Vertige. Mémoire cadenassée Fuite sur les routes Envol vers la ville Trottoirs encombrés En bordure des parkings. Juste un carton

Transcription

1 Piqûre du temps Tout a commencé en pleine nuit Sur le sable froid Il pétrissait en silence Les cris de peur et les mots d amour Les caresses et les griffures Il sculptait patiemment Sans relâchement Le buste de son corps anémié Insulte à sa jeunesse éteinte Vertige Il remisait des lambeaux de rêves Odeur d une écharpe brûlée Œillets de la liberté Train du départ sans retour Mémoire cadenassée Fuite sur les routes Envol vers la ville Trottoirs encombrés En bordure des parkings Juste un carton Sa montre s est arrêtée Sur l étagère des regrets Pourquoi s expatrier? Tout abandonner Madeleine Ginet

2 Mélancolie! Quand le téléphone sonna, la femme aux longs cheveux gris sursauta. Lovée dans un fauteuil, sa mélancolie l envahissait depuis si longtemps, maintenant Au début, fragile, elle l avait acceptée comme un mal nécessaire à sa renaissance. C était quand il était parti, qu il l avait abandonnée. Transpercée par le chagrin, elle s était mise à douter d elle-même. Elle promenait son regard au-delà de ce large fleuve. A cette époque, même le parfum du jasmin dont elle raffolait avait disparu. Une odeur de vase ternissait ses journées sur la terrasse. Sa mélancolie glissait comme les barques sur l eau de la rivière. Elle sillonnait parmi les odeurs d épices portées par la moiteur de l air. Inconsolable, elle se souvenait quand il la comparait à une sculpture de Maillol. Quand son regard s illuminait alors qu il la regardait danser. Elle se souvenait de ce jour où la nommant «sentinelle de charme», il lui avait demandé de l accompagner pour servir son association humanitaire. Il lui avait dit : «Ton sourire, ta grâce valent plus qu un discours». Mais, un jour, son sourire, sa grâce n ont pas fait le poids face à son ambition politique et il est reparti dans son occident. La laissant sur son sable chaud, inondé d un soleil de plomb, avec ses larmes et sa mélancolie. Depuis ce jour, elle n a plus dansé. A chaque sonnerie du téléphone, elle espère encore Sa mélancolie est devenue une compagne dont la voix a touché le ciel Graziella Boudinaud

3 Création De la contre escarpe de l'imaginaire Une idée, une petite idée, jaillit Elle traverse l'insondable Elle franchit l'admirable Elle sillonne l'artistique Elle atteint le mirifique. Dans l'éclair fulgurant D'un accouchement euphorique Elle se révèle et s'épanouit Sous la plume prolixe du créateur des mots, des phrases des poèmes Aline Andrès (1)

4 Souvenirs souvenirs Elle ne se souvient pas d'où vient le vent le vent léger de ses seize ans qui l'enivrait sur la terrasse blanche dans l'aurore douce ensoleillée. Elle ne se souvient pas d'où vient le vent vent rassurant de ses vingt ans qui la berçait sur la terrasse bleue baignée d'effluves marines envoûtantes. Elle ne se souvient plus d'où vient le vent vent violent de ses trente ans qui la fouettait sur la terrasse jaunie au goût sucré de fruits mûrs et juteux. Elle se souvient pourtant d'où vient le vent vent terrible de ses quarante ans qui la projette sans abri sur les trottoirs gris de la cité endormie. Sans hâte ni repos elle lutte contre ce vent ce vent tempête, ce vent mordant qui la retient, qui la prend sur la route sinueuse de la vie. Aline Andrès (2)

5 Les yeux fermés, la main appuyée contre le mur Elle se souvient Elle avance tête haute Elle lutte contre les éléments Soleil, vent, aridité de l air Son foulard la protège On dirait qu elle danse, qu elle va s envoler Son foulard, c est ses ailes. Des ailes de couleurs Les couleurs de la vie Ses pieds andalous foulent une terre ocre et poussiéreuse Mais le bruit de son sang rythme ses pas : Elle marche comme on danse. Dans la joie Une joie rouge comme un soleil Avec force et confiance, sans hâte ni repos, elle marche Elle s en va. Elle ne se retourne pas : elle avance Par nécessité. Par conviction. Elle déplace sa vie comme on déplace une montagne. Les yeux fermés, la main appuyée contre le mur Elle se souvient Chantal Pellet

6 Elle cache sa poche décousue Derrière une main plus ou moins lugubre. «Danseur de père en fille, C est une affaire de famille! disait-il. Mais comment avait-elle fait Pour en arriver là? L infini donne envie, l imaginaire s agrandit. C est dans le désert que la magie opère. Sous un ciel étoilé, La conscience s en est allée. La mémoire a surgi. Et claire et nette a effrayé, un rêve devenu réalité. Meurtri, son corps partit à la recherche De cette absence injustifiée. La courbure de ses bras transperça Le temps et l espace. Elle ne souhaite que retrouver sa place Dans cet imaginaire qui était sien. Elle reste ainsi chaque jour, Dans l attente immobile, D un signe, d un bruit, d une vie. Anne-Sophie