LES TRESORS DE CHEVIGNY-SAINT-SAUVEUR

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1 LES TRESORS DE CHEVIGNY-SAINT-SAUVEUR par M. Henri Antoine PETIT Les trésors découverts à Chevigny-Saint-Sauveur, sur les propriétés de MM. André Beugnot et Yves Noirot, sont composés, sauf une exception, de pièces d'argent à bas titre dites grands blancs, blancs aux couronnelles ou douzains. Elles ont été émises sous Charles VII, lors de la reprise en main du royaume, sous Louis XI, Charles VIII et Louis XII. Ces monnaies se situent dans l'échelle des valeurs nettement audessus des petites monnaies noires, mais très au-dessous des écus d'or et des gros de roi en argent. Selon les émissions, leur poids officiel varia de 3,059 g à 2,448 g, leur titre de 399/1000 à 358/1000. En 1986, M. André Beugnot fait construire à Chevigny-Saint- Sauveur un pavillon, au lieu dit «Derrière les Meix», au hameau de Corcelles-en-Montvaux, devenu les Hauts de Corcelles. Il y avait là, en bordure du chemin de Corcelles à Chevigny, une ancienne ferme (plan cadastral de 1811, section D, parcelle 113). Le bâtiment est rasé et le pavillon est bâti sur l'emplacement d'une cour-jardin. Dans le courant de l'été de 1986, M. Beugnot entreprend d'aménager le tas de déblais provenant des fondations. Il trouve des poteries rustiques, des ossements d'animaux, des débris de traits et surtout des monnaies dispersées par la pelleteuse sur une quinzaine de mètres carrés. Des trouvailles successives ont lieu ; un envoyé de la Direction des Antiquités historiques procède à une recherche au détecteur à métaux en décembre 1987 et découvre encore 38 pièces. Quelques-unes doivent encore demeurer dans le tas non encore totalement aménagé ; une pièce a d'ailleurs été trouvée en janvier M. Beugnot habite 2 rue Stephen-Liégeard. À l'automne de 1987, l'occupant du pavillon situé au 18 de la même rue, M. Yves Noirot, installe une véranda fermée devant son pavillon construit sur l'emplace- Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte-d'Or, T. XXXV, , p

2 318 HENRI-ANTOINE PETIT FIG. 1. C. 686 Blanc aux couronnelles de Charles VII. KAROLUS FRANCORUM REX/SIT NOME DNI BENEDICTUM. Point 18 e Paris. FIG. 2. C. 755 Blanc aux couronnelles de Louis XI. FiG. 3. C. 812 Douzain de Bretagne de Charles VIII, mouchetures d'hermine. Rennes (lettre R en fin de titulature). FIG. 4. C. 808 Douzain du Dauphiné de Charles VIII. Écu de France. Dauphiné. Croix cantonnée de dauphins et de lys. Point 1 er Crémieu. FIG. 5. C. 931 Douzain de Provence de Louis XII, la titulature du roi est complétée par PRO COM (PROVINCIE COMES). Comte de Provence. Atelier de Tarascon. FIG. 6. C. 814 Karolus ou dizain, créé par Charles VIII en 1488 ; il vaut seulement 10 deniers tournois alors que le grand blanc aux couronnelles ou douzain en vaut 12 à cette époque.

3 CHEVIGN Y-SAINT-SAUVEUR 319 ment d'un champ. En creusant une terre glaise jaune et collante, il trouve un peu éparpillées dans le sol 35 monnaies. Il est possible que quelques-unes aient été jetées avec la terre de déblai au début de l'opération. Il n'a pas été remarqué de débris de pot. Les deux trésors ont été étudiés par un cousin de M. Beugnot, M. Hubert Cabart, sous le contrôle de M. Michel Dhénin, conservateur au Cabinet des Médailles. Un inventaire détaillé sera publié dans une publication spécialisée 1. J'ai pensé que la CACO serait intéressée par une présentation simple, mais suffisamment précise, de ces trésors. Le trésor de M. Beugnot comprend à ce jour 175 blancs et un dizain, le trésor de M. Noirot, 35 blancs, soit 211 pièces que nous étudierons ensemble en raison de la similitude de ces trésors. On dénombre 18 blancs de Charles VII ; les pièces les plus anciennes, au nombre de 6, ont été émises entre 1436 et janvier Elles ont été frappées à Angers, Châlons-sur-Marne, Orléans, Paris et Poitiers. Viennent ensuite 34 blancs de Louis XI, puis pour Charles VIII 93 blancs et un dizain appelé aussi Karolus. Enfin, le règne de Louis XII est représenté par 64 blancs. Dans chacun des deux trésors la monnaie la plus récente est un blanc frappé à Lyon entre 1508 et 1513 (différent = annelet sous le trèfle terminant la légende). Pour 207 des 211 monnaies les ateliers de frappe ont été identifiés. On relève trente ateliers différents, soit à peu près tous les ateliers en service alors, ce qui représente un parfait brassage des espèces dans la circulation. Citons ces ateliers par ordre alphabétique : Aix, Auxerre, Angers, Bayonne, Bourges, Châlons-sur-Marne, Crémieu, Dijon, Grenoble, Limoges, Lyon, Montélimar, Montpellier, Nantes, Orléans, Paris, Poitiers, Rennes, La Rochelle, Romans, Rouen, Saint-Lô, Saint- Pourçain, Tarascon, Toulouse, Tournai, Tours, Troyes, Villefranchede-Rouergue, Villeneuve-lès-Avignon. Nous remarquerons que, pour les trois premiers rois, l'atelier de Dijon, qui était un atelier royal sous les ducs Valois, est très faiblement représenté : Charles VII : 0 sur 18 Louis XI : 1 sur 35 Charles VIII : 2 sur Bibliothèque nationale, Trésors monétaires, tome XIV, à paraître en 1993.

