Une définition et des caractérisations des fonctions exponentielles à partir d une équation fonctionnelle
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- Bénédicte Bordeleau
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1 DOCUMENT 36 Une définition et des caractérisations des fonctions exponentielles à partir d une équation fonctionnelle Une propriété importante des fonctions exponentielles est qu elles sont solutions de l équation fonctionnelle f(x + y) = f(x).f(y) Nous proposons dans ce document une construction et différentes caractérisations de ces fonctions à partir de l équation (E). La construction des fonctions exponentielles utilise ici le prolongement par continuité des applications r Q a r, a R +, et la densité de Q dans R. 1. Prérequis La définition pour tout réel a > et tout nombre rationnel r de a r. Cette définition utilise la théorie des fonctions réciproques et le fait que, pour tout n N, l application x x n est une application continue et strictement monotone de R + sur lui-même. Voir le document 28. Les applications r Q a r sont croissantes si a > 1 et décroissantes si < a < 1. On a a r+s = a r a s (r, s Q). (Attention! la preuve de ces propriétés demande un peu de réflexion.) La formule de Taylor-Lagrange ou l inégalité des accroissements finis. Toute fonction continue possède une primitive et est intégrable sur tout segment contenu dans son ensemble de définition. Ce résultat sera seulement utilisé pour étudier la dérivabilité des fonctions exponentielles. Q est dense dans R et en particulier tout nombre réel est la limite de ses approximations décimales par défaut et par excés. En revanche, on ne suppose rien sur les fonctions logarithmes et les fonctions exponentielles. (E). 2. Propriétés élémentaires des solutions de l équation fonctionnnelle f(x + y) = f(x).f(y) (E). On a supposé connu que pour tout couple de rationnels (r, s) et tout a >, a r+s = a r a s. On peut donc envisager le problème suivant : Existe-il des applications f de R dans R vérifiant la relation fonctionnelle f(x + y) = f(x).f(y) Si oui, quelles sont celles qui sont continues? (E)? Donnons d abord quelques propriétés élémentaires des solutions de (E). 393
2 DÉFINITION DES FONCTIONS EXPONENTIELLES Si une solution de (E) s annule alors elle est identiquement nulle (utiliser f(y) = f(y x + x) = f(y x)f(x)). Toute solution non nulle est strictement positive (utiliser f(x) = (f( x 2 ))2 ). Si f est solution de (E) alors f() vaut ou 1. Si f() =, f est identiquement nulle. Les fonctions constantes solutions de (E) sont l application nulle et l application constante égale à 1. Si f est une solution de (E), distincte de l application nulle, alors pour tout rationnel r, f(r) = f(1) r. Pour la preuve on démontre successivement : Pout tout n N, tout x R, f(nx) = f(x) n. On étend ce résultat aux entiers négatifs en utilisant f( x) = 1 f(x). Si r = p q Q alors, pour tout x R, f( p q x)q = f(px) = f(x) p d où f( p q x) = f(x) p q et f(r) = f(1) r en prenant x = 1. Si f est solution de (E) alors, pour tout k R, x f(kx) est encore solution. Remarque. L application f, non identiquement nulle, est une solution de (E) si et seulement si cette application est un homomorphisme du groupe (R, +) dans le groupe (R +,.). Une partie des résultats précédents résulte des propriétés générales des homomorphismes. 3. Construction des solutions continues de (E). L idée est de prolonger par continuité les applications r Q a r. Le lemme suivant montre que ces applications sont continues en et il sera aussi utile pour montrer qu elles ont une limite en chaque point de R. Dans la suite, on désigne par a un nombre réel strictement positif et différent de 1. Lemme (1) lim a 1 n = lim n n a 1 n = 1. (2) Si (r n ) est une suite de nombres rationnels qui converge vers alors lim n arn = 1. (3) Pour tout ε >, il existe η > tel que r Q et r < η impliquent a r 1 < ε. Preuve. 1). Il suffit de considérer le cas a > 1 car si a < 1 alors a 1 > 1. Soit ε > et p = E( a 1 ) + 1. Si n p alors n a 1 d où a 1 + nε (1 + ε) n, la dernière inégalité ε ε étant une conséquence immédiate de la formule du binôme. On a donc a 1 n 1 + ε d où, en utilisant 1 < a 1 n, a 1 n 1 < ε et lim a 1 n = 1. En remarquant que a 1 n 1 = 1 a 1 n, on obtient n lim n a 1 n = 1. 2). Soit ε > et supposons a > 1 (en remplaçant a par a 1 sinon). Il existe p N tel que n p implique a 1 n 1 < ε et a 1 n 1 < ε. Il existe aussi k N tel que n k entraine a 1 n
