La masse du boson de Higgs
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- Jean-Charles Dubé
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1 La masse du boson de Higgs Jean Zinn-Justin CEA, IRFU (irfu.cea.fr) Centre de Saclay Gif-sur-Yvette et (Shanghai University) 1
2 Au début était le Big Bang i r f u Big Bang 2
3 Transition de phase et masse des particules fondamentales Par un mécanisme encore mystérieux, l énergie du Big Bang engendra toutes les particules fondamentales: quarks constituants des protons, neutrons les leptons (électrons, neutrinos, muons ), les bosons vecteurs: photons, Z, W+, W-, gluons et peut-être d autres que nous ne connaissons pas encore. Mais toutes étaient nées sans masse. Dans une fraction de seconde après le Big Bang, la température ayant diminué, une transition de phase* eut lieu qui donna des masses à toutes les particules, leptons, quarks, bosons vecteurs, sauf le photon, médiateur des interactions électromagnétiques, et les gluons, médiateurs des interactions fortes entre quarks. *Des exemples de transition de phase sont la transition liquidevapeur, liquide-solide, Hélium fluide à superfluide 3
4 Les particules fondamentales en
5 Transition de phase et brisure spontanée de symétrie T>T c Surface d énergie: minimum symétrique À cause de l invariance par rotation autour de l axe vertical, le minimum de la surface d énergie, s il est unique, est à l origine. 5
6 Transition de phase et brisure spontanée de symétrie T<T c Surface d énergie: minimum dégénéré À cause de l invariance par rotation autour de l axe vertical, la surface d énergie admet un cercle de minima. 6
7 Transition de phase et boson de Higgs i r f u La théorie (le Modèle Standard des interactions à l échelle microscopique) prédit que de cette transition de phase il reste une particule relique supplémentaire, un boson scalaire (sans spin), le boson de Higgs, la seule particule du Modèle Standard qui reste à découvrir. Par ses propriétés, elle est seule de son espèce. Sa mise en évidence est un objectif majeur du Large Hadron Collider (CERN, Genève), l accélérateur dans lequel les physiciens enregistrent des collisions proton-proton depuis deux ans. 7
8 Théorie quantique des champs: le problème des infinis La physique à l échelle microscopique est décrite par le Modèle Standard qui est une théorie quantique des champs, une théorie quantique et relativiste. Sa construction a commencé vers 1930 par une généralisation quantique de l électromagnétisme de Maxwell (Dirac, Heisenberg, Pauli) appelée Electrodynamique Quantique. Dès 1934 (Weisskopf), il devint évident que la nouvelle théorie, conduisait à des résultats infinis à cause de la nature ponctuelle des particules et des interactions. Clairement, la nouvelle théorie était, en un certain sens, incomplète. De plus, toute tentative simple pour modifier la théorie à courte distance pour la rendre finie, conduisait à la violation de principes fondamentaux, par exemple, la conservation des probabilités dans les processus physiques, une propriété fondamentale de la mécanique quantique. 8
9 Théorie quantique des champs: le problème des infinis Néanmoins, dans les années qui suivirent des calculs furent effectués avec de telles modifications, supposant que la théorie n était valable que jusqu à une certaine distance liée, par exemple, à la portée des forces nucléaires. Le but de ces calculs était d estimer au moins l ordre de grandeur des corrections à la théorie classique, à défaut de conduire à prédiction précise puisque les résultats étaient fonction de la distance de modification et de la forme explicite de la modification. Au lieu de la distance a de modification, on exprime en général les divergences en fonction d une échelle d énergie dite de coupure Λ=ħc/a >> mc 2 (courte distance est équivalent à haute énergie pour les phénomènes très quantiques et relativistes) où m la plus grande masse des fermions et bosons. 9
10 Le boson scalaire: les infinis En 1939, Weisskopf remarqua que les corrections pour les fermions chargés (comme les électrons et les protons) étaient beaucoup plus petites que pour les bosons scalaires chargés. Dans un calcul au premier ordre, on trouve des termes en α ln(λ/mc 2 ) pour les fermions, α (L/mc 2 ) 2 pour les bosons sans spin, où α =e 2 /4πħc= (24) 10 3 est la constante de structure fine. Comme α est petit, pour les fermions les divergences logarithmiques conduisaient à des corrections d ordre de grandeur acceptable, au contraire des divergences quadratiques des bosons. Dans les années qui suivirent, le point de vue se répandit que les bosons sans spin ne pouvaient pas être des particules élémentaires. 10
11 L idée de renormalisation i r f u En physique, quand on rencontre des nombres très grands, une hypothèse plausible est qu on a paramétré les phénomènes en terme de quantités inappropriées à leur échelle. Par exemple, décrire les propriétés d une table en terme de la structure atomique. Dans le cas de l électrodynamique quantique, la nécessité d introduire une échelle nouvelle très petite où le modèle devait être modifié, suggérait que les paramètres initiaux de la théorie étaient en fait appropriés à cette échelle microscopique et pouvaient donc être très différents des paramètres adaptés à la physique observée. En effet, les charges et les masses des particules sont elles-mêmes modifiées par l interaction électromagnétique. 11
