Quels plaisirs pour l enfant dans le sport? Quelles places pour le plaisir dans les apprentissages des activités physiques?

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1 Quels plaisirs pour l enfant dans le sport? Quelles places pour le plaisir dans les apprentissages des activités physiques? BOUTANTIN Bruno (Professeur agrégé EPS ; Responsable filière Education et Motricité ; UFR APS Grenoble) Dans notre société, la recherche du plaisir est une quête constante, jamais assouvie. Le monde du sport n échappe pas à la règle. Ainsi commence votre courrier d invitation à participer à la réflexion sur les rapports qu entretiennent enfant, plaisirs et sport. L éducation physique et sportive (EPS) peut également être source de plaisir et se retrouve plébiscitée au point d être très majoritairement classée devant les autres matières scolaires 1. Le sport scolaire, à l interface de l EPS et du sport civil, peut-il participer à cette quête? Si la finalité ultime de l éducation physique (épaulée par l USEP : Faire découvrir à l'enfant le sport pour la vie) est d inciter les futurs adultes à pratiquer, tout au long de leur vie, des activités de loisirs sportifs ; l enseignant, l animateur sportif, noteront que si l élève éprouve en EPS des émotions positives lors d une pratique, il y a de fortes probabilités qu il poursuive celle-ci dans sa vie d adulte, avec des conséquences positives sur l entretien de sa santé 2. Le plaisir éprouvé dans les pratiques physique à l école jouera un rôle déterminant pour la pratique physique ultérieure (Perrin, 1993). Pour autant, si la notion de plaisir semble un gage d investissement dans la pratique présente et future, elle est pour le moins connotée de manière négative, donnant une image récréative, donc peu crédible de notre discipline (EPS), apparaissant en contradiction avec les normes de l orthodoxie scolaire. Moins touché par ces normes, le Sport Scolaire doit prendre en compte une autre question et se demander si le plaisir ne présente pas des limites à la dynamique d apprentissage, s il n apporte qu une satisfaction immédiate, relativement éphémère? L élève s amuse mais ne cherchera pas à progresser 1 BORDES P., Le plaisir en EPS : qu en pensent les élèves? 2 DELIGNIERES D., GARSAULT C., (2004), Libres propos sur l éducation physique, Edition Revue EPS, 2004 Enfant, éducation et sport - La revue pédagogique et scientifique de l USEP Page 1/6

2 Ces remarques nous amènent à nous interroger sur la manière de concevoir nos cycles d activités physiques et sportives : faire apprendre ou faire pratiquer? Ces modes d entrée dans l activité sont-ils antinomiques, ou est-il possible de conjuguer le plaisir de la pratique et les efforts nécessaires à tout apprentissage? Comme Gagnaire et Lavie, nous pensons que le fait d enseigner des contenus moteurs à des élèves qui n en perçoivent ni l intérêt, ni la nécessité, est une démarche pédagogique qui fonctionne à contresens. Si comme le souligne Lobrot, le plaisir est le ressort de l apprentissage ; s appuyer sur le plaisir que l élève peut éprouver de manière plus ou moins spontanée semble être la bonne option. Delignières invite les enseignants à se livrer à une véritable didactique du plaisir dans lequel le progrès de l élève dans les tâches individuelles et collectives pourra une place importante. Le plaisir n est donc plus uniquement synonyme d amusement, il n est pas non plus antonyme de travail, d effort, de persévérance. Pour l enseignant ou l animateur d association sportive, la question est de savoir Comment créer le plaisir?, d où pourra émerger le besoin d apprendre. Question en apparence très anodine, mais difficile car le plaisir n est pas chose simple, faire éprouver du plaisir encore moins ; car le plaisir n émerge pas de l effort contraint, il suppose l effort librement consenti, celui qui permet de s accomplir, d apprendre et d éprouver des sensations, des émotions. pluriels. Chacun possède des mobiles d agir différents qui peuvent générer des plaisirs Dans ses travaux, l américain Tiger a montré qu il n y avait pas qu un plaisir ; il distingue les bio-plaisirs, les psycho-plaisirs et les socio-plaisirs. Ces différents types de plaisirs apparaissent en arrière-plan de ce que les élèves de l école élémentaire déclarent aimer en EPS : le jeu : s amuser, se distraire, prendre plaisir ; l action : bouger, courir, sauter ; le perfectionnement : apprendre, progresser, comprendre, s améliorer ; la compétition : gagner, faire des matchs et des tournois ; Enfant, éducation et sport - La revue pédagogique et scientifique de l USEP Page 2/6

