Juifs de Salonique en 1917
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- Sévérine Lefèvre
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1 Témoignage de Mada adame ATTAS-DECALO Nous avons rencontré Madame Estelle DECALO, Estelle ATTAS de son nom de jeune fille, à son domicile de la rue de Grézan à Nîmes, le 9 juin Âgée de 88 ans, Madame DECALO a l esprit et la répartie toujours vifs. Son fils Jacques était présent, nous apportant précisions et éclairages Estelle ATTAS est née le 24 août 1921 à Salonique. La ville, ottomane puis grecque avait été la destination de Juifs venus de tout l Ouest de la Méditerranée mais aussi des Balkans et de l empire austro-hongrois. Salonique était vraiment la ville des Juifs : une trentaine de synagogues, une population juive largement majoritaire habitants en 1939 dont Juifs. Des hommes et des femmes parlant en particulier le judéo-espagnol, une langue parlée en Espagne avant qu Isabelle la Catholique ne chasse les Juifs d Espagne en 1492.
2 Juifs de Salonique en 1917 Les Juifs de Salonique traversent la première moitié du XXe siècle avec difficulté. Les autorités grecques veulent reprendre la main sur cette ville qui sert de modèle aux dirigeants sionistes comme David Ben Gourion. En 1917, un incendie ravage une grande partie des quartiers juifs et le pogrom de 1931 laisse sans logis des centaines de familles. Entre 1941 et 1944, l Allemagne nazie, l Italie de Mussolini et la Bulgarie se partagent la Grèce et les nazis occupent Salonique : sur les Juifs de 1939, il n en reste que 17 en 1946!
3 Aussi, les familles qui émigrent sont nombreuses au cours des années 20 et des années 30. Les parents de Salomon PERAHIA émigrent en Ceux d Estelle ATTAS en La Canebière au début du XXe siècle. Elle a 2 ans lorsque ses parents arrivent à Marseille. Marseille, la porte d entrée en France de la Méditerranée et la France, terre de liberté, terre des droits de l homme, héritière des Lumières et de la Révolution émancipatrice des Juifs. Les Réformés Les ATTAS vivent dans un logement près des Réformés, en haut de la Canebière. Estelle y vit avec son père, sa mère ainsi que son frère. Le père est marchand forain et la mère tient un magasin de confection dans lequel Estelle est vendeuse. Son frère, depuis janvier 1943, a rejoint un maquis en Corse («sans jeu de mots», précise Jacques DECALO)
4 7 avril 1944 Les ATTAS sont embarqués par la Gestapo. Estelle est sortie mais dénoncée par la voisine du dessus («une Française!», dit-elle), elle est arrêtée par la Milice qui lui fait payer le taxi. Incarcérée à la prison des Baumettes au Sud-Est de Marseille, Estelle est alors séparée de son père qu elle ne reverra jamais. Elle a 22 ans et passe 20 jours dans cette sinistre prison. Les Baumettes Elle est envoyée avec sa mère au camp de Drancy, en banlieue parisienne. Elle peut travailler en journée et le soir les internés sont nourris par la Croix Rouge. DRANCY en 1944
5 Elle rencontre à Drancy Madame DECALO, la mère de celui qui sera plus tard son époux. Mais à cette époque elle ignore son existence tout comme sa présence dans un maquis. Elle rencontre également la sœur de son futur mari, Betty DECALO, âgée de 16 ans. 20 mai 1944 L ordre de déportation d un nouveau convoi vers Auschwitz a été signé et Estelle se retrouve avec sa mère dans un wagon plombé dans une gare de paris.
6 C est le convoi 74 qui transporte 1200 déportés. 904 sont gazés à l arrivée au camp d Auschwitz. C est le sort réservé à sa mère qui avait 52 ans. Se voyant séparée de sa mère, Estelle ATTAS s enfuit pour la rattraper. Elle nous raconte avec une émotion communicative, qu aucun son ne parvenait à sortir de sa gorge. Elle va rester plusieurs jours sans pouvoir parler. Ramenée, elle voit ainsi sa mère pour la dernière fois.
7 Déshabillée, tondue, tatouée sous les quolibets, les railleries, les injures. Estelle ATTAS porte désormais un numéro. Elle est le matricule Elle en oublie jusqu à son nom de famille qu elle ne parvient plus à mémoriser lorsqu elle est libérée Elle fait partie des 188 déportés sélectionnés pour le travail à l arrivée du camp. Le hasard entre autres choses. «C est Mengele qui décidait. Un bel homme, charmant mais il nous sélectionnait avec sa badine». 157 d entre eux ont survécu en Et parmi eux, 108 femmes comme Estelle.
8 A Auschwitz, elle rencontre Simone VEIL, arrivée un mois plus tôt Elle y entend parler de la résistante communiste alésienne, Danielle CASANOVA, qui s était suicidée à Auschwitz (il suffisait de se jeter sur les barbelés électrifiés ou se placer la nuit entre les lits où l on mourait étouffée) et dont le cadavre avait été pendu par les Allemands Le Cri du Gard (Alès), 7 mai 1952 Estelle DECALO ne se souvient plus combien de temps elle est restée à Auschwitz. Elle se rappelle le rythme : lever à 3 heures du matin et travail de 6 heures du matin à 6 heures du soir avec juste un peu d eau tiède à midi. Le soir, un quart de soupe dans une gamelle pour cinq filles. «Nous étions là-bas pour mourir»
9 Evacuée de Auschwitz Birkenau sans doute début janvier 1945, elle est envoyée à Bergen Belsen, puis en Tchécoslovaquie où elle travaille dans une usine d aviation. Elle faillit y être pendue pour avoir «saboté» le travail. Mais elle tient : «Je voulais rentrer. Ma belle-sœur avec son petit de 16 mois et j avais mission de m occuper de ma nièce de 6 ans» «Malgré ma misère et mes souffrances, Dieu m a aidée» En juin 1945, Estelle est ramenée en avion de Tchécoslovaquie à Lyon. Elle a le typhus et est incapable de marcher. Elle pèse 24 kilos. A Lyon, elle est prise en charge par la Croix Rouge qui la réalimente doucement. A 6 heures, à 8 heures, 10 heures, midi, 4 heures. «J avais faim tout le temps». Elle nous parle du bonheur de manger, de pouvoir se laver (elle ne quittait plus la baignoire), d avoir une culotte, une robe Au camp, elle avait eu des angines, la gale, des furoncles sur tout le corps et mal aux dents. Aller à l infirmerie équivalait quasiment à se suicider. Mais elle décida d aller voir le dentiste. Elle fit la queue, puis rapidement, se mit à laisser passer tout le monde devant elle, en entendant les cris et les hurlements des patients. En fin de matinée, elle rentra à l appel, sans avoir vu le dentiste Quelques-unes des filles d Auschwitz s étaient fait promesse de se retrouver si elles survivaient, à Marseille à Pâques C est ainsi qu en retrouvant Betty DECALO, elle fit la connaissance de son frère qu elle épouse le 28 décembre C est comme cela qu elle quitta Marseille pour Nîmes. Elle n a jamais voulu donner à son frère ou à son mari, le nom de la voisine qui l avait dénoncée, à Marseille
10 Madame Estelle DECALO entourée des élèves de la 1 ère STI Génie civil 2 qui ont mené cet entretien avec leur professeur d Histoire, Didier LAVRUT le 9 juin 209 Debout de gauche à droite : Sébastien RIVERO, Damien BLUM, Clément BESSEICHE Assis à côté de Madame DECALO : Clément AGUILA
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