Guérir l amertume A. JEU DE ROLE AU COURS D UN ATELIER. 1 1.

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1 Guérir l amertume Extrait de Marshall B. Rosenberg, L art de la réconciliation - Respecter ses besoins et ceux des autres, Jouvence, Genève, 2010, pp A. JEU DE ROLE AU COURS D UN ATELIER Participante : J éprouve beaucoup d amertume envers mon frère et je me demande comment je pourrais la dépasser ou l évacuer. - Marshall Rosenberg (jouant le rôle du frère) : Tu me ferais un énorme cadeau en me disant ce que tu ressens en ce moment même par rapport à moi. - Participante : Je n ai pas pu compter sur toi quand nos parents ont commencé à décliner. Tu t es défilé. C est ce que tu as toujours fait. Ce qui me fait souffrir ne semble avoir aucune importance à tes yeux. - Marshall : Tu viens d exprimer beaucoup de sentiments différents, et j aimerais vérifier avec toi que je t ai parfaitement comprise. J entends une grand colère, due au fait que tu aurais sans doute eu besoin de plus de soutien à l époque où nos parents étaient vieillissants. Est-ce exact? - Participante : Oui. - Marshall : J entends aussi que la manière dont j ai géré les choses dans le domaine familial t a fait beaucoup souffrir - Participante : Oui - Marshall : d autant plus que ce n était pas la première fois que tes besoins n étaient pas reconnus comme tu l aurais souhaité. Ai-je bien entendu ce message? - Participante : Oui, oui - Marshall : Cela te plaît quand je te donne de l empathie? - Participante : Oui - Marshall : J aimerais maintenant entendre ce qu il y a d autre de vivant, ce qui se passe encore en toi. - Participante : Tu dis que tu veux que nous soyons de nouveau ensemble, mais c est au-dessus de mes forces. Nous ne parvenons jamais à résoudre nos conflits dans la famille et je ne veux plus vivre de cette manière. - Marshall : Si je t entends bien, tu as besoin de te protéger de la douleur que tu as ressentie dans le passé quand tu m as tendu la main pour essayer de régler des problèmes et que cela n a pas marché. Aujourd hui tu en as assez. C est comme si une partie de toi voulait avoir de mes nouvelles, mais pas si cela te fait à nouveau souffrir comme avant. 1 Ces chiffres renvoient aux phases expliquées plus loin 1

2 - Participante : C est exact. J ai l impression que ça ne marchera ni dans un sens ni dans l autre. Ce ne sera pas bon pour moi de me rapprocher, mais ce n est pas naturel de rester éloigné. - Marshall : Tu es donc déchirée entre deux besoins, celui de te réconcilier avec moi et de guérir notre relation, et l autre très fort- de te protéger. - Participante : C est cela. - Marshall : C est vraiment un conflit douloureux. - P : Oui - Marshall : Y a-t-il autre chose que tu souhaiterais me dire avant que je réagisse à ce que tu as exprimé? - P : Non. 2 - Marshall : Maintenant que je t entends avec empathie, j éprouve une tristesse très profonde, parce que je vois que certains comportements que j ai eus dans notre relation ne répondaient pas à mon propre besoin de contribuer à ton bien-être comme je l aurais voulu. Quand je vois que mes actes ont eu exactement l effet inverse et qu ils t ont fait souffrir à ce point, je me sens très triste et aussi très vulnérable là, maintenant J aimerais entendre ce que ça te fait lorsque je te parle de ma tristesse. - P. : Tu es probablement confronté au même dilemme que moi : tu ne sais pas comment satisfaire mes besoins sans te mettre toi-même dans une situation très inconfortable - Marshall : Je te remercie d avoir compris cela avant que je te le dise. Ce que j aimerais vraiment maintenant, c est que tu entendes combien je suis triste du fait que mon besoin de contribuer à ton bien-être n ai pas été comblé comme je l aurais voulu. - P. : J entends bien. 3 - Marshall : J aimerais maintenant te dire ce qui se passait en moi quand je me suis comporté comme je l ai fait avec toi. Je voudrais aussi tu l as peut-être déjà devinéte dire cela aussi clairement que possible. D abord, en ce qui concerne le fait que je ne t ai pas apporté plus de soutien quand tu étais stressée parce que tu devais t occuper de nos parents, il y avait en moi une petite voix qui disait que je devrais vraiment t aider, et que c était moche de ma part de ne pas le faire. Je me sentais tellement coupable qu il m était impossible d entendre avec compassion ta douleur et tes besoins. Tes demandes ressemblaient trop à des exigences pour moi. J étais déchiré entre mon désir d aider et la colère que j éprouvais en ayant l impression d entendre des ordres. La seul issue que j ai trouvée, c était d éviter l ensemble du problème. J aimerais savoir comment tu te sens quand je te dis cela. - P : Cela a du sens. C est plus clair. 2

