Maurice Godelier (dir.), La mort et ses au-delà
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- Yolande Clément
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1 Socio-anthropologie Mortels Maurice Godelier (dir.), La mort et ses au-delà Paris, CNRS Éditions (Bibliothèque de l Anthropologie), Lucie Jégat Éditeur Publications de la Sorbonne Édition électronique URL : ISSN : X Édition imprimée Date de publication : 10 septembre 2015 Pagination : ISBN : ISSN : Référence électronique Lucie Jégat, «Maurice Godelier (dir.), La mort et ses au-delà», Socio-anthropologie [En ligne], , mis en ligne le 10 septembre 2016, consulté le 03 janvier URL : Ce document a été généré automatiquement le 3 janvier Tous droits réservés
2 1 Maurice Godelier (dir.), La mort et ses au-delà Paris, CNRS Éditions (Bibliothèque de l Anthropologie), Lucie Jégat 1 Cet ouvrage collectif dirigé par Maurice Godelier se propose de mettre en regard différents contextes historiques et ethniques pour comprendre les représentations de la mort et leur mise en pratique. Le point de départ de la réflexion est une demande émanant de spécialistes du domaine de la santé. L idée est de proposer un éclairage original à ces questions de la mort et du mourir en partant de l altérité historique et culturelle, ce dont rend compte la construction de l ouvrage à la fois historique et anthropologique. Les premières contributions, qui vont de la Grèce antique jusqu au Moyen Âge chrétien, offrent ainsi une perspective historique alors que les contributions suivantes mettent l accent sur les matériaux anthropologiques. Cette double approche est enrichie par de nombreuses illustrations, permettant d éclairer le propos de façon opportune, et accompagnant une description minutieuse des pratiques. Si ces ingrédients rendent la lecture agréable et accessible, il n en demeure pas moins que les questions traitées sont relativement complexes. Ainsi, une question sous-jacente à l ensemble de l ouvrage est-elle de réfléchir à ce que recouvre le concept de «mort». Est-ce un état (être mort) ou une étape (mourir)? Les différentes contributions, si elles ne tranchent pas, permettent de réfléchir à la fois le «passage», avec l analyse des différents rituels funéraires, et «l état», à travers les représentations des au-delà. 2 L introduction de Maurice Godelier peut être considérée comme un chapitre à part entière du fait de la richesse sa réflexion. Il souligne avec pertinence que, si dans cet ouvrage, l accent est mis sur les croyances, notamment religieuses, c est parce qu elles seules offrent des représentations totalisantes et ont une capacité à produire des significations pouvant être reçues comme des vérités existentielles. Cette justification est bienvenue et permet de mieux saisir les choix qui ont été faits, de s intéresser aussi bien à la cosmologie qu aux mythes et aux normes qui y sont associés. Ce chapitre introductif offre l avantage de traiter chacune des quatorze contributions comme d un matériau
3 2 particulier. Maurice Godelier en tire une analyse à la fois sur l émergence des grandes religions actuelles et sur les invariants autour de la mort. Le premier point permet de contextualiser les différentes ritualités funéraires qui seront l objet des autres contributions de l ouvrage. L accent sur les régimes de croyances en tant que régimes sociaux, est au cœur de la plupart des contributions, et passe notamment par une analyse des mythes et des textes sacrés. Cette attention aux mythes fondateurs est des plus efficace lorsqu il s agit de traiter des croyances présentes sur des aires géographiques importantes et pour lesquelles il aurait été vain de vouloir rendre compte de la pluralité des pratiques : c est le cas pour l Islam, analysé par Christian Jambet, de la Grèce antique traitée par Françoise Frontisi-Ducroux ou encore de l Inde avec le texte de Jean-Claude Galey. 3 D après Maurice Godelier, les quatorze contributions permettent de mettre au jour des invariants anthropologiques qui constitueraient une sorte de socle commun des diverses élaborations culturelles des sociétés face à la mort. Néanmoins, les similitudes entre ces contributions nous semblent également offrir autant d axes de lecture possible des contributions dans toute leur richesse et leur diversité. 4 Le premier point concerne la question de la mémoire des morts, notamment à travers le thème des derniers moments du mourant. Le texte de Jean-Louis Voisin sur la Rome antique met en lumière l importance de l instant du mourir. C est par sa mort que le défunt définit l image qui restera de lui. Joël Thoraval, pour la Chine, souligne également ce souci du renom posthume, à travers l analyse du culte des ancêtres. Ainsi, la mémoire du défunt est-elle avant tout une mémoire collective, qui s inscrit dans les mythes ou dans l histoire familiale. Il en est de même dans les sociétés mélanésiennes : Maurice Godelier, à propos des Baruyas, met bien en avant que la mémoire du mort n est envisagée que de manière collective. 