LES LIEUX METTANT à DISPOSITION INTERNET Quel regard sur la prostitution des mineurs?

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1 LES LIEUX METTANT à DISPOSITION INTERNET Quel regard sur la prostitution des mineurs?

2 Cette publication a été réalisée avec le soutien financier de l Agence Française de Développement, l Union européenne, Australian Aid et AIRFRANCE. Le contenu de cette publication relève de la seule responsabilité d ECPAT France et ne reflète pas nécessairement la position de ses bailleurs. Equipe sociale d ECPAT France Madagascar Editeur : ECPAT France Madagascar

3 LES CYBERCAFéS L utilisation d internet s est progressivement démocratisée, suite à l expansion des offres des opérateurs dans la capitale puis dans les grandes villes de Madagascar. Les cybercafés se sont multipliés pour répondre au grand nombre de malgaches souhaitant accéder au réseau. L enquête a voulu savoir quel était le rôle des cybercafés dans le développement de la prostitution sur internet. Dans le cadre de notre enquête, 79 cybercafés ont accepté un entretien, 64 à Antananarivo et 15 à Nosy-bé. Que ce soit à Antananarivo ou à Nosy Be, le profil des clients consommant les services des cybercafés est diversifié : adultes, jeunes, travailleurs, étudiants, nationaux, étrangers, hommes et femmes. Les enfants font également partie de leur clientèle. Dans leur fonctionnement quotidien, les cybercafés ouvrent entre 7h et 8h le matin jusqu à 19 ou 20h, du lundi au samedi. Quelques cybercafés restent ouverts jusqu à 22h. A Antananarivo, un cybercafé a en moyenne 6 à 8 postes ; à Nosy Be, les cybercafés sont plus petits avec 5 postes maximum. Le coût de connexion est compté par minute : 20 ariary pour Antananarivo et 50 ariary pour Nosy Be avec un forfait de consommation minimal de 10 minutes (soit entre 5 et 10 centimes d euros pour 10 minutes). Deux cybercafés affichent des tarifs supérieurs, à 100 ariary la minute. La pratique générale des clients semble être des temps de connexion relativement courts : la durée de connexion est bien en deçà d une heure (93% des répondants). Néanmoins, certains clients peuvent rester plusieurs heures (situation régulièrement rencontrée dans les deux tiers des cybercafés de Nosy Be et dans un peu plus du tiers à Antananarivo). Les cybercafés mettent également à disposition des webcams pour 3

4 effectuer des appels en ligne (notamment Skype). Il est prévu des isoloirs et parfois une salle privée pour les clients souhaitant de l intimité. L utilisation des isoloirs protège du regard des autres. Certains propriétaires installent des isoloirs permanents, d autres ont des modèles amovibles qui sont installés si le client le demande. Dans les cybercafés disposant d isoloirs amovibles, la pratique à Nosy Be est de pas les installer pour des «enfants» (sans que la définition soit précisée) ; à Antananarivo, plus du tiers des répondants les installerait aussi pour les enfants. Il n existe aucune règlementation quant à l âge d accès à un cybercafé. Les cybercafés affichent généralement des règles propres à l établissement qu il faut respecter : ne pas fumer à l intérieur, ne pas parler trop fort, ne pas regarder l écran des autres, ou respecter le matériel utilisé. Ces règles sont pour toute catégorie d âge sans exception. Aucune règle ne concerne d éventuels sites à ne pas consulter pour des mineurs ou de conseils en protection de sa vie privée. Les répondants confirment que les clients se connectent sur des sites de rencontre dans les cybercafés (les deux tiers à Nosy Be, et 97% à Antananarivo). La majorité des gérants interrogés savent où trouver des propositions de prostitution sur internet : ils ont énuméré une dizaine de sites de rencontres, des blogs, ou Facebook. Lors des entretiens avec les enfants en situation de prostitution qui utilisent internet, certains ont raconté que parfois, ce sont les gérants qui les aident avec l ordinateur ou à trouver des sites connus pour des rencontres. Sur la question de la prise en compte dans leur établissement de potentielles recherches de relation tarifées (mineur ou majeur), les réponses sont évasives. Il est de toute évidence difficile de mettre une limite. La consultation des sites de rencontres est une pratique légale et sociale : beaucoup de gens y cherchent un mari ou une femme. Le sujet est très personnel et les personnels des cybercafés ne peuvent pas questionner la vie privée des clients pour éventuellement distinguer 4

