LES LETTRES ORNÉES DU PARLEMENT DE PARIS AU XVI e SIÈCLE Livret guide

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1 LES LETTRES ORNÉES DU PARLEMENT DE PARIS AU XVI e SIÈCLE Livret guide Arch. nat., J 651 B, n 15, Minute de la ratification du traité d Amiens entre François I er et Henri VIII d Angleterre. Le décor de la lettrine est typique de l ornementation réalisée par la Chancellerie royale (cadelures, profils grotesques, fleurs et feuillages), telle que la reprennent les greffiers du Parlement. LOCHES, HÔTEL DE VILLE, GALERIE FRANÇOIS I er 3 AOÛT-31 OCTOBRE 2015 Les lettres ornées du Parlement de Paris au XVI e siècle 3 août-31 octobre

2 Le Moyen Âge a été une période faste pour l image, omniprésente, qu elle soit taillée dans la pierre, peinte en fresques ou enluminures ; ici, elle se trouve être dessinée à la plume et à l encre par le greffier du Parlement de Paris ou l un de ses nombreux clercs. Cour de justice souveraine du royaume, le Parlement a produit quelque registres de parchemin qui recensent son activité au service de la justice royale durant cinq siècles et demi, du règne de saint Louis à celui de Louis XVI, registres conservés depuis 1847 aux Archives nationales. Cet ensemble immense et magnifique recèle notre histoire judiciaire et juridique dont l étude permet d appréhender la constitution progressive de l État de droit monarchique, ainsi que la réalité et la spécificité de la vie sociale, politique, économique, intellectuelle du royaume. Cette mémoire écrite de la plus haute Cour de justice de l Ancien Régime recèle un autre joyau, quasiment inconnu, que l on découvre au fil de l étude des registres : le Parlement, tout en étant une source écrite de première main pour l histoire, est aussi une source iconographique grâce aux initiales et lettrines ornées dont le greffier agrémente souvent, du Moyen Âge au début du XVI e siècle, le début des actes qu il transcrit et qui viennent tempérer l austérité de ces archives judiciaires. Les lettres ornées se rencontrent dans les registres dès le début du XIV e siècle pour connaître une grande expansion au XV e siècle puis se raréfient dans la première moitié du XVI e siècle pour disparaître ensuite. C est sous le règne de François I er que s opère cette mutation ici signifiée à travers l initiale du nom du roi telle qu elle est figurée dans les registres d ordonnances. Ces registres d ordonnances consignent les lois du roi enregistrées par le Parlement. En effet, dans un but de bonne conservation et de publicité de cette documentation, le roi avait pris l habitude de faire transcrire dans leurs registres ses édits, ordonnances et autres actes importants par ses cours souveraines qui, si elles l estimaient utile, pouvaient lui présenter des remontrances auxquelles il était libre de souscrire ; si la Cour s obstinait dans son refus d enregistrer, le roi pouvait l y forcer en se rendant lui-même au Palais pour tenir une séance appelée «lit de justice». Le règne de François I er a connu de nombreux épisodes conflictuels de cette sorte. L un des plus violents a concerné le concordat dit «de Bologne». Signé le 18 août 1516 entre François I er et le pape Léon X et ratifié le 19 décembre par le concile de Latran, ce traité attribuait au roi les nominations bénéficiales en échange des annates accordées au pape. Or le Parlement était fort attaché au principe de l élection tel que l avait établi la Pragmatique. Sanction de 1438 à laquelle il entend se tenir. L enregistrement difficile du concordat provoque le mécontentement du roi qui n hésite pas à traiter les récalcitrants de «bande de fols» La publication est enfin faite le 22 mars 1518, soit vingt mois après la signature du concordat et neuf mois et demi après sa présentation au Parlement «ex ordinatione et de praecepto domini nostri regis iteratis vicibus facto, in praesentia domini de Trimolis, primi cambellani regis, ad hoc per eum specialiter missi». Les lettres ornées du Parlement de Paris au XVI e siècle 3 août-31 octobre

