La Crimée entre Russie et Ukraine. Un conflit qui n a pas eu lieu, Emmanuelle Armandon
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- Arlette Dubois
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1 Revue d'études comparatives Est-Ouest Clivages nationaux, transferts locaux au centre de l'europe La Crimée entre Russie et Ukraine. Un conflit qui n a pas eu lieu, Emmanuelle Armandon Gérard Wild Éditeur Éditions NecPlus Édition électronique URL : ISSN : Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2013 Pagination : ISBN : ISSN : Référence électronique Gérard Wild, «La Crimée entre Russie et Ukraine. Un conflit qui n a pas eu lieu, Emmanuelle Armandon», Revue d'études comparatives Est-Ouest [En ligne], , mis en ligne le 15 décembre 2013, consulté le 28 mars URL : NecPlus
2 154 Revue des livres Emmanuelle ARmAndon, La Crimée entre Russie et Ukraine. Un conlit qui n a pas eu lieu, préface d Anne de Tinguy, Bruylant, collection «voisinages européens», Paris, 380 p. L Ukraine n a pas manqué de donner matière à rélexion depuis l éclatement de l URSS. Sa taille la désignait comme un objet de recherche particulièrement pertinent et décisif pour donner à comprendre et à évaluer de multiples points de vue les conséquences de cet exceptionnel phénomène historique qu était la in de l empire soviétique. Dans ce vaste ensemble voué aux indépendances et, dans certains cas, aux «décolonisations», ses caractéristiques la désignaient comme un enjeu majeur du maintien de la paix en Europe et dans le monde. Emmanuelle Armandon a choisi de «lire» le cas de l Ukraine et ses multiples dimensions exemplaires au travers du prisme particulier qu offrait et qu offre encore la question du risque de sécession de la Crimée, cette péninsule dont l histoire a démontré à plusieurs reprises le caractère stratégique. Au point de départ de son ouvrage, elle souligne que tout donnait à penser que la Crimée pouvait, une nouvelle fois, être au cœur d un conlit grave : sa situation la périphérie de l Ukraine où se trouve une base navale dépendant de longue date de la Russie ; sa population principale se réclamant d identité et de langue russes ; sa minorité tatare ce peuple «turc» autrefois déporté et désireux de retrouver ses racines géographiques ; son «appartenance» à un État nouveau une Ukraine soucieuse d afirmer son indépendance et son intégrité territoriale À travers ces éléments qu elle met en lumière, Emmanuelle Armandon nous amène à suivre la montée progressive d une tension susceptible de déboucher sur une «sécession» dont la conséquence ne saurait être autre chose qu un conlit grave risquant d impliquer l Ukraine et la Russie mais aussi les autres puissances, notamment européennes. Chemin faisant, le lecteur se voit rappeler tous les paramètres susceptibles d être les ingrédients de ce conlit en puissance : les structures sociales, l économie, l histoire de la Crimée bien sûr mais aussi de toutes les parties en cause. Dans son analyse, l auteur applique une grille de lecture théorique, pertinente pour comprendre d autres situations dans l ex-urss mais aussi d autres parties du monde. Dans le cas de l Ukraine, cette grille justiie toutes les craintes exprimées jusqu au milieu des années VOLUME 44, DÉCEMBRE 2013
3 Revue des livres 155 Et pourtant, la sécession de la Crimée n a pas eu lieu, malgré l intensité et la profondeur des sources de désaccord, malgré les désirs des divers groupes sociaux en cause, exprimés dans le cadre de multiples enquêtes, référendums et élections locales ou régionales, et repris par leurs représentants à toute occasion. C est d ailleurs un des intérêts centraux de l étude proposée par Emmanuelle Armandon que de pouvoir suivre les évolutions au il du temps des diverses représentations sociales et des discours des dirigeants de tous niveaux et de toutes tendances, qu ils relèvent de l État ukrainien bien sûr mais aussi de la Russie. Or, au il des pages, on observe une réduction des tensions et des risques au travers même de ces discours et de ces représentations. Une hypothèse est avancée, qui structure la seconde partie de l ouvrage : ce recul serait l effet de ce qu il est convenu d appeler la «diplomatie préventive», un concept reviviié par l ONU au début des années 1990, visant à identiier à l avance les causes des conlits et à agir pour éviter les affrontements armés. C est d ailleurs à ce titre que nombre d institutions internationales se sont engagées dans diverses régions du monde. En Ukraine à propos de la Crimée, ce sont l ONU et l OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) qui ont agi principalement au nom de l évitement des dérives. L auteur dresse un tableau détaillé de toutes les actions de médiation menées dans cette perspective, notamment entre les autorités criméennes réclamant l indépendance vis-à-vis de l Ukraine, voire le rattachement à la Russie, ainsi que celles ayant pour objectif d alléger les problèmes posés par la réinstallation en Crimée des Tatars revenus dans la péninsule dont ils avaient été chassés en 1944, accusés de «collaboration» avec les envahisseurs allemands. Nombreuses ont été les concertations rassemblant tous les acteurs, les propositions visant à les satisfaire juridiquement et politiquement, les promesses d aide inancière (et les versements) destinées à soutenir la réinstallation des peuples autrefois déportés. Emmanuelle Armandon n en décerne pas pour autant un satisfecit définitif aux principes de la diplomatie préventive et aux actions qu elle a entraînées. Elle souligne en particulier les délais de négociation et de mise en place des règles du jeu et des mesures préconisées, ainsi que l éventuelle ambiguïté des dispositifs en vigueur. Elle accorde par contre une importance non négligeable aux changements d attitude des dirigeants russes et ukrainiens à l égard
