Mieux vivre ensemble localement une utopie?

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1 Mieux vivre ensemble localement une utopie? Bilan de 5 ans d expérimentation en Rhône-Alpes 12 avril 2011 Apporter une réponse globale et transversale aux problématiques contemporaines d amélioration de la vie quotidienne de tous les habitants et en particulier des plus fragiles a conduit la Fondation de France et la Région Rhône-Alpes à s engager dans une expérimentation territorialisée au travers d un appel à projets partagé. Elles ont ainsi souhaité favoriser la cohérence des politiques territoriales au service du bien-être des habitants. Pour ce faire, l appel à projets Populations fragiles et développement des territoires, construit et mis en œuvre depuis 2005, a adopté la démarche suivante : prise en compte des difficultés éprouvées par les populations vulnérables dans leur dimension globale et nécessaire transversalité des réponses apportées ; synergie des ressources locales, soutenue par la construction de partenariats d acteurs privés et publics ; capitalisation et essaimage des projets les plus exemplaires. Un cadre permettant de situer la stratégie d intervention adaptée aux enjeux sociaux énoncés a été défini. À cette fin, les critères permettant de sélectionner et soutenir les projets ont été les suivants : un territoire pertinent par rapport à la nature du projet ; un diagnostic partagé auquel les bénéficiaires sont associés ; un portage par un collectif d acteurs et une implication directe des bénéficiaires dans la mise en œuvre du projet ; une mixité sociale ; une approche transversale qui s appuie sur des thématiques diverses (emploi, habitat, environnement ). 1

2 Des exemples de projets soutenus Depuis 2005, l appel à projets Populations fragiles et développement des territoires a permis de financer 49 projets pour un montant global de euros, apportés à part égale entre la Région Rhône-Alpes et la Fondation de France. La majorité des projets soutenus aboutissent au développement d un service ou d une organisation qui n existaient pas auparavant sur le territoire et qui répondent à un besoin. En effet, les projets portent autant sur de nouvelles méthodes de travail, de rencontres (régie de quartier, réalisations collectives, diagnostic, spectacle, mise en relation de populations qui ne se connaissent pas) que sur de nouveaux produits (animations dans le quartier, boutique multiservices, épicerie solidaire «bio» ). L originalité vient souvent de la combinaison de plusieurs activités «classiques» au sein d un même projet et de l utilisation d une thématique pour en aborder une autre (par exemple un projet culturel pour débattre des problématiques sociales et créer un plan d action). Aussi, l innovation est souvent associée à l idée de capitalisation et d exemplarité. Quelques projets soutenus sont susceptibles de devenir des modèles innovants transférables sur d autres territoires. Les exemples présentés ci-dessous montrent la diversité des projets soutenus, des territoires investis et des profils des porteurs de projet. L association Logement, accueil et promotion des travailleurs et familles de Haute-Savoie a mis en œuvre un projet d accès à un logement adapté pour les gens du voyage vivant en caravane ou en habitat précaire sur la communauté d'agglomération d'annemasse-les-voirons. Cet accompagnement commence par le diagnostic des besoins de la famille et peut s étendre sur une longue période après l entrée dans le nouveau logement. Il s agit de favoriser une véritable intégration des familles de gens du voyage sédentarisés au sein d un territoire dans lequel ils vivent, souvent depuis des générations. D une manière générale, cette intégration vise à modifier les difficultés structurelles que rencontraient ces familles en matière d accès à la scolarité des enfants, de santé et d activité professionnelle. La ville de Bourg-lès-Valence (Drôme) propose un dispositif créateur de lien social qui va au-delà d une simple aide financière aux populations en difficulté. Des animations sociales et pédagogiques sur les sites des jardins familiaux et d un jardin solidaire créent un lieu d échange et de convivialité dans lequel les gens peuvent s investir et participer. Trois autres objectifs s y ajoutent. Il s agit d une part de répondre à une demande de familles aux ressources très modestes connues du Centre communal d action sociale de la ville, qui souhaitent bénéficier d une parcelle de terrain où elles peuvent cultiver leurs propres fruits et légumes et ainsi, réduire leurs dépenses alimentaires. D autre part, l entretien d un jardin permet aux personnes isolées et rencontrant des difficultés sociales et professionnelles de retrouver une activité «structurante, valorisante et gratifiante». Un circuit court de production et de distribution de fruits et légumes est développé, en combinant jardins familiaux et épicerie solidaire. Le projet présente une grande cohérence entre les différentes activités développées. L installation d un Comité d usagers et d un Comité de pilotage élargi a permis d ancrer le projet dans une réelle dynamique territoriale et participative. La