du monde qui nous entoure? Cette question est inévitable pour tenter de «qualifier» l image, non
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- Baptiste Bourget
- il y a 6 ans
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1 Le don et l image EMMANUEL VERGÈS Dans une société où l image est omniprésente, peut-on envisager un rapport entre les gens et les images autre que relevant du spectaculaire? Pour le dire autrement, l image montre-t-elle réellement l intégralité du monde qui nous entoure? Cette question est inévitable pour tenter de «qualifier» l image, non pas dans son esthétique et le sens qu elle pourrait véhiculer, mais par rapport à son «utilité» sociale. L image qui se diffuse au cinéma, à la télévision, sur les murs et les écrans des villes, sur l ordinateur, sur les téléphones portables est visible quasiment partout. Omniprésente, elle se pare des meilleures intentions : nous offrir un rapport au monde, nous permettre de nous projeter, à travers elle, dans l intégralité du monde. L image se rêve totalité. Et de cette totalité, elle pense être à même de résoudre ce qui fait débat aujourd hui, et notamment la place de l individu au sein des collectifs, des sociétés, des humanités. Cependant, loin de refléter la totalité, d englober l ensemble du monde, l image n est qu un écran de cette totalité ; une facette qui ne fait émerger qu un point de vue. Elle relève, en somme, d une partialité. Cette partialité commence à s assumer dans les circuits plus classiques : ainsi à la télévision, avec des programmes qui s ouvrent de plus en plus aux «expressions amateurs», ou encore dans la «redécouverte» du genre documentaire, qui tente quant à lui d appuyer, de montrer une autre vision du monde. Mais, même dans ces cas, c est encore l image dans sa «grammaire» totalisante que l on regarde : c est encore de l information, de la «vision» que l on veut diffuser et faire passer. Les postures restent les mêmes : il y a ceux qui font et ceux qui regardent ; ceux qui savent et ceux qui apprennent. Malgré une partialité davantage assumée, la «grammaire» de l image n évolue pas. Le contexte actuel des arts numériques et du multimédia, où les outils de mise en réseau, le Web, le numérique, l informatique permettent de produire de plus en plus d images et véhiculent le mythe d un lien renouvellé entre les individus, sont peut-être plus à même de repenser cette «grammaire». Il faut en effet que celle-ci tende vers le don, premier geste nécessaire pour se mettre en lien. De nombreuses expériences dans les arts numériques et multimédia ont ainsi abordé cette question de l image 1, comme autant de tentatives d y entrer, de jouer avec elle et de questionner son utilité. Ces expériences ouvrent un champ de «coproduction» de l image entre l auteur et les publics. Elles
2 mettent en avant un comportement actif «le faire», et pas simplement une passivité «le regarder». Assiste-t-on à la naissance d un genre? C est tout au moins l expérience d une alternance de postures entre spectateur et auteur. Il semble bien, en effet, que ce soit dans ce changement de posture que l on puisse aborder pleinement l évolution de la fonction de l image, en faisant en sorte que le «don» et l image aillent de pair. 1 Voir à ce sujet les contributions de l auteur dans les numéros précédents de La pensée de midi. (NDLR.)