4 320 HENRI-ANTOINE PETIT L'atelier royal de Dijon a peu frappé sous Philippe le Bon et il a sans doute chômé sous Charles le Téméraire ; l'infime représentation de Charles VII et de Louis XI n'est pas étonnante. Par contre, le règne de Charles VIII étant assez proche de la date d'enfouissement, on peut s'étonner de ne trouver que deux pièces de Dijon. Dispersion rapide? faible production? Pour Louis XII, les 32 monnaies de Dijon représentent la moitié du total de 64. L'atelier doit être actif et les monnaies n'ont pas encore été entraînées dans les autres régions par les circuits commerciaux. L'immense majorité des pièces est au type royal courant, mais les types provinciaux qui subsisteront encore pendant quelques décennies sont représentés : Dauphiné : 5 pour Charles VIII, 11 pour Louis XII Provence : 1 pour Charles VIII, 1 pour Louis XII Bretagne : 5 pour Charles VIII. La composition des trésors en ce qui concerne le règne de Louis XII amène M. Cabart à conclure à une certaine activité commerciale sur l'axe Rhône-Saône, compte tenu de la présence des monnaies de Tarascon, de Montélimar, de Grenoble, de Lyon. Je pense que l'on doit également prendre en considération les guerres d'italie qui, depuis 20 ans, entraînent des passages de troupe dans les deux sens. Comment expliquer la présence de ces trésors enfouis à Chevigny- Saint-Sauveur, l'un dans un jardin, l'autre dans un champ à environ 80 m de distance? Appartenaient-ils à deux personnes, ou à une seule personne qui avait divisé les risques? Je ne pense pas que l'on doive systématiquement rattacher les enfouissements de trésors à des guerres ; pourtant, en l'espèce, il est permis de croire que ce sont bien des événements militaires qui expliquent ces deux trésors abandonnés dans le sol. Les pièces les plus récentes ont été frappées à Lyon entre 1508 et Or, au début de septembre 1513, Suisses, alliés à l'empire, marchent sur Dijon ; ils sont renforcés par des Francs-Comtois et par un corps de cavalerie du Wurtemberg, soit une armée de hommes environ. Le gouverneur, Louis de la Trémoille, fait incendier, le 4 septembre, le faubourg Saint-Nicolas, le faubourg Saint-Pierre et le faubourg d'ouche. Les Suisses commencent le siège du côté de la Porte-Neuve et installent leurs canons sur la hauteur dite de la Fontaine des Suisses. On sait que, dès le 13 septembre 1513, ils acceptèrent de se retirer moyennant promesse de écus d'or. Les troupes étrangères mirent à mal les environs de Dijon. Selon la relation du siège de Pierre Tabourot, bourgeois dijonnais, le pillage continua après l'accord :

5 CHEVIGNY-SAINT-SAUVEUR 321 «On vendange toujours nos vignes, et s'enlève le vin et le blé, et s'emmène le bétail.» On conçoit que les villageois aient caché leurs économies et, sans doute, quelques-uns perdirent-ils la vie au cours de ces semaines de guerre et de pillage. Posons, en terminant, la question habituelle : quelle était la «valeur» de ces trésors? Il convient de relever leur homogénéité. Ils sont constitués de pièces de petite valeur, mais non d'infimes monnaies noires. Sans doute, le propriétaire ou les propriétaires ont-ils prélevé pendant plusieurs années, dans la circulation monétaire, les bonnes pièces qui étaient à la portée de modestes villageois. Pas d'écus d'or, pas de gros de roi, mais des douzains, c'est-à-dire des sous. Au début du xvi e siècle, selon les comptes de la Chartreuse, un manœuvre gagnait en moyenne deux sous par jour ; les moissonneurs, les faucheurs, les batteurs en grange à peu près le double, soit quatre sous. Les femmes employées à sarcler, faner, moissonner, faire les «buées» du couvent recevaient un peu plus de 2 sous ; les bons charpentiers ou maçons pouvaient atteindre cinq à six sous. L'ensemble des deux trésors, tels que nous les connaissons, représentait donc une centaine de journées de travail de manœuvre ou 40 à 50 journées de travailleur qualifié. Pour conclure, donnons une évaluation en or. L'écu d'or valait alors 36 sous et pesait un peu moins de 3,50 g. Les 211 sous de Chevigny représentaient donc à peine 20 g d'or. C'était peu, mais la découverte de l'amérique était toute récente et l'or était beaucoup plus rare que de nos jours. (Séance du 15 février 1989)