La Conscience. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l origine et les fondements de l inégalité parmi les hommes.
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- Michele Brousseau
- il y a 6 ans
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1 La Conscience I. Introduction : Qu est-ce qu être conscient? «Le premier sentiment de l homme fut celui de son existence» Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l origine et les fondements de l inégalité parmi les hommes. La conscience est d abord une présence à soi. Lorsque j éprouve ce sentiment ou un autre, lorsque je sens une douleur, je le sais sans avoir à y réfléchir, il s agit d un savoir immédiat. Immédiat signifie qu il n y a pas de moyen-terme, sans intermédiaire. C est le contraire de médiat, qui passe par autre chose, par une médiation. Pas besoin de réfléchir pour savoir que j ai mal. Ainsi on comprend la racine étymologique du mot conscience : cum (avec) scientia (savoir, science) = état de science avec soi-même. Jusqu où va cette science, ce savoir? Suffit-il, comme le terme tend à le faire croire, d être conscient pour se connaître? La conscience peut-elle vraiment déboucher sur une connaissance? Ou encore, quel est le savoir auquel la conscience nous permet d accéder? La conscience que nous avons définie n a pas besoin de la réflexion mais il existe un niveau supérieur de la conscience qui y fait appel et que l on nomme conscience réflexive. A ce stade la conscience est alors objet regardé et sujet regardant. On pourrait alors penser que nous sommes le plus à même de nous comprendre et de nous connaître nous même, or lorsque l'on réfléchit sur ses actes passé on peut faire l'expérience du regret, on peut vouloir se désavouer de ses actes, comme si la conscience que nous avions jusqu'alors de nous même était incomplète. Le problème est alors que si comme le dit Rousseau notre premier sentiment est celui de notre existence, la connaissance de nous-mêmes ne nous est pas pour autant donnée. C'est en ce sens que Malebranche exprime l'insuffisance du savoir de la conscience dans l'extrait suivant : «[ ] nous n avons point d idée claire de notre âme, mais seulement conscience ou sentiment intérieur» Malebranche, Eclaircissements sur la recherche de la vérité. 1
2 II. Les différents types de conscience Lorsque l on parle de la conscience on désigne en fait plusieurs réalités qu il convient de distinguer. En effet, on peut par exemple dire que les animaux sont conscients mais pas au même sens que les êtres humains. a. La conscience immédiate La conscience immédiate ou irréfléchie est cette attention portée au monde qui nous entoure. C est ce qui permet l unification des sensations diverses que nous percevons à chaque instant et qui fait que nous sommes capable de nous repérer dans l espace, de chercher de la nourriture, de sentir un danger Tout nous est donné immédiatement, sans avoir à y réfléchir. En ce sens les animaux comme les hommes sont conscients. b. La conscience réfléchie Elle est conscience d être conscient ou conscience au carré. Elle désigne la possibilité pour la conscience de ressentir ce qui lui arrive et d avoir un savoir de ce qu elle fait. Par la réflexion, elle est capable de faire un retour sur soi et de se connaître comme conscience. Elle est le privilège de l homme, même si on observe chez certains animaux des similarités à des degrés moindres. c. La conscience morale C est la capacité à être responsable. Elle est le fait pour une conscience de se sentir obligé de se comporter de d une certaine façon. Elle désigne l exigence qu éprouve la conscience de prendre la mesure ses actions et de ses projets, ainsi que leurs conséquences possibles. «Conscience! Conscience! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l'homme semblable à Dieu, c'est toi qui fais l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m'égarer d'erreurs en erreurs à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe. Grâce au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie : nous pouvons être hommes sans être savants ; dispensés de consumer notre vie à l'étude de la morale, nous avons à moindres frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines. Mais ce n'est pas assez que ce guide existe, il faut savoir le reconnaître et le suivre. Rousseau, Emile ou de L Education. 2
