Les Misérables. de Victor Hugo. Clefs d analyse. par Alexandre Gefen. Petits Classiques Larousse - 63 Les Misérables

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1 Les Misérables de Victor Hugo Clefs d analyse par Alexandre Gefen

2 CLEFS D'ANALYSE Clef 1 (du début à p. 54) Action et personnages 1. Quelles sont les raisons pour lesquelles Mgr Bienvenu prétend avoir donné ses chandeliers d argent à Jean Valjean? Il considère que l argenterie appartient de droit aux pauvress. En les donnant à Jean Valjean, il conclut avec lui un marché : «c est votre âme que je vous achète». Il pense que le pardon est le meilleur moyen de convaincre Jean Valjean de devenir honnête. 2. Pourquoi Fantine laisse-t-elle sa fille chez les Thénardier? S agit-il d un abandon? Fantine ne trouvera pas de travail si l on sait qu elle a un enfant sans être mariée : si elle ne la laisse pas aux Thénardier, elle ne pourra pas gagner l argent nécessaire pour subvenir aux besoins de sa fille. Il ne s agit pas d un abandon, puisqu elle continue de s en préoccuper et se consacre entièrement à trouver les moyens de l élever. 3. En quoi Jean Valjean se comporte-t-il de façon héroïque lorsqu il sauve le vieux Fauchelevent? Le comportement de Jean Valjean est héroïque, moins parce qu il prend le risque de se faire écraser par la charrette que parce qu il peut être identifié par Javert et renvoyé au bagne. Langue 4. Analysez la manière dont Jean Valjean commence par se présenter à Mgr Bienvenu (pages 29-30, lignes 23-43) : commentez la composition du texte, la structure des phrases et les verbes employés. Quel est l effet produit? Pourquoi reprend-t-il ses explications? Jean Valjean se présente d entrée de jeu comme un galérien alors que c est la raison pour laquelle il risque de se voir refuser l hospitalité. Il évoque ensuite rapidement son voyage à pied depuis Toulon, puis décrit longuement sa vaine recherche d un hébergement pour la nuit. Alors que les dix-neuf ans passés au bagne sont évoqués en une courte phrase, la soirée à Digne occupe une demi-page, comme si cette expérience était encore plus importante que la précédente. Jean Valjean termine son discours en rappelant sa condition de bagnard, mais en informant ses interlocuteurs qu il est en mesure de payer : la place de cet argument, répété deux fois, est décisive dans l économie du discours car elle fait de l argent le seul moyen d un possible échange avec autrui (moyen d ailleurs inefficace). Son compte-rendu est très précis, mais s en tient aux faits. Il accumule les phrases courtes, construites très simplement (propositions indépendantes), sans donner de justification. L absence de détails montre qu aucune discussion n a été possible ; l effet de liste produit par la superposition des propositions donne une impression d objectivité et met en évidence le caractère arbitraire de cette exclusion. La part

