ETHIQUE DE LA FINANCE ET L EXEMPLE DE LA FINANCE ISLAMIQUE
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- Adélaïde St-Gelais
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1 Master 2 Analyse économique et développement International Développement durable dans les PED et en transition ETHIQUE DE LA FINANCE ET L EXEMPLE DE LA FINANCE ISLAMIQUE Nodira Akhmedkhodjaeva Mohamed Choukri Arthur Vaillant
2 TABLE DES MATIERES Introduction I. Les fondements éthiques de la finance. 5 A. La notion de responsabilité : le fondement de l éthique financière 5 1. Rôle et responsabilité des opérateurs financiers Enjeux de responsabilité dans le domaine de la finance... 6 B. Une responsabilité mal définie car mal perçue... 7 C. Instruments de confiance 9 II. Les finances éthiques.. 10 A. Les racines chrétiennes de la finance éthique L émergence par les exclusions sectorielles Activisme et évolution. 11 B. Le développement de la finance islamique Histoire de la finance islamique Les principes de base L actualité de la finance islamique Les instruments financiers.. 15 III. Finance éthique et finance islamique : convergence possible? 17 A. Le développement durable dans la finance éthique et la finance islamique 17 B. Finance éthique, Finance Islamique et ISR : quelle convergence? Convergence avec l ISR Finalités et principes moraux Exclusions sectorielles Exclusions normatives et Global Compact Partage Compatibilité et complémentarité 22 Conclusion Bibliographie 24 2
3 Introduction Le monde est en train de changer de paradigme géo financier. La crise financière asiatique et russe et également le 11 Septembre 2001 ont contribué à remettre en cause un certain nombre de fonds d investissement dits «à risques». Mais, plus importante encore, a été la crise dite des «subprimes», qui est, en fait, une crise bien plus profonde que celle de l immobilier à risque américain, et qui est en train de transformer profondément la physionomie de la finance mondiale. A l occasion de cette crise, un double paradigme est en train d être remis en cause. Le premier de ces paradigmes concerne l allocation de l épargne mondiale. Jusqu à la fin des années 1990, les choses étaient apparemment simples. La croissance mondiale était relativement limitée et les déséquilibres budgétaires et de balance des paiements relativement faibles. Au tournant du millénaire, la situation a radicalement changé, la mondialisation de l économie commençant à faire sentir ses effets. Le «double déficit» américain (déficit budgétaire et commercial) n a fait que se creuser, pendant que les pays émergents (et les BRIC - Brésil, Russie, Inde et Chine - en particulier) ont accumulé des réserves de change grâce à l amélioration de leur compétitivité industrielle et la hausse des prix des matières premières, tirés par la forte croissance mondiale. Ce double déséquilibre s est, pendant quelques années, neutralisé, les excédents des uns (les émergents et les pays pétroliers) servant à financer le déficit des autres (principalement les Etats-Unis). Cet équilibre précaire s est opéré grâce, en partie, à une liquidité mondiale abondante, favorisée par la croissance rapide des pays à fort taux d épargne (notamment les BRIC). La crise dite des subprimes remet en cause cet équilibre «sur la lame d un rasoir». Et ce à un double niveau. D abord parce que cette crise fait craindre à un ralentissement durable, voire à une récession, de l économie américaine, avec les risques que cette évolution comporte en matière de creusement du déficit budgétaire américain. Ensuite parce que cette crise, bancaire au départ, financière par la suite, ne pourra pas ne pas avoir d impact sur l économie réelle, en particulier sur les pays émergents dont la croissance récente a été tirée par les exportations vers les pays du Nord. Ce ralentissement de la croissance des pays émergents, qui ne disposent pas d un marché intérieur suffisamment étoffé pour prendre le relais des exportations (ralentissement dont il est trop tôt à ce jour pour mesurer l ampleur), se traduira par une moindre capacité de ces pays à dynamiser la croissance mondiale et à assurer l équilibre des flux mondiaux d épargne et d investissement. Un nouvel équilibre financier international se devra donc d être défini dans les années à venir. A ce premier paradigme s en ajoute un second. Ce deuxième paradigme, que la crise des subprimes remet en cause, est celui du business model des banques. Les grandes banques, quelque soient leurs statuts, ont, à des degrés divers, largement nourri leur croissance, au cours des dernières années, sur le développement des activités de marché, et en particulier des activités de titrisation. Le ralentissement de la croissance de ces activités est inéluctable, même si, là encore, l ampleur du phénomène est difficile à définir avec précision à ce stade de la crise. Ce qui est certain c est que les autorités de régulation bancaire vont encourager avec moins de vigueur que par le passé les opérations de transferts de risque. De leur côté, les banques elles-mêmes, face à l assèchement de certains marchés (comme le marché des LBO à fort effet de levier et certains marchés de titrisation) et face aux tensions exercées sur la liquidité bancaire, vont être amenées à réviser, en partie au moins, leur business model. Et ce, alors même que l aversion au risque des investisseurs, quasi-nulle jusqu à fin 2007, va augmenter de manière significative. Sans, bien sûr, qu il soit possible de dire, à ce stade, 3
4 jusqu où et jusqu à quand. Mais cette incertitude n enlève rien au caractère inéluctable d une modification durable des stratégies bancaires. La crise financière actuelle met en lumière des investissements et des placements dits «éthiques» qui résistent bien à la tempête que nous traversons et il parait donc intéressant de s y attarder en cherchant à comprendre pourquoi ils sont moins vulnérables et comment ils sont structurés. L Investissement Socialement Responsable (ISR) et la finance islamique appartiennent tous deux à cette catégorie de la finance éthique. Ces deux concepts d investissement sont encore largement méconnus mais ils ont au moins deux points communs : ils font appel à des paramètres extra financiers et sont considérés, par les principales places financières mondiales, comme des axes de développement très attractifs. Afin de mieux comprendre les questions et les enjeux éthiques de la finance, nous étudierons dans une première partie ses fondements puis aborderons ensuite la genèse de la finance éthique pour étudier les bases éthiques de la finance islamique. Nous nous interrogerons enfin sur la convergence possible entre l ISR et la finance islamique. 4