3 la convivialité : être ensemble, jouer ensemble (pour les plus âgés). Une enquête 3 menée sur trois cents élèves de collège fait ressortir que ce qui fait plaisir aux élèves, c est être avec ses amis, progresser et s amuser, devant se bouger et gagner. Ces enquêtes montrent que : indépendamment de leur âge, les élèves aiment les situations de jeu où ils disent éprouver du plaisir à s amuser ; ensuite, c est plutôt la présence des autres (facteur social), et non pas le progrès personnel, qui apporte le plus de plaisir (élèves de fin d école élémentaire). La convivialité dans et autour de l action, représente une attente forte des élèves, 57% des élèves disant préférer pratiquer une activité physique en pratique libre avec des camarades 4. L aspect compétitif est relégué au second plan, les élèves lui préférant la reliance, la quête du lien social, le partage d émotion dans et autour de l action 5. Dans un travail relatif aux émotions sportives, Carton-Caron 6 retient cinq émotions : trois à connotation négative (colère, peur et honte), et deux à connotation positive (fierté et joie). Si elle souligne que la joie et la fierté sont davantage ressenties en contexte sportif que dans la vie quotidienne, elle nous alerte sur le sentiment de honte, naissant d un manque de résultat, de la perception d une image corporelle jugée défaillante, sentiment renforcé lors de tests mettant en jeu la comparaison sociale, comparaison propre à la compétition. D après Delignières et Garsault (2004), le plaisir ressenti semble fortement corrélé à l estime de soi, et plus précisément au sentiment de compétence et au sentiment d autodétermination ; qui sans être exclu des réponses des élèves questionnés, n est pas premier dans leur préférence. 3 BORDES P., Le plaisir en EPS : qu en pensent les élèves? 4 ENQUETE SPRESE, ( ), qui montrait une nette préférence pour la pratique libre de groupe au détriment des pratiques compétitives (26%). 5 LAVIE F., GAGNAIRE P., Mieux prendre en compte le plaisir des élèves, Conférence AEEPS 6 CARTON-CARON, Les émotions sportives sont elles davantage positives que celles vécues au quotidien? Enfant, éducation et sport - La revue pédagogique et scientifique de l USEP Page 3/6

4 Le projet collectif permet de satisfaire un besoin fondamental à la personne : celui de l appartenance sociale, qui avec le besoin de compétence et celui d auto détermination, constitue une trilogie incontournable pour le sentiment de bien être 7. En réponse à notre questionnement, il semble donc qu il faille chercher à amener l élève à éprouver de la fierté dans la réussite d abord immédiate, puis dans la poursuite d un objectif ambitieux, développer progressivement son sentiment de compétence et d autodétermination. Devant la multitude de pratiques physiques, sportives et artistiques, présentes dans la société, pratiquées sous différentes formes pour différents buts (compétition, loisir, convivialité, hédonisme, hygiène, ), se pose maintenant à l enseignant l épineuse question du choix des APSA? Parmi les 440 modalités de pratique existantes 8, lesquelles retenir? Quelles sont celles susceptibles d intéresser mes élèves, chacun de mes élèves? Comment permettre l accès à un des domaines culturels que constitue la pratique des APSA 9, en répondant aux aspirations de chacun de nos élèves? Comment construire une programmation permettant à chaque élève d éprouver des émotions positives, du plaisir à pratiquer? Pour Hébrard, le choix de ces activités à enseigner s effectue par le jeu combiné de leurs principales caractéristiques : le type de relation qu elles instaurent entre le sujet et les autres (centration sur soi, opposition, coopération) ; le type de relation qu elles instaurent entre le sujet et l environnement physique ; les ressources et compétences que les activités permettent de développer ; les difficultés d apprentissage qu elles impliquent (ou le type de procédure d apprentissage qui leur est favorable et applicable) ; leur importance culturelle nationale ou locale. 7 RYAN et DECI, (2001), cités par DUFOUR Y., MANSY-DANNAY A., GUERRIEN A., Compétences, plaisir, intérêt et effort. 8 Recherche d IRLINGER, LOUVEAU, METOUDI 9 Un des trois objectifs généraux de l EPS (Arrêté du 24 mars 1993). Enfant, éducation et sport - La revue pédagogique et scientifique de l USEP Page 4/6