3 III. Comment prendre conscience de soi? a. L expérience du doute «Archimède, pour tirer le globe terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, ne demandait rien qu'un point qui fût fixé et assuré. Ainsi j'aurai droit de concevoir de hautes espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable. Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n'avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l'étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu'est-ce donc qui pourra être estimé véritable? Peut-être rien autre chose, sinon qu'il n'y a rien au monde de certain.» Descartes, Méditations métaphysiques. Dès lors, le constat de Descartes paraît pessimiste : il semble qu il n y a aucune certitude possible, que l on peut douter de tout. Il en vient alors à l argument d une divinité supérieure qui serait capable de produire en lui ce qu il croit être ses pensées. «Mais que sais-je s'il n'y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute? N'y a-t-il point quelque Dieu ou quelque autre puissance qui me met en l'esprit ces pensées? Cela n'est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suisje point quelque chose? Mais j'ai déjà nié que j'eusse aucun sens ni aucun corps. J'hésite néanmoins, car que s'ensuit-il de là? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens que je ne puisse être sans eux? Mais je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que j'étais point? Non certes ; j'étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j'ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit» Idem. On le voit, on peut parvenir à la conscience véritable de notre existence par un usage méthodique du doute nous révélant ainsi la vérité première de tout sujet. 3
4 b. L intuition L'intuition dont nous parlons porte donc avant tout sur la durée intérieure. Elle saisit une succession qui n'est pas juxtaposition, une croissance par le dedans, le prolongement ininterrompu du passé dans un présent qui empiète sur l'avenir. C'est la vision directe de l'esprit par l'esprit. Plus rien d'interposé ; point de réfraction à travers le prisme dont une face est espace et dont l'autre est langage. Au lieu d'états contigus à des états, qui deviendront des mots juxtaposés à des mots, voici la continuité indivisible, et par là substantielle, du flux de la vie intérieure. Intuition signifie donc d'abord conscience, mais conscience immédiate, vision qui se distingue à peine de l'objet vu, connaissance qui est contact et même coïncidence. Bergson, La Pensée et le mouvant. «Ce que nous percevons en fait, c est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s'appuyer et se pencher ainsi est le propre d'un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir.» Bergson, L Energie spirituelle. IV. Quelle est la valeur de ce savoir? a. Une certaine superficialité «La conscience n est qu un réseau de communications entre les hommes; c est en cette seule qualité qu elle a été forcée de se développer: l homme qui vivait solitaire, en bête de proie, aurait pu s'en passer. Si nos actions, pensées, sentiments et mouvements parviennent du moins en partie à la surface de notre conscience, c est le résultat d une terrible nécessité qui a longtemps dominé l homme, le plus menacé des animaux: il avait besoin de secours et de protection, il avait besoin de son semblable, il était obligé de savoir dire ce besoin, de savoir se rendre intelligible; et pour tout cela, en premier lieu, il fallait qu il eût une "conscience", qu il "sût" lui-même ce qui lui manquait, qu il "sût" ce qu il sentait, qu il "sût" ce qu il pensait. Car comme toute créature vivante, l homme pense constamment, mais il l ignore. La pensée qui devient consciente ne représente que la partie la plus infime, disons la plus superficielle, la plus mauvaise, de tout ce qu il pense : car il n y a que cette pensée qui s exprime en paroles, c est-à-dire en signes d échanges, ce qui révèle l origine même de la conscience.» Nietzsche, Le Gai savoir. 4
5 b. Un certain déterminisme : la conscience de classe «Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.» Marx, L Idéologie allemande. c. Transition : le problème de l inconscient. Nous avons des raisons de douter de la conscience comme savoir absolu et immédiat. Il faut se méfier de la certitude que nous donne la conscience : «si cette certitude est invincible en tant que certitude, elle est douteuse en tant que vérité» Paul Ricœur. Le conflit des interprétations. Avec le XIXème siècle vient l ère du soupçon, trois penseurs clefs (Nietzsche, Marx et Freud) mettent à mal la conception de la conscience comme savante et comme point de départ de notre connaissance : «Un problème nouveau est né : celui du mensonge de la conscience, ou de la conscience comme mensonge. [ ] Ce problème ne peut pas rester un problème particulier parmi d autres, car ce qui est mise en question de manière générale et radicale, c est ce qui nous apparaît comme le champ, le fondement et l origine même de toute signification, je veux dire la conscience.» Idem. Dès lors, il semble qu avec l arrivée du concept d inconscient notre conception de l homme, de son pouvoir, de ses facultés et de son rapport au monde et à soi s en retrouve profondément ébranlée. 5
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