5 I. Les fondements éthiques de la finance A. La notion de responsabilité : le fondement de l éthique financière 1. Rôle et responsabilité des opérateurs financiers La finance se définit comme une activité de service. En tant que service, elle a pour fonction de garantir la fluidité des transactions indispensable à l'activité économique en permettant la meilleure utilisation possible des capitaux disponibles. L'explosion récente des activités financières, qui se sont développées beaucoup plus rapidement que le reste de l économie, leur a permis d acquérir une certaine autonomie, voire d établir leur domination sur l économie dite réelle. Cette émancipation s est accompagnée de l isolement accru de la finance sur les plans à la fois conceptuel et professionnel. Ce nouvel état de fait ouvre des opportunités indéniables, mais il est aussi porteur de conséquences redoutables. Ainsi, les événements récents (fonds spéculatifs, crises asiatique et russe, etc....) ont montré sans ambiguïté le caractère crucial de la responsabilité des acteurs individuels et institutionnels opérant sur les marchés financiers. Le recours aux effets de levier permet aux banques et autres acteurs de la sphère financière de s engager (et se désengager) pour des sommes largement supérieures à celles qu ils reçoivent de leurs clients (ou dont ils disposent en fonds propres). De ce fait, les marchés financiers sont capables de transformer une récession en une dépression économique ou du moins de précipiter cette dernière, avec tous les risques que cela peut comporter sur les plans individuel et collectif. Les sommes mobilisées sur les marchés financiers, sans commune mesure avec leurs corrélats dans l économie réelle, fondent la responsabilité majeure des marchés financiers à la fois en temps normal et en temps de crise. Les enjeux sont énormes, et les acteurs financiers se doivent d inspirer par leur comportement la confiance des autres acteurs économiques afin de favoriser la bonne marche de l économie en temps ordinaire et de ne pas provoquer de panique en temps de crise. La responsabilité des opérateurs financiers ne se résume toutefois pas aux aspects de court terme consistant à préserver la confiance et à éviter les mouvements de panique incontrôlables. Leur responsabilité comporte aussi des éléments de long terme : si les marchés financiers dysfonctionnent, il convient d y apporter les réformes nécessaires. En ce sens, les acteurs financiers se doivent aussi de promouvoir la recherche d innovations financières ou économiques permettant un meilleur fonctionnement du système et une meilleure intégration du bien commun dans les décisions financières. Si le secteur financier n est pas responsable de tous les biens ou de tous les maux affectant l économie, il n en reste pas moins qu il porte une responsabilité majeure dans le processus d allocation des ressources tant au niveau macro que micro-économique. Trois questions clés doivent donc être posées : Qui est le sujet responsable? Devant qui est-il responsable? Comment se manifeste la relation de responsabilité? L'effort de questionnement et de définition doit être mené par et pour tous les opérateurs actifs sur les marchés financiers. Il convient donc de ne pas limiter le questionnement sur la responsabilité aux individus, mais de l'étendre aussi aux institutions. Ces deux ordres de responsabilité sont complémentaires. Que l'on se place dans la perspective de l'intérêt bien compris des détenteurs de capitaux individuels ou institutionnels ou que l'on se préoccupe de 5
6 la dimension éthique des métiers et des pratiques de la finance ou encore du bien de la collectivité, la nouvelle situation exige une définition des responsabilités incombant aux acteurs du monde financier. Si la finance est une activité de service, il importe de préciser également avec clarté quels services elle rend, à qui, avec quelle contrepartie et au nom de quels objectifs. A défaut d une telle clarification, la finance prend le risque de perdre tout ancrage et de flotter au gré des mouvements de la psychologie des masses avec les conséquences redoutables que l'histoire des grands krachs économiques et des paniques boursières a illustrées. Il convient également de définir les principaux enjeux de responsabilité, notamment l importance de la confiance pour réorienter durablement les activités financières vers leur finalité première. 2. Enjeux de responsabilité dans le domaine de la finance : La responsabilité dans le domaine de la finance ne relève pas seulement de l éthique privée, elle passe par l établissement et le maintien de relations de confiance entre les opérateurs, les détenteurs des capitaux et leurs utilisateurs, ainsi qu entre les opérateurs eux-mêmes. Cette confiance est la pierre angulaire de la poursuite du bien commun qui intègre les intérêts bien compris des opérateurs individuels et institutionnels avec les intérêts de la communauté. Nous avons relevé 5 points principaux nécessaires pour satisfaire à cette condition : - L exigence de véracité : elle prend toute son importance dans le contexte actuel où les institutions financières peuvent de plus en plus difficilement se définir par une seule fonction, à l instar des conglomérats globaux qui prônent le «global service». Le client doit savoir avec le moins d ambiguïté possible avec quel type d opérateur financier il fait affaire. Traiter avec une banque traditionnelle ou avec un courtier n implique pas les mêmes attentes et l opérateur financier a ici le devoir de se montrer sous son vrai jour. La rapidité des changements renforce le devoir de l'opérateur financier de veiller à ce que le client sache quelles sont ses attributions et ses responsabilités. L image doit donc correspondre à la réalité, si l on veut que la confiance préside à la relation entre le client et le gestionnaire. - Le souci de la durée : au contraire des autres échanges économiques qui se caractérisent par leur ponctualité, la relation d investissement s inscrit dans la durée. La finance contemporaine repose sur un paradoxe fondateur : la sécurité à long terme est conditionnée par la possibilité de «sortie» à court terme, laquelle suppose la liquidité. La stabilité du système financier repose sur le maintien de l'équilibre entre ces deux termes : sécurité et durée. Or, l extension des marchés et des circuits d investissement tend à occulter la dimension de la durée nécessaire au profit de l illusion de la sécurité. L'accélération et l'irrationalité des transactions financières rendent la conciliation des deux termes toujours plus difficile. L écart croissant entre la rentabilité des investissements financiers et celle des capitaux investis dans l économie réelle peut s expliquer par le même phénomène. L obsession de la liquidité et la recherche effrénée de la rentabilité financière à court terme qui seraient, aux dires de certains, créatrices de richesse, induisent des effets matériels et psychologiques sur l économie réelle et sur les détenteurs de capitaux. Ces effets ne sont pas suffisamment pris en compte dans les processus de décisions financières. Il y a dès lors nécessité de trouver d autres modalités (que la recherche effrénée de la liquidité) pour rétablir le lien de confiance entre les acteurs dont la collaboration est indispensable à la bonne marche de l économie et à la stabilité du système financier. Le souci de la durée exige une définition 6
