Rapport de mission : Chypre février 2009

Transcription

1 Rapport de mission : Chypre février 2009 Arrivée à Larnaka Suite à la première mission de nos partenaires français chez nous en décembre 2008 (voir rapport Nadia DVD en langue des signes), nous avions fixé les objectifs de notre séjour à Chypre : permettre à des stagiaires chypriotes et à des formateurs sourds d être confronté directement à des langues des signes étrangères, à savoir la LSBF et la LSF. Le jour de notre arrivée, le 23 février, nous avons fait connaissance avec notre partenaire chypriote, la Fédération des sourds de Chypre, qui regroupe un certain nombre d associations réparties dans la partie grecque de l île. Le lendemain nous avons visité la seule école pour personnes sourdes de l île. Cette école a été financée par l ONU et les Etats-Unis.

2 Nous pouvons alors constater que des moyens importants sont dégagés pour encadrer les jeunes sourds. On le verra par la suite, la situation par rapport à l implant cochléaire est quasi similaire à Chypre et en Belgique. La première classe était composée de 4 jeunes sourds implantés d environ 6 ans. Apparemment tous les jeunes enfants sourds sont implantés rapidement à Chypre, ce qui n est pas le cas des jeunes adolescents. Ces 4 jeunes sourds étaient encadrés par 4 personnes : interprète, institutrice, Nous avons ensuite suivi un cours individuel donné à une jeune fille sourde non implantée par une institutrice d origine américaine connaissant la langue des signes. 2 autres cours ont été également suivis avec des adolescents sourds (jusqu à 16 ans), cette fois appareillés. A nouveau l encadrement était conséquent. Limassol Nous étions attendu à Limassol vers 17h pour assister à un cours de langue des signes et également pour donner un cours de LSBF (par ma collègue sourde Chantal). Avant cela nous avons visité l association de la ville. Le cours de langue des signes se donnait par une formatrice sourde oraliste et les stagiaires (tous entendants) étaient au nombre de 9.

3 Quelle ne fut pas notre surprise lorsque la formatrice mit de la musique afin que les participants «chantent» en signes tout en oralisant! La seconde partie fut consacrée au cours de ma collègue sourde. Chantal avait préparé un cours sur les moyens de transport pour un niveau débutant (nous n avions pas d information sur le niveau du groupe). Là encore, grosse surprise, la formatrice sourde oraliste (ainsi que son mari présent au cours, lui aussi oraliste) a systématiquement traduit en langue orale tout le cours de Chantal! Evidemment ce genre de situation pose un énorme problème pédagogique car le but était de mettre les participants en situation de langue étrangère (la LSBF) sans support d une autre langue (ici le grec oral). Nous en reparlerons lors d une réunion future Ecoles intégrées Le lendemain nous allons visiter une école intégrée de Nicosie. 3 jeunes sourds sont intégrés dans une classe de 18 élèves et ils sont aidés par une interface en langues des signes. Un autre jeune sourd (implanté) est intégré dans une classe de 20 élèves et est suivi par 2 personnes : une interface et une personne chargée de la reformulation orale

4 Parfois les 3 premiers jeunes sourds suivent des cours isolés (grec, histoire), réunis dans un petit local avec une interface de communication. Nous visitons ensuite un lycée de Nisosie où sont intégrés 3 jeunes garçons sourds. Ici pas vraiment de cours mais plutôt une présentation et une discussion informelle. Ces jeunes sourds sont encadrés par 4 personnes dont 2 interprètes en langue des signes. Les envies professionnelles de ces garçons sont ambitieuses : devenir architecte ou géomètre. Nous apprenons alors que, tout comme en Belgique il y a longtemps, les mains des sourds étaient liées dans le dos il y a à peine 15 ans, pour les empêcher de signer! Le parcours des sourds est décidément universel Nos autres partenaires français ayant fait un vol de nuit pour nous rejoindre, ils ont préféré se reposer l après-midi, d autant plus que la formatrice sourde française doit animer un cours de langue des signes à 18h! La formatrice chypriote avait décidé de regrouper ce soir là les 3 niveaux de cours : la formatrice sourde aura à gérer un groupe de 45 personnes! Dans ce grand groupe, beaucoup de personnes entendantes mais également quelques sourds. La disposition trop scolaire de la salle, des bancs les uns derrière les autres, n étant pas propice à l apprentissage d une langue des signes (on ne voit pas les

