UNION OU COMPÉTITION. La Bourse de Montréal joue son avenir

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1 UNION OU COMPÉTITION La Bourse de Montréal joue son avenir C est passé à un cheveu. La Bourse de Montréal et le Groupe TSX étaient prêts à consommer leur union, mais une chicane au sujet de l identité du commandant du nouveau vaisseau amiral boursier canadien a sabordé le projet. Christian Benoit-Lapointe Selon des observateurs proches du dossier, un ou certains membres du conseil d administration du Groupe TSX étaient réticents à donner les rênes à un francophone, Luc Bertrand. Depuis, c est le silence radio. Lors d une conférence téléphonique le 25 octobre, le président et chef de la direction de la Bourse de Montréal a affirmé qu il n y avait pas de négociation en cours. «On se concentre sur le développement des activités de la Bourse», disait-il assez laconiquement. À 17 mois de la fin de l accord de non-concurrence conclu en 1999, le Groupe TSX multiplie les préparatifs pour faire son entrée dans le dynamique marché des produits dérivés. L achat par Groupe TSX des dérivés sur l indice S &P 60, actuellement négocié à Montréal, a irrité Luc Bertrand. Il trouve «carrément irresponsable» l attitude de son homologue, qui se trouve à trahir l esprit de l entente de non-concurrence. Le Groupe TSX ne s en est pas formalisé : vers la fin d octobre, il annonce que le vénérable indice Scotia Capital Universe Bond a été rebaptisé DEX Universe Bond. DEX est le nom choisi pour la Bourse de

2 Photo : François Gamonet dérivés torontoise en De son côté, la Bourse de Montréal multiplie les projets de développement (voir La Bourse se déploie). La Bourse de Montréal pourrait-elle prospérer seule? «Oui, il y a un potentiel raisonnable en ce sens, mais je crois que certains actionnaires souhaiteraient néanmoins voir une union entre les Bourses de Toronto et de Montréal», répond Lawrence Kryzanowki, professeur du département de finance et titulaire de la Chaire en gestion de portefeuille Ned Goodman de l École de gestion John-Molson à l Université Concordia. Les règlements des deux Bourses empêchent un actionnaire de posséder plus de 10 % des actions. Il n y a donc pas d actionnaire de contrôle. À la Bourse de Montréal, les employés détiennent environ % des actions. Le New York Mercantile Exchange (NYMEX) suit avec 10 %, puis la Caisse de dépôt, la Banque Nationale et UBS possèdent chacun un peu moins de 10 %. De là à dire qu une fusion avec le Groupe TSX est inévitable, comme l ont affirmé certains analystes cet automne, il y a un pas que Claude Garcia n est pas prêt à franchir. «C est une option parmi d autres, mais c est certain que la Bourse ne peut rester complètement indépendante. Elle pourrait aussi conclure des ententes avec d autres Bourses à l échelle internationale, un peu comme celle avec NYMEX qui lui permettra de tirer profit de la richesse du pétrole et du gaz naturel.» Quant au choix du partenaire d une éventuelle alliance, l administrateur de sociétés est plutôt favorable à ce que la Bourse de Montréal fasse des alliances avec des Bourses de produits dérivés à l échelle internationale. Il ne faut toutefois éliminer aucun scénario, comme celui d une prise de contrôle de sa consoeur par la Bourse de Montréal, commente Lawrence Kryzanowki. «De plus, les fortunes dans les Émirats s affairent à acheter des Bourses en Europe : ce serait une bouchée pour l une d elle d acheter à la fois Groupe TSX et la Bourse de Montréal», poursuit-il, en ajoutant que pour les actionnaires, il est habituellement préférable d être la cible que l acheteur en raison de la prime d acquisition généralement payée par l acheteur. Mais dans le cas présent, il y a un facteur qui transillustration : BOURSE DE MONTRÉAL novembre