3 - Marshall : je souffre, moi aussi, de ne pas avoir sur exprimer ce qui s était passé. C est parce que je souffrais et que je ne savais pas comment le dire que, parois, je me suis mis en colère contre toi. Je regrette de ne pas avoir pu m exprimer autrement. Qu est-ce que tu ressens en entendant cela? - P. : Cela me fait du bien. - Marshall : Y a-til autre chose que tu voudrais me dire ou entendre de ma part? - P. J aimerais savoir comment régler cette situation d une manière qui soit suffisamment confortable pour tous les deux. Nous devons panser nos blessures. B. RELECTURE (a) Guérison possible sans que l autre n internvienne - Marshall : Nous pouvons guérir complètement sans que l autre n intervienne. Cependant, plus on est proche de la réalité, plus le processus est puissant. Si le frère avait été là, j aurais voulu l aider à donner lui-même cette empathie à sa sœur. (b) Parler très peu du passé - Marshall : Nous avons très peu parlé du passé 2. J ai constaté au fil des ans que plus nous parlons du passé, moins nous en guérissons. Nous avons parlé du présent, de ce que le cœur ressent encore aujourd hui, en raison des évènements d hier. La plupart des gens pensent qu il est nécessaire de comprendre le passé pour parvenir à la guérison. Qu il faut «raconter l histoire» pour la comprendre. Ils confondent compréhension intellectuelle et empathie (p. 18). C est de l empathie que vient la guérison. A vrai dire, en racontant à nouveau l histoire, on aggrave même la douleur. C est comme si on vivait celle-ci une nouvelle fois. Ne pas ressasser le passé importe quand nous parlons avec les gens qui sont à l origine de notre souffrance. Ils ne verraient pas que nous cherchons simplement à ce qu ils comprennent notre douleur. Ils penseraient plutôt que notre objectif est de monter un dossier à charge pour les envoyer en enfer. (c) LE PROCESSUS DE GUERISON EN 3 ETAPEES 1 ERE ETAPE : LA CONNEXION EMPATHIQUE (n 1 du jeu de rôle) Présence - Marshall : Le premier élément de la connexion empathique est le cadeau le plus précieux que l on puisse faire à l autre : la présence. Dans le rôle du frère, j étais pleinement présent à ce qui était vivant en elle au moment même. Je ne pensais pas 2 Si vous parlez du passé, faites-le en cinq mots, pas plus : quand tu as quitté la maison, quand tu m a frappé, etc 3

4 à ce que j allais dire ensuite, ni à ce qui s était passé avant. C est la raison pour laquelle ma formation clinique en psychanalyse était un handicap. Elle m a appris à penser à ce que la personne disait et à interpréter ses paroles sur un plan intellectuel. La meilleure image que je puisse utiliser pour décrire l empathie est celle du surf. Vous essayez de vous laisser porter par l énergie de la vague, d entendre ce qui est vivant ici et maintenant. Parfois, j y arrive mieux en baissant simplement les yeux vers le sol qu en regardant la personne et en me laissant distraire par autre chose. - Marshall : distinguons empathie et sympathie. Si j éprouve des sentiments forts, le simple fait d en être conscient est de la sympathie, pas de l empathie. Ainsi, si moi, le frère, j avais dit : «Comme je me sens triste quand tu dis cela!»» j aurais éprouvé de la sympathie, je n aurais pas donné de l empathie. J aurais détourné l attention vers moi. L empathie nous demande d être en lien avec les sentiments de l autre et non pas de ressentir la même chose. Nous ne faisons que l accompagner. S il m arrive d éloigner mon esprit de l autre ne fut-ce qu une seconde et que je me rends compte que j ai moi-même des sentiments forts, je n essaie pas de les réprimer : cela m indique que je suis revenu «chez moi». Alors je me dis : «Retournes-y». - Si je souffre trop, je ne peux pas donner de l empathie. Je peux donc dire à l autre : «Cela me fait tellement mal d entendre ce que tu dis que je n arrive pas à t écouter. Pourrions-nous nous interrompre quelques instants pour que je puisse gérer cela, de manière à pouvoir recommencer à t écouter ensuite?» - La présence à l autre, que ce soit dans la souffrance ou dans la joie, est toujours précieuse. Evidemment je préfèrerais que mon interlocuteur soit joyeux, mais il est précieux d être simplement prsent à l autre et à tout ce qui est vivant en lui. - Participant : Est-il parfois utile de faire part de ma douleur à l autre? - Marshall : Je le fais très souvent : je dis à l autre : «J ai tellement mal que je ne suis pas capable de vous entendre pour l instant. Souhaitez-vous entendre ce que je ressens, ou est-ce que vous souffrez trop?» La moitié du temps la personne veut m entendre et en est capable. Vérification - Marshall : Je peux alors m assurer que je suis relié à ses sentiments et à ses besoins. Cela peut se faire en silence, en demeurant simplement et parfois longuement présent à la personne. Et cela peut se par la parole. Rappelons-nous que notre intention doit être de créer de l empathie et non de pratiquer mécaniquement une technique. Il y a deux cas où nous communiquons notre empathie par la parole. Soit pour vérifier que nous l avons bien compris. Soit, alors que notre interlocuteur s est suffisamment rendu vulnérable et mis à nu pour que nous soyons sûrs de l avoir bien compris, nous devinons que si nous étions à sa place, nous serions très heureux d entendre la confirmation que nous avons été bien compris. Soulagement 4