5 autres signer), la formatrice suggère à tous de former un demi cercle avec les chaises uniquement, comme nous le faisons en Belgique. Démarche pédagogique d Organdi Ayant observé attentivement le cours, je peux dire ici que celui-ci était fortement bien construit : clair, dynamique, alternant travail individuel, par 2, en groupe, activités participatives, retour en arrière pour vérifier la compréhension et la mémorisation, La formatrice a vraiment bien gérer ce groupe de 45 personnes. Le cours a été suivi d un débat et une remise d un questionnaire (tout comme à Limassol) qui va nous permettre de mieux centrer notre projet. Kostandinos Lors de ce cours à Nicosie, nous avons eu la chance de rencontrer un jeune garçon de 18 ans, entendant. A l âge de 15 ans, Kostandinos a rencontré 2 personnes sourdes d origine syrienne et il a décidé d apprendre la langue des signes. Depuis 2 ans il suit les cours de langue des signes de Stavroula, sa formatrice sourde. Il faut savoir ici que les cours de langue sont limités à 30 heures par an. Il faut voir le niveau de langue des signes de Kostandinos : il est incroyable et d une fluidité parfaite (voir la vidéo Vidéo004.3gp ). Ce garçon est vraiment doué et il désire devenir interprète en langue des signes. Il a des amis sourds et est bien intégré dans le monde de la surdité. C est vraiment un stagiaire qu il faut soutenir et encourager dans sa formation. Nous lui avons proposé de participer à nos échanges pédagogiques à venir en France et en Belgique. Malheureusement, il entre à l armée en juillet Bonne chance à toi! Lycée professionnel Le lendemain nous allons visiter un lycée professionnel où sont intégrés 3 jeunes sourds. C est une journée «portes ouvertes» avec présentation de différentes animations : cuisine, cours de chimie, informatique, physique, vie animalière, peinture,

6 L école accueille 650 élèves pour 65 professeurs et 25 vacataires. Ici, pas d interprètes : refus de la direction, c est l oralisme qui prime! Nous n avons pas eu l occasion de réellement observer un cours avec les jeunes sourds. Constat : alors que l école a de très grands espaces, le local pour les sourds se résume à un placard à balai. Ministère et oralisme L après-midi nous avons rendez-vous au Ministère de l Education pour une réunion avec le directeur des centres de formation non formelle pour adultes. Le Ministère finance 4 centres de formation qui accueillent environ 440 personnes réparties en 45 groupes, avec 10 formateurs ( 5 sourds et 5 entendants!). Le Ministère privilégie l engagement de sourds oralistes par facilité alors que la Fédération a demandé d engager des sourds dont la langue des signes est la langue maternelle. Pour le moment, le projet n est par soutenu par le Ministère. Il faut savoir ici qu il n y a pas de formation pour les formateurs ni pour les interprètes sur l île. Seules une formatrice sourde et une interprète ont été formée et diplômée à Athènes, les autres travaillant sur base d expériences ( par exemple entendants de parents sourds devenant interprètes, comme c est le cas en Belgique). La réunion au Ministère n a pas été très bénéfique et nous nous rendons compte que les attentes de nos amis chypriotes sont loin des objectifs de notre projet. Il faut repartir de la base et des attentes des sourds chypriotes. D autre part, Belges et Français font le même constat : nous avons un problème. Les formatrices sourdes chypriotes ne connaissent pas le contenu de notre projet et de plus, telle une bouée de sauvetage, elles oralisent toujours entre elles et avec les entendants chypriotes alors qu elles ont un très bon niveau de langue des signes. Nous décidons alors de travailler en sous groupe (sourds d un côté, entendants de l autre) afin de cadrer notre travail lors des réunions. Première décision : plus d interprétation! Les 3 langues des signes seront uniquement nos langues de communication, même avec les problèmes de compréhension pour les entandants. Et ça marche! Lors de la réunion suivante, les formatrices sourdes chypriotes avaient perdu 95 % de leur oralisation! Finie la bouée de sauvetage

7 Comme toutes les réunions suivantes se sont passées uniquement en langues des signes, je n ai pas pu prendre de note, tout occupé à signer et à capter les différentes langues des signes. Mais toutes ces réunions ont été filmées! Une chose également importante à clarifier : la place des stagiaires dans notre projet. Pour le moment, elle nous parait assez passive et la problématique devrait être discutée prochainement. Les attentes chypriotes Les attentes des formatrices Chypriotes sont énormes. La réunion entre sourds belges, français et chypriotes a fait émerger plusieurs points - les sourds sont fiers de leur langue, la langue des signes - ils sont très demandeurs de formation approfondie - il faut mettre en place une formation dans l île (actuellement, ceux qui le peuvent doivent la suivre à Athènes durant 2 ans) - il faut continuer les échanges entre formateurs sourds européens Nicosie, une ville coupée en deux Nous avons un peu découvert l île lors de nos déplacements nombreux, notamment un petit village assez typique, Lefkara. Mais c est surtout cette capitale au passé lourd, cette ville coupée en deux, avec son passage se résumant à une rue entre la partie grecque et la partie turque qui nous a frappée.

8 Nos collègues chypriotes, même s il est possible de passer du côté turc (assez lourd quand même), préfèrent s abstenir, tant les émotions sont à fleur de peau. Notre ami chypriote nous racontait que la maison de ses parents était de l autre côté de la frontière, et qu il ne la reverrait plus jamais et préférait oublier tout cela Chypriotes ont fui cette partie de l île il y a bien longtemps Jean, Chantal et Cathy Prochaine étape : rencontre à Paris en juin Un projet Grundtvig