3 cende parfois la réalité financière, rappelle Lawrence Kryzanowski : la question politique. «Il est impossible de séparer la politique d une décision d affaires rationnelle, explique-t-il. Quoique si on regarde dans le passé, lorsque les gens sont à un pôle ou l autre, c est souvent une solution mitoyenne qui est adoptée». ICX. Mais celui qui risque de faire le plus mal au Groupe TSX, c est le projet Alpha, la plate-forme mise de l avant par les six grandes banques canadiennes et Canaccord Capital. «Notre plate-forme de négociation sera étroitement intégrée avec toutes les autres plates-formes disponibles, afin de Consolidation + fragmentation Il y a beaucoup de mouvement dans les Bourses partout sur la planète. Pendant que les projecteurs sont braqués sur l action de Google qui survole les 650 $, le titre du Chicago Mercantile Exchange vole à la même altitude que le colosse d Internet. Sa fulgurante ascension a été couronnée, en 2007, par la fusion avec sa consoeur de la ville des vents, le Chicago Board of Trade, leader des produits dérivés. Les quelque 21 milliards de dollars de capitalisation boursière mettent la nouvelle entité nez à nez avec un autre géant issu d une autre spectaculaire fusion, le NYSE Euronext. «Les Bourses sont dans une période assez particulière : il y a simultanément un mouvement de consolidation et de fragmentation de marché», observe Lawrence Kryzanowski. Cette fragmentation est plus discrète, mais tout aussi significative. Elle prend la forme de nouveaux concurrents, comme Liquidnet, une plate-forme électronique destinée aux investisseurs institutionnels présente sur quatre continents, ou des nombreux systèmes de négociation parallèle (SNP), ou alternative trading systems (ATS), qui voient le jour aux États-Unis. «Au moins trois sont en développement au Canada, souligne le professeur. Ces SNP prennent une part du marché des actions, mais je m attends à ce que pareils systèmes voient le jour aussi dans le marché des dérivés.» Pure Trading a inauguré ses activités de négociation d actions canadiennes en septembre dernier. Seulement 15 titres sont inscrits sur la plate-forme, dont Research In Motion, mais ce marché alternatif qui ouvre une demiheure plus tôt que le TSX promet d augmenter son offre. Après les États-Unis, l Europe et l Asie, la multinationale Instinet travaille à mettre sur pied son SNP au Canada, le Les deux marchés canadiens de dérivés En situation de monopole, la Bourse de Montréal? Pas vraiment, explique Simon Lalancette, qui enseigne les produits dérivés à HEC Montréal. «Deux marchés coexistent : le marché organisé de la Bourse de Montréal avec ses contrats, et le marché au comptoir, qui est encore plus important, où les transactions se font entre deux contrepartistes par téléphone ou par plate-forme de négociation.» Il faut comprendre qu un produit dérivé est fondamentalement un instrument de transfert de risque, illustre Simon Lalancette. «Lorsqu il y a une transaction entre deux contrepartistes, le premier pourra couvrir son risque et le second contrepartiste est prêt à supporter ce risque. Pour ce dernier, cela devient un instrument spéculatif.» À moins que l un des contrepartistes fasse une opération de «Les Bourses sont dans une période assez particulière : il y a simultanément un mouvement de consolidation et de fragmentation de marché.» Lawrence Kryzanowski permettre aux investisseurs en actions et autres titres participatifs canadiens de bénéficier à tout moment d une exécution des ordres au meilleur prix», annonce Jos Schmitt, chef de la direction du SNP qui devrait être lancé en Plus de liquidité La tendance actuelle de fusion des Bourses s explique par le besoin d avoir des marchés plus gros, avec plus de liquidité et de transactions, croit Nabil Khoury, professeur titulaire au Département stratégie des affaires de l École des sciences de la gestion de l UQAM. «La composante des frais de transaction qui diminue lorsque le marché est plus liquide, c est l écart entre le prix acheteur et le prix vendeur, soit le coût de la liquidité.» Dans certains cas, les commissions de courtage peuvent aussi diminuer. «Le mot clé pour une Bourse, c est la liquidité», résume le titulaire de la Chaire Desjardins en gestion des produits dérivés. Si elle est capable de créer de la liquidité, elle va attirer du monde. Mais c est le monde (les transactions) qui fait la liquidité. C est la poule et l œuf. «Malheureusement, on ne peut pas dire qu il y a beaucoup de liquidité à Montréal. Il y a des produits qui marchent, d autres mar- couverture, il y a nécessairement un gagnant et un perdant. «Ce qui distingue la transaction sur le marché boursier plutôt qu au comptoir, c est la chambre de compensation, qui garantit l exécution du contrat», résume Stylianos Perrakis. Il n y a donc pas de risque de défaut de paiement dans le marché organisé. Alors que pour le marché au comptoir, il faut s assurer de la solvabilité du contrepartiste. novembre 2007

