from infancy to adolescence : how to classify it? Hela Mrabet, Nadia Ben Ali, Amel Mrabet Service Neurologie, EPS Charles Nicolle, Boulevard 9 avril, Tunis 1006, Tunisie <helamrabet@yahoo.com> <charlotte.dravet@free.fr> doi: /epi Tirés à part : H. Mrabet Mots clés : épilepsie focale, épilepsie cryptogénique, enfant, pharmacorésistance, déficit cognitif Key words: focal epilepsy, cryptogenic epilepsy, child, pharmacoresistency, cognitive deficit Une fille, âgée de 11 ans, est adressée en consultation d épileptologie pour équilibration d une épilepsie pharmacorésistante. Cette patiente, née d une grossesse menée à terme sans incidents, a présenté une convulsion fébrile simple à l âge de 8 mois. Dans ses antécédents familiaux, sa soeur, âgée de 8 ans, est suivie pour une épilepsie partielle pharmacosensible symptomatique d une sclérose hippocampique gauche. L histoire de la maladie est complexe, les premières crises ont débuté à l âge de 20 mois : la patiente a présenté selon les parents, dans un contexte apyrétique, des crises pluriquotidiennes faites de rupture de contact et d une fixité du regard durant 5 minutes. Un EEG n a pas été pratiqué. Elle a été mise par son pédiatre traitant sous phénobarbital avec une bonne réponse thérapeutique. La famille a arrêté le traitement à l âge de 2 ans et demi devant l absence de récidive des crises. A l âge de 3 ans, l enfant a présenté des crises faites de contractions toniques hémicorporelles à bascule, tantôt droites tantôt gauches, avec parfois une généralisation secondaire. Ces crises, exclusivement morphéiques, survenaient à la fréquence d une tous les deux jours. Depuis cette date, les parents décrivent une régression intellectuelle. Le valproate de sodium (VPA) a été alors introduit à la dose de 20 mg/kg/j en monothérapie, puis associé à l âge de 7 ans devant la persistance des crises à la carbamazépine (CBZ) à la dose de 20 mg/kg/j. Une disparition temporaire des crises a été observée. Trois mois plus tard, les crises toniques hémicorporelles surtout du côté gauche, récidivent, associées à des crises atoniques quotidiennes. L examen neurologique et somatique était normal, mais il existait un retard mental important. L EEG de veille montrait un ralentissement hémisphérique antérieur gauche et des anomalies paroxystiques à type de pointes gauches, diffusant lors de l hyperpnée (figures 1, 2). Le bilan métabolique était normal de même que l IRM cérébrale. A l arrêt de la CBZ, les crises atoniques ont disparu mais la patiente a continué à présenter des crises mensuelles toniques surtout gauches malgré l augmentation du VPA à 30 mg/kg/j. A l âge de 9 ans, se surajoutent des crises partielles simples sensitives (une crise tous les 10 jours) faites d épisodes paroxystiques brefs (< 2 minutes) de chaleur ascendante de la main gauche, associée à une cyanose du visage et une asthénie post critique. A l âge de 10 ans, des crises d un autre type se surajoutent à ce tableau : crises quotidiennes à type d adversion conjuguée de la tête et des yeux à gauche. La lamotrigine (LTG) est alors introduite en association au VPA. A l âge de 11 ans, devant la survenue de crises motrices quotidiennes de l hémiface gauche, une trithérapie est alors instaurée (VPA + LTG + clobazam). L EEG montrait des polypointes, des pointes ondes et des pointes à 51 Épilepsies, vol. 20, n 1, janvier, février, mars 2008
2 H. Mrabet, et al. Figure 1. Montage IIA (8 gauches, 8 droites). Ralentissement hémisphérique antérieur et moyen gauche et pointes gauches. Figure 2. Montage IIA, HPN (8 gauches, 8 droites). Ralentissement hémisphérique antérieur et moyen gauche et diffusion bilatérale des pointes toujours prédominantes à gauche. Épilepsies, vol. 20, n 1, janvier, février, mars
