RONSARD, Sonnets pour Hélène, II, XXIV : «Quand vous serez bien vieille»

Dimension: px

Commencer à balayer dès la page:

Download "RONSARD, Sonnets pour Hélène, II, XXIV : «Quand vous serez bien vieille»"

Thibaut Pelletier
il y a 6 ans
Total affichages :

1 RONSARD, Sonnets pour Hélène, II, XXIV : «Quand vous serez bien vieille» Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : «Ronsard me célébrait du temps que j étais belle.» Lors vous n aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s aille réveillant, Bénissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre, et fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m en croyez, n attendez à demain ; Cueillez dès aujourd hui les roses de la vie.

NOTES Chandelle : bougie à base de suif (graisse animale) ; c est un signe de luxe Dévider, filer : deux étapes du travail de la laine, occupation féminine (dérouler la laine en la tordant de manière

2 NOTES Chandelle : bougie à base de suif (graisse animale) ; c est un signe de luxe Dévider, filer : deux étapes du travail de la laine, occupation féminine (dérouler la laine en la tordant de manière à former un fil) Célébrer : faire publiquement l éloge de qn Lors : alors Oyant : entendant Sous le labeur : à la suite du travail (pénible, qui fatigue) Bruit : nom Ne s aille réveillant : ne se réveille Myrteux : à l ombre des myrtes (plante méridionale consacrée à Vénus et fréquente dans les cimetières, car restant verte en hiver) Dédain : mépris (fier : orgueilleux) Fileuse en Haute-Maurienne, Paul-Louis Mestrallet (1886-?)

3 INTRODUCTION RONSARD, Sonnets pour Hélène, II, XXIV : «Quand vous serez bien vieille» En 1578, deux livres de sonnets sont entièrement consacrés à Hélène de Surgères, jeune fille d honneur de Catherine de Médicis, que Ronsard a rencontrée en il s agit d abord d une œuvre de commande, mais Ronsard se serait pris au jeu et serait tombé amoureux de la jeune femme. Cependant, vieilli et malade, le poète sait que le temps lui est compté. C est donc avec une mélancolie toute personnelle qu il aborde la thématique de l éloge amoureux, le mêlant au thème de la fuite du temps. C est cette situation qui permet à Ronsard de renouveler la traditionnelle invite à l amour, qui est ici présentée de manière paradoxale. Pb : nous verrons comment l art du sonnet met en relief l originalité de cette invite amoureuse, qui marque aussi l évolution de la poésie française au XVI e s.

4 LECTURE EXPRESSIVE QUI N OUBLIE PAS LES E MUETS

5 Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : «Ronsard me célébrait du temps que j étais belle.» Lors vous n aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s aille réveillant, Bénissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre, et fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour// et votre fier dédain. Vivez, si m en croyez, n attendez à demain ; Cueillez dès aujourd hui les roses de la vie.

6 LE CADRE TEMPOREL La déstabilisation temporelle : Projection dans l avenir (prolepse / anticipation) : futurs lointain : vieillesse avancée pour la jeune fille, mort pour le poète connecteurs temporels permettant de faire le voyage Le présent devient passé (imparfait) : inversion du regard habituel / retour en arrière >>relecture du présent, sa remise en cause La déstabilisation temporelle se fait en 2 temps : Une inversion de point de vue grâce au basculement temporel, qui sert d avertissement : on regarde le présent depuis l avenir / un flash back virtuel On revient au présent pour cette fois construire un nouvel avenir que celui qui semblait prévisible : impératifs pour guider une nouvelle approche du présent : - Actuellement la jeune fille se refuse à l amour de Ronsard (v12 coupé en 2 par la césure, 2 hémistiches de sens antithétique) - Il faudra qu elle apprenne à profiter du moment présent : «carpe diem» Un dialogue paradoxal /une communication rompue La jeune fille et la servante parlent de Ronsard de manière posthume (il est déjà mort) Ronsard s adresse au présent à la jeune fille La communication est doublement rompue Par le dédain présent de la jeune fille qui ne s intéresse pas à Ronsard Par la mort future du poète

7 Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : «Ronsard me célébrait du temps que j étais belle.» Lors vous n aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s aille réveillant, Bénissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre, et fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m en croyez, n attendez à demain ; Cueillez dès aujourd hui les roses de la vie.

