UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

Transcription

1 UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE VI (ED 124) Laboratoire de recherche EA 4081 Rome et ses Renaissances T H È S E pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Histoire de l Art Présentée et soutenue par : Pauline Glasson le : 15 novembre 2014 Les représentations de la victoire navale de la haute époque hellénistique à Auguste Sous la direction de : M. Gilles SAURON Professeur, Paris IV la Sorbonne Membres du jury : Mme Agnès ROUVERET Professeur, Paris X Nanterre Mme Emmanuelle BOUBE Maître de Conférence, Toulouse II Le Mirail M. Roland ETIENNE Professeur émérite, Paris I Panthéon-Sorbonne M. François BARATTE Professeur, Paris IV la Sorbonne

2 Le sujet des représentations de la victoire navale de la haute époque hellénistique à celle d Auguste met en parallèle le monde romain et le monde hellénistique et engage à une analyse systématique et simultanée de deux corpus appartenant à deux mondes distincts. Toutefois, ces recherches démontrent que l histoire politique et l histoire des traditions de la célébration des victoires navales sur ces deux aires géographiques, peuvent impliquer un phénomène de subordination culturelle et, à l inverse, la constatation de l émergence de particularismes propres à chaque civilisation. L approche du sujet, en fonction des investigations et des résultats, prend une direction moins bipolaire et plus adaptée à une problématique complexe. Le cadre chronologique, adopté pour mener l étude des batailles navales, débute à l extrême fin du IV e siècle av. J.-C. pour se terminer au terme du I er siècle av. J.-C. Ainsi, l examen commence avec la bataille de Salamine de Chypre, grande victoire macédonienne célébrée et commémorée de façon grandiose, pour laquelle, selon certaines exégèses, le néôrion de Délos, monument capital de mon corpus, aurait été commandé. Il s achève avec la bataille d Actium, exaltée avec une ampleur sans précédent, qui marqua un tournant dans l histoire politique romaine et qui fut utilisée comme un mythe fondateur de paix. En outre, après cette victoire décisive du parti d Octave sur Marc Antoine et Cléopâtre, les conflits sur mer sont quasiment inexistants dans le contexte de la Pax Romana. Les témoignages relatifs à la commémoration des événements d Actium, très abondants, sont produits longtemps après leur déroulement et conduisent, ainsi, mes investigations jusqu au I er siècle ap. J.-C. Il semblait passionnant d analyser le sujet des images de la victoire navale et de ses utilisations en confrontant deux mondes méditerranéens qui avaient des traditions distinctes et des racines en partie communes. Grâce à cet axe d approche du sujet, j ai pu

3 mettre en relief les évolutions de ces manifestations artistiques dues à des échanges et des influences entre les deux sphères et souligner les spécificités de leurs traditions en les distinguant sur le terrain de la célébration militaire. De plus, j ai décidé de ne pas limiter les explorations à une seule catégorie de supports d images afin d obtenir une vision la plus large possible de l expression plastique de la victoire navale et, ainsi, de tirer des conclusions sur l ensemble des méthodes de diffusion des messages politiques. En ouvrant de cette façon le champ de recherche à tous les supports, j ai eu aussi l intention de confronter les images de la sphère publique à celles de la sphère privée et d étudier les relations qui existaient entre ces deux genres de décors. J ai, en effet, tenu à traiter tous les supports et toutes les formes de l image de la victoire navale, qui embrassent des domaines aussi différents que la monnaie, la sculpture monumentale, les édifices religieux et publics, les bas-reliefs décoratifs, les peintures ou encore la glyptique. Il s agit à partir d un maximum d exemples pertinents de décrire deux façons de magnifier les victoires navales. Rome et le monde grec n ont pas eu les mêmes moyens de diffusion et les mêmes intentions dans le domaine de l expression de la victoire navale. Les prétentions de Rome et l envergure de la communication des messages qu elle propageait n étaient pas les mêmes que celles permises par le rayonnement des cités grecques. L étude, menée en quatre parties, consiste en la mise en lumière et l explication de la diversité des moyens et des formes de cet art par leurs origines, leurs fonctions et leurs impacts. Cette analyse permettra un examen approfondi des raisons politiques et sociologiques de l iconographie de la victoire navale. La première partie de travail consiste en l exposé du contexte historique de mon sujet de recherche. Ainsi, il faut rappeler la naissance et la formation des principales puissances navales de la Méditerranée. Cet examen amène aux prémices de l architecture navale militaire et des tactiques de guerre sur mer. La domination navale voit le jour dès le