3 Épilepsie évolutive du nourrisson : comment la classer? Figure 3. Montage IIA (8 gauches, 8 droites), HPN. Anomalies à type de pointes ondes hémisphériques droites. prédominance droite (figure 3). Le PET scan était sans anomalies. L histoire clinique est résumée sur le tableau 1. Quels diagnostics évoquez-vous? Questions : Charlotte Dravet (Marseille) 1) Pouvez-vous donner quelques détails sur l épilepsie de la jeune sœur : convulsion fébrile d abord, âge de début des crises, type des crises, développement psychomoteur, niveau cognitif, médicament efficace? 2) La convulsion fébrile de l enfant est qualifiée de simple. Savez-vous si elle a été latéralisée et de quel côté? 3) Comment était le développement psychomoteur entre 8 mois et 3 ans, âge de la récidive des crises? 4) N y a-t-il pas eu un facteur déclenchant pour la récidive des crises? 5) Quelle a été l évolution entre 3 ans et 7 ans : fréquence des crises, développement psychomoteur et cognitif, tracés EEG? 6) Description des crises dites «atoniques»? Vous savez combien il est difficile d établir un diagnostic de ce type de crise et quelle est leur rareté. Les chutes peuvent être dues aussi bien à un phénomène atonique qu à un phénomène myoclonique, ou tonique, ou à la combinaison de ces phénomènes. 7) Pourriez-vous donner des précisions sur la technique de l IRM, pratiquée à l âge de 7 ans et en fournir des images? 8) N y a-t-il jamais eu de tracé EEG pendant le sommeil, ni d enregistrement des crises? 9) Quelle est précisément la situation actuelle : un seul type de crises (hémiface gauche)? ou plusieurs? Nocturnes ou diurnes? Niveau cognitif? Troubles du comportement et de la personnalité? Scolarité? Réponses : Hela Mrabet 1) La jeune soeur présente une épilepsie partielle complexe symptomatique d une sclérose hippocampique gauche évoluant depuis l âge de 2 ans bien équilibrée sous carbamazépine. 53 Épilepsies, vol. 20, n 1, janvier, février, mars 2008
4 H. Mrabet, et al. Tableau 1. Histoire clinique Absence atypique Crises toniques hémicorporelles Régression intellectuelle Crises toniques surtout gauches Crises atoniques Crises partielles sensitives Adversion tête et yeux gauche Crises motrices hémiface gauche RAS 20 mois 3 ans 7 ans 9 ans 10 ans 11 ans I II 1/ IV 1 Par ailleurs, le développement psychomoteur est normal et il n existe pas de troubles cognitifs 2) La patiente a présenté une convulsion fébrile simple à l âge de 8 mois non latéralisée. 3) Le développement psychomoteur était normal entre 8 mois et 3 ans (station assise à 7 mois, premiers mots à 8 mois, marche à 1 an...). Les crises ont récidivé à l âge de 20 mois. 4) Aucun facteur déclenchant n a été trouvé. 5) A l âge de 3 ans, réapparition des crises de type morphéique (crises toniques hémicorporelles avec parfois généralisation secondaire) à la fréquence de 1 crise/2 jours. Depuis cette date, la famille décrit une régression intellectuelle. A l âge de 7 ans, persistance des mêmes crises associées à des crises atoniques pluriquotidiennes. L EEG de veille montrait un ralentissement hémisphérique antérieur gauche et des anomalies paroxystiques à type de pointes gauches, diffusant à l hyperpnée. 2 1 Arbre généalogique Famille D 2 3 6) Il s agit de crises atoniques avec chute de la nuque et des membres, sans phénomène myoclonique ou tonique associé. Elles sont pluriquotidiennes durant moins d une minute. 7) L encéphale a été exploré par des coupes axiales et sagittales en séquences pondérées T1, T2, IR T1 et T2 (inversion récupération), flash 2d ; des coupes coronales passant perpendiculairement aux hippocampes en TSE T2, IR T2 et IRT1. L IRM est normale. 8) Un EEG de sommeil a été effectué en octobre 2006 et a montré un tracé trés altéré comportant des anomalies paroxystiques à type de pointe-ondes hémisphériques droites qui sont majorées par le sommeil où elles deviennent généralisées. Nous avons enregistré en vidéo-eeg les crises motrices de l hémiface gauche. 9) Actuellement, elle fait des crises partielles motrices de l hémiface gauche presque quotidiennes, des crises avec déviation 4 Épilepsies, vol. 20, n 1, janvier, février, mars
5 Épilepsie évolutive du nourrisson : comment la classer? conjuguée de la tête et des yeux ainsi que des crises à type d absences. Sur le plan cognitif, elle présente une intelligence faible (QI = 80) avec altération de l attention, des stratégies de récupération et des fonctions exécutives. Discussion : Charlotte Dravet (Marseille) La réponse à la question du diagnostic chez cette enfant n est pas facile en raison de l absence de certains éléments d appréciation, en particulier d une caractérisation précise des crises. Nous ne reprenons pas l histoire mais nous la complétons au fur et à mesure. 