3 La très célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts d août 1539 (Illustrations 21-23) est composée de 192 articles qui contiennent des règles fixant la procédure criminelle. Elle est essentiellement connue par ses articles 110 et 111 proscrivant l usage du latin comme langue judiciaire et juridique et prescrivant que «tous arrêts ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments et autres quelconques actes et exploits de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français, et non autrement». À l occasion de son enregistrement, le Parlement veut l examiner de manière approfondie, mais le roi se fait impérieux : «C était assez que, en votre présence, les choses eussent été lues. Ne se y devait perdre le temps jà employé. Vous y penserez et en ferez votre devoir» Cette exposition présente un choix d initiales F (Illustrations 1-31), issues de ces ordonnances de François I er enregistrées par le Parlement. Leur décor est tributaire du Moyen Âge ; on pourra en juger en comparant certains motifs avec leur version médiévale (Illustrations 32-38) : les greffiers de la Cour s inspiraient des modes et des styles lancés par la chancellerie royale pour la décoration des chartes que le roi entendait mettre en valeur. On en a un exemple accompli avec la minute de la ratification du traité d'amiens (1527) dont la lettrine initiale décorée de cadelures, profils grotesques, fleurs et feuillages constitue un résumé des pratiques médiévales et est une source d'inspiration pour les greffiers du Parlement (Illustration de couverture). Ceux-ci reprenaient les motifs iconographiques parfois immédiatement, le plus souvent avec un temps de retard, puis ils perduraient sous leur plume même après que la chancellerie royale les avait abandonnés. Les lettres ornées du Parlement de Paris au XVI e siècle 3 août-31 octobre

4 Ces motifs qui alliaient esthétique et symbolisme en utilisant la fleur de lys, symbole royal introduit par Philippe le Bel (Illustration 28), le poisson, symbole chrétien introduit sous Jean le Bon (Illustration 16), le bestiaire légendaire tel le dragon, emblème de Charles V (Illustration 18), les feuillages, de lierre et de chêne (Illustrations et 24). La lettrine est parfois ornée d un visage, le plus souvent caricatural et grotesque, motif qui débute dans les années 1300 et qui connaît une survivance au XVI e siècle encore (Illustration 25). Une évolution des signes décoratifs se produit à partir de 1400 avec l apparition des entrelacs et des cadelures, traits entrecroisés à l encre noire découpant les lettres en petits ornements, ce qui permet au greffier de laisser libre cours à son imagination et à sa fantaisie. Ce motif, originaire d Europe du Nord, probablement de France, est utilisé en Angleterre vers 1430 dans les chartes royales et se répand dans toute l Europe au XV e siècle. Le succès de ce Les lettres ornées du Parlement de Paris au XVI e siècle 3 août-31 octobre

5 décor ne se dément pas au siècle suivant. Sa reprise est omniprésente dans les clichés présentés ici où le greffier décline des F cadelés avec un talent toujours renouvelé. Une virtuosité particulière caractérise le F agrémenté de torsades et de cadelures qui évoquent la calligraphie orientale. Prolongé d un portrait qui, bien que dépourvu de couronne, est probablement un portrait de François I er, il dérogerait à l usage médiéval de ne pas représenter la figure royale sur des copies (Illustration 13) : D autre part, les marges des registres du Conseil comportent souvent des mains dessinées avec un index démesurément allongé pointant vers un acte jugé important que le greffier veut ainsi désigner à l attention et qui permet aussi de le retrouver aisément ; on a ici la dernière de ces mains. Les lettres ornées du Parlement de Paris au XVI e siècle 3 août-31 octobre

6 En effet, le XVI e siècle marque la fin de ce parcours et l entrée dans une modernité moins sensible à l image qui devient exceptionnelle et se dégrade (Illustrations 28-29), avant de disparaître, au milieu du siècle, des registres du Parlement (en revanche cette tradition d'ornementation des chartes royales se poursuit jusqu'à nos jours en Angleterre). Cette disparition coïncide avec la substitution du français au latin prévue par l ordonnance de Villers- Cotterêts. On peut également y voir l influence de plus en plus prégnante des formes fixes des caractères d imprimerie (c est précisément à cette époque que l imprimé devient un mode de diffusion des ordonnances royales). Le dernier F remarquable de nos registres est ainsi un véritable F de fin (Illustration 27) : il ne s agit plus d une lettre ornée, mais d une forme géométrique imitée de la majuscule d imprimerie, aux larges empattements et à l encrage marqué. Cette forme nouvelle, qui exclut l'imaginaire, se diffuse au même moment dans la décoration des textes (manuscrits et imprimés) et des palais royaux. Ces temps nouveaux de l image sont également ceux que les historiens appellent volontiers un premier absolutisme. Roi autoritaire, on l a vu, François I er n hésitait pas à intervenir pour hâter l enregistrement de ses décisions et à morigéner le Parlement. Quand ses délibérations semblaient avoir outrepassé les bornes, le roi ou le Les lettres ornées du Parlement de Paris au XVI e siècle 3 août-31 octobre

