Regards croisés sur l Ukraine et sur le «voisinage commun» russo-européen. Messieurs les Présidents, Monsieur le Directeur, Monsieur le député,

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1 R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E Regards croisés sur l Ukraine et sur le «voisinage commun» russo-européen Intervention du Sénateur Yves POZZO DI BORGO Messieurs les Présidents, Monsieur le Directeur, Monsieur le député, Si je devais résumer en quelques mots la nature de la crise qui traverse aujourd hui l Ukraine, je dirai simplement que c est la rencontre d une impuissance et de deux formes de maladresse. Maladresse russe, maladresse américaine et impuissance européenne. Et pourtant, comment ne pas être ému par les scènes de la foule en liesse place Maidan il y a un peu plus de deux mois suite à la destitution du Président Ianoukovitch? Mais voilà, l épisode de la Crimée puis de l est de l Ukraine couplée à des tractations sans fin entre l Europe, la Russie et les Etats-Unis ont achevé de cristalliser une crise politique et maintenant territoriale qui aurait pu être réglée simplement. Oui, je le répète, cette crise aurait pu être réglée simplement si l Europe s était dotée d une véritable politique russe et si inversement la Russie avait une véritable politique européenne. Aujourd hui, nous assistons à une parodie de résolution de crise de la guerre froide alors que le fond du problème est tout autre. La réalité de la crise ukrainienne, c est qu elle est le symptôme de l absence de relations réciproques entre la Russie et l Union Européenne. Ni plus, ni moins. 15, RUE DE VAUGIRARD PARIS CEDEX 06 - TELEPHONE : TELECOPIE :

2 - 2 - Revenons tout d abord revenir sur cette notion de «voisinage commun» sur laquelle la présente table ronde nous invite à nous pencher. Cette expression a été forgée récemment pour essayer de dessiner une voie d entente avec la Russie face aux graves tensions qui traversent l Ukraine. Cette notion est pourtant à la fois ambigüe et en réalité assez creuse. Elle renvoie en réalité à deux vocables différents, coté européen comme coté russe. En effet, le voisinage commun dans une perspective russe s inscrit nécessairement dans la notion de l étranger proche, à savoir, la sphère d influence et de rayonnement de la fédération de Russie. L Ukraine a été, pendant près de 90 ans le grenier à blé de l URSS. La guerre froide à accentué le lien culturel et historique qui existait depuis le 16 e siècle entre ces populations au-delà des divergences religieuses ou linguistiques. Le fameux accord de 1989 entre Gorbatchev et les occidentaux prévoyait ainsi qu il ne fallait pas que l OTAN s élargisse aux pays du proche étranger russe. Dès lors, l indépendance politique de l Ukraine apparait dans la longue durée comme une exception. Du coté européen, le voisinage commun, c est ni plus ni moins que la politique de voisinage, mise en œuvre en 2004 à la suite du grand élargissement à l est qui a justement conduit les frontières européennes à épouser la frontière occidentale de l Ukraine. Cette politique a été initiée la même année que la désormais célèbre révolution orange qui a semble t-il, fait office de prémices à la crise actuelle.

3 - 3 - La politique européenne de voisinage n a qu une seule vocation. Limiter la course à l élargissement en servant, pour les pays limitrophes de l Union, de supplétif à une véritable intégration. Quant aux Etats-Unis, je ne m attarderai pas dessus. Une décennie de guerre contre le terrorisme en Afghanistan puis en Irak cumulées aux faiblesses de la ligne diplomatique du Président Obama auront suffit à ranger l horizon américain sous une même bannière européo-atlantiste d un point de vue Ukrainien. Le «voisinage commun» de l Ukraine entre l Union Européenne et la Russie a été pendant près d une décennie la fille du refus européen de faire adhérer l Ukraine et de l absence coté russe des moyens effectifs de la puissance. L Ukraine a donc été laissée pendant 20 années dans les mains de dirigeants manifestement peu scrupuleux. L opinion publique se consolide mais la sève démocratique est encore trop rare pour prospérer dans des conditions optimales. La crise actuelle est donc issue d une recomposition de cette configuration un peu particulière qui a fait de l Ukraine une marge, et de la sphère russe et de la sphère européenne. Pour dire les choses plus franchement, la crise que traverse l Ukraine aujourd hui est la conséquence de l absence manifeste d un voisinage autre que géographique. Igor Ivanov, ancien ministre de Poutine l a clairement formulé lors de sa récente visite à Paris : pousser l Ukraine à un choix définitif entre la Russie et l Europe, c est faire courir au pays le risque de l escalade et de la partition.