1) Jusqu à l âge de 3 ans, cette histoire de l enfant, que nous appellerons F., puisque c est une fille, semble banale. Elle pourrait présenter une épilepsie temporale post-crise fébrile (CF) bien que l on n ait ni EEG ni autre examen. En effet, les «absences» sont de longue durée (5 min), si l on peut se fier à la seule description de la famille, et pourraient correspondre à des crises focales «dialeptiques» c est-à-dire constituées seulement par un trouble de la conscience (Bautista et Lüders, 2000). Celles-ci peuvent avoir une origine frontale, mais elles sont alors de brève durée alors que leur durée est plus longue dans les crises temporales. 2) A partir de 3 ans, la situation se complique. Les crises sont alors décrites comme «contractions toniques hémicorporelles à bascule, tantôt droites tantôt gauches, avec parfois généralisation secondaire». Cette description peut évoquer des crises toniques axiales unilatérales dans le cadre d une épilepsie généralisée, en raison de la variabilité du côté, ou des crises focales d origine frontale (aire motrice suplémentaire, Kellinghaus et Lüders, 2004 ). Elles vont s accompagner d une «régression intellectuelle», qui n est pas documentée. Etant donné le niveau cognitif mesuré ultérieurement dans les limites de la normale (QI égal à 80), il pourrait s agir soit d une régression transitoire, suivie d une récupération ultérieure, soit d un simple ralentissement. L on ne sait rien ni de l évolution, ni du contexte, ni de la personnalité. Les types de crises décrits par la suite ne sont pas non plus documentés. Sont mentionnées : à 7 ans, des crises atoniques, avec «chute de la nuque et des membres, sans phénomène myoclonique ou tonique associé, de durée < 1 min,pluriquotidiennes», non enregistrées. On connaît la difficulté à affirmer le diagnostic de crises purement atoniques et elles pourraient aussi avoir une origine focale. Elles ne peuvent pas être iatrogènes, dues à la carbamazépine (CBZ), puisqu elles sont apparues avant son introduction dans le traitement. Mais, ne pourraient-elles pas être psychogènes? À 9 ans, des crises «partielles simples sensitives avec chaleur ascendante dans la main gauche, cyanose du visage, de durée < à 2 min, suivies d asthénie, à la fréquence de 1/10 j environ», non enregistrées, transitoirement contrôlées par la CBZ ; à10ans, des«crises quotidiennes à type d adversion conjuguée de la tête et des yeux à gauche se surajoutent», non enregistrées ; à11ans, enfin,«survenue de crises motrices quotidiennes de l hémiface gauche». Seules ces dernières ont pu être enregistrées en vidéo-eeg mais nous n avons pas pu examiner la vidéo. Elles sont décrites comme «étant une contraction avec mouvements cloniques de l hémiface gauche», sans que le niveau de conscience soit précisé. Les EEG ont montré d abord (à 7 ans?) des anomalies gauches, à type de pointes moyennes et postérieures et d ondes lentes postérieures (figure 1), associées à des ondes lentes plus diffuses pendant l hyperpnée (figure 2), avant de montrer des anomalies droites (figure 3). Ceci est surprenant. Sur les tracés les plus récents (11 ans, figure 4), il persiste des activités lentes sur l hémisphère gauche, à prédominance postérieure. Les anomalies droites sont représentées par des bouffées de pointes fronto-centrales droites. La crise enregistrée est ellemême constituée par une bouffée de pointe-ondes à 3,5-3 c/s, durant 7 secondes, hémisphériques droites, dont l expression est prédominante sur les régions centrales et vertex. Elle évoque une «hémi-absence», qui pourrait être frontale. S agirait-il donc d une épilepsie multifocale? Peut-être. Cependant, même si la plupart des auteurs indiquent une bonne correspondance entre la topographie des anomalies EEG et celle de la zone épileptogène, nous n avons pas la même expérience dans les épilepsies cryptogéniques de l enfant. En étudiant leur évolution dans le temps, nous avons observé que les tracés EEG ne sont pas toujours indicatifs, au début, de la topographie de la zone épileptogène (Dravet et al., 1989, Battaglia et al., 1998). Chez F., le tracé de sommeil d octobre 2006 ne fait pas apparaître d anomalies controlatérales. De plus, on ne sait pas combien de tracés ont été pratiqués et quelle a été l évolution des anomalies au cours de l évolution. Mais la sémiologie actuelle plaide pour une origine sur l hémisphère droit, probablement dans le lobe frontal. Après une période libre de crises sous phénobarbital, cette épilepsie s est montrée pharmacorésistante (valproate, CBZ, lamotrigine). 