4 chent moins bien, mais on a avantage à augmenter l achalandage de tous les produits», pense M. Khoury. «La liquidité, on l a beaucoup augmentée depuis qu on est une Bourse spécialisée, rétorque Jean-Charles Robillard, le directeur des relations avec les investisseurs et des communications de la Bourse de Montréal. Pour les options sur actions par exemple, on est rendu à environ contrats par jour en moyenne». Selon lui, cette situation est à l image de l importance du marché financier canadien et de l importance traditionnelle du marché au comptoir des dérivés (voir Les deux marchés canadiens de dérivés), qui est énorme au Canada. «Pour augmenter la liquidité, on a branché la Bourse de Montréal aux centres de liquidité dans les produits dérivés (Chicago, New York et Londres) afin d attirer de la liquidité dans notre marché. À lui seul, le marché canadien n en fournit pas assez.» Et la stratégie porte fruit, poursuit-il. «En moyenne, environ 50 % de l intérêt en cours détenu à la Bourse de Montréal, soit les contrats ouverts, sont détenus par des étrangers.» Aux yeux de Simon Lalancette, professeur du Département des finances de HEC Montréal, le manque occasionnel de liquidité est causé par la taille du marché canadien. «À mon avis, le niveau de sophistication est bon, mais c est plus difficile de mettre en marché de nouveaux instruments parce qu on est beaucoup moins gros que les Américains : la mise en marché est plus difficile.» Une autre difficulté avec les produits dérivés, c est leur manque d utilisation, surtout par les PME, poursuit Nabil Khoury. «À première vue, ils apparaissent comme des produits complexes et difficiles d accès pour les propriétaires de PME. Ce qu ils ne sont pas nécessairement. Pourtant, les PME auraient avantage à utiliser des produits dérivés pour se prémunir contre les trois risques financiers : risques du taux de change, du taux d intérêt et du prix des matières premières. Or, selon notre enquête, seulement 10 % des PME gèrent leurs risques financiers avec des produits dérivés - surtout des PME manufacturières.» Voilà une réalité canadienne : les investisseurs de détail sont surtout présents dans le marché des options, alors que les investisseurs institutionnels et les grosses sociétés dominent le marché à terme. On n a pourtant pas nécessairement besoin d être très sophistiqué pour utiliser les produits à terme, pense Stylianos Volume moyen quotidien (contrats) (au 3 e trim.) Source : Bourse de Montréal 10

5 Perrakis, professeur du Département de finance de l École de gestion John-Molson. «Aux États-Unis par exemple, les contrats à terme sur denrée ont été introduits pour les agriculteurs. Ils ne sont pas nécessairement des experts de la finance moderne, mais pourtant, ils les utilisent.» deux Bourses dans un petit marché? Il n y a aucun doute dans l esprit de Lawrence Kryzanowski : TSX sera dans les dérivés en 2009, et ce, pour le meilleur (une concurrence dans le marché pourrait réduire les coûts de négociation) et pour le pire (la possible réduction de la liquidité). Son confrère Stylianos Perrakis est d avis qu il n y a pas de place pour deux Bourses de dérivés au Canada. «Le marché est trop petit : comment se le partageraient-elles?» Mais l entente de non-concurrence n est pas à sens unique, avance Claude Garcia. Lorsque les grandes banques ont lancé le projet Alpha, Luc Bertrand avait refusé d y participer afin de ne pas «violer l esprit de l accord signé». Pourrait-il changer d avis? «On insiste beaucoup sur le fait que l entente avec Toronto se termine en 2009, évoque Claude Garcia, mais il ne faudrait pas oublier que la Bourse de Montréal aura alors accès au marché des actions.» La Bourse se déploie La Bourse de Montréal est en pleine expansion. En 2004, elle s est déployée aux États-Unis en participant au lancement de la Boston Options Exchange (BOX) qui détient environ 6 % de l énorme marché américain des options sur actions, un taux qui va en augmentant. Propriétaire de presque le tiers de l entité depuis sont lancement, la Bourse a déposé cet automne une offre pour devenir actionnaire majoritaire (53,2 %) de la BOX. Le lancement de CAREX, le Marché canadien des ressources, est quant à lui prévu pour le deuxième trimestre de Cette coentreprise avec le NYMEX vise à négocier les produits dérivés énergétiques canadiens. Enfin, le très médiatisé Marché climatique de Montréal (MCeX), une coentreprise avec le Chicago Climate Exchange, est un projet à moyen terme en ce qui a trait au volume. PHOTO : BOURSE DE MONTRÉAL 12