4 - 4 - A l échelon supérieur, cette escalade vers la partition n a pu que distiller la méfiance entre les européens et les américains d un coté, et les russes de l autre. La rencontre des ces deux maladresses à finalement produit une défiance mutuelle par absence de véritables habitudes de travail en commun. Le sommet semestriel Europe/ Russie a surtout une utilité protocolaire mais rien n en ressort jamais dans les faits. Idem, nos médias accentuent la défiance ressentie par nos dirigeants. Un sondage récent de février dernier réalisé après les JO de Sotchi a confirmé que 78% des français avaient une mauvaise opinion de la Russie. On retrouve ce phénomène aux Etats-Unis, notamment après l affaire Snowden mais aussi en Russie où Poutine ne peut pas aller contre une opinion plus nationaliste que nos standards européens. Au milieu de ce marécage de la défiance, les partisans de la constitution en France d une véritable politique russe peinent à faire entendre leur voix. Plusieurs initiatives furent menées après la crise caucasienne de Jean- Pierre Thomas, banquier d affaire avait en 2012 produit un rapport à la demande du Président Nicolas Sarkozy dressant les avantages attendus de la création d une vaste zone de libre échange euro-russe. Auparavant, on a pu voir des projets similaires ou adjacents. Mon collègue sénateur Aymeri De Montesquiou a beaucoup travaillé sur la question de l Asie centrale et notamment du Kazaksthan. Pour ma part, j ai eu l occasion d écrire de nombreux rapports sur les relations entre l Europe et la Russie.

5 - 5 - Tous ces travaux convergent sur plusieurs points. Le premier, c est que nous ne pouvons plus regarder la Russie avec nos lunettes de l avant La Russie de 2014 est bien différente de l URSS. Plus de 25 ans après la chute du mur de Berlin, la population russe a changé. Elle a d abord souffert de la transition puis a retrouvé une fierté nationaliste très puissante ainsi qu une relative prospérité économique sous l égide de Vladimir Poutine. Ce dernier ne saurait donc aller à l encontre de sa propre opinion et au demeurant, il devrait être évident pour tout le monde qu une annexion territoriale des marges de l Ukraine n entrainerait aucun bénéfice pour la Russie. Nous ne sommes plus à l époque de l avancée vers les mers chaudes sur le dos de l empire Ottoman ou des annexions à vocation idéologique comme sous l URSS. Le deuxième, c est que nous avons tout à gagner, européens, russes et peuples d Europe centrale et orientale confondus, à nous engager dans un partenariat économique renforcé. Alstom exporte ses locomotives dans toute la CEI, Renault continue de croitre et de prospérer en Russie alors qu il connait des difficultés en France, Sanofi rencontre de grands succès en matière pharmaceutique et bien évidemment, il y a beaucoup à attendre en matière d infrastructures publiques de transports. Voyez Vinci qui se lance dans la construction d une autoroute entre Moscou et St Petersbourg! Et pourtant, rien n a été concrétisé dans les faits. Les obstacles à l institution de ce voisinage commun demeurent. C est un profond gâchis car en effet, du coté oriental, les attentes sont très grandes.

6 - 6 - Le 14 février dernier, lors de la réunion d hiver de l Assemblée parlementaire du Conseil de l Europe, Oksana Kalentnyk, parlementaire ukrainienne a plaidé pour un affermissement économique et social de son pays. Une partie du pays reste nostalgique du socialisme quand l autre n a d yeux que pour l économie de marché. Dans les deux cas, les ukrainiens attendent du travail, des soins, de l éducation, bref, la prospérité. Coté Russe également. La manne énergétique est fragile, pas les partenariats commerciaux. L Ukraine est ainsi publiquement endettée à plus de 73 milliards de dollars. Le pays est en cessation de paiements. Qui paiera la note? Ni l Union européenne ni la Russie n en ont les moyens. En revanche, le travail commun et la prospérité commune apportée par un partenariat commercial permettrait à l Ukraine de sortir la tête de l eau. En conclusion, j aimerais croire à la mise de coté des préjugés et de la défiance née de l absence de politique de voisinage de chaque coté de l Oural. J aimerais croire à la prise de conscience que nous avons plus à gagner à travailler main dans la main avec la Russie qu a rejouer une nouvelle fois une parodie de guerre froide. J aimerais croire également que les dirigeants européens, américains, russes et ukrainiens fassent preuve de moins de maladresses et établissent enfin de véritables relations de travail. Seules les prochaines semaines nous donneront des éléments de réponses.