4 156 Revue des livres de la question de Crimée. Ainsi, Léonid Koutchma, Président de l Ukraine de 1994 à 2004 et les autorités de la Crimée «autonome» ont su trouver les compromis nécessaires à l évitement de la violence, cependant que les tensions inter-ethniques s apaisaient. Ainsi également, la Russie conduite par Boris Eltsine et préoccupée par ailleurs par la sécession tchétchène, a su, au nom du maintien de relations porteuses d avenir, donner progressivement une place moindre à ses exigences concernant l appartenance de la Crimée et de la base navale de Sébastopol, même si des voix ont continué de s élever pour regretter le «don» fait par Nikita Khrouchtchev en Ce sont aussi ces changements d attitude réciproques qu enregistrent, en 1997, d une part le Traité russo-ukrainien d amitié, de coopération et de partenariat et d autre part les accords sur le partage de la flotte de la mer Noire. Bien entendu, on le sait, échapper au risque de conflit violent qui était craint dans les premières années 1990 n a pas empêché que des désaccords se manifestent ultérieurement, notamment à propos des livraisons de gaz ou de l insertion de l Ukraine dans une zone privilégiée d échanges entre certains États post-soviétiques. Mais il s agit là de logiques qui confirment presque la banalisation relative de la relation entre les deux pays. Emmanuelle Armandon souligne certes la nécessité d une confirmation durable de l évolution pacifiée au sens le plus fort du terme de la relation entre tous les acteurs concernés par l avenir de cette péninsule si particulière. Elle aura cependant donné à comprendre l extrême complexité de la question criméenne et les raisons pour lesquelles le conflit plus ou moins attendu n a pas eu lieu. Nul doute d ailleurs que certains points du positionnement international de l Ukraine ne manqueront pas d attirer l attention sur cette question au cours des années à venir : on pense évidemment aux perspectives concernant l OTAN, mais aussi au projet d élargissement de l Union Européenne à l Ukraine, dont l ajournement, comme on l a constaté récemment, a suscité de vives tensions en Ukraine. Lire le présent ouvrage publié chez Bruylant amène non seulement à mieux connaître les réalités ukrainiennes, mais encore à saisir que, dans cette région de l Europe, une «construction» est à l œuvre ; elle se traduit par une modification lente des représentations de tous les acteurs intérieurs, extérieurs et internationaux impliqués par les VOLUME 44, DÉCEMBRE 2013
5 Revue des livres 157 questions soulevées. À sa façon, Emmanuelle Armandon, donne à propos de la Crimée, dans le champ de la recherche en relations internationales, une vision particulièrement riche et pertinente. Gérard Wild Svetlana Alexievitch, La in de l homme rouge ou le temps du désenchantement, Éditions Actes Sud, Paris, 2013, 542 p. À l heure actuelle, un Russe moyen de quarante ans aura vécu autant dans la Russie postsoviétique qu en URSS. À en croire certaines études sociologiques, une grande partie des Russes se sont resocialisés et adaptés à l économie de marché (Rose, 2008). Pour autant, la nostalgie du passé soviétique semble être plus forte que jamais, associée à la dépréciation de la perestroïka, un «anti-événement» du XX e siècle (Dubin, 2011). Quant au père de la perestroïka, Mikhaïl Gorbatchev, il partage avec le premier président de la Russie postsoviétique, Boris Eltsine, le palmarès des personnages historiques les plus impopulaires parmi les Russes (Levada Centr, 2013b). L étude sociologique longitudinale Vingt ans des réformes vus par les Russes, effectuée par l Académie des sciences russe en coopération avec la Fondation Friedrich Neumann à deux reprises, en 2001 puis en 2011, constate que l insatisfaction à l égard des réformes libérales du début des années 1990 reste prégnante au sein de la société russe (Institut sociologii RAN, 2011, p. 25) 1. Il ressort qu en Russie, ce phénomène serait moins appréhendé comme une 1. Ainsi, en 2011, 48 % des Russes attribuent aux réformes libérales des années 1990 «la baisse du niveau de vie de la majorité de la population» ; 31 % parlent de «l absence de l ordre» ; 29 % «la chute de la morale» («padenie morali») ; 27 % évoquent «la perte de la stabilité, du sentiment de sécurité» ; 15 % mentionnent la «baisse de l autorité de la Russie dans le monde» (à noter qu en 2001, ce pourcentage a été de 35%) etc.. En ce qui concerne les côtés positifs des réformes, les Russes évoquent le plus souvent la disparition de la pénurie alimentaire et la liberté de voyager (52 % et 32 % respectivement en 2011). Il faut cependant préciser que si l attitude face aux réformes des années 1990 évolue vers plus d indulgence, la liste de leurs conséquences négatives reste plus longue que la liste des conséquences positives.
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