5 Cependant, cette valorisation collective des morts ne s oppose pas à une seconde représentation, elle aussi extrêmement présente : celle de la souillure ou de la contagion possible de la mort. Ce paradoxe entre éloge funèbre et souillure de la mort est mis en exergue par Jean-Louis Voisin. À Rome, l idée de souillure s illustre par l exclusion temporaire de la famille du défunt. Mais s il y a souillure, c est avant tout par peur de la contagion de la mort. Il faut donc que le défunt aille dans l au-delà et, surtout, qu il y reste. Ainsi les rites ont-ils pour vocation essentielle d éloigner les morts des vivants. Cet aspect est bien mis en lumière par Sylvie-Anne Goldberg pour le monde juif ou par Godelier chez les Baruyas, chez qui il convient de ne pas nommer la personne décédée. Chez les Thaïs bouddhistes, analysés par Bernard Formoso, les funérailles mettent en avant la dissociation le corps est couché à l envers, les objets du défunt sont cassés afin que le mort ne puisse revenir dans la maison perturber les vivants. Ce concept de contagion de la mort est lié à la représentation, là encore étonnamment commune à l ensemble des sociétés traditionnelles, qu il n existe pas de mort «naturelle», c est-àdire hors de toute cause humaine. Si la mort est d origine humaine, alors elle peut et doit être vengée. En ce sens, la mort appelle la mort. 6 Au-delà de ces similitudes, deux aspects présents dans la plupart des contributions nous ont semblé offrir de riches pistes de recherches. Le premier tient à l analyse des effets de l âge sur la représentation de la mort ; le deuxième concerne les différences de genre. La dimension de l âge tout d abord est abordée par la plupart des auteurs. Pour les Grecs, la vieillesse est stigmatisée comme perte de force vitale, alors que pour les Thaïs bouddhistes, elle est synonyme de bon karma et donc de reconnaissance sociale. Dans son
4 3 chapitre sur la mort en Inde, Jean-Claude Galey met bien en lumière le paradoxe de la vieillesse pour la société indienne : c est la période où l individu a le plus d attaches en ce monde, mais également celle où il doit s en détacher s il veut partir dans de bonnes conditions. La deuxième dimension, celle du genre, est primordiale. On peut regretter cependant avec Maurice Godelier que sa place reste minoritaire dans ces contributions. Toutefois, les auteurs qui y font référence offrent un éclairage extrêmement intéressant sur la place des femmes dans les rituels funéraires ou sur leur conception spécifique de la mort. Ainsi, Jean-Claude Galey montre-t-il que, si le mariage en Inde signifie déjà pour la femme une petite mort métaphorique, cet aspect est exacerbé en cas de veuvage. Elle sera alors incitée à renoncer à l ensemble de ses attachements terrestres, par sa mise à l écart, le respect du célibat ou la diminution du nombre de ses repas Anne Ducloux montre quant à elle le rôle spécifique des femmes, chargées de «pleurer à haute voix» dans les funérailles en Ouzbékistan. Enfin, la place des femmes est abordée en creux dans l ensemble des contributions lorsqu il est question de la naissance. Si leur rôle dans cette étape varie en importance, on peut néanmoins noter que ce statut peut leur valoir une certaine reconnaissance sociale. Chez les Baruyas, la société garde la mémoire des grands hommes, des grands combattants, mais également des grandes femmes, celles qui ont donné naissance et ont nourri beaucoup d enfants qui ont survécu. 7 Enfin, un des intérêts majeurs de cet ouvrage est de ne pas considérer les croyances et les pratiques comme des états stables, mais au contraire d en montrer les évolutions, notamment en traitant des enjeux des conversions religieuses ou des tensions entre religion et politique. La mise en lumière de ces enjeux est renforcée par l approche historique. Sylvie-Anne Goldberg, en interrogeant les pratiques judaïques de l Antiquité jusqu à la modernité, revient sur l élaboration des croyances et montre leurs liens avec le contexte historique et politique. La question de la conversion aux monothéismes est également posée par les anthropologues. Que ce soit les Baruyas, convertis au protestantisme, ou les Miraña d Amazonie, convertis au christianisme, nombre des contributions abordent cette question de la reconfiguration des croyances et des pratiques avec les grandes conversions. Plus généralement, les différents textes permettent de voir comment les pratiques anciennes s adaptent aux nouvelles croyances. À titre d exemple, Joël Thoraval, dans son chapitre sur la mort en Chine, met en lumière la tension qui a pu exister entre le confucianisme et le bouddhisme, et ce dès le premier siècle de notre ère, ou encore entre les impératifs religieux et le pouvoir impérial. Cette contribution a également l intérêt de poser la question des changements politiques récents en montrant les conséquences, en termes de rituels funéraires, de la politique maoïste. 8 Le pari de l altérité comme vecteur de connaissance est un pari tenu. Si nous ne pouvons qu abonder dans le sens de Maurice Godelier qui regrette la non-exhaustivité géographique de son échantillon, il n en demeure pas moins que la multiplicité des regards sur la mort permet aussi bien de poser la question en des termes neufs que d approfondir la réflexion sur ses enjeux actuels.
5 4 AUTEUR LUCIE JÉGAT Doctorante, École normale supérieure de Lyon
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