3) L enfant n a pas d antécédent pathologique personnel, l examen clinique est normal et le bilan étiologique est toujours resté négatif : IRM, bilan métabolique, PET scan. Notons que l IRM a été pratiquée dans de bonnes conditions techniques : «coupes axiales et sagittales en séquences pondérées T1, T2, IR T1 et T2 (inversion récupération), flash 2d ; coupes coronales passant perpendiculairement aux hippocampes en TSE T2, IR T2 et IR T1.». Cependant, nous n avons pas pu examiner les clichés. Il s agit donc d une épilepsie cryptogénique. A ce stade, il faut évidemment prendre en compte les antécédents familiaux. Les parents de F. sont cousins germains (cf. arbre généalogique). La sœur de F. «âgée de 8 ans est suivie pour épilepsie partielle pharmacosensible, symptomatique d une sclérose hippocampique gauche». Elle n a pas eu de CF. Les crises sont apparues à l âge de 2 ans et sont bien contrôlées par la CBZ. Son développement psychomoteur a été normal et elle n a pas de trouble cognitif. On ne sait pas comment sont ses tracés EEG. Il ne semble pas y avoir d autre membre de la famille atteint d épilepsie ou de CF. Ainsi, une épilepsie familiale avec foyers variables (frontal chez F, temporal chez sa sœur) pourrait être évoquée (Berkovic et al., 2004). Cependant, l existence de CF, la variabilité des crises chez le même sujet, l existence d une sclérose hippocampique n ont pas été décrites dans ce syndrome dont, en outre, la 55 Épilepsies, vol. 20, n 1, janvier, février, mars 2008
6 H. Mrabet, et al. Figure 4. Montage HA (8 droites, 8 gauches). A droite, crise enregistrée à l âge de 9 ans : bouffée de pointes ondes rythmiques, à 3 c/s, intéressant l hémisphère droit et le vertex. Persistance des activités lentes intercritiques sur l hémisphère gauche. transmission est autosomique dominante. La consanguinité pourrait-elle avoir modifié l expression d une telle épilepsie? Je n ai pas trouvé d éléments permettant de le penser dans la littérature. Si les deux sœurs avaient une épilepsie temporale, une épilepsie temporale familiale pourrait être envisagée (Picard et Scheffer, 2005), mais cette hypothèse est peu probable du fait que l épilepsie de F. est plus probablement frontale et celle de sa sœur plus probablement temporale, la sclérose hippocampique n étant présente que chez cette dernière. De plus, la transmission est également autosomique dominante. En conclusion, le diagnostic reste incertain, mais celui d une épilepsie focale, frontale droite, pour le moment cryptogénique, reste possible. Sachant que les épilepsies cryptogéniques sont celles dont la cause est inconnue mais doit toujours être recherchée, et sachant que la mise en évidence de certaines lésions dysplasiques reste très difficile, il est nécessaire ici de pratiquer une nouvelle IRM avec les techniques les plus récentes (notamment en 3D) permettant de mettre en évidence une éventuelle lésion dysplasique. M Références Battaglia D, Dravet C, Gélisse P, Pinto P, Bureau M, Genton P. Pronostic des épilepsies partielles non idiopathiques chez l enfant de moins de six ans. In : Bureau M, Kahane P, Munari C, eds. Épilepsies partielles graves pharmaco-résistantes de l enfant : stratégies diagnostiques et traitements chirurgicaux. Montrouge : John Libbey Eurotext, 1998 : Bautista JF, Lüders HO. Semiological seizure classification : relevance to pediatric epilepsy. Epileptic Disord 2000 ; 2 : Berkovic SF, Serratosa JM, Phillips HA, et al. Familial partial epilepsy with variable foci : clinical features and linkage to chromosome 22q12. Epilepsia 2004 ; 45 : Dravet C, Catani C, Bureau M, Roger J. Partial epilepsies in infancy : a study of 40 cases. Epilepsia 1989 ; 30 : Kellinghaus C, Lüders HO. Frontal lobe epilepsy. Epileptic Disord 2004 ; 6 : Picard F, Scheffer IE. Syndromes épileptiques génétiques récemment définis. In : Roger J, Bureau M, Dravet C, Genton P, Tassinari CA, Wolf P, eds. Les syndromes épileptiques de l enfant et de l adolescent (4 e éd). Montrouge : John Libbey Eurotext Ltd, 2005 : Épilepsies, vol. 20, n 1, janvier, février, mars
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