7 claire des responsabilités incombant aux acteurs impliqués. Les contrats financiers sont actuellement trop évasifs à ce propos : qui est vendeur ou créancier et qui est acheteur ou débiteur, de quoi est-on vendeur ou acheteur et quelles sont les responsabilités que chacun des agents doit assumer au moment où le respect des engagements contractuels pose problème? - L intégrité de rémunération : le mode de détermination des rémunérations doit éviter d inciter l opérateur à la tromperie du client en le poussant à privilégier certains types d opérations aux dépens d autres. Il convient aussi de ne pas rechercher à gagner plus que ce qui est stipulé dans le contrat ou ce que l on peut raisonnablement attendre du contrat. Cela ne revient pas à prôner une illusoire absence de rémunération qui agirait comme un leurre, mais à dire que l information à propos des commissions et ristournes de toutes sortes doit être aisément accessible au client. Le respect des intérêts du client est ici une priorité que les systèmes de rémunération se doivent de respecter, même si cela peut diminuer les performances de l institution. Cette exigence est d autant plus fondamentale qu elle est difficile à respecter à l intérieur d institutions financières aux ramifications multiples. En effet, au sein d une même institution, la tentation est grande pour les diverses subdivisions d utiliser la base de clientèle ou les informations détenues et obtenues par d autres subdivisions pour la conduite d opérations propres. - Transparence et asymétrie de compréhension : on parle beaucoup de la nécessité de transparence de l information dispensée au client, mais cette exigence est illusoire en tant que telle. De fait, l asymétrie d information est le pendant nécessaire de la spécialisation et de l expertise des opérateurs financiers et la transparence de la communication entre deux personnes aux compétences inégales ne peut à elle seule instaurer un comportement plus responsable. L aspect de confiance est ici beaucoup plus important: il ne s agit pas simplement de livrer des informations brutes dans l optique d une illusoire transparence, mais de faire en sorte d éviter les abus de pouvoir liés à l inévitable asymétrie des compétences. A ce titre, il arrive que la confiance entre l institution financière et le client ait besoin d être confirmée par le recours à des tiers, tels que les sociétés fiduciaires, les agences de notation ou les organes de révision. - Le respect des règles du marché : le marché est un mécanisme fragile, dont la manipulation peut s avérer périlleuse quand la recherche d un avantage particulier nuit à l intérêt général ou à la poursuite du bien commun. Il en va ainsi de la tentation d influencer sciemment les cours, d utiliser les prix du marché dans les opérations hors marché pour ne pas affecter ce dernier, d utiliser de façon imprudente l information dérivée du marché, notamment lorsqu elle sert à fixer le niveau de revenu de l opérateur. B. Une responsabilité mal définie car mal perçue L extension récente de la finance s est traduite par une spécialisation sans précédent des professions financières accompagnée par la diversification accrue des activités conduites au sein d une seule et même institution. Ceci se manifeste par une spécialisation des procédures individuelles parallèlement à leur intégration dans des institutions de plus en plus complexes. Sous l influence de cette double évolution, les financiers peinent à articuler leur responsabilité en termes éthiques, alors même que l impact de leurs décisions ne cesse d augmenter. La combinaison des quatre facteurs suivants tend à dissimuler aux opérateurs financiers la perception claire des conséquences de leurs actions : 7
8 Les financiers opèrent dans un monde technologiquement coupé des réalités de l économie réelle. L usage de cette technologie très poussée tend à créer un monde en apparence virtuel, à l écart des conséquences bien réelles des opérations financières. Les financiers restent trop souvent enfermés dans cet univers du signe et du virtuel ; L univers des financiers est institutionnellement et culturellement distant des autres secteurs économiques et cet éloignement rend difficile la prise en compte des effets induits par les opérations financières sur les autres acteurs de l économie ; Ils utilisent des modèles et paradigmes très raffinés mais qui, comme tout modèle, ne peuvent suffire à épuiser la complexité du monde dans lequel ils opèrent. En ce sens, ces instruments sont nécessairement réducteurs et leur absolutisation par les acteurs du monde financier comporte des conséquences redoutables ; Le marché financier se présente sous les traits d'un marché quasi-parfait au sens d'un idéal théorique qui réduit l'acteur individuel à l'insignifiance. Parfois certains de ces acteurs individuels s'emparent de cette image en se défaussant de leur responsabilité par la formule "ce n est pas moi, c'est le marché!". Il s'agit d'une perversion car tous savent bien qu'ils profitent des imperfections de ce marché et que son comportement supposé idéal relève d'une hypothèse théorique dont les limites sont bien connues de tous les opérateurs. La distance que ces quatre facteurs contribuent à faire surgir tend à effacer la conscience de responsabilité de l acteur financier, qui perçoit dès lors son univers en termes de fatalité systémique. Dans un tel cadre, la liberté de l acteur individuel est artificiellement confinée à l utilisation des modèles. Hors de ce système dont la pérennité apparaît comme une fatalité, l acteur se perçoit comme totalement incompétent et, par conséquent, impuissant. La référence au système contribue donc à occulter la responsabilité bien réelle de l opérateur financier. On se retrouve devant un paradoxe : une responsabilité massive du fait des montants engagés et une conscience évanescente de cette responsabilité