5 si la personne est vraiment à la recherche d un partenaire ou s il/ elle recherche des relations tarifées. Beaucoup reconnaissent que parmi les clients, nombreux sont ceux qui recherchent des relations sexuelles : «Mitady vazaha izao ilay vehivavy hitako, dia ilay lehilahy iray kosa mitady vady na olona iarahana fotsiny» (la fille cherche un étranger et le monsieur cherche une femme ou une partenaire sexuelle tout simplement). De plus, les personnes qui organisent leurs services sexuels dans les cybercafés n ont pas d apparence ou de posture distincte, à la différence du racolage dans la rue. «izahay tsy misava karatra, mety ho menatra angamba izy raha tonga dia mijorojoro eny rehetra eny» (nous ne fouillons pas la carte d identité, peut-être qu ils ont honte de racoler n importe où) dixit le gérant du cyber à 67ha. Certains gérants expliquent qu ils ne sont pas concernés par ce que font les clients. «Tena tsy mahafantatra momba izany fivarotantena izany aho an, Izahay manko tsy mahafantatra ny ataon ny client ao fa izay ahazoanay vola ihany io» (j ignore ce qu est la prostitution, nous ne savons pas du tout ce que les clients font, ce qui compte pour nous c est le business). Le visionnage des sites pour adultes et les films à caractère pornographique existe également, et tous les âges seraient concernés. Certains gérants interviennent : ils interrompent la connexion dans le poste concerné, ils bloquent le site, ou ils adressent une interdiction verbale. C est le cas pour la moitié de ceux interrogés à Nosy Bé et pour un peu plus de 1 sur 5 à Antananarivo. Un gérant qui se trouve à Mananjara (côté Soanierana) a expliqué : «tenenina rehefa mijery ireny rohy voatokana ho an ny olona mihoatra ny +18 taona ireny satria lieu public ato ka tsy afaka anaovana izay tiany, sady ho fanabeazana koa» (nous interdisons les enfants qui consultent les sites pour +18 ans parce qu ici est un lieu public et ils ne peuvent pas agir de sorte). Il est à souligner qu internet est un outil comme les autres, il n est ni positif ni négatif en soi. Il est entré dans les pratiques sexuelles : exposition du corps nu sur skype ou sur les réseaux sociaux, messages à caractères sexuels... Néanmoins, la protection des mineurs doit se 5

6 faire aussi dans le cyberespace. L interdiction pour des enfants de fréquenter des sites destinés aux adultes devrait être prévue dans les cybercafés. Il est techniquement possible d installer un mécanisme de filtres pour restreindre l accès des mineurs à certains sites. Le fait de ne pas prévoir de mesures spécifiques envers les clients mineurs marque une sorte d indifférence face à la loi sur la cybercriminalité en vigueur 1. La responsabilité des gérants des cybercafés devrait être plus claire. Exploitation sexuelle des enfants en ligne 1- Loi 2014/006 6

7 LES karaokés Depuis quelques années, l apparition d endroits de loisirs où on pratique le karaoké se développe rapidement à Madagascar, particulièrement dans les quartiers de la commune urbaine de la capitale. A l origine, il s agit d endroits accessibles aux familles et aux enfants où on peut s amuser à interpréter des chansons. Pendant le travail d enquête, nous avons pu identifier plus de 48 karaokés à Antananarivo et 20 à Nosy Be. Tous disposent de connexion wifi. Ces endroits peuvent accueillir au minimum une cinquantaine de personnes et jusqu à deux cent personnes. A Antananarivo, les karaokés sont fréquentés par une population large tout âge confondu. Spécificité de Nosy Be, on y trouve massivement des expatriés notamment français, italiens ou mahorais. A Antananarivo, le mercredi après-midi, le vendredi soir et le samedi sont les moments où les salles de karaoké sont remplies, dès leur ouverture à 15h. A Nosy Bé, les karaokés font le plein les week-ends. Ils ouvrent à partir de 19h et ferment vers minuit. Cela concerne en particulier les karaokés qui se situent dans les parties de Dzamandzar, Madirokely, Ambatoloaka, Ambondrona. Après l interdiction du racolage dans la rue en 2012 notamment à Tsaralalana 2, les jeunes en situation de prostitution ont investi progressivement les karaokés. Etant donné que les karaokés ne font pas l objet de supervision spécifique des forces de l ordre, de nombreuses personnes ont profité de leur accessibilité pour y chercher en relative discrétion des offres de services sexuels ou des clients. Une évolution a par ailleurs été constatée dans les services offerts dans ces endroits. Alors qu ils servaient plutôt des services de restauration (menu grillade et boissons naturelles et gazeuses), on y trouve de plus en plus de boissons alcoolisées. Parallèlement, après l animation du karaoké sur des chansons malgaches, françaises ou anglaises, certains endroits continuent en discothèque. Ils tirent les 7

