L analyse en constituants immédiats. 1. La phrases et ses constituants

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1 Syntaxe du français: phrase simple et complexe Jacques Moeschler Origines, structures et usages du français, cours 8, 22 novembre La phrase simple et ses constituants 2. La phrase comme construction exocentrique ou endocentrique? 3. Mouvement du SN en position sujet et structure du DP 4. Phrases complexes 2 L analyse en constituants immédiats 1. La phrases et ses constituants L hypothèse de la syntaxe est que toute unité grammaticale est analysable en unités de rang immédiatement inférieur. Chaque constituant de rang n s analyse en ses constituants immédiats de rang n-1. L analyse de la phrase en constituants immédiats est une analyse hiérarchique. La phrase est représentée par un arbre, où chaque noeud est une unité de rang, et chaque feuille une mot, ou sous forme de boîtes (poupées russes). 3 4

2 L analyse de la phrase simple Principe de l analyse l enfant déballe son cadeau l enfant déballe son cadeau l enfant déballe son cadeau son cadeau l enfant déballe son cadeau l enfant déballe son cadeau son cadeau l enfant déballe son cadeau On part de l unité la plus grande (phrase) pour arriver aux unités les plus petites (mots). Nécessité d introduire des unités intermédiaires (syntagmes). L analyse en constituants immédiats décrit les catégories grammaticales des différentes unités (noeuds de l arbre). syntagme nominal phrase déterminant nom verbe syntagme verbal syntagme nominal déterminant nom l enfant déballe son cadeau 5 6 Analyse en termes de symboles D où viennent les structures grammaticales? Les représentations sous forme d arbres utilisent comme étiquettes des noeuds des symboles pour les catégories syntagmatiques (SN, SN), lexicales (N, ) et non lexicales (Dét). D où le rôle fondamental des catégories grammaticales pour l analyse linguistique. Ph SN S Dét N SN Dét N l enfant déballe son cadeau Les catégories syntagmatiques (syntagmes) ont une structure commune. Elles sont organisées autour d une tête lexicale, précédée d un spécifieur, et suivies d un complément. syntagme spécifieur tête complément nominal le livre de mon fils verbal veut manger une glace adjectival très fier de ma fille prépositionnel juste derrière la maison 7 8

3 Structure hiérarchique Comment identifier les syntagmes La relation entre tête lexicale, spécifieur et complément est une structure hiérarchique. Le syntagme SX est constitué du syntagme SY (spécifieur), de la tête lexicale X et du syntagme complément SZ. spécifieur le veut syntagme tête livre manger complément de mon fils une glace 9 SY le veut SX X livre manger X SZ de mon fils une glace Il existe certains tests linguistiques (ou computations syntaxiques) permettant d identifier les syntagmes: 1. substitution 2. réponse à une question 3. déplacement 4. coordination 10 Substitution Réponse à une question Les syntagmes peuvent être remplacés par un seul mot reprenant sa signification et sa fonction grammaticale. Le syntagme la femme à la chemise rose peut être remplacé par le pronom elle (même référence et même fonction grammaticale de sujet), mais pas par la: 1. La femme à la chemise rose écoute le musicien. 2. Elle écoute le musicien. 3. * La écoute le musicien. Si un mot ou un groupe de mots peut répondre à une question (qu-), alors c est un syntagme: 1. Qui écoute le musicien? 2. a. La femme à la chemise rose. b.?? Elle. c.*la d.*a la 11 12