pérennisation du poste de coordonnateur est aussi un gage de réussite pour ce projet. L association Villages et quartiers solidaires porte une opération d'autopromotion et d'autoconstruction à Crolles (Isère). Le projet est né de la volonté d un groupe de huit familles, toutes locataires, d avoir une nouvelle approche de la promotion immobilière sociale à destination des familles modestes. Il s agit de donner la possibilité à ces familles de construire leur logement en tenant compte de contraintes économiques et de la mixité sociale. Le voisinage est aussi impliqué dans la définition de ce projet qui a un impact concret sur sa vie. L adossement à l action des bailleurs sociaux a permis de garantir la pérennité du projet, apportant ainsi une réponse aux besoins de la ville de Crolles en matière de logements sociaux. Le Comité de coordination des Monts du Lyonnais (Rhône) propose des événements culturels comme supports fédérateurs autour des besoins de développement des services à la personne. Il s agit de rassembler différents publics (habitants concernés, élus) pour trouver des solutions adaptées à des problèmes repérés (garde d enfants, transport, soutien aux personnes âgées et à leurs familles). Le projet comprend trois volets : une action événementielle, la Parade de l épouvantail, manifestation culturelle centrée sur la danse et la musique ; 2

3 la réalisation d un film sur le thème de l isolement et des projections-débats autour des sujets traités : problèmes sociaux liés à l isolement, possibilités offertes par les nouveaux métiers des services à la personne ; la réalisation d autres manifestations culturelles abordant les problématiques de mobilité, du mode de garde des enfants, du soutien aux personnes âgées et aux aidants. Des supports comme le théâtre interactif ou des soirées musicales sont envisagés. Ces différentes actions ont rassemblé sur plusieurs années de nombreuses personnes, en faisant se croiser populations et générations en fonction des souhaits et des envies des habitants. Au-delà du lien social qu il construit, le projet participera aussi au développement de la formation et de l emploi autour des métiers du service à la personne. Ce projet s appuie sur un réel portage collectif grâce à la mobilisation sans faille du Comité de coordination, au partenariat solide avec les structures et associations du territoire, et à la participation active des habitants et des élus. Le Centre Social de la Rivière Valbenoîte à Saint-Etienne (Loire) a souhaité mettre en place un projet global susceptible de redonner vie au quartier de la Rivière, marqué par le vieillissement, l isolement, la précarisation de sa population ainsi que par le manque d animation dû à la disparition progressive de l activité économique. Celui-ci s est concrétisé par l ouverture d un espace multiservices (avec l Association pour le maintien de l agriculture paysanne, vente directe de producteurs, de stands d Artisans du monde ) et la réalisation de multiples animations (jeux, soirées, contes, spectacles, ateliers cuisine ). Le projet est porté par les habitants, qui gèrent l espace multiservices via l association Au fil de la rivière, créée à cet effet. L objectif final est l ouverture d une boutique solidaire et sociale dédiée aux populations en situation de précarité. Des principes partagés, jugés pertinents La transversalité, la mixité et la participation sont largement perçus comme des principes pertinents au regard de l objectif central du vivre ensemble : les notions de développement social local et de développement durable sont depuis longtemps les bases de l action menée par les structures soutenues par l appel à projets. Ces concepts positionnent l approche transversale et globale à l échelle d un bassin de vie comme un principe fondateur ; le critère de mixité sociale correspond tout à fait aux valeurs portées par les courants associatifs, d économie sociale et solidaire, d éducation populaire et d animation socioculturelle, notamment autour des questions de solidarité et de lien social ; la co-construction des projets avec les bénéficiaires permet de renforcer le lien social et de favoriser l autonomie et la prise de confiance en soi pour des publics en difficulté. Certains critères de l appel à projets sont aussi pertinents au regard d enjeux politiques, nationaux et locaux : la décentralisation et les attributions des collectivités rendent pertinent l ancrage territorial ; la recherche de mixité générationnelle, socio-économique et culturelle compte parmi les plus grands enjeux des politiques d'urbanisme et de développement local. Pour que ces principes ne restent pas simplement théoriques, les porteurs de projets ont pu : disposer d un financement pour la phase de diagnostic partagé/participatif ; lancer des projets innovants que les financeurs «classiques» auraient refusé de soutenir car, atypiques, ils ne répondent pas strictement à leurs critères ; approfondir leur projet en fonction des critères, allant au-delà des difficultés rencontrées, grâce à l accompagnement des instructeurs. Si les principes portés par cet appel à projets ont été bien pris en compte, la complexité et les difficultés rencontrées ne doivent pas être minorées. Après 2 ou 3 ans d efforts, certains projets n ont pu aboutir qu à des évolutions minimes. 3