8 rideaux noirs, ferment les portes et allument les jeux de lumière afin de passer dans une autre ambiance. Depuis l installation des connexions wifi, le marché du karaoké a connu un fort dynamisme. Les propriétaires sont les premiers à reconnaitre l impact de l installation du wifi pour les affaires. Tout d abord, ils ont constaté une augmentation du nombre de clients qui viennent au karaoké «lasa betsaka olona tonga ato aminay» (beaucoup de personnes viennent chez nous) avec un effet d entrainement permettant d accéder à une autre clientèle «rehefa nahita izany fisiana wifi izany ny olona dia lasa mitondra namana» (les gens qui ont trouvé du wifi chez nous ramènent d autres personnes). Les clients sont devenus des agents publicitaires. Bien sûr, pour pouvoir utiliser la connexion wifi, il faut consommer. Le rendement de l activité des propriétaires est donc augmenté. Vu que les jeunes possèdent des téléphones portables dotés de connexion wifi, en plus de chanter sur scène, ils profitent de leur présence au karaoké pour se connecter. D après les gérants, ils restent sur Facebook ou se connectent sur des sites de rencontres. D après les conversations, les jeunes y compris les mineurs organisent leurs rendez-vous amoureux ou sexuels dans les karaokés, ou viennent y faire des rencontres «misy olona tonga ato hanatanterahana fihaonana Exploitation» (il y a des gens sexuelle qui sont des venus enfants ici en pour ligne faire des rencontres) relate le gérant du karaoké. Cela explique pourquoi les jeunes, mais aussi les personnes d âge mur, préfèrent venir dans les karaokés que dans les bars. Outre les rencontres organisées d avance, les opportunités sur place ne manquent pas. Les mineurs notamment prennent les devants pour montrer aux clients leurs disponibilités en tant que partenaires sexuels : «hatramin izao dia manatona ny olona mirevy no tena fanaon ireo ankizy miditra ato» (les mineurs s approchent des hommes qui sont déjà en train de boire). Quand les mineurs sont acceptés ou invités à rejoindre la table, les clients savent déjà où le mineur veut en venir et à ce moment précis, ils font une démonstration de leur pouvoir d achat en offrant des consommations. Ils continuent alors avec des conversations plus intimes avant de passer à la prestation 8

9 sexuelle. Pour illustrer ces situations, une jeune fille de 17 ans a raconté sa pratique : «manatanteraka fihaonana aho ho an izay mila izany sy tiako hihaonana, mba hoentiny mirevirevy any amin ny boite ohatra, karaoké, mba toerana ho an ny jeune!» (Je rencontre des hommes, ceux qui demandent mais aussi ceux qui me plaisent, ils m emmènent pour s amuser dans les boites, les karaokés, les endroits pour les jeunes). Cette relation en tant que partenaire sexuelle se manifeste sous deux formes : il y a des gens qui préfèrent une relation passagère «ty sy nday» alors que d autres tissent un lien plus pérenne. Dans ces derniers cas, les jeunes les considèrent comme des «petits copains» et la transaction sexuelle se règle de manière différente. Il n est plus question de contrepartie directement liée à l acte sexuel, mais néanmoins, il y a des contreparties. Selon un gérant, «ces enfants sont dans tous les endroits où ils peuvent trouver des clients potentiels». Un autre gérant a affirmé «betsaka ny olona miditra ato fa soratra fotsiny io hoe moins 18ans io, misy kil ato dia ao koa ny bandy no maka rehefa merika» (beaucoup de gens entrent ici. L affichette qui rappelle que l endroit est interdit aux enfants de moins de 18 ans, ce n est que des mots. Il y a des jeunes qui se prostituent ici, et leurs clients les rejoignent ici quand ils ont envie). Ce propos montre que les gérants sont parfaitement au courant de ce qui se déroule dans leur karaoké, y compris la présence de transactions sexuelles avec des mineurs. Ils sont conscients que faire entrer des mineurs seuls dans ces endroits est prohibé par la loi en vigueur. Cependant, ils laissent entrer les adolescents en faisant semblant de ne pas connaitre leur âge. Ce qui compte est la présence de ces jeunes qui vont attirer plus de clients afin que leurs karaokés tournent. 9

