23. Assainissement du glissement de La Saussaz: état de stabilité 10 ans après les travaux
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1 Mém. Soc. vaud. Sc. nat. 25: ISSN Assainissement du glissement de La Saussaz: état de stabilité 10 ans après les travaux par Jean-François BRODBECK 1 & Renaud MARCELPOIX 1 Résumé. BRODBECK J.-F. & MARCELPOIX R., Assainissement du glissement de La Saussaz: état de stabilité 10 ans après les travaux. Mémoire de la Société vaudoise des Sciences naturelles 25: Les eaux souterraines sont considérées comme un acteur majeur dans les mécanismes des glissements de terrain. Dans la pratique, la prise en compte des processus hydrogéologiques a suscité moins d enthousiasme lors de l assainissement des instabilités de versants. Dans de nombreux cas, l analyse de ces processus est indispensable pour comprendre le phénomène d instabilité et définir la méthode d assainissement présentant la meilleure efficience. L assainissement du glissement de la Saussaz constitue à ce titre un exemple de référence, précurseur en Suisse romande. Dix années après les travaux d assainissement, un bilan de l efficacité du dispositif est établi grâce aux mesures de surveillance. Mots clés: glissement, eau souterraine, hydrogéologie, assainissement, stabilité, monitoring. Abstract. BRODBECK J.-F. & MARCELPOIX R., La Saussaz landslide: stability condition 10 years after remediation works. Mémoire de la Société vaudoise des Sciences naturelles 25: Groundwater is considered as a major factor in the mechanisms of landslides. In practice, the hydrogeological processes are hardly been taken into account in the remediation of unstable slopes. In many cases, the analysis of these processes is essential to understand the phenomenon of instability and ultimately define the remediation method with the best efficiency. The remediation of Saussaz s landslide constitutes a reference and a precursor in French speaking part of Switzerland. Ten years after the remediation, an assessment of the stability is established through monitoring. Keywords: landslide, groundwater, hydrogeology, remediation, stability, monitoring. 1 CSD INGENIEURS SA, Chemin de Montelly 78, Case postale 60, CH-1000 Lausanne 20, Suisse. jf.brodbeck@csd.ch et r.marcelpoix@csd.ch CODEN: MSVNAU 2013 Société vaudoise des Sciences naturelles Droits de reproduction réservés
2 296 J.-F. Brodbeck & R. Marcelpoix Introduction Situation et géologie Le glissement de La Saussaz se situe au nord de la station de Villars-sur-Ollon dans le canton de Vaud, entre les altitudes de 1450 et 1700 msm. Le versant est exposé au SE à S et présente une pente d environ 45% (figure 1). Le soubassement rocheux affleurant en amont disparaît très vite en profondeur. Il appartient aux nappes ultrahelvétiques très replissées et se compose d un cœur surcreusé de gypse (nappe de Bex) surmonté des couches schistomarneuses de l Aalénien-Dogger (Nappe d Arveyes). Ces couches s imbriquent vers l ouest dans les cornieules basales de la Nappe du Meilleret (Badoux et al. 1990, 1991). Cette dernière unité présente des grès et conglomérats fracturés et aquifères couronnant le versant avec ses affleurements. Des lambeaux de Flysch s intercalent entre les diverses unités (figure 2). Une moraine rhodanienne limono-argileuse prend place sur le versant. Elle contient de minces intercalations fluvio-glaciaires. Un voile d éboulis recouvre partiellement la moraine. L épaisseur totale des terrains meubles peut dépasser 50 m. Le glissement de La Saussaz s étend sur une surface de l ordre de 30 ha et affecte une épaisseur de l ordre de 30 m dans sa moitié aval. Le volume concerné par le glissement est supérieur à 1.5 millions de m 3. Figure 1. Illustration et situation du glissement de La Saussaz (source: Swisstopo). N d autorisation Swisstopo: JA
