Rétablissement de la profession comptable à la suite de l affaire Enron
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- Marguerite St-Jacques
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1 Rétablissement de la profession comptable à la suite de l affaire Enron Par JEFF BUCKSTEIN, CGA Le présent article est le premier d une série de trois articles sur le rétablissement de la profession comptable à la suite de l affaire Enron que M. Buckstein signe dans le Reper. Première partie : Historique des mesures prises par la profession pour gagner la confiance du public Historique Conclusion Première partie : Historique des mesures prises par la profession pour gagner la confiance du public Même si la comptabilité joue un rôle de première importance dans l histoire des affaires et du commerce depuis le Moyen-Âge, il faut attendre la grande dépression des années 1930, résultat du krash boursier de 1929, avant que la profession ne soit considérée comme l une des principales professions autoréglementées. Au cours des 70 dernières années, la profession s est bâtie une solide réputation de milieu composé de professionnels guidés par des principes comme l intégrité, la confiance et un sens aigu de l éthique. Après les énormes efforts qu a faits la profession au cours du XX e siècle pour asseoir sa réputation, l implosion de la société Enron, qui allait créer un tort sans précédent à la profession à l aube du nouveau siècle, n en devient que plus ironique. Le premier article de cette série retrace l évolution de la profession comptable. Le deuxième porte sur les lacunes de la profession comptable révélées par les faillites de la société Enron et d autres grandes sociétés. Enfin, le troisième et dernier article présente les diverses mesures prises par les comptables et les autorités, ces deux dernières années, afin de redorer le blason de la profession. Historique La comptabilité a toujours joué un rôle important dans l histoire du commerce. Les historiens considèrent en général la comptabilité en partie double comme le véritable précurseur de la profession telle qu on la connaît aujourd hui. Même si le moment précis où l on commence à utiliser cette pratique est indéterminé, il semble que cette dernière aurait été élaborée par des commerçants italiens du Moyen-Âge. C est Luca Pacioli ( ), moine franciscain et mathématicien, qui décrit le mieux cette pratique dans son ouvrage intitulé Summa de Arithmetica, Geometrica, Proportioni et Proportionalita publié en Il y explique en détail les techniques de tenue des livres utilisées à Venise. Grâce à l invention de l imprimerie, encore toute récente, l ouvrage est diffusé partout en Europe et les connaissances se répandent.
2 Il faut ensuite attendre la Révolution industrielle, qui commence en Grande-Bretagne vers 1750, pour que la comptabilité entre dans une nouvelle phase de son évolution. En effet, certaines sociétés adoptent alors des techniques de comptabilité analytique qui les aident à survivre et à prospérer à une époque de vive concurrence et, au début des années 1770, pour faire face à la grave récession qui frappe le pays. La profession de vérificateur, telle qu on la connaît dans le monde industrialisé, se développe au cours du XIX e siècle. La British Companies Act de 1844 exige que des vérificateurs mandatés annuellement examinent les résultats financiers des sociétés ouvertes. 1 Cette pratique entre peu à peu dans les mœurs au cours de la deuxième moitié du siècle. Dès le début du XX e siècle, l exercice de la vérification devient monnaie courante et constitue «un jalon important» de l histoire de la profession, selon Dick Duffield, FCGA, membre du conseil d administration de CGA-Ontario et membre de plusieurs comités formés par les gouvernements du Canada et de l Ontario. En 1854, on crée la Society of Accountants à Édimbourg, en Écosse. Il s agit du premier organisme comptable professionnel du monde. L Institute of Chartered Accountants of England & Wales (ICAEW) obtient sa charte à Londres en Sept ans plus tard, l American Association of Public Accountants (AAPA) est créée aux États-Unis. Dans son ouvrage intitulé The Rise of the Accounting Profession from Technician to Professional: , John L. Carey, de l American Institute of Certified Public Accountants (AICPA) écrit qu à l époque, la création d un organisme professionnel en bonne et due forme visait à «[TRADUCTION] faire la distinction entre les comptables compétents et intègres et les pseudo-comptables dont les compétences n avaient pas été démontrées. La protection du public était l un des principaux objectifs de ces organismes.» Le rôle des professionnels comptables en Amérique du Nord, et la nécessité d avoir recours à leurs services, s accentuent au début du XX e siècle. Les États-Unis s imposent alors comme le géant mondial du secteur industriel, mais ses marchés subissent le contrecoup de l absence de réglementation, des opérations d initiés et de la manipulation boursière. De plus, le vent de panique qui s empare du marché au cours de la première décennie du siècle crée un environnement politique favorable au resserrement de la réglementation et de la législation antitrust. L AAPA, appelée à devenir l American Institute of Accountants (1916), adopte des principes d éthique en 1906 et l American Institute of Certified Public Accountants (AICPA) fait de même en Les dirigeants de l Institut «[TRADUCTION] savaient