du fait de l isolement technologique et institutionnel de l acteur financier. Comment faire pour percer ce voile et inciter le financier à mieux assumer sa responsabilité objective, que l attitude de fatalisme, ou d espérance systémique, tend trop souvent à masquer. Nous sommes ici dans un domaine où l expérimentation hasardeuse n est ni souhaitable ni possible et les propositions avancées doivent nécessairement intégrer cet aspect. Ainsi, les recettes toutes faites ne peuvent convenir et il faut distinguer différentes formes de responsabilité correspondant aux diverses sortes d entreprises, de métiers ou de fonctions à l intérieur du monde financier : Les acteurs dits «institutionnels», c est-à-dire les fonds de pension ou fonds de placement et les assurances, chargés de la gestion des fonds qui leur sont confiés par leurs clients; Les banquiers qui collectent l épargne auprès du public et la gèrent notamment en octroyant des crédits ; Les courtiers ou autres intermédiaires actifs sur le marché, qui négocient sur les marchés boursiers pour le compte de tiers ou en utilisant leurs fonds propres ; 8
9 Les gestionnaires de trésorerie des entreprises dont la fonction consiste à établir le lien entre le temps financier et le temps industriel ; Le secteur public en tant qu émetteur d obligations permettant de financer diverses activités des collectivités publiques. Chacune de ces fonctions est porteuse d un degré égal de responsabilité, mais la particularité de chaque métier induit la nécessité d une interprétation spécifique de cette responsabilité. Cette question se pose avec une acuité particulière pour les grandes sociétés actives simultanément dans plusieurs fonctions et qui, de ce fait, regroupent en leur sein une vaste palette de métiers. Dans ces circonstances, le passage de la responsabilité des divers métiers exercés au sein d une institution à celle de l institution elle-même devient de plus en plus problématique. En dépit de cette difficulté supplémentaire, la question de fond reste la même : comment inciter ces acteurs à opter pour un comportement responsable? C. Instruments de confiance La mise en place de procédures adéquates est souvent invoquée à juste titre, mais il convient de ne pas perdre de vue les aspects plus substantiels relatifs à la contribution des opérateurs financiers au bien commun : - Les relations personnelles : la confiance peut s établir sur les liens personnels tissés entre clients et opérateurs. Ceci implique d une part que les opérateurs soient spontanément animés par ces principes dans un esprit d honnêteté et de loyauté, d autre part que les institutions dans le cadre desquelles ils agissent les respectent. - Les chartes et codes déontologiques : l élaboration ou la signature de codes déontologiques peuvent avoir un effet doublement positif si elles sont conduites dans le souci authentique des considérations mentionnées plus haut. Par rapport à l extérieur, de tels documents tendent à éveiller la confiance des clients et partenaires par l engagement explicite à respecter certains principes de conduite. A cet effet, il convient de donner une publicité appropriée à l'adoption d'une charte. Sur le plan interne, l élaboration de chartes devrait susciter la discussion entre collaborateurs sur les aspects éthiques de leur activité. Elle aboutit à la clarification des objectifs de l institution et incite donc les opérateurs individuels à susciter et à sauvegarder le lien de confiance dans leurs activités professionnelles. Dans ce sens, la pratique consistant à adopter la charte la plus connue sans solliciter la discussion approfondie à l intérieur de l institution représente une occasion manquée. - La réglementation des marchés financiers dont il est beaucoup question aujourd hui place la finance au coeur du débat public, ce qui se justifie compte tenu de son poids actuel. De fait, la mise en place d une réglementation des marchés financiers peut exercer un double effet bénéfique : elle situe avec précision les limites légales que ne doit pas dépasser la pratique financière et elle indique le chemin vers une meilleure prise en compte des impératifs éthiques. La responsabilité des Etats sur les plans réglementaire et pédagogique ne saurait donc être sous estimée. 9
10 Il convient également de développer au niveau multilatéral des politiques appropriées garantissant le respect des règles de conduite. Dans ce cadre, les pratiques couramment proposées par les institutions multilatérales consistant à privatiser les gains et à mutualiser les pertes ne sont pas satisfaisantes. - Au-delà des procédures : le recours à des procédures de type légal ou déontologique constitue indéniablement un instrument précieux dans l'optique du développement d activités financières plus respectueuses des préoccupations éthiques. Au-delà du souci des procédures, il semble qu il y ait place pour promouvoir une meilleure prise en compte des aspects éthiques dans les décisions financières. De fait, le recours à l éthique ne saurait être un remède temporaire justifié seulement lors de récessions ou de dépressions économiques. Afin de promouvoir des aspects plus fondamentaux tels qu une allocation des ressources plus juste et une meilleure prise en compte du bien commun dans le cadre des activités financières, la sensibilisation et la formation des opérateurs financiers aux aspects éthiques de leurs activités s imposent comme une nécessité incontournable. La relation de confiance, qui est au fondement des transactions financières et de la stabilité des marchés financiers, nécessite le respect permanent d un certain nombre de principes allant dans le sens d une meilleure compréhension par les divers acteurs impliqués de leurs objectifs et attentes réciproques. Les investissements que l on appelle communément éthiques sont également une piste à explorer et à développer, d autant plus que leurs performances financières sont souvent excellentes. Dans cette deuxième partie nous nous intéresserons donc à ces investissements et instruments financiers qui apportent chacune des solutions aux différents enjeux éthiques soulevés précédemment, notamment celle de responsabilité et de confiance, principalement au travers du prisme de la finance islamique. II. Les finances éthiques Il est admis que l Investissement socialement responsable (ISR) tel qu il est pratiqué aujourd hui trouve ses origines dans des approches motivées par la religion chrétienne, qu elle soit catholique ou protestante. De façon naturelle, les congrégations religieuses ont voulu mettre leurs investissements en adéquation avec leurs principes. Deux types de stratégie ont dominé les débuts de l Investissement responsable : les exclusions sectorielles et l actionnariat actif. Les groupes religieux chrétiens ont cependant été à l initiative d autres approches ISR, même si d autres institutionnels plus importants en masse d encours ont depuis pris le relais. A. Les racines chrétiennes de la finance éthique 1. L émergence par les exclusions sectorielles : Dès 1760, John Wesley, fondateur du Méthodisme (courant du protestantisme évangélique) a insisté sur le lien entre éthique et utilisation de l argent. Pour lui, l investisseur doit agir non pas en propriétaire, mais en régisseur de biens, et ne doit pas créer de la richesse en nuisant à son prochain. Aux Etats-Unis le «Pioneer Fund», premier fonds socialement responsable, a été lancé en 1928 à l initiative du Conseil Fédéral des Églises Américaines. Sa politique d investissement 10