4 Déplacement Si un groupe de mots peut se déplacer comme une unité, alors c est un syntagme. Par exemple, on peut déplacer un groupe en tête de phrase (dislocation à gauche), ou en fin de phrase (dislocation à droite) ou encore l insérer dans une phrase clivée: 1. Le musicien, la femme à la chemise rose l écoute. 2. La femme à la chemise l écoute, le musicien. 2. La phrase comme construction exocentrique ou endocentrique? 3. C est le musicien que la femme à la chemise rose écoute Constructions endocentriques et exocentriques Les syntagmes sont des constructions endocentriques, organisées autour d une tête lexicale. Or la phrase est une construction exocentrique: le verbe n est pas le noyau de la phrase. La phrase est la combinaison de différentes constructions endocentriques. 15 Ph Ph Conj Ph SN S SN S la structure Ph-Conj-Ph n est pas une construction endocentrique Dét SN je partirai et je prendrai le bus N Et si la phrase était une construction endocentrique? Si la phrase était une construction endocentrique, quelle en serait la tête? Sa tête ne serait pas lexicale, mais fonctionnelle. La phrase est généralement conjuguée: elle contient des marques flexionnelles, portées par le verbe. 16 L hypothèse est que la phrase est la projection maximale de la flexion verbale. 1. La tête fonctionnelle est la position occupée par la flexion verbale et les auxiliaires. 2. Le sujet est dans la position du spécifieur de la phrase. 3. Le syntagme verbal (le verbe et ses compléments) est dans la position du complément de la flexion.

5 Structure de la phrase simple Marc a embrassé Julie la phrase comme la projection maximale de la flexion () (sujet) I I (flexion) = Inflexional Phrase = Noun Phrase = erbal Phrase (objet) L auxiliaire a occupe la tête du syntagme fonctionnel AuxP. embrassé Julie est le Syntagme erbal (). Le sujet Marc () est dans la position du spécifieur de la phrase. AuxP Aux Marc a embrassé Julie Marc embrasse Julie Prédiction de l analyse La tête fonctionnelle Aux ne semble pas ici occupée. Hypothèse: cette position fonctionnelle accueille les marques de temps (TP). La tête lexicale () se déplace en T pour recevoir sa marque de temps (morphème non autonome). T TP Marc e <embrass Julie Les phrases au passé composé et au présent peuvent être modifiées par un ajout, par exemple un adverbe de temps comme souvent. Mais la position de cet adverbe n est pas la même: 1. Marc a souvent embrassé Julie 2. Marc embrasse souvent Julie Comment expliquer ce phénomène? En fait, l adverbe souvent suit le verbe conjugué: a, embrasse. C est un ajout du. Au passé composé, la tête lexicale du ne bouge pas. Au présent, a tête lexicale du bouge

6 souvent et le passé composé souvent et le présent SN Aux AuxP un ajout se greffe sur un XP () et le duplique SN TP Le verbe embrass se déplace en T. Ceci explique que souvent suive le verbe. Adv T Marc e Adv Marc a souvent embrassé Julie N L ajout souvent modifie le verbe embrassé. Sa position d ajout le situe entre l auxiliaire et le verbe conjugué. souvent <embrass> Julie Le principe de l analyse syntaxique le vieux singe le masque Le principe de l analyse est que la structure de surface de la phrase ne correspond pas à sa structure profonde. Les opérations de mouvement s appliquent sur la structure profonde. Une opération comme le mouvement est appelé une transformation syntaxique. PRO La différence entre structure profonde et structure de surface est à l origine de l explication de l ambiguïté syntaxique (structurale) des phrases: le vieux singe le masque le vieux singe le masque 1. Le vieux singe le masque 2. Marie a frappé l homme avec le parapluie 23 24

7 Marie a frappé l homme avec le parapluie Marie a frappé l homme PP avec un parapluie Marie a frappé l homme PP avec un parapluie ajout 3. Mouvement du SN en position sujet et structure du DP complément de nom Comment expliquer la position du sujet? Quantificateurs flottants Nous avons admis que la position du sujet est Spec. En fait, cette position n est pas une position de base. AuxP AuxP Elle est le résultat d un déplacement (mouvement), de Spec à Spec. Arguments: les quantificateurs flottants: 1. Tous les garçons ont lu ce livre. 2. Les garçons ont tous lu ce livre. Le mouvement ne peut pas de faire de haut en bas, il se fait toujours de bas en haut (l élément déplacé doit c-commander sa trace). les garçons Aux ont tous lu ce livre tous les garçons Aux ont <tous> lu ce livre 27 28