3 3. CONSTRUCTION DES SOLUTIONS CONTINUES DE (E) p < r n < 1 p d où et finalement a 1 p < a rn < a 1 p a rn 1 max( a 1 p 1, a 1 p 1 ) ε. 3). Si 3) est faux alors il existe ε > tel que, pour tout entier n, il existe r n Q vérifiant r n < 1 n et arn 1 ε. On a lim r n = et par 2), lim n n arn 1 = ce qui est contradictoire. (2) 3) est en fait la caractérisation séquentielle de la continuité en.) Soit (r n ) la suite des approximations décimales par défaut d un réel x. En supposant a > 1, la suite croissante (a rn ) est majorée par a r, où r est un rationnel plus grand que x. Elle est donc convergente. Soit (s n ) une suite de rationnels qui converge aussi vers x. En appliquant le lemme 36.1, on voit que la suite (a sn rn ) est convergente vers 1 car lim s n r n = et s n r n Q. n Le produit des deux suites convergentes (a rn ) et (a sn rn ) est donc convergent et lim n asn = lim n arn. lim n asn rn = lim n arn.1 = lim n arn. Conclusion. Pour toute suite de rationnels (s n ) qui converge vers x, la suite (a sn ) est convergente et sa limite est indépendante de la suite (s n ). Dans la suite, on désigne par f a (x) sa limite. Notons que f a (1) = a et, plus généralement, f a (r) = a r si r Q. Proposition L application f a : R R qui associe, à tout réel x, f a (x), vérifie l équation (E), n est pas constante, est continue sur R et est strictement monotone (croissante si a > 1 et décroissante sinon). Son image est R +. Soit x, y R et (r n ) et (s n ) deux suites de rationnels telles que lim r n = x, lim s n = y. n n On a x + y = lim r n + s n et n f a (x + y) = lim n arn+sn = lim n arn a sn = lim n arn. lim n asn = f a (x).f a (y). Montrons que f a est strictement monotone. Soit x > y, (r n ) la suite des approximations décimales de x par excès et (s n ) la suite des approximations décimales de y par défaut. Comme, pour tout n N, s n y < x r n il existe deux nombres rationnels r et s tels que s n < s < r < r n (L intervalle ]y, x[ contient une infinité de nombres rationnels.). En supposant a > 1, on a f a (x y) = lim n arn sn a r s > 1 d où f a (x) = f a (y)f a (x y) > f a (y), ce qui montre que f a est strictement croissante. La preuve est semblable si a < 1. Comme f a () = 1 et f a (1) = a, f n est pas constante. Il résulte des propriétés générales des solutions de (E) que f a ne prend que des valeurs strictement positives. Pour montrer continuité de f a, établissons d abord un lemme qui a son propre intérêt. Lemme Une solution f de (E) est continue si et seulement si elle est continue en un point.
4 DÉFINITION DES FONCTIONS EXPONENTIELLES Preuve. Supposons f continue en x et soit x R. On a pour tout h R, La fonction f étant continue au point x, f(x + h) = f(x x + x + h) = f(x x )f(x + h) lim f(x x )f(x + h) = f(x x )f(x ) = f(x) h ce qui entraine que lim h f(x + h) existe et vaut f(x). La fonction f est continue au point x. Pour prouver que f a est continue sur R, il suffit maintenant de démontrer que cette application est continue en. Soit ε >. Le lemme 36.1 entraine qu il existe η > tel que r Q et r < η impliquent a r 1 < ε. Considérons x R tel que x < η. Il existe un rationnel s tel que x s < η d où s x s et, si a > 1, f a ( s) f a (x) f a (s) d où f a (x) 1 max( f a ( s) 1, f a (s) 1 ) < ε ce qui montre que f a est continue en car f a () = 1. Preuve analogue si a < 1. On sait déjà que f a (R) R + et si a > 1 alors lim n an = + et lim n a n =. Si x R +, il existe donc deux entiers p et q tels que a p x a q ou encore f a ( p) x f a (q). Le théorème des valeurs intermédiaires entraine que x f a (R) d où f a (R) = R +. La preuve est analogue si a < 1. La proposition suivante va montrer en particulier que les applications f a sont toutes les solutions continues et non constantes de (E). Elle montre aussi que l on peut remplacer la continuité sur R par d autres conditions et obtenir encore les application f a comme ensemble de solutions. Proposition Soit f une application non constante de R dans R. Il y a équivalence entre : (1) il existe a R +, a 1, tel que f = f a ; (2) l application f est continue en un point et vérifie (E) ; (3) l application f est monotone et vérifie (E). Preuve. La proposition précédente entraine que 1) implique 2) et 1) implique 3). Si f vérifie 2) alors le lemme 36.2 entraine que f est continue sur R. Comme f vérifie (E) on a pour tout r Q, f(r) = f(1) r et f étant non constante, f(1). On a aussi f(1) 1 car sinon f est constante sur Q et sa continuité entraine qu elle est constante sur R. Finalement si l on pose a = f(1), on a a R + et a 1. Les applications continues f et f a coïncidant sur Q, on a f = f a. On a montré 2) 1). Soit f vérifiant 3). On a a = f(1) et si a = 1 alors soit x R et r, s Q tels que r x s. En supposant par exemple f croissante, 1 = 1 r f(x) 1 s = 1 et f est constante contrairement à l hypothèse. On a donc a 1 et les applications f et f a coïncident sur Q. Soit x R et (r n ) et (s n ) les suites des approximations décimales de x par défaut et par excès. On a, pour tout entier n, r n x s n et, en supposant par exemple f croissante, f a (r n ) = a rn = f(r n ) f(x) f(s n ) = a sn = f a (s n ) d où par passage à la limite, f(x) = f a (x) et finalement f = f a. L implication 3) 1) est démontrée.
5 3. CONSTRUCTION DES SOLUTIONS CONTINUES DE (E). 397 Remarque. La proposition 36.1 entraine que l application f 2 possède une application réciproque, notée L (pour logarithme) qui est une application continue et strictement croissante de R + sur R. L application L satisfait L(xy) = L(x) + L(y) et si f est une solution de E alors L f vérifie l équation fonctionnelle g(x + y) = g(x) + g(y) (R). On peut donc utiliser ici la méthode du document 35 pour donner différentes caractérisations des solutions continues de E. Définition Pour tout a >, a 1, les applications f a sont appellées fonctions exponentielles. La proposition 36.2 donne deux caractérisations des fonctions exponentielles à partir de l équation (E). Proposition Les fonctions exponentielles f a sont de classe C et, pour tout entier n, f (n) a = (f a()) n f a. Preuve. L application continue f a est intégrable sur [, 1] et l on a f a (x + y)dy = f a (x)f a (y)dy = f a (x) f a (y)dy. Dans la première intégrale, le changement de variables u = x + y conduit à et donc x+1 x f a (u)du = f a (x) = x+1 x f a (x)f a (y)dy. f a (u)du. f a (y)dy L application f a est donc dérivable sur R et pour déterminer sa fonction dérivée, dérivons f a (x+y) = f a (x)f a (y) par rapport à y plutôt que la relation précédente : f a(x+y) = f a (x)f a(y). En prenant y =, on obtient f a(x) = f a()f a (x) et une récurrence immédiate montre que f a est de classe C avec, pour tout entier n, f (n) a = (f a()) n f a. Remarques. 1). Le lemme 36.1 signifie que l application r Q a r est continue au point. En utilisant le lemme 36.2, qui est encore vrai si l on considère une solution de (E) seulement définie sur Q, on voit que cette application est continue sur Q. On a montré après la preuve du lemme 36.1 que cette application a une limite en tout point de R et donc la définition de f a n est rien d autre que le prolongement par continuité à R = Q de l application r Q a r. On notera donc parfois dans la suite a x le nombre réel f a (x). 2). Soit f une solution non nulle de (E). L égalité, pour h, f(x + h) f(x) = f(x) f(h) 1 f(h) f() = f(x) h h h montre que f est dérivable sur R si et seulement si f est dérivable en. Pour une application a x 1 f a, la dérivabilité sur R équivaut donc à l existence de lim. (On rappelle pour l intuition x x que cette limite existe et vaut ln a.)