11 excluait les sociétés dont les activités étaient en relation avec l alcool, le tabac et la pornographie, des secteurs que l on retrouve encore aujourd hui sur la liste noire des fonds ISR dits éthiques. L accès à ce fonds est cependant restreint, et il faut attendre 1971 pour voir le premier fonds commun de placement éthique accessible aux investisseurs particuliers, le Pax World Fund. Outre l exclusion traditionnelle du tabac ou des jeux d argents, ce fonds visait à permettre aux investisseurs d éviter l investissement dans des entreprises susceptibles de tirer profit de la guerre du Vietnam, «Pax» signifiant paix en latin. En Europe le premier produit d investissement éthique a été lancé par une association suédoise de lutte contre l alcoolisme (Swedish temperance society), sous la forme d un fonds nommé «Ansvar». À l instar du fonds Pioneer, il était cependant réservé aux sympathisants du mouvement. Au Royaume-Uni, les exclusions éthiques font partie des règles d investissement de l Église anglicane dès 1948 et la création des Church Commissioners. Un organe similaire est créé par l Église méthodiste en En France, les deux premiers fonds éthiques ont été lancés à l intention des investisseurs religieux chrétiens. La société financière Meeschaert et l association Éthique et Investissement (initiée par un groupe de religieuses économes générales de leur congrégation) lancent ainsi en 1983 le fonds Nouvelle Stratégie 50, qui exclut notamment les secteurs du tabac, de l armement, de l alcool, de la pornographie et des jeux d argent. La société de gestion, très orientée vers une clientèle chrétienne, retiendra ces critères d exclusion pour ses autres fonds ISR. 2. Activisme et évolution : Les premières résolutions concernant l investissement socialement responsable (ISR) ont été marquées à la fin des années 60 par aux Etats-Unis par un activisme des groupes d églises et des associations étudiantes concernant la guerre du Vietnam. Un autre sujet de prédilection a été l apartheid en Afrique du Sud : les activistes religieux au Royaume-Uni ont mis en cause la banque Barclays et la compagnie pétrolière Royal Dutch / Shell. Leurs efforts visaient notamment à convaincre des investisseurs institutionnels de se désinvestir de ces compagnies, ce qui a conduit Barclays à se retirer partiellement d Afrique du Sud en Aujourd hui, les encours ISR détenus par les Églises et congrégations religieuses sont très marginaux par rapport à ceux des investisseurs institutionnels comme les assureurs, les organismes de prévoyance ou les institutions de retraite. Ces derniers ne partagent pas vraiment, surtout en France, leur vision de ce que doit être la prise en compte de critères extra-financiers. Paradoxalement, l investissement responsable, tel qu il a été développé ces dix dernières années par la plupart des sociétés de gestion en France, affiche même une certaine aversion pour les approches éthiques. Cette aversion répond à deux facteurs : les problèmes de gestion financière que pose l exclusion de certains titres ou secteurs et la difficulté de trouver une éthique commune dès qu on s adresse à des investisseurs qui ne sont pas réunis par la même conviction religieuse. Les offreurs ont largement préféré mettre l accent sur une approche de développement durable concentrée sur les enjeux Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). Ceci dit la demande de certains investisseurs, plutôt en Europe du Nord, et les campagnes d ONG comme Amnesty International, ont, même en France, abouti à la généralisation d au moins une exclusion d ordre éthique, celle qui s applique aux armes controversées (mines antipersonnel et bombes à sous munition). 11
12 B. Le développement de la finance islamique 1) Histoire de la Finance Islamique L apparition de la finance islamique s est faite avec la création des premières banques islamiques (la Banque Islamique du Développement en 1974, la Banque Commerciale de Dubaï en 1975). D une part le flux abondant des rentes pétrolières, le phénomène de surliquidité venus avec le développement de l industrie de pétrole, surtout accentué par le «choc pétrolier» des années 1970, et le mouvement panislamiste ont mis en évidence la nécessité de créer des institutions financières adaptées spécialement pour la région. Ces années ont été celles également d une demande croissante de la population croyante, qui ne voulaient plus déposer leurs actifs dans banques aux instruments financiers conventionnels. 2) Principes de base La finance islamique vise à developper une offre financière conforme aux règles de la réligion d Islam : Shariah (Charia). Le produit financier censé être conforme à la Shariah porte la certification de «fatwa». Ces lois s appuient sur les écritures du Coran (Qu ran) et des préceptes du Prophète (Haddis) et représentent un code des principes moraux et des règles de comportement pour les musulmans dans leur vie privée et sociale, y compris les relations commerciales et économiques. Pour les grands principes autours des relations à l argent on retrouve : - L interdiction de l intérêt (rhiba) : le gain résultant juste du fait du prêt d argent est vu comme une sorte d exploitation («zulm») de la personne en situation relativement défavorable vis à vis du prêteur. - Le principe d «al-ghunm bi al-ghurm» : le partage des profits et des pertes (PPP ou en anglais «profit and loss sharing (PLS)») entre l investisseur et le bénéficiaire. - L interdiction du hasard (maysir) et de la spéculation (gharar). Les conditions du contrat entre deux parties doivent refléter des taux d intérêt bien prescrits. Toutes les spéculations autour les hypothèses des taux possibles futures sont interdites (comme en cas de «futures» contrat). - La garantie de l actif réel et tangible («asset backing») : tout investissement doit avoir la base du capital réel et ne doit pas être spéculatif. - L exclusion sectorielle des affaires répréhensibles du point de vue éthique et religieux (haram) par exemple les jeux d argent, d alcool, du tabac, la pornographie, l armement. La loi financière islamique est donc orientée de manière à créer une culture où les agents économiques dépensent et redistribuent seulement les fonds dont ils disposent vraiment. Ces principes fondent la base éthique de la finance islamique comme une éthique d affaires, avec 12