que l élaboration et l application de règles de conduite s imposaient pour deux raisons : d abord pour rehausser la qualité des services de vérification et de communication de l information financière et ensuite pour favoriser chez les comptables un comportement qui inspirerait la confiance et le respect du public», écrit M. Carey. Au Canada, on crée trois organismes comptables professionnels dès le début du siècle. La Dominion Association of Chartered Accountants, qui deviendra l Institut Canadien des Comptables Agréés (ICCA), est créée en Six ans plus tard, la Certified General Accountants Association of Canada est fondée à Montréal, sous la direction de John Leslie, vice-président du Canadien Pacifique. En avril 1913, le parlement fédéral adopte une loi constituant la General Accountants Association, que l on renommera plus tard l Association des comptables généraux accrédités du Canada. 1 Le lecteur trouvera plus de renseignements à ce sujet à la section intitulée «Development of the Accounting Profession» du texte suivant, sur le site Web du département de comptabilité de l université Texas A&M : (en anglais seulement) Rétablissement de la profession comptable à la suite de l affaire Enron Première partie 2
3 En 1920, la Canadian Society of Cost Accountants, l ancêtre de la Société des comptables en management du Canada, est constituée en vertu de la Dominion Companies Act. Pendant ce temps, chez nos voisins du sud, tous les ingrédients d un grand désastre s accumulent au cours des années Les investisseurs s engagent dans une escalade spéculative sur les marchés boursiers, principalement à la Bourse de New York, en achetant des titres à crédit sans tenir compte de leur valeur réelle. De telles pratiques mènent les marchés au krash boursier de 1929 et à la grande dépression des années «La comptabilité, telle qu on la connaît aujourd hui, prend véritablement son essor au début du XX e siècle avec la montée des grandes sociétés. Elle prend peu à peu sa forme actuelle autour des années 1930 après l effondrement des marchés boursiers», affirme Debra Jeter, professeure associée en comptabilité à la Owen Graduate School of Management de l Université Vanderbilt à Nashville, au Tennessee. «C est alors que l on a constaté la nécessité d établir des normes comptables. C était l époque où le rôle de propriétaire d une société se dissociait de celui de directeur. Il fallait donc produire des rapports comptables sur lesquels pouvait se fier un propriétaire de société qui ne se trouvait pas à proximité des bureaux et qui n avait aucune idée de ce qui s y passait vraiment tous les jours», ajoute-t-elle. Après l élection de Franklin Delano Roosevelt à la présidence des États-Unis en 1932, d innombrables lois sur le commerce sont adoptées dans le but de corriger les excès et les échecs du marché. Les deux plus importantes sont la Securities Act de 1933 et la Securities Exchange Commission Act de 1934, qui ont été, et sont encore aujourd hui, intimement liées à la destinée de la profession comptable aux États-Unis. Ces nouvelles lois sur le commerce des valeurs mobilières réglementent les marchés financiers. Les sociétés ouvertes sont tenues, avant d émettre des actions, de diffuser de l information financière qui donne une image fidèle et globale de la situation de la société. Même si, dès la fin des années 1920, un nombre croissant de sociétés inscrites à la Bourse de New York ont recours à des vérificateurs indépendants, la Securities Act de 1933 oblige les sociétés qui désirent faire appel aux marchés financiers à confier l examen de leurs états financiers à un vérificateur indépendant. Cette même année, la Bourse de New York rend obligatoire la vérification indépendante des états financiers annuels des sociétés inscrites à sa cote. Même si la Securities Exchange Commission (SEC) est alors investie du mandat de réglementer la profession comptable et d établir des normes de comptabilité et de vérification, elle confie à l AIA, qui est devenue l AICPA, le soin de s autoréglementer. En choisissant un rôle de surveillance plutôt qu un rôle plus actif, la SEC signifiait aux membres de la profession qu elle ne doutait ni de leur intégrité, ni de leur aptitude à s autoréglementer, selon Leonard Hampson, FCGA, directeur général de CGA-Manitoba. «Essentiellement, la SEC avait le pouvoir de faire ce que bon lui semblait, mais elle a relégué ce pouvoir à la profession», ajoute-t-il. Ces décisions, qui accroissent les responsabilités des comptables sur le plan juridique, rehaussent le profil de la profession et entraînent la mise en place des principes comptables généralement reconnus (PCGR). La situation de la profession continue essentiellement à s améliorer jusqu à la fin du XX e siècle. L économie nord-américaine moderne commence à prendre forme après la Deuxième Guerre mondiale. Les comptables jouent un rôle crucial, puisqu ils communiquent aux marchés de l information financière et de l information sur les résultats de leurs Rétablissement de la profession comptable à la suite de l affaire Enron Première partie 3