4 La participation et la prise en compte des populations fragiles Les populations fragiles sont au cœur des projets soutenus, ceci malgré les difficultés à mobiliser les plus vulnérables dans une démarche participative. Les projets s adressent le plus souvent à une population large : personnes en difficulté socio-économique (avec pour certains des problèmes de santé physique ou psychique) ; habitants d un territoire en difficulté (classement en ZUS, quartier ou zone rurale en perte de vitesse). Cependant si la grande majorité des projets évite de cibler une population précise, le souci de prendre en compte les situations vécues demeure : demandeurs d emploi, migrants, gens du voyage, personnes âgées, jeunes, femmes/mères, personnes handicapées, demandeurs d asile. Convaincues de l intérêt démocratique et/ou pédagogique d une approche considérant les bénéficiaires comme les moteurs de l action, les structures soutenues ont intégré la participation des habitants à tous les niveaux des projets. En effet, la mise en place d une démarche pragmatique de participation permet à la fois, sur le plan collectif, de renforcer le lien social, et, sur le plan individuel, de favoriser l autonomie et la confiance en soi. Effective dans la majorité des projets, la co-construction a cependant nécessité beaucoup de temps et d énergie. Elle est intrinsèquement conditionnée par la motivation des bénéficiaires. Ce choix, largement partagé, de prendre en compte l ensemble de la population présente sur le territoire du projet, tout en étant attentif à l implication des populations fragiles, a amené de nombreux porteurs de projets à approfondir les conditions de la mixité sociale. S il convient de favoriser la participation de personnes issues de catégories socioprofessionnelles, de cultures, d'âge, de conditions et d'origines différentes, il s avère que la démarche ne doit pas être réalisée de façon systématique et autoritaire, au risque d une simple cohabitation sans véritable cohésion. La transversalité à tous les niveaux Les projets soutenus se caractérisent par : une réelle transversalité thématique : action sociale, habitat, emploi/insertion/formation, santé, lien social/solidarité, culture, accès aux services Certains thèmes servent de fer de lance (exemple de projets culturels permettant d aborder des questions sociales), d autres sont au cœur des objectifs opérationnels (emploi, santé, service à la personne ), certains apparaissent en toile de fond (le lien social) ou de façon indirecte (le développement du territoire) ; un portage par un collectif d acteurs aux profils différents (associations, élus, institutionnels, autres professionnels) et aux compétences complémentaires (action sociale, habitat, économie, transport, culture, loisirs, environnement, éducation, gérontologie, handicap ). La majorité des projets associe directement les bénéficiaires dans le portage ; une approche holistique, qui s'intéresse à son objet comme constituant un tout et considère les divers aspects de la vie sociale comme formant un ensemble solidaire, dont les diverses parties ne peuvent se comprendre que par le tout qui leur donne leur signification. L ancrage territorial, gage de réussite La dynamique territoriale au cœur du projet (mobilisation des habitants et des acteurs de terrain, soutien politico-institutionnel) est un gage fort de réussite. De réelles dynamiques partenariales de terrain (portage collectif, participation active des populations), se sont vues parfois complétées par une inscription des projets dans une politique locale de développement et par un soutien institutionnel local. Les éléments suivants sont communs à la plupart des projets : une réalisation au sein d un territoire tel qu on l entend dans un sens géographique ou administratif : quartier, canton, ville, partie de département ou département. L échelle de projet 4

5 la plus représentée est le quartier, conséquence logique des critères de participation des habitants et de mixité sociale (proximité nécessaire) ; la réalisation d un diagnostic, très souvent spécifique au projet, réalisé par un collectif de professionnels et/ou participatif (en association avec les bénéficiaires). Cette démarche a permis l identification de besoins non couverts et a aussi servi de base à la mobilisation des acteurs et à la sensibilisation des populations ; un lien entre porteurs de projets et collectivités (villes, intercommunalité, pays, Conseil général). Critère important de l ancrage territorial et de la possibilité de pérenniser l action, cet aspect se traduit par des partenariats techniques et/ou financiers, par des portages directement effectués par des collectivités ou par une inscription des projets dans un axe fort de la politique locale (politique de la ville, de renouvellement urbain, charte de territoire). Un partenariat original pour un dispositif efficace Au-delà de l aspect novateur des initiatives proposées, l originalité de cet appel à projet réside dans le partenariat