13 une orientation vers le bien-être de la société en général, le partage des risques, l intégrité et l équité. Par exemple le principe de l aumône (Zakat), selon lequel l entrepreneur ou l institution financière doit redistribuer une partie de son profit (2.5%) annuellement parmi les personnes les plus pauvres, vise à adoucir les inégalités dans la société. «Les musulmans doivent chercher à gagner des surplus, dans la mesure où ils ont reçu des talents à faire fructifier. Mais les surplus doivent être utilisés non pas pour l élévation de soi, mais pour des buts socialement responsables qui plaisent à Allah» Ainsi, la finance islamique se distingue à la base comme le service de la gestion et de la répartition des fonds monétaires, qui vise à la fois l accumulation de la richesse, l amélioration de la vie et l atténuation des inégalités sociales. 3) L actualité de la finance islamique Actuellement, le marché des finances islamiques est un des plus grands marchés du monde, estimé à près de 729 milliards des dollars en 2007 et un taux de croissance considérable de 37 % par rapport à Graphique 1 Ce marché regroupe les banques commerciales, aussi que les banques d investissement ; les compagnies de «takaful» (l assurance mutualiste islamique) ; organismes de l émission de «sukuk» (les titres financiers) et des fonds d investissement respectueux des principes de l Islam. 13
14 La majorité (à peu près ¾) du capital est apportée par les activités des banques d investissement et commerciales et le marché de Sukuk faisant la grande partie du reste. Les institutions clés sont situées principalement en Iran (37%), l Arabie Saoudite (14%), Malasie (10%), Kuwait (10%), Emirats Arabes Unis (8%), Bahrain (6%) et les autres pays arabes, asiatiques, européens (15%). Table 1 Répartition géographique des encours islamiques (banques, fonds; takaful) Fin de l'année 2007, en milliards des dollars Pays Somme % Iran % S.Arabia 92 14% Malaysia 67 10% Kuwait 63 10% UAE 49 8% Bahrain 37 6% Qatar 21 3% UK 18 3% Turkey 16 2% Others 40 6% Total 639 Parmis les pays du Nord, le Royaume Uni est le leader en intégration des produits financiers conformes à la «Shariah» au sein de leurs banques, et possède le plus grand nombre de «Sharia compliant» succurcales dans les principales régions islamiques (Islamic Bank of Britain, HSBC Amanah...). Aujourd hui, parmi les pays qui s intéressent de près à cette forme de finance éthique et de son potentiel de marché on retrouve la France et le Japon. Ces deux pays cherchent activement à faire des réformes réglementaires et législatives pour faciliter l intégration et la légitimité des produits financiers islamiques dans leurs «champ juridique». En France par exemple, la volonté affichée par la place de Paris de se rapprocher des pays du Golf et d attirer les capitaux de la finance islamique commence à produire ses premiers effets. En 2009, la réponse formelle d agrément obtenue par plusieurs structures financières islamiques devrait leur permettre d ouvrir leurs portes incessamment (Qatar Islamic bank, Kuwait Finance House, Al Baraka). Les institutions financières islamiques ont aussi connues les conséquences de «credit crunch» et de la crise financière et économique de 2008 avec comme conséquence une diminution de l émission de Sukuk ainsi qu une baisse des cours de ses fonds. Mais les conséquences étaient moindres que celles rencontrées par le secteur financier conventionnel, grâce à la non participation des acteurs financiers islamiques à des fonds qui ne respectent pas ses principes ainsi que le meilleur contrôle des risques et de la répartition de son portefeuille d actifs. 14
15 4) Les instruments financiers Pour respecter l éthique musulmane, les banques islamiques et les filiales islamiques des banques conventionnelles ont développé les instruments juridico-financiers suivants: - «la moudaraba» - «la moucharaka» - «la mourabaha» - «l ijara» - «l istisna» La moudaraba permet à un promoteur de mener un projet grâce à des fonds avancés par des apporteurs de capitaux dont la clé de répartition des gains et des pertes est fixée dans le contrat (en rapport avec le principe de l interdiction du hasard («maysir»)). Les apporteurs de capitaux supportent entièrement les pertes, et les promoteurs ne perdant que le fruit de leur travail. Principe de fonctionnement de la Moudaraba CAPITAL FINANCIER REMUNERATION (1) Investisseur (Rab el Mal) Projet (Investissement, société) Entrepreneur (Moudarib) RENDEMENT (2) CAPITAL HUMAIN (savoir-faire, expertise) (1) Part des bénéfices en cas de profit ; sinon rien. (2) Part des bénéfices en cas de profit ; en cas de perte, l investisseur assume l intégralité des pertes. Source : Paris Europlace, Rapport Jouini et Pastré Selon La Banque Islamique de Développement (BID), c est une «forme de partenariat où une partie apporte les fonds et l autre (moudarib) l expérience et la gestion. Le bénéfice réalisé est partagé entre les deux partenaires sur une base convenue d avance, mais les pertes en capital sont assumées par le seul bailleur de fonds». Son application est modulable dans la mesure où une participation dégressive est envisageable grâce à un instrument technique islamique de financement des projets, fondé sur la «participation au capital» et assorti de différents types d arrangements pour la répartition des pertes et profits. Les partenaires (entrepreneurs, banquiers, etc.) contribuent aussi bien au 15
