Genèse 22, 1-19 BRIANCON

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1 Genèse 22, 1-19 BRIANCON PREDICATION «Arrête Abraham! Ne fais pas ça! Ne tue pas ton fils!» Voici, frères et sœurs, le cri, la prière, la supplication, qui pourrait sortir de la profondeur de notre cœur à l écoute de cet épisode de la Bible. La seule idée que le Dieu en qui nous croyons puisse avoir imparti un ordre si inhumain et cruel nous paraît aberrante. D où la réputation de violence qui s attache à l Ancien Testament. À en croire certains, le sang y coulerait à chaque page. Essentiellement juge et guerrier, son Dieu ne serait pas vraiment fréquentable. À l inverse, l Évangile porterait un message de paix et de réconciliation universelles, davantage en accord avec l image de Dieu révélée en Jésus. En effet les choses ne sont pas si simples que cela : on ne peut trancher la Bible à la hache et la frontière entre les deux testaments est plus mouvante qu on ne l imagine. Mais en tout état de cause ce texte représente un défi non seulement pour le prédicateur que je suis mais pour nous tous car il pose plus de questions qu il n apporte de réponses. Et les questions sont tellement nombreuses qu il serait impossible de les aborder dans le cadre d une prédication. Moi j en ai retenues trois. Les voici dans l ordre où je les aborderai : Quelle est l image de Dieu que le récit nous transmet? Abraham, quel homme est-il? Pourquoi cette histoire et quel est son message. Trois questions qui auront du mal à trouver une réponse définitive, qui, peut-être, seront à l origine d autres questions mais qui nous permettront (je l espère) d aller à la recherche d un Dieu qui, malgré les apparences, reste encore un Dieu d amour. 1

2 Passons donc à la première question : quel Dieu est-il? La question revêt une importance cruciale car c est en fonction de l image de Dieu que nous portons dans notre tête et dans notre cœur que nous allons établir, non seulement notre vie spirituelle, mais aussi nos comportements pratiques dans la société où nous vivons. Le Dieu d Abraham est un Dieu qui met à l épreuve. Le verbe employé en hébreu veut dire justement «tester» mais aussi «tenter». Et que Dieu mette à l épreuve les enfants qui aime pour en tester la fidélité ou la foi est pour certains croyants une réalité indiscutable, une véritable expérience spirituelle qui leur permet de surmonter des expériences très difficiles et de leur donner un sens. Selon cette conception, si les hommes souffrent c est en vue soit d un plus grand bien soit à cause d une raison qui échappe à la logique humaine mais pas à celle de Dieu. Conclusion : si Dieu est tout puissant, si tout dépend de sa volonté, c'est donc lui qui veut nos souffrances ou qui en est la cause, directe ou indirecte. C'est d'ailleurs le message du Livre de Job. Dieu envoie des épreuves à ce pauvre malheureux Job. Il lui retire ses enfants, ses troupeaux et ses biens. Et pourquoi donc? Pour tester sa fidélité et sa foi! Pour voir si Job va quand même continuer à croire en lui, pour rien, sans raison, contre toute raison même si on lui envoie des épreuves, des souffrances, des tentations. Voilà l'explication traditionnelle de la souffrance: les souffrances, ce sont des épreuves qui doivent nous apprendre à avoir une foi à toute épreuve. Mais l épreuve qui est demandée à Abraham, celle d immoler sur un autel sacrificiel son propre fils, dépasse toute logique humaine, toute notion d humanité voire de bons sens. C est une épreuve impossible. Pour bien comprendre notre texte il est indispensable de dire deux mots sur Isaac. Il est le fils de la promesse, le fils de la bénédiction. Le nom Isaac qui veut dire «elle a ris» vient de la réaction de sa mère Sarah lorsqu elle, stérile et d un âge avancé, (90 ans), avait appris que Dieu lui aurait donné un enfant. Isaac est donc l enfant d une promesse impossible qui s est pourtant réalisée pour le plus grand bonheur de ses parents ce dont nous trouvons écho dans les mots que Dieu lui adresse : «Ton Fils, celui que tu aimes, ton unique». 2