entre une collectivité territoriale et une fondation privée qui ont construit ensemble des procédures communes d instruction et de suivi. La coopération entre acteurs publics et privés Cet appel à projet fut l occasion d expérimenter une association entre la Fondation de France et la Région Rhône-Alpes. Les modalités de travail transversales mises en œuvre pour le double-pilotage du programme sont pleines d enseignements, notamment le travail avec les élus et les possibilités de relais locaux pour renforcer l ancrage territorial des projets. Au-delà de l aspect technique de gestion de l appel à projets, le partenariat entre la Fondation de France et la Région Rhône-Alpes s est aussi concrétisé par une réflexion commune tout au long de la mise en œuvre (évaluation chemin faisant des projets, séminaires ). Ce travail exigeant a permis d interroger sans cesse la pertinence et la faisabilité de la démarche (recherche d innovation, capacité à se remettre en cause). Les difficultés rencontrées ont essentiellement été dues à des contraintes administratives en particulier des rythmes budgétaires différents et la complexité de la transversalité, inhérente au fonctionnement d une grande collectivité territoriale, comme l est la Région. Un financement pluriannuel donnant du temps Les modalités de financement pluriannuelles sur trois ans sont un atout majeur pour les projets, et tout à fait cohérentes avec les critères de l appel à projets. En effet, l ouverture sur plusieurs thématiques, la mixité et la participation se construisent dans le temps. La majorité des porteurs de projets ont pu en bénéficier. Ils ont pu ainsi démontrer une bonne capacité d ajustement, les remarques des instructeurs les ayant conduit à prendre des mesures concrètes pour faire évoluer positivement leur projet. Reste, pour certains projets, la préoccupation de leur avenir au-delà de trois ans, les financements relais n ayant pas toujours été trouvés. Des procédures d instruction et de suivi au service des projets L appel à projets est caractérisé par des modalités remarquables d instruction, de suivi et d accompagnement des projets. L instructeur, intermédiaire entre les porteurs de projets et le jury, devient ici un véritable accompagnateur des maîtres d œuvre. Cela positionne le rapport entre «financeurs» et «financés» non pas sur un simple plan administratif et de contrôle, mais en véritable partenariat d action au service de la qualité du projet. Ces méthodes d instruction, avec la double fonction d intermédiaire et d accompagnateur de l instructeur, sont véritablement innovantes. Elles ont permis d apporter de la méthodologie aux porteurs, et de faire évoluer les projets dans le temps afin qu ils soient au plus près des objectifs de l appel à projet, à savoir, améliorer la vie de tous les habitants sur un territoire. La Fondation de France apporte une véritable valeur ajoutée dans ce domaine, avec la possibilité dont elle dispose de faire intervenir des instructeurs bénévoles ayant un niveau élevé de compétences, et un engagement très important. Cependant, pour être assuré au mieux, le suivi de projets demande des temps de formations et pose la question du recrutement de bénévoles pas toujours aisé sur un tel engagement. 5

6 Conclusions et perspectives L appel à projets Populations fragiles et développement des territoires met en avant la capacité d une collectivité territoriale comme la Région Rhône-Alpes à répondre à celle des citoyens à construire le mieux vivre ensemble. La Région a la volonté de voir ainsi émerger, sur tout son territoire, des initiatives qui, à ce jour ne trouveraient pas d éligibilité dans des procédures existantes mais qui témoignent de l aptitude de chacun à trouver des réponses innovantes. Le véritable accompagnement de proximité des projets dans leur complexité offre une source de réflexion pour orienter et mettre en œuvre des politiques qui répondent à la réalité des situations sur l ensemble du territoire rhônalpin. Cet appel à projets a conforté la Fondation de France dans ses convictions et ses orientations. En effet, face aux bouleversements complexes qui touchent chacun d entre nous et en particulier les plus fragiles, face aux pertes de repères dans l espace, le temps et dans la construction de la place de chacun, seule l innovation sociale peut apporter une réponse. Les associations, par leur souplesse, leurs actions localisées et adaptées aux besoins de ceux pour et avec lesquels elles sont engagées, sont les premières à pouvoir porter ces innovations. C est pourquoi, à la suite de cette expérimentation fructueuse, la Fondation de France ressort convaincue de l intérêt de : favoriser et évaluer les initiatives globales et transversales ; développer des soutiens pluriannuels en insistant sur l importance des diagnostics préalables et de l inscription des projets dans la durée ; construire des partenariats avec des collectivités locales ou territoriales. La Fondation de France envisage par ailleurs dans un proche avenir de cibler et soutenir des dynamiques territoriales là où la vie associative, les initiatives citoyennes, semblent plus pauvres ou difficiles