3 des commentaires est réduite et ne porte pas sur la réaction des hommes, mais sur celle du chien qui est ainsi désigné comme le modèle de l humanité. Dans cette longue liste, la rencontre, pourtant inattendue et positive, de la femme qui lui conseille de frapper chez Mgr Bienvenu, ne fait pas l objet d un traitement particulier : l absence de commentaire de la part de Jean Valjean indique le peu d espoir qu il met dans cette nouvelle tentative. Les verbes employés sont pour la plupart des verbes de mouvement : l accent est ainsi mis sur l errance du personnage qui n a pas la possibilité de s arrêter quelque part et qui ne peut pas trouver sa place dans la société (même en prison, qui est pourtant l espace dévolu à ceux qui sont considérés comme nuisibles). Le personnage, exclu de la sphère des hommes, est le sujet du seul verbe de pensée utilisé dans le texte : il apparaît ainsi comme le seul être doué d esprit, dans un univers d où Dieu aussi est donné pour absent. Mgr Bienvenu paraît n avoir retenu que les deux dernières phrases de son discours («Je suis très fatigué, douze lieux à pieds, j ai bien faim. Voulez-vous que je reste?») et ignore délibérément la condition de bagnard de Jean Valjean qui a justifié jusque-là son renvoi dans tous les lieux où il s est présenté. Jean Valjean reprend ses explications, comme s il pensait que ses interlocuteurs ne l avaient pas compris. 5. Quels sont les procédés d écriture qui confèrent à l extraction des dents de Fantine un caractère tragique? Analysez notamment la progression du texte. Le besoin d argent de Fantine a été longuement exposé ; au début du chapitre X, elle vent ses cheveux pour acheter une jupe à Cosette. À ce stade, il est évident qu elle est prête à tout pour elle. Or, la structure du chapitre superpose la nouvelle de la maladie de la petite fille et la proposition du bateleur qui constitue une solution au problème de Fantine. Le lecteur comprend immédiatement que celle-ci va accepter : l extraction des dents apparaît comme inéluctable. En effet, la vente des cheveux a précédemment institué un scénario modèle que ce nouvel épisode ne fait que répéter. On peut parler de tragique parce qu il s agit d une fatalité contre laquelle la révolte est inutile. Le récit qu elle fait à Margueritte se ferme sur le rappel du lieu où elle peut retrouver l arracheur de dents. Fantine rapporte exactement la phrase qu il a prononcée («Il m a dit qu il serait ce soir au Tillac d argent») : elle a donc écouté son offre plus attentivement qu elle ne veut l avouer. Alors qu elle croit exposer les motifs de son refus, elle ne fait qu anticiper sur l événement à venir. On peut considérer que, à partir de l offre du bateleur, le texte ne fait que mettre en délai l annonce du consentement de Fantine et installe le sentiment d une attente angoissée face à l inévitable. Le texte fait une ellipse sur la séance avec le dentiste dont le déroulement est laissé à l imagination du lecteur. S y substituent, par un effet d annonce, le compte rendu horrifié que Fantine fait à Marguerite, puis, sur le mode rétrospectif, l énumération des signes, de plus en plus précis, attestant que l extraction a eu lieu : l état général de Fantine (pâle, encore debout, vieillie), la chandelle consumée, puis l annonce de la guérison certaine de Cosette, les napoléons posés sur la table, et enfin le sourire sanglant de la jeune femme et son «trou noir dans la bouche». Le lecteur a interprété ces symptômes avant la fin de cette énumération et le constat final («Les deux dents étaient arrachées») ne fait que confirmer ses conclusions.

4 6. Commentez le titre du livre IV : «Confier, c est quelquefois livrer». Que signifient «confier» et livrer»? Trouvez un synonyme qui fonctionne pour les deux verbes, puis montrez en quoi ils s opposent. Le titre se réfère à l épisode où Fantine laisse sa fille chez les Thénardier ; la formule résume, de façon lapidaire, l erreur que commet la jeune mère qui ne mesure pas les conséquences possibles de sa décision : elle fait confiance à la Thénardier alors que celle-ci va se comporter comme un bourreau. «Confier «signifie «remettre quelqu un (ou quelque chose) à autrui en se fiant à lui» ; «livrer» signifier «abandonner quelqu un au pouvoir d un autre». Les deux verbes ont pour synonyme «laisser» ou «remettre». C est ce dénominateur commun qui fonde l équivalence proposée par le titre. Mais ils ont une nuance différente qui fait de la formule une contradiction : en effet, le premier verbe suppose qu on laisse quelqu un sous la garde, sous la protection, d une autre personne dont on pense qu elle se comportera bien ; le second implique qu il s agit d un abandon et qu on donne tout pouvoir, même abusif, à la personne chargée de celui qui lui est confié. Genre ou thèmes 7. Un mot historique : «Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme et moi je regarde un grand homme. Chacun de nous peut en profiter» (p. 22, lignes 14-15). Dans quel contexte historique a lieu cet épisode? Qu est-ce qu un «grand homme»? Et un «bonhomme»? Selon vous, a-t-il vraiment eu lieu ou est-il une invention de l auteur? En quoi s agitil d un mot historique? Cet épisode se déroule au moment du couronnement de l empereur Napoléon I er (1805) qui est alors au sommet de sa gloire. Cette anecdote met en présence un personnage historique, Napoléon, et un personnage de fiction, M. Myriel : il s agit donc d une invention de l auteur. Elle est construite comme une histoire exemplaire et met en évidence l indépendance d esprit de M. Myriel qui ose donner une leçon de morale à l Empereur, mais aussi la vertu de Napoléon qui s avère capable de la recevoir. La phrase de M. Myriel rappelle à l Empereur que, malgré sa puissance et sa gloire (il est un «grand homme»), les autres ont des choses à lui apprendre et à lui apporter. Jusque dans sa formulation, («vous regardez», «moi je regarde», «un bonhomme», «un grand homme», «chacun de nous»), elle lui impose la nécessité de reconnaître l existence d autrui et d admettre qu ils partagent la même humanité. Tout en reconnaissant le statut glorieux de son interlocuteur, M. Myriel lui parle comme à un égal. Le caractère audacieux de cette phrase justifie qu elle donne lieu à un récit ; elle paraît d autant plus vraisemblable qu elle est présentée comme extraordinaire. On peut dire qu il s agit d un mot historique, non parce qu il serait authentique, mais parce qu il s agit d une formule frappante qui résume une situation historique et lui donne sens : même inventée, elle révèle quelque chose de vrai concernant le caractère d un personnage historique. 8. La justice. Pour quel crime Jean Valjean est-il condamné? Quelle est exactement sa peine initiale? Cette condamnation vous paraît-elle normale? Pourquoi? Jean Valjean est condamné à cinq ans de galères pour avoir volé un pain. En prononçant ce verdict, le tribunal s en tient à la loi («les termes du code étaient formels», p. 33), mais commet pourtant un acte injuste («légal» et «injuste» ne