16 capital qu à la gestion des projets. Les bénéfices sont répartis selon des coefficients préétablis en fonction du niveau de participation au capital. S agissant de la moucharaka, les partenaires apportent les fonds, mais seulement l un d entre eux dispose de la charge de la gestion du projet. Concrètement, les Banques Islamiques ont développé la moucharaka mutanaquissa qui consiste à participer au financement de l acquisition notamment d un bien immeuble (d habitation). Une grande partie des fonds (90%) est apportée par la banque et le reste (10%) par le particulier. Le remboursement obéit à un tableau d amortissement qui comprend, outre le capital principal, les bénéfices tirés par la banque pour cette opération. Principe de fonctionnement de la Moucharaka TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ DE L ACTIF PAIEMENT À TERME (100+x, marge) Acheteur Vendeur Intermédiaire Financier Acheteur PAIEMENT AU COMPTANT(100) TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ DE L ACTIF Source : Paris Europlace, Rapport Jouini et Pastré Un autre mécanisme est la mourabaha. C est un «contrat de vente, entre un vendeur et un acheteur, par lequel ce dernier achète les biens requis par un acheteur et les lui revend à un prix majoré. Les bénéfices (marge bénéficiaire) et la période de remboursement (versements échelonnés en général) sont précisés dans un contrat initial». Concernant l ijara, c est un mode de financement à moyen terme par lequel la banque achète des machines et des équipements puis en transfère l usufruit au bénéficiaire pour une période durant laquelle elle conserve le titre de propriété de ces biens. Un autre aspect de ce contrat est assimilé à une opération de crédit-bail à l'issue de laquelle le titre de propriété revient au bénéficiaire. 16
17 Figure 4 - Principe de fonctionnement de l'ijara TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ DE L ACTIF PAIEMENT DE LOYER AVEC OPTION D ACHAT Vendeur Intermédiaire financier Acheteur PAIEMENT AU COMPTANT LOCATION DE L ACTIF Source : Paris Europlace, Rapport Jouini et Pastré S ajoute à cet ensemble de contrat, l istisna qui s apparente en un mode de financement à moyen terme. C est un contrat de fabrication (ou de construction) aux termes duquel le participant (vendeur) accepte de fournir à l acheteur, dans un certain délai et à un prix convenus, des biens spécifiés après leur fabrication (construction) conformément au cahier des charges. III. Finance éthique et finance Islamique : convergence possible A. Le développement durable dans la finance éthique et la finance islamique Le développement durable est désormais au centre de nombreuses réflexions (politique, environnement, finance, ). Rares sont les domaines qui échappent à une analyse construite en termes de développement durable. Pour autant, le concept même de développement durable est souvent mal connu, car compris de manière incomplète. Il s agit de produire plus, au service du plus grand nombre, de mieux répartir les richesses et de lutter contre la pauvreté, tout en préservant la nature. Enfin, dans chacune des dimensions économique, social et environnementale, on retrouve une exigence transversale de solidarité entre les générations. Parmi les objectifs fixés, certains sont à traiter à l échelle de la planète (rapports entre les nations, les individus, les générations), d autres relèvent des autorités publiques au sein des Etats ou dans chaque grande zone économique, et d autres enfin relèvent de la responsabilité des entreprises. Les entreprises sont en effet des actrices à part entière du développement durable. Elles peuvent y participer principalement de trois manières : - le développement économique par leurs investissements. - la réduction des inégalités sociales (conditions de travail, salaires ) - consommation soutenable des ressources naturelles, et réduction de la pollution. 17
18 Le développement durable se décline, pour l entreprise, sous la forme de la responsabilité sociale ou sociétale (RSE).Elle signifie que les entreprises, de leur propre initiative, intègrent volontairement des préoccupations sociales et écologiques dans leurs activités commerciales et dans leurs relations avec les parties prenantes. Cette démarche leur permet de développer à cours et moyen terme un avantage économique sur le marché et à plus long terme de garantir une certaine profitabilité et viabilité. Enfin, le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises agiront comme des catalyseurs de financements (notamment par appel public à l épargne) comme en témoigne le succès de l investissement socialement responsable (ISR). En examinant la conjonction entre la finance éthique et la finance Islamique, on se posera la question si cette dernière rejoigne bien des thématiques de développement durable et de responsabilité sociale. En effet la finance Islamique inspirée de la loi islamique (la Shariah) vise à promouvoir le bien être de tous les hommes qui doivent être fort matériellement et moralement afin de pouvoir répondre aux besoins essentiels sans dépense excessive. Elle insiste aussi sur la préservation des générations futurs (descendance), des ressources et de l environnement. Ainsi, l accomplissement de ces objectifs requiert des interactions dynamiques entre les processus socio-économiques et les priorités environnementales. Par conséquent la finance islamique propose bien des directives rejoignant ce qu on appelle aujourd hui le développement durable. Elle propose aussi un modèle de responsabilité sociale des entreprises fondé sur des principes moraux et éthiques plus durables prenant un sens plus large se basant sur une initiative morale et religieuse. L entrepreneur n est plus uniquement guidé par la maximisation des profits, mais aussi, et surtout, par la poursuite du bonheur suprême, dans cette vie et au-delà. Cette recherche du bonheur conduit naturellement l entrepreneur à reconnaître sa responsabilité sociale et morale vis-à-vis des consommateurs, employés, actionnaires et société civile. Nous pouvons à la fin dire que la finance propose un modèle de responsabilité sociale plus approfondi que les modèles proposés par les théories économiques classiques. De plus, à travers le principe de vice-gérance, l Islam, envisage les entreprises comme des intendants, non pas uniquement des ressources financières des actionnaires, mais aussi des ressources économiques de la société toute entière. Cela implique un besoin inéluctable pour les entreprises de faire pénétrer dans la conduite de leurs activités les meilleures pratiques de responsabilité sociale, qu il s agisse de pratiques environnementales ou de toute autre initiative sociale. Marginales et largement méconnus, l ISR et la finance islamique continuent à se développer dans la tempête et de résister aux spectaculaires contreperformances de certaines catégories de placements. B. Finance éthique, Finances Islamique et ISR : quelle convergence? Ces deux concepts d investissement ont au moins trois points communs : - Ils font appel à des paramètres extra-financiers. - Ils sont considérés, par les places financières (Londres et Paris), comme des axes de développement attractifs. - Ils prennent leur source dans une demande de transcription à l univers financier de convictions religieuses d investisseurs, particuliers ou institutionnels. 18