7 chancelier allaient jusqu à les faire disparaître des registres en ordonnant qu elles soient cancellées par le greffier (Illustrations 30-31). L historiographie traditionnelle insiste sur le caractère dramatique de ces conflits ouverts entre le roi et son Parlement et aime à y voir un absolutisme nouveau s affirmant face à une ancienne conception participative du pouvoir, mais une lecture plus attentive montre qu il s agit davantage d une nouvelle mise en scène orchestrée par le roi qui se fait juge du conflit public et ritualisé qui l oppose au Parlement et dont il affirme ainsi qu il reste le maître. Légende des illustrations : N 1 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 3 v, 1514 : Initiale F cadelée. N 2 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 133, : Initiale F cadelée. N 3 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 189, : Initiale F cadelée. N 4 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 253, 1517 : Initiale F cadelée. N 5 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 286, : Initiale F cadelée. N 6 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 291, : Initiale F cadelée. N 7 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 292, 1519 : Initiale F cadelée. N 8 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 321, 1520 : Initiale F cadelée. N 9 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 356, 1521 : Initiale F cadelée. N 10 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 358 v, 1521 : Initiale F cadelée. N 11 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 405 v, 1522 : Initiale F cadelée. N 12 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 419, 1522 : Initiale F cadelée. N 13 : Arch. nat., X 1A 8611, fol. 354 v, 1522 : Initiale F cadelée prolongée d un portrait évoquant François I er. N 14 : Arch. nat., X 1A 8612, fol. 80, 1526 : Initiale F cadelée. N 15 : Arch. nat., X 1A 8612, fol. 85, 1526 : Initiale F de simple facture sans décor. N 16 : Arch. nat., X 1A 8612, fol. 222, 1530 : F décoré d un poisson latéral et terminé en fouet. N 17 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 27, 1537 : Édit de Crémieu qui règle la juridiction des baillis, sénéchaux, sièges présidiaux, prévôts et autres juges ordinaires inférieurs. N 18 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 76, 1537 : Initiale F décorée d un dragon serpentin avec une flèche sortant de sa gueule. N 19 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 162, 1539 : Convocation aux Grands jours d Angers. Initiale F cadelée avec feuillages. N 20 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 162, 1539 : Convocation aux Grands jours d Angers. Initiale F cadelée avec feuillages. N 21 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 182 v, 1539 : Ordonnance de Villers-Cotterêts. N 22 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 187, 1539 : Ordonnance de Villers-Cotterêts. N 23 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 191, 1539 : Ordonnance de Villers-Cotterêts. N 24 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 224, 1540 : Initiale F cadelée avec feuillages. N 25 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 248, 1540 : Initiale F ornée d un profil grotesque au chapeau pointu. N 26 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 264, 1540 : Ordonnance sur les monnaies. N 27 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 466, 1543 : Initiale F sans ornement, de forme géométrique proche de la majuscule d imprimerie. N 28 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 77, 1543 : Initiale F ornée d une fleur de lys latérale et de feuillages. N 29 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 323, 1544 : Initiales F tardives témoignant de la disparition de la pratique de l ornementation. N 30 : Arch. nat., X 1A 8613, fol. 352 v, 1544 : Initiales F tardives témoignant de la disparition de la pratique de l ornementation. N 31 : Arch. nat., X 1A 1528, juillet 1525 : Délibération du Parlement cancellées par ordre du roi. N 32 : Arch. nat., X 2A 9, fol. 167, 1379 (Forme antérieure) : Initiale K ornée d un profil grotesque au chapeau à plume (Karolus ). N 33 : Arch. nat., X 2A 10, fol. 208, 1380 (Forme antérieure) : Initiale fleurdelisée en forme de poisson avec masque grotesque (In nomine ). N 34 : Arch. nat., X 2A 11, fol. 120, 1391 (Forme antérieure) : Initiale K ornée de deux longs visages barbus et de feuilles de chêne (Karolus ). N 35 : Arch. nat., X 1A 9193, fol. 103 v, 1435 (Forme antérieure) : Initiale C cadelée et ornée de motifs végétaux et floraux (Cum dilectus nobis). N 36 : Arch. nat., X 1A 75, fol. 164, 1445 (Forme antérieure): Initiale C et lettrines L, F, et S. Lettres cadelées et décor de fouets (Cum lis mota fuisset ). N 37 : Arch. nat., X 1A 9195, fol. 15, 1419 (Forme antérieure): Initiale K ornée d un visage grotesque jouant de la flûte à bec (Karolus ). N 38 : Arch. nat., X 1A 160, fol. 125 v, 1518 (Forme antérieure): Initiale C formée de deux dragons à ailes de chauve-souris (Cum a quadam ). Les lettres ornées du Parlement de Paris au XVI e siècle 3 août-31 octobre

8 Vue actuelle du Palais de l Ile de la Cité à Paris. Entre les deux tours, le pignon de la Grand Chambre du Parlement. Conception : Françoise HILDESHEIMER, Conservateur général du Patrimoine aux Archives nationales Monique MORGAT-BONNET, Ingénieure au CNRS-Institut d Histoire du Droit Mise en forme : Service du Patrimoine de la ville de Loches Les lettres ornées du Parlement de Paris au XVI e siècle 3 août-31 octobre