3 Assainissement du glissement de La Saussaz: état de stabilité 10 ans après les travaux 297 Figure 2. Coupe géologique régionale schématique, modifiée d après Badoux & Gabus, Historique des événements et travaux de reconnaissance Le glissement de La Saussaz représente non seulement une menace pour le quartier «La Résidence» mais aussi pour la télécabine du Roc d Orsay le traversant (figure 1). Considéré comme profond, ce glissement avait fait l objet de diverses études de reconnaissance en surface (Epfl 1985, 1989). Les études photogrammétriques avaient montré des vitesses de 6 à 14 cm/an entre 1974 et 1980 et entre 15 et 20 cm/an entre 1980 et 1986 (Epfl 1989). Dès 1988, CSD Ingénieurs Conseils SA a été chargé de la reconnaissance géologique et de la surveillance du glissement. Les investigations ont rapidement conduit à mettre en évidence le rôle des eaux souterraines dans les mécanismes contrôlant le glissement. Des équipements de surveillance ont été mis en place entre 1988 et 1990: 1 piézomètre (SC1), 3 inclinomètres et 8 points topométriques. Les forages ont permis de montrer la présence d eau en pression entre 26 et 32 m de profondeur dans des graviers intramorainiques. Un premier forage SC1 a fonctionné dès 1989 comme siphon de décharge du plan de glissement: le débit jaillissant initial fut de 12 l/min, puis il fluctuait ensuite entre 1 et 7 l/min. La charge correspondante se situait aux environs de 23 m au dessus du sol. Selon une analyse photogrammétrique (CSD Ingénieurs Conseils SA, 1993), les vitesses s étaient ralenties à 5-8 cm/an. Le fonctionnement hydrogéologique se vérifiait: les précipitations du printemps associées à la fonte des neiges s infiltraient massivement en amont du glissement (grès et conglomérat du Meilleret). Cette recharge mettait en pression une mince intercalation intramorainique de graviers fluvioglaciaires. Le drainage (siphon SC1) de ce niveau en pression révélait son efficacité. En mai 1999, le glissement a montré des signes inquiétants de forte activité nécessitant l évacuation du haut du quartier résidentiel. L assainissement qui a suivi s est réalisé en 3 étapes entre mai 1999 et fin 2002: mesures d urgence, mesures actives et mesures passives (CSD Ingénieurs Conseils SA 2001).
4 298 J.-F. Brodbeck & R. Marcelpoix Travaux d assainissement Mesures d urgence Les mesures d urgence ont consisté à (i) exécuter une ligne transversale de 6 sondages verticaux (à mi-pente, altitude msm environ) afin de dépressuriser la nappe entre 30 et 40 m de profondeur (débit total jaillissant de 44 l/min le 18 juin 1999), à (ii) forer deux sondages horizontaux de 150 m de long dans la partie inférieure (figure 3) pour drainer les eaux souterraines (211 l/min en juillet 1999) et à (iii) débuter une série d ancrages dans le mur de soutènement en pied de glissement. Ces mesures ont permis de ralentir le glissement, la chute piézométrique atteignait 15 à 20m au droit des sondages verticaux (figure 4).qui ont ensuite été utilisés comme piézomètre de contrôle de la dépressurisation. Figure 3. Situation des mesures d assainissement et du système de surveillance du glissement.
5 Assainissement du glissement de La Saussaz: état de stabilité 10 ans après les travaux 299 Figure 4. Coupe géologique schématique transversale (coupe 1) et longitudinale (coupe 2). Mesures actives Les mesures actives ont compris (i) la mise en place de 13 forages horizontaux supplémentaires ( ) de 80 à 232m de long, étagés selon 4 niveaux (figure 3), (ii) la fin de l ancrage du mur aval, (iii) la mise en place d un système de collecte et d évacuation des eaux de surface et des eaux s écoulant des forages. L ensemble de ces mesures a permis de faire chuter la pression d eau à la base du glissement de 4 à 5 bars au total (figure 7) provoquant une stabilisation de la masse glissée. Le débit total drainé par les forages fluctue depuis 2001 entre 130 et plus de 500 l/min. Mesures passives Les mesures passives ont inclus l élaboration d une carte des dangers et la mise en place de la surveillance annuelle: mesures mensuelles (mai à novembre) des débits des forages horizontaux et des niveaux piézométriques, mesures biannuelles (printemps et automne) des inclinomètres, des points topométriques et des écartements des fissures du mur de soutènement.