8 Structure du DP Incorporation Les arguments du verbe (sujet, objet) ont été décrits comme des, dont la tête lexicale est un Nom. Les sont introduits par des déterminants (D), qui, comme les suffixes de flexion, appartiennent à des catégories fonctionnelles. Certain déterminants sont le résultat d une incorporation: à + le = au de + le = du à+ les = aux de + les = des 29 L incorporation de à + le et de + le se fait au niveau des têtes fonctionnelles, à savoir la préposition (à, de) et le déterminant. Il est plus simple de représenter le comme la projection maximale du déterminant (D). Le, comme la phrase, devient donc une projection fonctionnelle. L argument est morphologique: la représentation syntaxique de l incorporation est plus simple que la formulation d une règle morphologique. 30 Structure du DP D le DP structure sans incorporation garçon P à+le=au PP D <le> DP structure avec incorporation garçon L explication est syntaxique car l incorporation est déclenchée par un mouvement de D dans P. Une règle morphophonologique transforme à + le en au. 4. Phrases complexes 31 32

9 Les phrases complexes Trois types de phrases complexes Les phrases, comme les syntagmes nominaux, illustrent une propriété fondamentale des langues naturelles: la récursivité: une catégorie se retrouve dominée par la même catégorie. Les contiennent des : [ DP le [ 1 hamster [ PP de [ DP ma [ 2 voisine ]]] Les phrases contiennent des phrases les propositions subordonnées complétives, interrogatives indirectes, relatives sont enchâssées dans des propositions principales [ 1 je sais [ 2 que Paul croit [ 3 que la fille [ 4 que tu as rencontrée ] est norvégienne ]]] Phrase complétive 1. [Paul croit [que Jean viendra]] Phrase interrogative indirecte 2. [Paul se demande [si Jean viendra]] Phrases relatives 5. [L homme [qui est venu] est mon père] 6. [La femme [que j ai épousée] est linguiste] Les phrases interrogatives sont simples, mais contiennent un morphème interrogatif qu- en tête de phrase Qui Paul aime-t-il? Complémenteur Toutes ces phrases sont introduites par un mot subordonnant (que, si), un pronom interrogatif (qui) ou un pronom relatif (qui, que) Ces mots occupent une position fonctionnelle en tête de phrase, le complémenteur (C) Le complémenteur est réalisé morphologiquement par un mot subordonnant (qui, que, si, quand, combien ). Il est visible dans les phrases interrogatives, mais pas dans les phrase déclaratives: 1. Que mange Paul? 2. [ø] Paul mange une pomme 3. *Que Paul mange une pomme. 35 Réalisations du complémenteur La position C n est pas toujours réalisée morphologiquement, notamment dans les phrases infinitives: 1. Max dit qu il aime la linguistique 2. Max dit ø aimer la linguistique Règle générale: la position C ne peut être occupée que par un seul morphème: 3. [Qui crois-tu [que Paul a rencontré <qui>]? 4. * [Tu crois [que qui Paul a rencontré <qui>]? 5. [Tu crois [que Paul a rencontré qui]? 36 mouvement de qui en tête de phrase matrice OK mouvement de qui en tête de phrase subordonnée * pas de mouvement OK

10 Structure d une phrase avec C À retenir Quelle est dès lors la structure des phrases? Le constituant le plus haut est CP, que C soit réalisé ou non. 1. Je crois que Paul a rencontré Susie 2. [ CP [ je crois [ CP [ C que] [ Paul a rencontré Susie]]] CP C DP (sujet) TP T DP (objet) structure générale d un phrase simple L analyse hiérarchique de la phrase est une analyse en constituants immédiats. Les syntagmes sont des constituants endocentriques avec une même structure: spécifieur-tête-complément. La phrase peut être représentée comme une construction endocentrique, dont la tête est la flexion verbale. Le constituan fonctionnel le plus haut dans la phrase est le complémenteur, visible dans les phrases subordonnées et interrogatives, invisible dans les phrases déclaratives Références Moeschler J. & Auchlin A. (2014), Introduction à la linguistique contemporaine, Paris, Armand Colin, chapitres 1, 6-9. Pinker S. (1999), L instinct du langage, Paris, Odile Jacob, chapitre 4. Zufferey S. & Moeschler J. (2015), Initiation à la linguistique française, Paris, Armand Colin (Cursus), chapitres 8 et 9. 39