Hélène Arvel. La Princesse aux pieds bleus

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Anne-Marie Bouffard
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3 Chapitre 1 Le roi Georges et la reine Clarisse qui habitaient le château de La Rochère, en Vésuvie, avaient deux fils. L aîné, Emeric, ressemblait trait pour trait à son père et en avait hérité le caractère vif. Le second, Alexis, à l inverse, était doux et calme comme sa mère. Le château avait été bâti sur un rocher surplombant une mer d un bleu intense. La côte, à cet endroit, formait une anse bordée d une plage de sable blanc. Le climat y était doux à longueur d année et la vie s y déroulait tranquillement. Le roi avait constitué une forte armée car son pays avait une grande façade sur la mer qui faisait beaucoup d envieux. Sa flotte imposante avait vaincu beaucoup d ennemis et rassurait les habitants du royaume. En tant que futur roi, le prince Emeric était soumis à une éducation très stricte. De nombreux précepteurs venaient chaque jour lui enseigner l histoire de son pays, la géographie, les langues 2 3

4 étrangères, mais aussi les sciences et les mathématiques. De plus, à dix ans, il devait être déjà capable de faire un discours et connaissait le maniement des armes comme les soldats. Le travail acharné qui lui était demandé l avait rendu agressif et prétentieux. Il en devenait coléreux, même envers ses maîtres, mais le roi ne plia jamais devant ses caprices. Le prince Alexis était plus libre de son temps et surtout moins vaniteux que son aîné. Il suivait aussi des cours de langues et de mathématiques mais le reste du temps, il pouvait faire de la musique ou aller jouer avec les enfants des serviteurs. La rivalité entre les deux frères ne faisait qu augmenter avec le temps. La reine Clarisse en souffrait beaucoup et, secrètement, elle rêvait d avoir une fille. Son vœu fut exaucé quand naquit une petite Magalie qui lui ressemblait en tous points. Elle était très belle avec des cheveux bruns qui entouraient son visage aux traits fins et réguliers. Un jour, la reine demanda à son époux la faveur de présenter leur fille aux habitants de la ville qui pourraient ainsi profiter d un goûter au château. Le roi acquiesça aussitôt car il adorait sa femme et cherchait toujours à la satisfaire. 24

5 Chapitre 2 La petite princesse Magalie avait déjà quatre mois quand on ouvrit en grand les portes du château pour laisser entrer les habitants de La Rochère, venus nombreux découvrir sa frimousse. On avait installé son couffin en haut d un escalier monumental et on avait instauré un sens de la visite. Les invités montaient les marches sur la droite et, après un compliment à la reine, descendaient sur la gauche et se rassemblaient devant le perron. Préparés à l événement, les invités avaient tous prévu un présent pour le bébé. Ils avaient apporté des draps de lin brodés, des petits jouets en rotin ou en raphia, d autres en bois poli et peints de teintes vives. On ne comptait plus les chaussons de laine ou de coton et les bonnets de toile fine. La reine surveillait les réactions de chacun, heureuse d entendre des «Oh!» admiratifs à chaque passage devant la princesse qui fut particulièrement sage pendant le défilé de toutes ces têtes penchées vers elle. 2 5

6 La montée des marches était terminée depuis quelques instants et les visiteurs s étaient déjà rassemblés au bas de l escalier quand une vieille femme, toute courbée, se présenta devant le couffin. Elle était venue à la ville pour rendre visite à son frère et avait suivi la foule sans trop savoir pourquoi. Elle se pencha alors vers la fillette et eut aussitôt un mouvement de recul comme si quelque chose venait de l effrayer. Un grand silence s abattit sur l assistance et, d une voix cassée, la femme dit brusquement : «Cette petite a la maladie aux pieds bleus! Je reconnais ces petites taches rosées!» En entendant ces paroles, la reine se leva aussitôt et s écria : «Qu avez-vous, vieille femme? Vous êtes devenue folle? Ou bien, vous nous voulez du malheur?» La pauvre vieille essaya de balbutier quelques mots mais elle fut rapidement emmenée dans une salle du château par un des gardes qui surveillaient la visite. Elle essaya alors de se justifier en s exclamant : «Je ne veux aucun mal à personne. Il se trouve juste que ma sœur a été atteinte de la même maladie et que mes parents ont mis des années à trouver le remède. Il ne faudra jamais que la petite mette les pieds dans l eau de mer car ils deviendraient tout bleus!» Le garde voulut en savoir plus et demanda alors : Et à quoi avez-vous reconnu cette maladie? On reconnaît cette maladie à ces minuscules taches rosées de la peau. Je le répète, il ne faudra jamais que la princesse trempe ses pieds dans l eau de mer. 26

7 Le garde resta pensif. Fallait-il répéter ces paroles à la reine ou fallait-il se taire? Il se sentit pris au piège. Il appela un ami qui passait et lui conta l histoire. Tous deux décidèrent alors de relâcher la vieille dame mais lui conseillèrent de quitter la ville au plus tôt. La foule commençait déjà à entrer dans les salles fraîches du château mais la reine, devenue soucieuse, quitta rapidement les invités. «Et si cette femme disait la vérité? Et si Magalie avait une maladie inconnue?» se dit-elle tout à coup. Se penchant alors sur les jambes du bébé, elle y vit de très petites taches rosées qu elle n avait jamais remarquées auparavant. Dans la soirée, le roi qui espérait voir sa femme radieuse, s aperçut de son trouble et lui en demanda la cause. Après quelques hésitations, la reine lui rapporta l effroi et les paroles de la vieille dame. «Ce ne sont que des sornettes! dit-il. Nous allons surveiller cette folle et, à la prochaine incartade, elle ira dans les îles!» La reine savait ce que cela signifiait de terrible car son époux n aimait pas ceux qui lui tenaient tête. Les gens qu on emmenait ainsi ne revenaient jamais. Elle décida alors de ne plus rien laisser paraître de son angoisse. Pourtant, malgré les apparences, elle s inquiétait toujours et, en secret, elle allait observer les jambes de sa fille à la recherche du moindre défaut. Il était vrai qu elles étaient recouvertes de petits points rosés! 2 7

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