3 Rencontre avec Caroline Caccavale, Lieux Fictifs, Marseille «Je pense que ce qui est important quand on parle de l image est de se demander : comment la fait-on? Quel est le processus, individuel ou collectif, de fabrication de ces images? Pour répondre à cela, nous devons nous interroger sur la société, en tant que contexte de fabrication et de diffusion des images. Ainsi, il faut prendre en compte la rupture qui est en train de s opérer un peu plus chaque jour. Cette rupture s incarne dans le fait qu il nous faut, dans notre société, choisir un camp pour toute chose : riches/pauvres, blanc/noir, pro/anti. Nous sommes dans un système de plus en plus binaire, dans lequel on a fait éclater le doute, la nuance, les différentes gammes de gris. Dans ce contexte, l image et tout ce qui touche à l image est instrumentalisée au service d une vérité : celle d un des deux camps. Et cela pose bien évidemment problème, en particulier quand on fait des documentaires. Le cinéma de fiction a quant à lui résolu son rapport à l image : elle n est qu une fiction. C est donc dans la démarche et les moyens qu on donne à cette fiction que l on peut faire la différence, que l on peut rechercher les nuances de gris pour refuser l instrumentalisation. D une certaine manière, Michael Moore utilise les même procédés qu il dénonce pour produire sa vérité, pour montrer le bon côté de la force! L image n est qu un des instruments du choix qui permet à l individu de construire son appartenance au collectif et en même temps de chercher la reconnaissance des autres. Aujourd hui, tout est dans le même sac. Ainsi, les objets finalisés comme les images diffusées à la télévision ou sur un grand écran ne suffisent plus : le processus de fabrication de l image redevient fondamental ; ce qui permet de créer l image est plus important que l image elle même. Je ne peux plus accepter cette image que l on propose comme un rapport au monde. Il faut au contraire prendre conscience, par l image, de l écart entre moi et une certaine réalité du monde. Et de là, il faut trouver comment je me projette par rapport à cette réalité : comment est-ce que j invente mon désir au monde? Mon désir de l autre?
4 Le sujet dans l image n existe pas. L image n est que la trace du processus, c est ce qui se partage avec les spectateurs. Or, dans notre société, on ne fait que se focaliser sur cette recherche : Quel est le sujet? C est-à-dire : quel est la vérité à ce sujet? On aboutit alors à une vision du monde totalisante, au sens de totalité : des vérités sur tout. Nous sommes dans un système de contrôle et de transparence généralisés, dans une société manichéenne, où l autre n existe plus dans le processus mais simplement comme sujet de vérité. Et dans la multitude des liens que l on pense retisser avec les images et les technologies, on perd en fait le lien à l autre. Notre humanité se joue en creux dans cette question, parce que le don, c est l autre. Aujourd hui, l image nous fait perdre l autre, donc la possibilité du don. Faire des images dans ce contexte doit permettre de continuer à questionner la place des faiseurs d images, le pouvoir de l image, et de mettre cela à l épreuve de ce que l on transmet. Et ce n est pas une verité, mais un doute. C est diffuser des expériences qui se cherchent, se vivent et se transforment et non pas des sujets. Nous sommes alors obligés de nous questionner et de questionner nos images, parce qu elles existent au milieu des autres. Ce que nous faisons n est pas à l écart des gens, mais en plein dedans. Et, en étant en plein dedans, il faut arriver à faire et à réfléchir, poser une dimension critique, relativiser. 9m 2 se joue à cet endroit : il pose la question de l incarnation 2. Dans le processus de don à travers l image, on perd l incarnation, c est-à-dire l humain, l émotion et la matière. L émotion, c est le physique, c est l altérité. En prison, nous sommes dans un des derniers lieux possibles du temps, de la création et de la passion. C est pour cela que choisir la prison n est pas un hasard dans notre travail. Le vide d être au monde est très fort, très concret, et il est moteur de processus, et non de sujet. Poser une dimension critique n est pas avoir peur d aller vers de plus en plus d images, mais se préoccuper de savoir comment on y va. La multiplication des images sature notre société ; mais, dans cette saturation, pas de désir et pas de désir de l autre. Nous sommes dans une société de l image, dans laquelle il devient prioritaire de poser la question de comment
5 les images?, et où il n y a pourtant pas un seul espace de recherche, de critique, d analyse de cette situation. Il n y a pas de temps de réflexion de l image. Le recul, c est du temps, et le temps n a plus de prix.» 2 A l initiative de Lieux Fictifs, huit détenus, tour à tour interprètes et filmeurs, ont réalisé un travail cinématographique sur l enfermement et la codétention dans un espace cellulaire de 9m 2 à la prison des Baumettes, à Marseille. «9m 2» a été diffusé sur Arte, sous forme de «feuilleton documentaire», du 22 au 26 novembre (NDLR.)
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