6 300 J.-F. Brodbeck & R. Marcelpoix Résultats Les données de surveillance du glissement se résument à près de dix ans de surveillance des débits des forages horizontaux et de l écartement des fissures du mur de soutènement. Dix à douze ans de mesures piézométriques et vingt ans de mesures topomètriques et inclinomètriques (avec 3 générations d inclinomètres) sont également disponibles. Les résultats des mesures inclinométriques montrent des vitesses de 2 à 5 mm/an entre 1989 et La fonte des neiges associée aux précipitations exceptionnelles des printemps 1995 et 1999 (respectivement, 882 mm et 866 mm au total) avait provoqué une mise en charge du plan de glissement en profondeur et des déplacements de plus de 28 cm/an et 9 cm/an, respectivement. Depuis les travaux d assainissement, les vitesses de déplacements calculées par inclinométrie sont inférieures à 1 cm/an et généralement à 0.5 cm/an (figure 5). Les mesures topométriques illustrent l activité à la surface du glissement (figure 6). Avant les travaux d assainissement, les vitesses étaient d environ 5 cm/an dans la partie médiane et de 1.3 cm/an dans la partie inférieure. Les déplacements enregistrés lors du printemps 1999 ont atteint une vitesse moyenne de 80 cm/an dans la partie médiane. Après les travaux d assainissement les vitesses sont restées faibles (0 à 0.9 cm/an) sur l ensemble du corps du glissement. L association des mesures topométriques et inclinométriques permet à la fois de doubler le système de surveillance, mais aussi de caractériser les mouvements en surface (topométrie) et souterrains (inclinométrie). Les mesures piézométriques caractérisent la charge hydraulique du plan de glissement; depuis les travaux, leur suivi permet de contrôler l efficacité du dispositif d assainissement. Si la première dépression du plan de glissement en 1989 avait permis une chute de la charge hydraulique de 3 bars, les travaux d assainissement ont permis une nouvelle baisse d environ 1.5 bars (figure 7). Les mesures post-assainissement montrent un niveau des eaux souterraines stable au printemps ce qui confirme l efficience du système. Conclusions La compréhension des processus hydrogéologiques dans l étude du glissement de la Saussaz s est révélée judicieuse: la connaissance préalable des paroxysmes de mouvements lors du printemps par mise en forte surpression d une mince couche perméable dans la moraine de fond rhodanienne (jusqu à plus de 20 m au-dessus du sol dans SC1, soit environ 5 bars sur le plan de glissement) a permis d orienter les travaux d assainissement. Les mesures d urgence rapidement décidées et exécutées ont eu des effets immédiats et ont permis un fort ralentissement des mouvements. La finalisation de l assainissement par l achèvement des lignes de forages drainants, la collecte et l évacuation rapide des eaux de surface et de celle des forages ont permis de consolider le dispositif. La stabilisation du glissement est confirmée grâce aux dix années de surveillance post-assainissement. Le glissement est passé des classes «actif» et «très actif» à la classe «peu actif». Le type d assainissement choisi est relativement léger pour les volumes en cause et d une grande souplesse d exécution et de contrôle. Le montant total des travaux s est élevé à environ 1.5 mio de francs.
7 Assainissement du glissement de La Saussaz: état de stabilité 10 ans après les travaux 301 Figure 5. Evolution des vitesses de déplacement calculées à partir des mesures inclinométriques à l aval du glissement (d après CSD Ingénieurs SA, ). Figure 6. Vitesse moyenne annuelle (mm/an) à la surface du glissement. Figure 7. Evolution du niveau des eaux souterraines dans le piézomètre de contrôle situé à proximité du piézomètre SC1.
8 302 J.-F. Brodbeck & R. Marcelpoix Seule la poursuite de la surveillance permettra de maintenir la protection des biens et des personnes à l aval du glissement face à la probabilité d occurrence des phénomènes hydroclimatiques extrêmes au printemps. Le contrôle des déplacements, le suivi piézométrique couplé aux jaugeages permettra de vérifier la bonne efficacité du système de dépressurisation. En cas d anomalie, de nouveaux forages drainants pourraient être rapidement exécutés. Bibliographie Badoux H., Gabus J.-H. & Mercanton C.-H., Atlas géologique 1: de la Suisse, feuille n 1285 Les Diablerets (2 ème édition), Service hydrologique et géologique national. Badoux H., Gabus J.-H., Atlas géologique 1: de la Suisse, feuille n 1285 Les Diablerets (2 ème édition), Notice explicative, Service hydrologique et géologique national, 58pp. CSD Ingénieurs Conseils SA, Glissement de la Saussaz: rapport de synthèse 1992, Lausanne. CSD Ingénieurs Conseils SA, Assainissement du glissement de la Saussaz à Villard/Ollonrapport géologique et hydrogéologique et travaux exécutés en 2001, Lausanne, 8 pp. CSD Ingénieurs Conseils SA, Rapports annuels de surveillance du glissement de la Saussaz, Lausanne. Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, Détection et utilisation des terrains instables DUTI, projet d école (Lausanne), 229 pp. Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, Glissement de Villard-La Sausse, rapport technique sommaire, Laboratoire photogramétrique (Lausanne), 3 pp.
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