19 Pour essayer de montrer les conjonctions pouvant exister entre finance éthique et finance islamique on tentera de répondre aux questions suivantes : - Leur mécanismes sont-ils complémentaires et de quelle façon? - Les fondements religieux de la finance islamique sont-ils comparables à ceux qui ont fait naître la finance notamment le protestantisme et/ou le catholicisme? 1) Convergence avec l ISR Ayant examiné les fondamentaux religieux de l ISR et de la finance islamique ainsi que leurs mécanismes communs et leur toutes récentes offres de produits financiers, on constate pour la première fois, une certaine convergence des deux concepts. La finance islamique intègre des composantes éthiques et extra-financières qui peuvent constituer des points de convergence avec l ISR. En se concentrant sur les aspects extra-financiers de cette approche, on constate qu il existe une convergence avec l ISR dans la finalité sociétale et dans l exclusion d activités jugées non éthiques, mais que la finance islamique est un système financier à part entière. Néanmoins, des décalages importants peuvent apparaitre entre la théorie et la pratique. 2) Finalités et principes moraux La finance islamique a pour finalité d améliorer la condition de l homme, d établir l équité sociale et de prévenir l injustice dans les échanges commerciaux. C est d ailleurs là l origine de l interdiction de l intérêt et de son remplacement par un système de partage des profits et des risques. Ces objectifs concordent bien avec ceux de l ISR tel qu il s est développé ces dernières années, à savoir le développement durable dans ses piliers économique et social. Le pilier environnemental n est pas absent non plus de la finance islamique : un des fondements de l islam est que l homme remplit un rôle d intendance de la création divine. Ainsi, la création de Dieu, qui ne se limite pas à la nature et l environnement mais englobe également les hommes et la société, appartient à Dieu et est confiée à l homme ; il a donc un devoir d administration et de préservation à son égard. De ce fait le gaspillage et la consommation inutile et superflue sont inacceptables. Le lien entre religion et éthique des affaires a été plus largement étudié par un groupement interreligieux réunissant des représentants des trois grandes religions monothéistes (Christianisme, Islam, Judaïsme), à l initiative des familles royales britannique et jordanienne et sous le parrainage du prince Philip, duc d Édimbourg, du prince Hassan de Jordanie et de Sir Evelyn de Rothschild. Il en a été tiré quatre grands thèmes de convergence entre ces trois religions, qui sont : - la justice, - le respect mutuel, - le concept d intendance confiée par Dieu - l honnêteté. La déclaration (An Interfaith Declaration: A Code Of Ethics On International Business For Christians, Muslims And Jews) émise par ce groupe de travail, qui se veut un code d éthique 19
20 des affaires commun aux trois religions, développe les bonnes pratiques à adopter dans chacun de ces thèmes, notamment dans la relation avec les parties prenantes. 3) Exclusions sectorielles Les exclusions sectorielles, à l origine de l ISR tel qu on le connaît aujourd hui, sont en effet issues de fondements religieux, protestant et catholique en l occurrence. Il est donc tout à fait normale que la liste des secteurs prohibés soit sensiblement la même que dans le cas de la finance islamique : alcool, pornographie, jeux d argent, tabac et armement sont des activités assez largement réprouvées, étant jugées nuisibles pour l homme et la société. La finance islamique n adopte pas spécialement l approche de sélection ESG («Best-in-Class»»Best effort»), mais en revanche elle est tout à fait en ligne avec la finance éthique. Notons que certaines exclusions sont particulières à la finance islamique, comme celle de l industrie financière ou celle de l industrie des loisirs (musique, cinéma ).Pour ce qui est de la filière porcine, elle est proscrite dans la mesure où la religion musulmane interdit la consommation de viande de porc. 4) Exclusions normatives et Global Compact Les convergences entre les principes de l islam et ceux du Global Compact sont mises en évidence par le rapport de «OWW consulting», cabinet de conseil en RSE et ISR. Il note des motivations parfois différentes ainsi que des exigences plus poussées. Il ne regarde pas pour autant la mise en pratique beaucoup moins effectives, de ses principes dans la finance islamique. Mais contrairement à ce qui peut se faire dans le cas de l ISR, la finance islamique n exclut pas explicitement les émetteurs coupables des pires pratiques sociales et environnementales. Le Pacte mondial, ou Global Compact en anglais, est un pacte proposé par l organisation des nations unies, une initiative internationale où il est demandé aux grandes entreprises de se joindre à la société civile et aux organismes de l'onu afin de supporter dix principes dans les domaines de l'environnement, des droits de l'homme, des droits du travail et de la lutte contre la corruption. Les organismes (entreprises, associations, collectivités locales, etc.) qui adhèrent au Pacte Mondial s'engagent à progresser par rapport aux 10 principes et à communiquer annuellement sur leurs progrès auprès des Nations Unies. Ces dix principes sont inspirés de la déclaration universelle des droits de l'homme, la déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail (Organisation internationale du travail), la déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, la Convention des Nations unies contre la corruption. Il convient de noter que le Global Compact ne revêt aucun caractère contraignant et ne fait pas l objet d un contrôle des pratiques des signataires. L analyse par OWW Consulting de la compatibilité entre la Charia et les principes du Global Compact révèle qu en termes de Droits de l homme La Chariah, en s appuyant notamment sur le Coran et les paroles du Prophète, prône des principes tels que la démocratie (gouvernement par consultation), la justice, l égalité des races, des religions, des sexes, et le respect des non-musulmans et de la liberté de religion. Le fait qu on ne retrouve pas forcément ces principes dans la pratique, notamment l égalité des sexes, viendrait plus du fait de considérations culturelles et régionales que religieuses, ou alors d une lecture partielle et erronée des textes religieux. L islam considère enfin que le rôle de l État, outre le fait d agir en consultation du peuple et avec son consentement, est d assurer l indépendance du système judiciaire et de procurer au peuple des services fondamentaux. 20
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