5 sont pas synonymes). Même si le vol est un délit qu il est normal de punir, la condamnation est fondée sur ce seul principe abstrait et ignore les conditions réelles dans lesquelles Jean Valjean a commis cette faute. Elle est disproportionnée par rapport à la valeur du larcin, d autant plus que le personnage a des circonstances atténuantes : en effet, il y est conduit par des conditions particulièrement dramatiques, puisqu il commet ce vol pour éviter à sa famille de mourir de faim. Il est évident que le vol d un pain n a pas beaucoup d importance par rapport à la mort d une femme et de sept enfants. Il paraît injuste de prononcer une telle condamnation pour un crime si mince, alors que la société, en laissant Jean Valjean et sa famille dans une pareille misère, se rend coupable d un véritable meurtre. Pour aller plus loin 10. Examinez la manière dont les personnages entrent en scène dans le roman. Le registre est-il uniquement descriptif? Quels renseignements nous donne-t-on? Comparez les traitements respectifs de Mr Myriel, Jean Valjean et Fantine. D entrée de jeu, Hugo montre ses personnages en action et donne des renseignements très objectifs. Le registre n est pas strictement descriptif, mais les descriptions s insèrent dans le déroulement narratif. Le narrateur interrompt son récit pour retracer la vie des héros (M. Myriel, Jean Valjean), mais laisse le lecteur tirer ses conclusions. Seule la psychologie de Javert fait l objet d un développement. M. Myriel, qui occupe une place élevée dans la hiérarchie sociale (il est évêque) est présenté très rapidement (en 4 lignes) au début du roman. En donnant une date (1815), le narrateur fixe le moment où débute l action des Misérables : les pages qui suivent retracent la carrière de l évêque depuis 1804 et constituent un retour en arrière. Le personnage est présenté à travers deux actions emblématiques qui suffisent à définir son caractère : - l entretien avec Napoléon, qui permet d expliquer l ascension dans la hiérarchie ecclésiastique d un personnage aussi peu soucieux des honneurs. Il a pour effet de faire de M. Myriel l égal de l empereur, puisqu il lui répond avec une grande dignité comme s ils étaient égaux ; - en montrant comment il cède le palais épiscopal aux malades, le narrateur donne la preuve de la charité et de la modestie de l évêque. Jean Valjean est présenté au moment de son arrivée à Digne ; sa vie est déroulée de façon rétrospective. On le suit d abord dans les lieux où il essaie de trouver refuge ; le texte insiste sur son aspect physique et présente une série d actions. On découvre ainsi la condition de misérable du personnage, son obstination et sa résignation, que confirme sa conversation avec la marquise de R. Puis, lorsqu il entre chez M. Myriel, il retrace lui-même sa biographie et remonte dix-neuf ans en arrière. Enfin, le narrateur propose une biographie du personnage avant son entrée au bagne ; très laudative, elle en fait un personnage sympathique et oriente la lecture de l épisode du vol du chandelier. Fantine et les Thénardier sont présentés très rapidement au cours de la négociation sur la garde de Cosette ; l acte de Fantine éveille la curiosité sur son passé. Dans la version intégrale du texte, le procédé d analepse utilisé précédemment pour M. Myriel et J. Valjean est repris. Ici, Fantine est présentée essentiellement comme une fille-mère entièrement dévouée à son enfant. Ce dévouement apparaît lui aussi à travers une série d actions. Les Thénardier ne font pas ici l objet d une description (elle aura lieu plus tard) ; on sait peu de choses sur leur compte : dans l ensemble,

6 notre information est limitée aux lettres que reçoit Fantine. Cependant la phrase «Cosette n était pas malade» qui met fin au chapitre, suffit à donner une idée de leur caractère. L entrée en scène de Javert se fait sur un mode différent : en effet, il nous est d abord présenté à travers une description physique puis morale, prise en charge par le narrateur omniscient. Ce n est qu ensuite qu on le voit agir.