4 II e millénaire, cependant, il n est pas possible, avant le VI e siècle av. J.-C., de parler de véritables puissances navales guerrières constituées de flottes. Dans un deuxième temps, revenant au cadre chronologique, j expose un recensement des batailles navales des mondes hellénistique et romain. Ceci représente un travail capital pour analyser les contextes historique, militaire et politique de la célébration des victoires navales. Ils sont parvenus à notre connaissance, le plus souvent, grâce aux données littéraires antiques. Cet examen s appuie donc sur ces textes, indispensables à notre travail de recherche, pour décrire les événements, quand il est possible de le faire, et pour rappeler les conséquences militaires et politiques. Cependant, la plupart de ces écrits étant postérieurs aux événements, la véracité des anecdotes et de certains déroulements des faits est donc à considérer avec précaution. De plus, bien qu ils attestent de batailles ayant vraiment eu lieu, il faut prendre en compte leur dimension communicative, car ces témoignages, pour le plus grand nombre, sont au service de propagandes politiques. Dans une deuxième partie, j ai d abord examiné les traditions ancestrales de la célébration de la victoire militaire pour aller jusqu au cas précis de la victoire navale. Il convient de caractériser les rites liés au retour triomphant des soldats chez eux et du succès militaire et de définir les évolutions cultuelles, sociologiques et politiques de ces coutumes à travers les siècles et dans les différentes régions de la Méditerranée. Dans un premier temps, il s agit d analyser des installations éphémères de la célébration de la victoire navale en remontant à leurs origines et en observant les évolutions de ces traditions. Ainsi, certaines de ces manifestations, comme le trophée, remontant au VI e siècle avant J.-C, ont pris place dans la culture grecque et vont influencer et enrichir les coutumes romaines qui elles-mêmes dévoilent des particularismes, tels que le fornix. La troisième partie consiste en l élaboration d une typologie des monuments de commémoration de la victoire navale. En s appuyant sur les études des témoignages de mon corpus, je mets d abord en évidence la pérennisation des monuments éphémères. Ce phénomène est le résultat d une forte volonté de garder le souvenir de la victoire et de

5 proclamer la suprématie militaire des cités. Cette analyse sera menée parallèlement pour les monuments du monde grec et ceux du monde romain. Il s agit donc de mettre en avant les monuments qui témoignent de cette transformation culturelle qui a permis la diffusion du message de la victoire et qui pose les fondements de l art triomphal de ces deux mondes. Conjointement au développement des monuments de commémoration, des supports divers servent la diffusion des messages de l idéologie de la victoire navale. En effet, d autres vecteurs de communication, tels que la monnaie, les décors privés ou encore les bijoux, touchant la société à travers des références différentes de celles des traditions évoquées, ont prouvé leur efficacité. Un nouveau répertoire iconographique de la victoire navale apparaît, généré par l essor de ces différentes marques de commémoration des événements militaires. Il s agit, ici, de faire un examen iconographique, reprenant tous les types d images que nous avons recensés, présents sur les monnaies, les peintures, les reliefs et les monuments appartenant à ces deux mondes et d en étudier chaque schème. Cette étude menée, une synthèse sur l expression artistique des victoires navales et sur son évolution permet de tirer des conclusions sur les préférences et les influences iconographiques et aussi de déterminer les règles des lieux d installation de ces manifestations. Après avoir examiné les monuments commémoratifs et les fonctionnements iconographiques de la victoire navale, ma démarche a pour ambition de montrer leur utilisation et d expliquer le rôle de cet art spécifique dans la sphère des élites hellénistiques et romaines. La dernière partie de ce travail de recherche traite des utilisations politiques de cet art de commémoration. Elle réunit les interprétations des éléments de mon corpus d un point de vue politique. Il s agit, ici, de revenir chronologiquement sur les thèmes des idéologies

6 politiques, établies par chaque vainqueur, s appuyant sur l exaltation de ses propres victoires navales ou celles de ses ancêtres. Néanmoins, l étude montre que les cités grecques n ont pas utilisé le thème de la victoire navale de la même façon que Rome dans leurs idéologies et que leurs programmes politiques n ont pas déployé les mêmes moyens de persuasion. Mes recherches mettent en lumière les multiples processus de transformation d un événement militaire historique en une image réaliste ou symbolique illustrant un thème de propagande politique. Les victoires navales vont être utilisées par les généraux afin d appuyer leur volonté d accession au pouvoir ou leur prise de fonctions civiques et politiques. Il convient donc de comprendre quelles ont été les armes politiques sous-entendues d une victoire navale engendrant la revendication d un fait historique pour assurer sa propre reconnaissance et de saisir comment, grâce à des références culturelles, les généraux ont créé des mythes autour de leurs succès à des fins de légitimation de leur pouvoir. La victoire militaire, au-delà de signifier une entreprise guerrière accomplie, un territoire conquis ou une défense réussie, diffuse des notions de compétitions militaires et politiques. Elle induit, en effet, les idées de supériorité d une armée, le génie de celle-ci et, par là même, le pouvoir d une nation toute entière. Les victoires maritimes, sur ce cadre chronologique, sont des événements impressionnants et fantasmés, qui suscitent l admiration et impliquent le récit emphatique de ces faits militaires. Les succès navals sont synonymes de maîtrise des mers qui est le paroxysme de la réussite guerrière. Les Etats vont utiliser le souvenir des campagnes victorieuses pour se glorifier et pour intimider leurs ennemis potentiels. C est ainsi qu ils vont utiliser leur renommée militaire dans les discours politiques et, par tous les moyens, essayer de diffuser ces idéologies afin de persuader leur peuple et leurs colonies d une invincibilité notoire. Ces notions abstraites vont habiter les schèmes du répertoire iconographique de la victoire navale et se transformer en discours politique. Ces recherches permettent de montrer comment un événement militaire factuel était transformé en point de départ d une idéologie politique. Les ressorts d une telle conversion appartiennent à des traditions hellénistiques et romaines nourries au cours des siècles par les modèles des grands conquérants. Il s agit de démontrer les mécanismes de la transformation des victoires navales en arguments politiques. Les rites de célébration,

7 les cérémonies du triomphe, les festivités de commémoration, les monuments vantant les généraux, l art et la littérature relatant avec emphase et déformations les affrontements, sont autant de manœuvres participant à la légitimation d une nation ou d un général au pouvoir.