12 Renormalisation et insensibilité à la modification de courte distance Si a 0 et m 0 sont les paramètres qui apparaissent dans la théorie (dans le lagrangien), les quantités mesurées, a et m, sont données par un développement de la forme a=a 0 +# a 0 2 ln(λ/m 0 c 2 )+ m=m 0 (1+ # a 0 ln(λ/m 0 c 2 )+ ) L idée est d inverser ces relations, d exprimer a 0 et m 0 en fonction de a et m, et d exprimer ensuite toute observable physique en terme de a et m au lieu de a 0 et m 0. Cette transformation est appelée renormalisation. Alors un miracle se produisit: pour toutes les quantités physiques (mesurables), après cette reparamétrisation, toutes les contributions qui tendent vers l infini quand L tend vers l infini se compensaient et les résultats étaient indépendants de la forme précise de la modification de courte distance. 12
13 Renormalisation et insensibilité à la modification de courte distance Dans la limite où la distance de coupure tend vers zéro, les quantités physiques, exprimées en termes des variables macroscopiques, charges et masses physiques, semblent en un sens insensibles à la structure artificielle de courte distance introduite pour rendre la théorie finie. De façon un peu surprenante, cette procédure (Feynman, Tomonaga, Schwinger) conduisit à des prédictions en excellent accord avec les résultats expérimentaux. L Électrodynamique Quantique est d ailleurs la théorie qui est vérifiée avec le plus de précision de toutes les théories physiques. 13
14 La renormalisation i r f u Néanmoins, cette stratégie compliquée, impliquant dans une étape intermédiaire d introduire une théorie artificielle ayant des propriétés non physiques à courte distance (ou grande énergie) et des paramètres dépendant de façon singulière d une échelle microscopique, continua à susciter un grand malaise chez les théoriciens. On essaya donc d imaginer un cadre théorique d où cet intermédiaire serait absent. Cela devint même l école dominante dans les années 1960 et Cette démarche conduisait à des règles de calcul très artificielles dont l origine physique était difficile à comprendre. De plus, la physique classique, relativiste ou pas, la mécanique quantique non-relativiste sont basées sur les notions de lagrangien et d hamiltonien, et soudain dans le cas de la mécanique quantique et relativiste, il fallait les abandonner! 14
15 Boson de Higgs et renormalisation i r f u Pour la question qui nous concerne ici, l existence de bosons scalaires, la conséquence fût que le problème des trop grandes corrections quantiques, fût déclaré non-physique et promptement oublié. Dans les années 1960 et début des années 70 fut construit le Modèle Standard des interactions à l échelle microscopique, basé sur la structure mathématique de théorie de jauge nonabélienne (Yang, Mills) et de symétrie brisée spontanément. Ce modèle (un peu adapté à la masse des neutrinos) décrit encore aujourd hui toute la physique à l échelle microscopique. Dans ce modèle un boson scalaire, le boson de Higgs (Higgs est le nom d un physicien) joue un rôle central, étant directement lié aux masses des particules. Notons qu aucun physicien impliqué dans cette construction ne semble avoir insisté alors sur la difficulté potentielle associée aux trop grandes corrections quantiques. 15
16 Transitions de phase macroscopiques et théorie quantique des champs Des exemples de transitions de phase macroscopiques ont déjà été mentionné: liquide-vapeur, Hélium fluide à superfluide, démixtion des mélanges binaires, aimantation-désaimantation À peu près dans le même temps où le Modèle Standard était construit, eut lieu une avancée très remarquable dans la théorie des transitions de phase macroscopiques continues, résolvant un problème posé depuis des décennies. Il était lié à la détermination des singularités des fonctions thermodynamiques à la température de transition. La dynamique de ces phénomènes est entièrement décrite à une échelle microscopique, comme la maille du réseau pour les cristaux, la portée des forces, par des degrés de liberté (variables dynamiques) et des interactions associés à cette échelle. 16
17 Transitions de phase macroscopiques, un exemple: systèmes ferromagnétiques Modèle de spins sur les sommets d un réseau bidimensionnel avec, par exemple, interactions de proches voisins 17
18 Transitions de phase macroscopiques et théorie quantique des champs À haute température, les interactions deviennent négligeables, les systèmes sont désordonnés, l aimantation est nulle: au sens des probabilités les spins forment une collection de variables indépendantes. Par contre, quand on s approche de la température de transition, ou température critiaue, une nouvelle échelle est engendrée: la longueur de corrélation. Les spins séparés d une longueur de corrélation (ou moins) apparaissent comme corrélés. Cette longueur de corrélation tend vers l infini quand on s approche de la température de transition. En dessous de la température de transition, les systèmes sont ordonnés, une aimantation spontanée apparaît. La théorie classique qui décrivait ces transitions prédisaient des propriétés universelles au voisinage de la température de transition, mais dont la forme explicite se révéla incompatible avec l expérience et des solutions de modèles particuliers. 18