3 Isaac est bel et bien l accomplissement de la promesse que Dieu fit à Abraham lorsqu il lui dit : «Je ferai de toi une grande nation». C est dans ce sens qu Isaac est unique. Mais Abraham a un autre fils, Ismaël, qu il a eu avec Agar, sa servante, sur instigation de Sarah, du fait qu elle était stérile. C est un exemple, je pense le premier dans l histoire, de G.P.A. : gestation pour autrui. Il faut sans doute comprendre le mot «unique» comme «celui qui t est précieux» ou encore «ton préféré». Voyez-donc jusqu à quel point l ordre de Dieu est contradictoire voire absurde. Comment est-il possible que le fils d une parole divine puisse être égorgé puis brûlé sur un autel? Comment se fait-il qu une promesse de vie et d avenir telle qui s est incarnée en Isaac puisse avoir un destin si tragique? Un Dieu qui se contredit d une façon dramatique car Isaac est à la fois la victime sacrificielle et le fils d une promesse de fécondité car il sera le père de Jacob, le père des Juifs, l ancêtre de Jésus. D où un problème théologique et pas des moindre : à quelle conception de Dieu fallait-il faire confiance? Au Dieu qui promet la vie ou à celui qui veut la supprimer? Comment faire la distinction entre deux paroles divines qui sont en contradiction l une avec l autre? Pour l instant je vous demande de bien garder dans vos esprits cette question. On y reviendra. Passons maintenant à Abraham pour essayer de comprendre sa démarche. Mais d abord je voudrais faire une précision que j aurais dû faire tout au début de ma prédication. Il serait peut être bien qu avant même de nous scandaliser du monde d Abraham, cruel et archaïque dominé par une conception de Dieu qui nous est totalement étrangère, nous nous efforcions de ne pas perdre le sens de la réalité. 3

4 C est dire de nous approcher de la réalité humaine telle qu elle se présente et non pas comme nous voudrions qu elle soit. De 1914 à 1918 l Europe a été ravagée par une guerre qui a exterminé des millions de jeunes, une génération entière immolée sur l autel des différents intérêts économiques, sous prétexte d un malentendu amour de Patrie. On avait espéré qu elle eût été la dernière et voici qu en 1939 un autre conflit se déclenche, encore plus meurtrier que le précédent, un conflit au cours duquel des millions de Juifs ont été exterminés. Venant de nous jours, combien sont-ils les jeunes qui se donnent la mort, qui meurent dans d accidents routiers surtout la nuit du samedi au dimanche? Combien sont-ils les migrants qui meurent noyés dans cette mère Méditerranée qui traversent à la recherche d un avenir meilleur? Et combien de nos concitoyens sont-ils sacrifiés sur l autel du profit lorsqu ils sont licenciés par des entreprises à la recherche d un taux de rentabilité toujours plus performant? Certes, ils ne meurent pas, mais au chômage ils perdent la confiance en eux-mêmes, dans la société où ils vivent jusqu à sombrer dans un sentiment aigu de frustration et de ressentiment. Lorsqu on s approche de la réalité humaine et on a le courage de la regarder en face on s aperçoit que c est elle qui est scandaleuse et non pas le texte biblique. Mais je vais encore plus loin. Nous souhaiterions une Parole de Dieu qui nous fasse fuir de la réalité, qui nous illusionne. Une parole de Dieu qui ne fasse pas le compte avec le seul scandale du texte biblique : la croix du Christ, «scandale pour le Juifs et folie pour les païens», comme il nous le rappelle l apôtre Paul en 1 Cor De Dieu nous voudrions tout sauf le fait qu il nous appelle, qu il nous interroge, qu il nous dérange. Le Dieu d Abraham, d Isaac et de Jacob est un Dieu qui ne se lasse jamais de faire appel à l homme. Dans ce récit il appelle trois fois pour entraîner Abraham dans son projet de sacrifice quitte à changer d avis à la dernière minute. 4