5 Il paraît toutefois nécessaire de dépasser les programmations des seules activités traditionnelles, proposant souvent aux élèves des pratiques didactisées issues de l activité sportive compétitive. Comme Parlebas, nous pensons que plus une pratique physique tend à prendre le statut de sport, plus elle tend à se déludiser 10. Dès lors, les diverses contraintes qu elle (a) subit, impliquent une motricité élaborée, des compétences et connaissances qui peuvent mettre l élève en difficulté, voir en échec. Parmi les nombreux discours sur les programmations, quatre pistes nous paraissent compatibles avec la volonté de développement des plaisirs de pratiquer de l élève. Pour les jeunes enfants, le recours aux jeux traditionnels, qui proposent une grande variété de situations plus ou moins complexes, peut procurer au-delà de la joie et des éclats de rire, un foisonnement de plaisirs qui n a rien à envier aux autres formes sociales de pratiques physiques 11. Mettant en jeu une motricité spontanée, ce type d activité permettra à chacun de s exprimer sans crainte de l échec. Dans un deuxième temps, pour éviter des situations où l élève peut être en difficulté, une deuxième possibilité consiste à reludiser les APSA : impliquer les élèves dans la création des règlements, introduire plus d incertitude dans le résultat, comptabiliser les points de manière originale, valoriser les projets personnel et collectif, réhabiliter les formes de réussite personnelles, inventer des dispositifs originaux, À titre d exemple nous pouvons citer le jeu de bataille (transposition didactique du rugby proposée par Devaluez) qui s inscrit en partie dans cette démarche, l idée de repartir de l ancêtre du rugby évitant de proposer un sport moderne trop complexe. Une troisième proposition vise à proposer des activités physiques et sportives à réussite précoce. Fortement aménagées, très appréciées par nos élèves, celles-ci leur assurent une satisfaction, un plaisir quasi immédiat. Favoriser la réussite immédiate nous semble capital car, comme Fiard et Honoré, nous pensons que le plaisir de la pratique s apprend sous la réserve d un plaisir déjà pris à pratiquer. 10 PARLEBAS P., (1981), Contribution à un lexique commenté de l action motrice, INSEP. 11 DUGAS E., Apports de la théorie des jeux à une éducation physique singulière pour des plaisirs pluriels. Enfant, éducation et sport - La revue pédagogique et scientifique de l USEP Page 5/6

6 Deux limites doivent cependant être soulignées. La première est relative au fait que cette réussite à une situation aménagée pour la réussite ne doit pas masquer le fait que le niveau de compétence 12 de l élève reste très faible, celui-ci ne pouvant se manifester que dans des situations très aménagées La seconde est que ce type de démarche, répondant à la règle du tout, tout de suite, à la satisfaction du caprice absolu 13, peut renforcer le côté zappeur de l élève, celui-ci abandonnant cette pratique pour passer à une autre dès les premières difficultés rencontrées. L introduction de pratiques nouvelles qui valorisent la sensation, le ressenti du sujet, jouant constamment aux frontières du risque maîtrisé, favorise l intensité des sensations (l adrénaline), la nouveauté Elles offrent une vue sur le plaisir moderne, un plaisir où le risque prend sa place, où l intensification de la sensation passe par le risque, tout en se faisant dans le temps par l exercice, par la répétition, l apprentissage de techniques, de compétences 14. Les heures d APS, les heures d EPS mais également celles du Sport Scolaire, sont très importantes. Cette pratique des APSA, c est ici et maintenant pour ailleurs et plus tard (Hébrard). Ici et maintenant, elles participent au bonheur de vivre au présent. Elles ont d abord leur fin dans le plaisir d un corps libre agissant. C est l attente des élèves 15. Ailleurs et plus tard, la pratique d APSA permettra une meilleure qualité de vie Le plaisir est multiforme : plaisir de jouer, plaisir d agir, plaisir de progresser, plaisir de vaincre, de gagner, plaisir de pratiquer ensemble,, plaisir de faire plaisir, et si l on parlait du plaisir d enseigner l EPS Compétence : définie par DELIGNIERES D. et GARSAULT comme une forme d expertise dans un domaine social d activité (ici une APSA). 13 FIARD J. ; HONORE G., D un plaisir qui se prend à un plaisir qui s apprend : la situation «démo». 14 KLEIN A., Pour le plaisir la contre culture sportive : vers un hédonisme contemporain. 15 THOMAs L., (1996), Du mythe d éducation physique au bonheur des heures d APS, Dossier EPS n 29, Ed. Revue EPS. 16 CARLIER G., (2004), AFRAPS. Enfant, éducation et sport - La revue pédagogique et scientifique de l USEP Page 6/6