8 LE CADRE SPATIAL UN TRIPTYQUE (tableau articulé en 3 images) La destinataire Sa servante Le poète lui-même L art du peintre : les sensations visuelles - Ronsard copie la technique du clair-obscur utilisé par certains peintres : pièce sombre éclairée par quelques sources de lumière minimales - Autour du foyer central, on devine la disposition des personnages et leur occupation La poésie permet de compléter le tableau par des sensations auditives : - A la chanson de la jeune fille qui introduit une atmosphère feutrée - s ajoute le dialogue entre elle et sa servante (noter que la servante, moins importante, ne parle qu au style indirect et ne fait que répéter les paroles de la maîtresse) Le cadre est réaliste Décor simple, réduit au minimum >> fin de la vie sociale brillante : solitude, immobilité, loisirs simples et pensées tournées vers le passé Les ravages de l âge : fatigue, déformation physique,mort >>réalisme en gradation : images-choc dans le 1 er tercet LA STRUCTURE DU SONNET EST CALCULEE 2 quatrains : visualisation sous forme de prolepse de l avenir d Hélène (Hélène puis sa servante) 1 e tercet : idem pour le poète 2 e tercet : conclusion/morale >>le clair-obscur du début devient le symbole de l avenir de ++ sombre des deux personnages, et appelle à une réaction immédiate (Ronsard presse Hélène avec ses impératifs : il y a situation d urgence >>rythme du 13 e vers, suppliant, haletant : 2/4//3/3

9 Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : «Ronsard me célébrait du temps que j étais belle.» Lors vous n aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s aille réveillant, Bénissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre, et fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m en croyez, n attendez à demain ; Cueillez dès aujourd hui les roses de la vie.

10 UN POEME ARGUMENTATIF UN ELOGE PARADOXAL (ton épidictique) Une triple déclaration d amour qui correspond au triptyque 2 déclarations d amour indirectes -rappel dans le futur des vers présents qu écrit Ronsard à Hélène : «célébrait» = éloge public dont le sujet est la beauté de la destinataire : Hélène elle-même sert de témoin («chantant mes vers») -rappel dans le futur de la renommée acquise par Hélène grâce aux vers de Ronsard : la servante sert d écho de la voix publique générale : «vous n aurez» = chaque servante (ferait pareil) 1 déclaration d amour en direct, au présent, de la part de Ronsard >>structure en gradation UN CHANTAGE AMOUREUX Rappel de la différence de statut du locuteur et de la destinataire - Opposition forte marquée par les deux pronoms en début de vers - Le 1 er tercet rappelle indirectement et avec lucidité leur différence d âge (elle sera vieille, mais lui sera mort) - Cependant il y a antithèse entre les 2 avenirs : le regard sur la mort du poète est plus apaisé et plus désirable - que la vieillesse de la jeune fille «accroupie» comme une «vieille» sans nom, anonyme)>> un seul vers, brutal en effet, Ronsard est déjà célèbre, il déjà tout eu de la vie, y compris l amour ( cf myrte, arbre de Vénus) :«prendrai mon repos», «ombres myrteux» >> 2 vers qui sont comme une promenade tranquille, en vacances (fluidité de l enjambement) >>registre à la fois fantastique et humoristique pour l avenir de Ronsard qui s oppose au réalisme cru d Hélène défigurée, qui a perdu sa beauté >>le raisonnement aboutit à un syllogisme : (Majeure) : les femmes aimées par Ronsard deviennent célèbres, donc immortelles ; (mineure) : or je vous aime et désire vous célébrer ; (conclusion) : donc vous deviendrez célèbre et immortelle (si vous acceptez mon amour). Dans le cas contraire, votre vieillesse sera sinistre et anonyme encore pire que le portrait virtuel des deux quatrains.. >>conséquence : il se dégage une morale pressante (vu l âge de Ronsard et la fragilité de la beauté féminine) : épicurisme / morale épicurienne >>chute du sonnet : termine le poème sombre et réaliste sur une image de beauté très féminine (la rose est la métaphore la plus utilisée pour parler d une femme et de l amour)

Documents pareils

Liens entre la peinture et la poésie

Liens entre la peinture et la poésie Ophélie dans Hamlet Ophélie est un personnage fictif de la tragédie d Hamlet, une célèbre pièce de William Shakespeare. Elle partage une idylle romantique avec Hamlet