19 Transitions de phase macroscopiques et théorie quantique des champs Ce problème défia pendant longtemps la sagacité des théoriciens. La solution vint de l utilisation d un outil technique nouveau remarquable, le groupe de renormalisation (Kdanoff, Wilson ). Une conséquence surprenante est que les propriétés macroscopiques universelles de ces transitions de phase peuvent être décrites par une théorie quantique des champs (en temps imaginaire) avec un champ scalaire. Mais, comparée à la théorie des interactions microscopiques, cette théorie a des modifications à courte distance qui reflètent qualitativement la structure microscopique initiale et qui rendent la théorie finie. Cependant, le groupe de renormalisation permet de montrer que les propriétés universelles ne dépendent pas de tous les détails de la structure de courte distance mais seulement de quelques aspects généraux (symétries.). De plus ces propriétés diffèrent de celles de la théorie classique. 19
20 Transitions de phase macroscopiques et théorie quantique des champs Exemple de la transition d aimantation Théorie classique ou de Landau: M= T c T. Théorie quantique des champs: M=(T c T) β, β Ising =0,3258 (0,0014) 20
21 Transitions de phase macroscopiques et théorie quantique des champs Certaines de ces conclusions s appliquent directement au boson de Higgs et plus généralement à la théorie quantique des champs des interactions à l échelle microscopique: Rejeter la théorie lagrangienne initiale, modifiée à courte distance, avec l argument que ces modifications violaient des principes de la physique, était une conclusion prématurée: ces modifications simulent les effets d une théorie plus fondamentale, inconnue, mais dont les effets directs ne sont observables qu à beaucoup plus courte distance. Cependant, le groupe de renormalisation nous apprend que seuls quelques aspects très qualitatifs de ces modifications sont importants à grande échelle (grande échelle signifie ici cm qui, par exemple, est beaucoup plus grand que la longueur de Planck). Apparemment, les modifications qui avaient été introduites sont compatibles avec ceux de cette théorie plus fondamentale. 21
22 Boson de Higgs et ajustage fin i r f u La longueur de corrélation est l équivalent de l inverse de la masse. Comme la longueur de corrélation ne devient beaucoup plus grande que l échelle microscopique qu au voisinage de la température critique, on en déduit que la masse m Higgs du boson scalaire ne devient petite par rapport à l échelle de modification, m Higgs << Λ/c 2 =ħ/ac que si un paramètre du lagrangien (équivalent de la température) est ajustée très précisément. Une mesure qualitative du degré d ajustage fin est f (Λ/m Higgs c 2 ) 2 /8π 2 Le Modèle Standard de la physique à l échelle microscopique, ne fait aucune prédiction sur les masses des particules qui sont autant de paramètres libres, et c est d ailleurs un de ses défauts majeurs. En particulier, la masse du boson de Higgs n est pas prédite. Il faut donc explorer expérimentalement tout le domaine accessible. 22
23 La masse du boson de Higgs au LHC 23
24 La masse du boson de Higgs au LHC 24
25 La masse du boson de Higgs au LHC 25
26 L ajustage fin et le boson de Higgs i r f u Expérimentalement la masse du boson de Higgs semble donc se trouver entre 115 Gev/c 2 (recherche directe au LEP) et 131 Gev/ c 2. Pour éviter un ajustage fin, trois scénarios ont été envisagés : La supersymétrie (qui relie bosons et fermions): Λ est alors relié à l échelle de brisure de supersymétrie; Le boson de Higgs est un état lié de fermions (d un nouveau type?). Il est une manifestation de dimensions supplémentaires de l espace, l ajustage fin est alors remplacé par un ajustage de l épaisseur des dimensions supplémentaires. Toutes ces extensions du Modèle Standard prédisent de nouvelles particules, que le LHC essaye de mettre en évidence. 26
27 Particle search. at LHC
28 La masse du boson de Higgs et l ajustage fin i r f u Comme jusqu aujourd hui aucune particule nouvelle n a été trouvé au LHC en dessous environ de 500 GeV, le degré d ajustage fin est au moins d ordre ce qui est acceptable. f = (Λ/m Higgs c 2 ) 2 /8π 2 0,2 Cependant, si aucune trace de nouvelle physique n était trouvée en dessous de 2 TeV et si le boson de Higgs était trouvé avec une masse par exemple de 125 GeV/ c 2, alors la correction relative à la masse du boson de Higgs serait d ordre f 1 ce qui serait un sujet de perplexité, mais pas encore une crise. 28
29 Conclusion i r f u À la fin 2012, le problème expérimental de la masse du boson de Higgs pourra sans doute être considéré comme résolu. S il était découvert dans l intervalle maintenant encore permis, le Modèle Standard s en trouverait totalement confirmé. Il resterait à rechercher la physique nouvelle au delà du Modèle Standard. Si rien n est découvert avant fin 2012, il faudra attendre la deuxième phase après 2013 où le LHC fonctionnera à son énergie nominale. Si alors rien n était découvert, un nouveau problème mystérieux apparaîtrait, le problème de l ajustage fin d un paramètre de la théorie. 29
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