Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire

Transcription

1 Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. comme je l'avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. "Pourquoi m'épouser alors?" a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs, c'était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. : "Non". Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit : "Naturellement." Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi. que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais vécu dans un temps et elle m'a demandé comment c'était. Je lui ai dit : "C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche." Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j'ai demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et qu'elle me comprenait. Pendant un moment, nous n'avons plus parlé. Je voulais cependant qu'elle reste avec moi et que nous pouvions dîner ensemble chez Céleste. Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions près de chez moi et au revoir. Elle m'a regardé : "Tu ne veux pas savoir ce que j'ai à faire?" Je voulais bien le savoir, mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher. Alors, devant mon air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche.

2 Relevé Outil d'analyse Procédé Interprétation Analyse Axe

3 Marie (...) m'a demandé J'ai dit a-t-elle dit. Je lui ai expliqué Elle a observé elle a parlé J'ai dit : Elle s'est demandé elle a murmuré elle a déclaré Je lui ai parlé Marie m'a dit Je lui ai appris elle m'a demandé Je lui ai dit j'ai demandé Elle m'a dit J'ai dit a-t-elle dit. J'ai dit : Marie m'a dit Je lui ai dit Elle m'a dit Marie (...) m'a demandé elle m'a demandé j'ai demandé "Pourquoi m'épouser alors?" a-t-elle dit. : "Non". J'ai dit : "Naturellement." Je lui ai dit : "C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche." Elle m'a regardé : "Tu ne veux pas savoir ce que j'ai à faire?" Verbes de paroles Répétitions Les répliques sont brèves Longueur des répliques Discours direct Les verbes de paroles sont très nombreux. Ils ne sont pas variés, ils sont répétés. POURQUOI? QUEL EST L'EFFET PRODUIT? L'effet produit est la monotonie : on s'ennuie en lisant, comme Meursault s'ennuie en écoutant les questions de Marie. Il n'a pas envie de participer au dialogue. La conversation, le sujet ne l'intéressent pas du tout. Marie pose des questions ; Meursault répond plus ou moins. Marie pose la plupart des questions. Meursault pose une seule question : «Les femmes étaient belles et j'ai demandé à Marie si elle le remarquait.» Il change de sujet de conversation, il fuit les sujets de l'amour et du mariage. Un peu plus tôt dans le texte, il répond à une question par une autre question, ce qui révèle là encore sa stratégie d'évitement, de fuite : «pourquoi m'épouser alors?» Les trois occurrences de montrent qu'il subit l'entretien. C'est la femme qui mène, alors que cela devrait être le contraire. Les conventions ne sont pas respectées. Les répliques sont brèves. Cela montre que la vision de l'amour de Meursault est négative. Il ne s'intéresse pas à la conversation. L'essentiel du dialogue est donc rapporté au discours indirect. Ce dialogue n'est donc pas très vivant, pas très intéressant pour le lecteur. Camus procède à l'inverse de ce qui se fait traditionnellement : il rapporte au discours direct ce qui n'est pas important... : "Non". J'ai dit : "Naturellement." Répliques brèves Les deux répliques les plus courtes sont prononcées par Meursault : il ne dit que des

4 évidences et ne les développe pas. Il ne souhaite pas poursuivre la conversation avec Marie : ce sujet ne l'intéresse pas. si je voulais me marier avec elle. cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs, c'était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. le mariage était une chose grave. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. qu'elle voulait se marier avec moi. nous le ferions dès qu'elle le voudrait. de la proposition du patron elle aimerait connaître Paris. j'y avais vécu dans un temps comment c'était. si elle le remarquait. oui et qu'elle me comprenait. au revoir. Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Après un autre moment de Discours indirect Champ lexical du silence Le discours indirect occupe la partie la plus importante du texte. Le narrateur ne cherche pas à mettre en valeur le discours de Marie, alors qu'il est important. Traditionnellement, la demande en mariage ou la déclaration d'amour sont des moments importants dans un roman. Ici, le narrateur, malicieusement, joue à couper le son. On n'entend pas la voix des personnages... Il y a un parallèle entre Meursault qui ne respecte pas les conventions sociales et Camus qui ne respecte pas les conventions romanesques. A plusieurs reprises dans le texte, les personnages marquent une pause. La première fois, c'est Marie qui s'arrête : elle

5 silence, Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant Pendant un moment, nous n'avons plus parlé. Pauses ne comprend pas les réponses de Meursault. Elle le regarde pour essayer de le comprendre. Cela va se produire une seconde fois. La discussion sur le mariage s'arrête à la fin du premier paragraphe et ils changeront de sujet de conversation. que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance : "Non". et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Négations Meursault est un personnage négatif, qui rejette tout ce que Marie propose... et et mais et et et et et et et et et et mais etmais et et alors alors Puis alors alors Puis Alors, Marie J' Elle J' elle Je Elle J' Elle elle elle Elle J' Elle elle elle elle J' Je Marie Je elle Je j' Elle Je je Elle elle je Je je elle elle Connecteurs logiques Répétitions Alternance des pronoms personnels Il y a un lien entre l'écriture et ce que ressent Meursault. Camus est proche de Meursault. Ce que Meursault éprouve, Camus essaye de nous le faire resssentir par le style. Cela montre le désintérêt du personnage : quoi que dise Marie, il ne s'intéresse pas à la conversation. Ce texte se caractérise par l'absence de ponctuation expressive : le personnage n'exprime pas ses sentiments. Le pronom personnel «elle» domine : c'est Marie qui domine l'échange. Meursault est le héros du livre, mais il est passif, il subit le dialogue. Les conventions du mariage ne sont pas respectées. elle m'a pris le bras en souriant elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche. Verbes d'actions, de mouvements Marie est le seul personnage à agir et à exprimer ses sentiments. Meursault est passif, il subit. Je lui ai dit : "C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau Meursault change de sujet. Il parle de sa mutation, de Paris. Aucun sujet n'intéresse

6 blanche." vraiment Meursault : ni le mariage, ni la mutation à Paris. Il n'a envie de rien. Il ne retient que des éléments négatifs. Il parle des pigeons avant de parler des gens : il ne s'intéresse pas aux gens. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme elle voulait se marier avec moi. elle aimerait connaître Paris # Je voulais cependant qu'elle reste avec moi Je voulais bien le savoir, mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher. Répétition du verbe «vouloir» Au début du texte, Marie parle le plus, parle la première. Elle a de la volonté, elle est positive, elle est curieuse. Elle a des envies. Meursault a beaucoup moins d'envies qu'elle. Il ne sait même pas s'il a des envies. Il aimerait bien faire plaisir à Marie, mais cela lui est difficile. nous pourrions le faire si elle le voulait si elle le désirait, nous pouvions nous marier nous le ferions dès qu'elle le voudrait. subordonnées conditionnelles A la fin du texte, Meursault exprime un peu plus d'envies, mais celles-ci sont conditionnées aux envies de Marie. m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. (...) que cela ne signifiait rien Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs, c'était elle qui le demandait elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi. J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Pronoms : - démonstratif - personnel Répétition du verbe «se marier» Les deux personnages parlent du mariage. Dans le deuxième paragraphe, Meursault change de sujet : il évoque Paris, les gens. Marie prononce deux fois le verbe «se marier», tandis que Meursault ne l'emploie qu'une seule fois : c'est elle qui a envie de ce mariage. Il n'utilise pas le mot «mariage» ou le verbe «se marier» : il emploie des pronoms. Cela signifie qu'il n'aime ni l'idée, ni prononcer le mot, tout simplement parce que cela le dérange. Ce n'est pas du dégoût, mais de l'indifférence.