5 - Rester avec la personne jusqu à ce qu elle donne des signes montrant qu elle a reçu toute l empathie dont elle avait besoin. L un de ces signes est e soulagement que nous ressentons chez elle. L empathie fait énormément de bien, et la personne qui en a reçu suffisamment éprouve un soulagement que nous ressentirons aussi dans notre propre corps. Tous ceux qui sont dans la pièce ressentiront ce soulagement. Un autre signe est que la personne arrête souvent de parler. - Je peux vérifier qu elle a vidé son sac en demandant : «Y a-t-il autre chose que tu voudrais dire?» Demande possible - Il est possible qu ils souhaitent savoir ce que nous ressentons après avoir entendu ce qu ils ont dit, surtout s ils se sont montrés très vulnérables. Mais la plupart des gens ne savent pas comment le demander. Alors, si je les vois me regarder je dis habituellement : «Aimeriez-vos savoir comment je me sens après votre partage?». Parfois ils le vulent, parfois pas. DEUXIEME ETAPE : LE DEUIL (n 2 du jeu de rôle) - Marshall : Après avoir donné de l empathie, j ai accompli un travail de deuil. J ai dit : «Quand je vois comment mon comportement a contribué à ta douleur, je me sens très triste». Je fais le deuil de ce que j aurais voulu faire et n ai pas fait. J accueille cette tristesse. Elle m apprend à prendre ma responsabilité. - Il est essentiel de voir la grande différence qu il y a entre le deuil et les excuses. A mes yeux, s excuser est un acte d une grande violence, tant pour la personne qui reçoit les excuses que pour cele qui les donne. Ce qui est encore plus tragique, c est que l on prend généralement plaisir à recevoir les excuses de l autre, car notre culture nous a accoutumés à vouloir que l autre souffre et se sente coupable. Les excuses se fondent sur un jugement moral : j ai fait quelque chose de mal et je dois en payer les conséquences, et même m en vouloir de ce que j ai fait. Le deuil s appuie sur des jugements, des appréciations qui sont au service de la vie. Est-ce que cela a fait du bien? du mal? Ai-je comblé mes besoins? Non. Alors, quel besoin n ai-je pas comblé? - Lorsque nous sommes en lien avec un besoin insatisfait, nous nous sentons tristes, mais nous ne ressentons jamais la honte, la culpabilité, la dépression, la colère contre nous-mêmes. Ces quatre sentiments sont le fruit du mode de pensée qui est à l origine de la violence sur notre planète. Ressentir ces sentiments est heureux car cela me montre que je pense d une manière qui favorise la violence, ce qui m incite à penser différemment le plus vite possible. - Becker : «la dépression résulte d alternatives bloquées par la fonction cognitive» : notre façon de penser nous empêche d être conscients de nos besoins et donc d agir pour y répondre. Nous restons coincés dans nos pensées, nous tournons en rond dans une impasse. 5

6 TROISIEME ETAPE : LA RELATION EMPATHIQUE CHANGE DE SENS (n 3) - Marshall : C est maintenant la sœur qui entre en empathie avec le frère. J ai dit à la sœur : «J aimerais partager avec toi ce qui se passait en moi». Il est très important que cette étape ait lieu au moment où la personne qui souffre est prête à donner de l empathie. Le lui demander trop tôt ne fait que lui infliger une souffrance supplémentaire. 6