5 Abraham. Il nous pose problème. Pourquoi? Parce qu il ne correspond en aucune manière au profil de l héro tant recherché. En fait nous aurions préféré qu Abraham résiste à cet ordre inhumain, ou alors qu il offre sa vie à Dieu en échange de celle de son fils. Et ben non! Il est tout simplement un homme. Il est appelé trois fois et trois fois il répond de la même manière : «me voici»!». Venons-en, maintenant, à la troisième question : «Pourquoi cette histoire et quel est son message». Il faut situer notre récit dans son contexte, où le sacrifice humain, en particulier le sacrifice du premier né, était monnaie courante. C est pourquoi lorsqu Abraham entend son dieu lui demander le sacrifice d Isaac, c est pour lui une requête normale, difficile certes, mais qui n a rien de scandaleux car il pense que le Dieu avec lequel il a eu affaire se conforme à l idée de son époque. Alors, sans un mot, il part pour exécuter son geste d offrande. Vous vous souvenez du problème que j ai soulevé au début de ma prédication : «Comment faire la distinction entre deux paroles divines qui sont en contradiction l une avec l autre? D une part le Dieu qui donne de l autre le Dieu qui prend. Auquel faire confiance? Au Dieu qui donne un enfant à un couple de vieillards ou à celui qui prétend que le même enfant lui soit offert en sacrifice?». Encore une fois il faut regarder de près comment Abraham va agir une fois qu il a entendu l ordre de Dieu. Il se renferme dans un silence impénétrable. Il ne souffle mot ni à son fils ni à ses serviteurs. Il semble là qu il s agisse d une affaire privée, entre Abraham et Dieu, dans laquelle Isaac n intervient pas. Abraham agit seul. Il fend le bois seul, il scelle l âne seul et s il est accompagné de deux serviteurs ceux-ci ne disent rien. 5

6 Il n a rien dit à sa femme. Il n a même rien dit à Isaac. Abraham se tait et s enferme dans la décision qu il a prise et qu il ne veut partager avec personne. Il croit qu il connaît Dieu intuitivement et qu il est le seul à savoir la volonté de Dieu. Il n a besoin de personne pour y voir clair. Il se croit dans la lumière alors qu il est aveuglé par la monstruosité de ce qu il va entreprendre. C est lui qui dans un égarement curieux projette ses sentiments sur Dieu alors qu'il croit que c'est le contraire qui se produit. Il se croit proche de Dieu alors qu il en est très loin. Tel est Abraham, tel sommes-nous quand nous nous croyons au bénéfice d une relation directe avec Dieu qui nous amène, parfois, à nous méprendre sur la volonté de Dieu, même quand on fait partie des fidèles parmi les fidèles. Ceux-ci peuvent eux aussi se fourvoyer et ne pas comprendre la volonté du Seigneur. Mais vous connaissez la suite : le Seigneur l empêche d aller jusqu au bout de son geste, un ange vient retenir son bras et un bélier se trouve dans un buisson ; c est l animal qui sera sacrifié à la place d Isaac, lequel non seulement aura la vie sauve, mais encore deviendra le grand patriarche. Frères et sœurs, Ce récit en milieu chrétien est appelé le sacrifice d Isaac car c est un des passages de l Ancien Testament où l annonce et la présence de Jésus-Christ sont les plus sensibles. La tradition juive parle de la "ligature" d'isaac. Car le fils d'abraham est lié et délié, car le sacrifice n a pas eu lieu, ce qui est une Bonne Nouvelle! Cette histoire est l épreuve pédagogique que traverse Abraham. Désormais, il sait que son dieu n est pas comme les autres dieux : il est le Seigneur, il ne veut pas des sacrifices humains, il ne veut pas la mort de l homme, il veut une relation vivante entre lui et nous, une relation basée sur la confiance. Cette épreuve a amené Abraham à sortir du paganisme pour découvrir la vraie nature de Dieu, un dieu de liberté et d amour qui se dévoilera complètement en son Fils J.C. 6

7 L épreuve a fait grandir Abraham dans sa foi, dans sa liberté, dans sa responsabilité d être humain. Il a découvert la grâce de Dieu. Frères et sœurs, Ce récit représente une parabole de Résurrection, une Pâques avant le mot. C est l image d un Dieu qui met à l épreuve, certes, qui pose des questions exigeantes mais qui donne aussi les réponses et les solutions. Le voyage impossible, le voyage d un père qui mène au supplice son propre enfant devient un parcours de foi touché profondément par la grâce de Dieu. Qu est ce que Dieu veut de nous lorsqu il nous appelle? Il veut que nous nous mettions en marche, confiants, avec nos frères et nos sœurs qui comme nous partagent la même espérance et sont le reflet de l amour de Dieu, dans la certitude que nous ne sommes pas seuls, le Saint-Esprit veille sur nous, et lorsque nous allons traverser des moments difficiles, il nous invite à tenter de saisir la main de son Fils, le nouvel Isaac, le Fils qui s est rendu solidaire de toutes les souffrances humaines. La main du Christ telle que nous est dévoilée dans l Ecriture prêchée, méditée et priée, nous cherche inlassablement, cette main que dans notre désarroi nous avons du mal à trouver et qui pourtant est là, prête à nous secourir et à nous relever. AMEN G. Musi 7