6 DÉFINITION DES FONCTIONS EXPONENTIELLES La suite de ce paragraphe a pour objet de montrer que f a() est un élément arbitraire de R qui détermine f a. (Pour l intuition, f a() = ln a.) Proposition Chaque fonction exponentielle f a est entièrement déterminées par f a(). Preuve. Supposons que f a() = f b () = k (a,b R + {1}) et soit h = f a f b, x R. D après la proposition 36.3 on a, pour tout n N, h (n) (x) = k n h(x) et h (n) () =. Soit α R tel que x [ α, α] et M = h(x). En utilisant la formule de Mac Laurin à l ordre n, il existe c [ α, α] tel que sup x [ α,α] h(x) = xn n! h(n) (c) = kn x n h(c) Mkn α n. n! n! k n α n Or lim = et donc h(x) =. Finalement, f a = f b. n n! Remarque. Il y a bien d autres façons pour démontrer cette proposition. On peut dire que f a est la solution de l équation différentielle y f a()y = vérifiant la condition initiale y() = 1. Comme f a() détermine cette équation, il détermine aussi son unique solution vérifiant y() = 1. On peut aussi remarquer, à la suite de la proposition 36.3, que f a possède le développemment en série entière, centré à l origine et de rayon de convergence infini, f a (x) = 1 + (f a()) n x n. n! n> La preuve très simple ne fait que reprendre celle que l on connait pour les fonction exponentielles définies de la façon usuelle. Pour tout a R + {1}, on pose λ(a) = f a(). On a donc f a = λ(a)f a.(rappelons pour l intuition que λ(a) = ln a.) Proposition Pour tout k R, il existe a R + {1} tel que k = λ(a). En particulier, il existe e R + {1} tel que λ(e) = 1 et f e = f e. Pour tout a R + {1} et tout x R, f a (x) = f e (λ(a)x). Preuve. Soit k R et b R + k {1}. L application continue f : x f b ( f b vérifie ()x) l équation (E). C est donc une fonction exponentielle et il existe a R + {1} tel que f = f a. On a f a = f a()f a = k f b ()f b ()f a = kf a et donc k = f a(). Soit g(x) = f e (λ(a)x). On a, pour tout x R, g (x) = f e(λ(a)x) = λ(a)f e(λ(a)x) = λ(a)f e (λ(a)x) d où g () = λ(a)f e () = f a() et en utilisant la proposition 36.4, g = f a. En utilisant des notations plus usuelles on a donc a x = e λ(a)x, la fonction x e x étant la fonction exponentielle qui coïncide avec sa fonction dérivée.
7 5. APPLICATIONS Solutions non continues de (E) Rappellons d abord que R est un espace vectoriel sur Q et que tout espace vectoriel possède une base. Soit (e i ) i I une telle base et h l application Q-linéaire du Q-espace vectoriel R définie par h(e i ) = 1 pour tout indice i. Si x = i I λ i e i, I fini inclus dans I, on a donc h(x) = i I λ i Q. Il en résulte que h(r) = Q et le théorème des valeurs intermédiaires entraine donc que h n est pas continue. Cette application linéaire h vérifie évidemment, pour tout x, y R, h(x + y) = h(x) + h(y). Les applications g a = f a h vérifient (E) et ne sont pas continues car h = (f a ) 1 g a, l existence d une fonction réciproque continue pour f a étant assurée par la proposition Applications 5.1. Définition des fonctions logarithmes. La proposition 36.1 montre que chaque application f a posséde une application réciproque qui est une application strictement monotone et continue de R + sur R. La relation f a(x) = f a()f a (x) prouve que la dérivée de f a n est jamais nulle (Si f a(x ) = alorsf a(x ) = f a()f a (x ) entraine f a() d où, pour tout x R, f a(x) =. La fonction f a est constante ce qui est contradictoire.) La fonction réciproque fa 1 est donc dérivable sur R + et (fa 1 ) 1 (x) = f a(f a 1 (x)) = 1 f a()x = 1 λ(a)x. A l aide de la proposition 36.5, on voit que les fonctions logarithmes sont donc les primitives des fonctions x k x, k, nulles pour x = 1 (car f a() = 1). En particulier, la fonction réciproque de la fonction exponentielle x e x est x x R t dt e 1 et e retrouve sa définition usuelle : 1 = t dt car f e(1) = e et donc fe 1 (e) = Caractérisation fonctionnelle des fonctions logarithmes. On vérifie facilement que si f est une solution bijective de (E) alors, pour tout x, y R +, f 1 (xy) = f 1 (x)+f 1 (y). On peut donc énoncer pour les fonctions logarithmes un résultat semblable à la proposition Les processus sans mémoire. Voir document Les homomorphismes de (R, +) dans (R +,.). Voir le document La notation exponentielle de l application t cos t + i sin t. Cette notation exponentielle est justifiée par le fait que t cos t + i sin t est continue et vérifie (E). Voir le fascicule 1, document 2.
8 4 36. DÉFINITION DES FONCTIONS EXPONENTIELLES
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