4 vérifications. Les marchés ne se remettent du krash boursier qu au début des années 1950, mais ils atteignent par la suite, à maintes reprises, des sommets sans précédent. Les comptables sont également à l avant-garde de la révolution informatique, d abord en 1953, lorsque les grandes sociétés commencent à utiliser d énormes ordinateurs centraux, puis, une génération plus tard, en 1981, lorsque IBM lance son ordinateur personnel. Les fondements de l ère informatique sont posés et viendront changer radicalement, une fois de plus, l exercice de la comptabilité et de la vérification. La profession comptable étend son prestige à plusieurs égards au cours de la deuxième moitié du XX e siècle. Pourtant, on commence à constater, au Canada et aux États-Unis, des lacunes qui attirent une certaine attention, laquelle n a toutefois aucune commune mesure avec l attention que l on prêtera aux événements qui surviendront à la fin de Dès les années 1950, des cabinets comptables proposent des services de consultation en complément de leurs services traditionnels de comptabilité et de vérification. Au milieu des années 1960, la SEC s interroge sur cette pratique puisqu il lui semble qu elle risque de restreindre l indépendance du vérificateur. Cependant, les années 1960 sont une période de croissance soutenue en Amérique du Nord et les nouvelles sociétés ouvertes constituent une source de travail apparemment intarissable pour la profession, que ce soit en vérification ou dans d autres domaines. Par contre, le début des années 1970 est beaucoup plus tumultueux; l économie connaît un ralentissement et le monde doit faire face à la première crise énergétique de l histoire. Vers le milieu des années 1970, de nombreuses sociétés américaines font faillite peu après avoir obtenu de leurs vérificateurs un «certificat de bonne santé». Le Sénat décide de faire enquête sur la profession. Selon M me Jeter, le sous-comité sénatorial cherche entre autres à déterminer si les cabinets comptables peuvent fournir des services de vérification et des services de consultation à un même client, exactement comme on le fera à la suite de la faillite d Enron. Même si les années 1980 sont une période de relative prospérité, la profession, chez nos voisins du sud, doit composer avec la crise de l épargne immobilière, au cours de laquelle des centaines d associations d épargne immobilière font faillite. L AICPA forme un comité spécial qui recommande une série de mesures, notamment l obligation pour les cabinets qui effectuent la vérification d une ou de plusieurs sociétés ouvertes de s inscrire auprès de la SEC. «Au Canada aussi, on a assisté à des faillites liées à des allégations d irrégularités comptables au cours des 20 dernières années, particulièrement entre 1985 et 1989, puis à nouveau entre 1991 et 1994», explique Al Rosen, FCA, FCMA, CPA, directeur du cabinet de juricomptabilité Rosen & Associates Limited, à Toronto. «Cette période a été extrêmement difficile. On y a vu certaines des pires poursuites pour négligence qui aient jamais été intentés contre des vérificateurs et des comptables», affirme M. Rosen, qui trouve «renversant que les Canadiens soient si peu informés de ce qui se passe dans leur propre pays.» «La confiance générale envers la profession comptable a commencé à s effriter», reconnaît Moshe Milevsky, Ph.D., professeur de finance à la Schulich School of Business de l Université York, à Toronto. «Il faut toutefois mettre cet effritement en perspective.» Depuis l affaire Enron, on a tendance, en Amérique du Nord et en Europe, à jeter le blâme sur les milieux comptables en général plutôt que sur les responsables mêmes. Par contre, les récents scandales d envergure internationale sont parfois perçus de façon très différente dans Rétablissement de la profession comptable à la suite de l affaire Enron Première partie 4
5 Conclusion les pays d Amérique du Sud, par exemple en Argentine, en Uruguay et au Brésil. Dans ces pays, selon M. Milevsky, le public considère en général que la responsabilité de ces faillites est localisée. Et la plupart des comptables ont toujours droit au respect et à la confiance du public. «La perception varie beaucoup en fonction de la culture, tout comme du pays et du milieu.» Comme nous le verrons dans les deux autres articles de cette série, la faillite de la société Enron, à la fin de 2001, a constitué un point tournant dans l histoire de la comptabilité et a entraîné des changements importants pour la profession, tant au Canada qu aux États-Unis. L un des cinq grands cabinets comptables au monde, Arthur Andersen LLP, a été forcé de mettre fin à ses activités en raison principalement de son rôle à titre de vérificateur d Enron. Le fait que certaines allégations de délits par des sociétés aient touché certains cabinets de Certified Public Accountant (CPA) aux États-Unis et de comptables agréés (CA) au Canada a peut-être pesé dans la décision des législateurs d au moins une province influente l Ontario de conclure que les CGA devaient jouer un rôle plus important. Nombreux sont ceux qui croient que ce devrait effectivement être le cas. «Au Canada, nous avons le luxe d avoir trois titres professionnels, ce qui nous rend tous responsables», explique Tina Peters, CGA, directrice des services consultatifs à l intention des cabinets d experts-comptables à CGA-Colombie-Britannique. Jeff Buckstein, CGA, est rédacteur pigiste; il réside à Ottawa. Le mois prochain : Dans le deuxième article de cette série de trois articles, M. Buckstein s intéresse à la faillite d Enron et à ses effets sur la profession comptable. Rétablissement de la profession comptable à la suite de l affaire Enron Première partie 5
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