10 LES HôTELs Les hôtels sont des établissements offrant à la location des chambres ou des appartements à la journée pour une durée déterminée. A Madagascar, les hôtels sont ordonnés par étoiles et ravinala. La catégorie étoile commence de 1 à 5 mais les hôtels 2 étoiles sont les plus nombreux 542/906 3, alors que pour les Ravinala, 2 Ravinala tient également la première place en terme de nombre 73/124. A noter que le ravinala est une espèce d arbre endémique, également appelé arbre des voyageurs. Généralement, une chambre dans un hôtel 3 étoiles est équipée de toilettes privées, eau chaude, salle de bain confortable, de TV par satellite, certaines avec connexion Internet. Pour la catégorie Ravinala, c est un hôtel très simple mais il dispose quand même du confort nécessaire avec des toilettes privées, une salle de bain, la télévision voire une connexion internet. Par ailleurs, ce qui nous intéresse ici est l utilisation des clients de l internet dans les hôtels. Les 48 hôtels à Antananarivo et 20 à Nosy Be dans lesquels nous avons mené des entretiens disposent tous de connexion internet. Selon les données obtenues, 33% de ces hôtels existent depuis moins de cinq ans, 29% depuis plus de cinq ans et 37,5% plus de dix ans. Le coût de la chambre la moins chère des différents établissements se situe entre ariary à ariary. Pourtant, plus de 40% des chambres coûte entre Ar à Ariary. Le tarif maximal des hôtels visités était de Ariary. Certains de ces établissements disposent aussi de locations de chambres par heure : 69% des hôtels opèrent cette offre. En principe, les hôtels doivent remplir une fiche de renseignement des clients, cela fait partie de règlement à respecter pour protéger à la fois les clients et aussi leurs établissement lors des incidents qui pourraient se produire. A Antananarivo comme à Nosy Be, les taux des clients étrangers et nationaux sont assez similaires et les raisons de leurs séjours sont diversifiées. L utilisation de la connexion internet dans l établissement est entièrement gratuite pour les clients, et un code est offert pour ceux qui le demandent. D une manière générale, l utilisation des clients est libre, sans restriction des 10

11 sites à consulter. Souvent, les clients se connectent à partir de leurs ordinateurs portables dans leurs chambres ou téléphones mobiles et les réceptionnistes n ont pas d information sur ce qu ils font. «Tsy azonay atao ny mejery izay ataony» (nous ne pouvons pas voir ce qu ils font) selon un réceptionniste. Par ailleurs, certains savent qu il existe des clients qui fréquentent les sites de rencontre voire d autres sites destinés pour adultes. Pour les hôtels qui disposent de poste pour les clients, ils peuvent y trouver des fichiers vidéo pour adulte laissés par des utilisateurs. Depuis des années, les hôtels sont les endroits connus pour passer à l acte avec des personnes en situation de prostitution. Parmi les hôtels interviewés, 52% ont répondu qu ils interdisent l entrée d un inconnu avec leurs clients ; plus de 50% laissent passer les personnes en situation de prostitution. Une contradiction se présente dans leurs réponses, ou alors, ils connaissent déjà les personnes qui se prostituent et les laissent entrer avec les clients. 93% vérifient la carte d identité des personnes qui viennent avec les clients pour éviter la présence des mineurs. A ce sujet, un réceptionniste raconte : «misava karapanondro sy passe port izahay, efa nisy fotoana nifamaly amin ny mpanjifa nitondra tsaiky tato, zazakely dia tsy mahazo miditra amin ny chambre fa tsy maintsy averiny, tezitra izy fa nangina ihany satria lalàna ka fantany» (nous surveillons le passeport ou la carte d identité. Un Exploitation jour, nous avons sexuelle une discussion des enfants avec en un ligne client qui a amené un enfant. Comme c était un enfant, il ne doit pas entrer ici, il était furieux mais à la fin il se tait puisqu il sait que c est le règlement). Malgré la connaissance des clients de ces règlements, ils testent quand même étant donné que dans d autres hôtels, les réceptionnistes ne sont pas tout à fait rigoureux sur ce point. Aucun n a mentionné d appels à la police. 11

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