Théâtre: La vie en famille

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1 155 Théâtre: La vie en famille

2 156 Distribution: Le père - Pierre Bertrand La mère - Élise Michaud Le fils - Gilles Bertrand La fille - Natalie Bertrand Le grand-père - Jérôme Michaud La grand-mère - Rose-Hilda Michaud Tableau un On aperçoit une table, deux chaises et une berceuse sur la scène. Devant la berceuse, il y a une petite table à café. La est assise devant la table; devant elle il y a une pile de papiers. Le entre avec un panier de vêtements. Tiens! Bonsoir, chérie. Je n savais pas que tu étais revenue. Je ne t ai pas entendue entrer. Bonsoir, Pierre. Je suis arrivée il y a quelques minutes. Est-ce que tu as passé une bonne journée? Oui, mais épuisante. J ai été en réunion toute la journée; ce matin avec les fournisseurs et cet aprèsmidi avec les comptables. (Pause.) Et toi? Oh... comme ci, comme ça! J ai eu deux appels... un pour préparer un inventaire de l équipement agricole d une ferme qui a fait faillite et l autre pour préparer les impôts des gens d'une villa de personnes âgées. (Pause.) En passant, chérie, il n y a plus de «Tide».

3 157 Je dois passer au magasin demain matin. Je vais en acheter. Merci. Le et la entrent en se disputant. Y en est pas question! Pourquoi pas? Parce que! Parce que quoi? Parce que ça m tente pas. Les enfants... Maman! Gilles, y veut pas me laisser jouer sur son ordinateur. Tu vas le casser... comme tu casses tout. C est pas vrai ça!

4 158 Oui, madame! Non, monsieur! Les enfants! (Silence.) Votre mère a eu une journée difficile aujourd hui. Je vais vous demander de rester tranquilles. Le se rend à la berceuse et il commence à plier du linge. Papa! Aujourd hui, à l école, notre enseignante nous a parlé de la vie en famille dans l ancien temps... bien... dans votre temps. Est-ce vrai que vous gardiez vos grands-parents avec vous... jusqu à... bien... jusqu à leur mort? T es tellement pleine de colle, Élise, que c en est même pas drôle. Garder les grands-parents chez eux. Comme si ça avait du bon sens! Tu l sais comme moi que les grands-parents, on les envoie dans des foyers! Gilles! Voyons! La seule exagération de ta soeur c est de croire que cette tradition existait de mon temps. Voyons, les enfants! Votre mère et moi, nous sommes encore jeunes... Ouais bien... trop jeunes dans le sens que garder les grands-parents chez soi... bien... c était la tradition d autrefois... ah... bien... du temps de vos grands-parents... ou même de vos arrière-grands-parents. Tu sais, Pierre, il ne faut pas être si vieux que ça pour avoir connu cette tradition.

5 159 (À la.) Maman est vieille. Jeune! Vieille! Tu sais, Gilles, il y a bien des traditions canadiennes-françaises que j ai connues, sans que cela veuille dire que j ai un pied dans le cercueil. Chez vous, maman, quand vous étiez jeune, est-ce que... bien... Est-ce que mes grands-parents vivaient chez nous? Oui? Mémère, oui. Pendant quelques mois avant sa mort. Vous voyez, votre grand-père et votre grandmère ne voulaient pas... Le tape des mains. Tout le monde s'immobilise, sauf lui. Il met de côté le panier de linge, se lève et s adresse à la mère. C'est un changement de génération. Ils deviennent ainsi le père et la mère de la mère. C'est ma mère et je n accepterai jamais qu elle soit placée dans un hospice. (Elle se lève et s approche du.) Mais elle ne peut plus prendre soin d elle-même, ni de sa petite maison. Oui, je le sais. Et ta solution? (Elle retourne s asseoir.)

6 160 Elle va venir habiter ici... avec nous. Il y a de la place. La tape des mains. Le s'immobilise un instant, mais les enfants qui sont immobilisés depuis quelques instants se détendent.... et c est comme ça que mémère est venue vivre chez nous. J avais dix ans et déjà ce n était plus la coutume. Mon père me contait... Le tape des mains et la et le s'immobilisent. Le s approche de la. Tu comprends, n est-ce pas, Élise, pourquoi mémère doit venir habiter avec nous? Non, papa. C est que... bien... autrefois... avant qu il y ait des foyers pour personnes âgées un peu partout, c était la tradition, chez les Canadiens français, que les grands-parents habitent avec l aîné de leur fils. Est-ce qu on parle du temps de Champlain, papa? Champlain?... ah... oui. Oui, oui, tout a commencé au temps de Champlain. Mais... ah... la tradition s est poursuivie jusqu à tout récemment. Moi, quand j étais jeune, mon grand-père et ma grand-mère vivaient avec nous, parce que mon père était l aîné... le plus vieux de la famille. Il avait hérité la terre familiale... La tape des mains et il y a un brouhaha d activité alors que tout le monde se précipite ici et là. À cette époque, la plupart des Canadiens français vivaient encore à la ferme. Le brouhaha se poursuit. Le se rend au panier de linge et en sort une casquette, style 1940, qu il met sur sa tête. La se rend aussi au panier et elle en sort un tablier à carreaux qu elle attache autour de sa taille. Le GRAND- entre avec un journal. Il va s'asseoir dans la berceuse

7 161 et il commence à lire son journal. Le prend un damier sur la table. Il le dépose par terre. Le et la s assoient par terre et commencent à jouer aux dames. La GRAND- entre poussant un vieux poste de radio devant elle. GRAND- Attention tout le monde! Ça va être Séraphin à la radio dans quelques minutes! Uh-huh! Ensuite, il va falloir que j aille «faire le train»... Durant le bout de dialogue suivant, la et la GRAND- se rendent à la table où elles commencent à plier les vêtements du panier. Veux-tu un coup de main, Pierre? GRAND- Non, non! Ça va. Je peux m en occuper. Finissez de lire votre Patriote de l Ouest. Dites donc, pépère Michaud. Est-ce qu il y a des nouvelles intéressantes dans le journal cette semaine? GRAND- Tu connais le Patriote, hein, Marie. Un mariage à Bellegarde... la mariée portait une robe un peu décolletée. Les demoiselles d honneur portaient des robes roses. Chicane de paroisse à Bellevue... où vont-ils bâtir leur église? À Gravelbourg, le Collège a besoin d argent, comme le Couvent, le Jardin d enfance et l église. GRAND- Arrête donc de radoter, le père, et allume la radio pour Séraphin. Le GRAND- se lève et se rend au meuble de la radio. Il joue avec les boutons pendant un instant. Le se lève, se tourne vers le public et prend une allure d annonceur. (En anglais. 1 ) We regret that the program in French, regularily scheduled at this time, is not available. In its place, we present fifteen minutes of bilingual instrumental music.

8 162 Encore une fois! C est la quatrième fois depuis Pâques qu on remplace Séraphin par de la musique. GRAND- Oui. Bien, mon fils tu ferais mieux d'aller «faire ton train». Oui. Je vais y être bientôt, Pierre, pour traire la vache. Uh-huh. Le sort. Le et la s approchent du GRAND-. Pépère! Raconte-nous une histoire! Oui, oui! Tu sais, pépère, celle du canot magique. Oui, oui, la Chasse-galerie! GRAND- Très bien les enfants. Tenez-vous bien. On part en voyage. (Pause. Le GRAND- sort sa pipe et la met dans sa bouche.) Vous ne croirez jamais l histoire que je vais vous raconter, mais je vous garantis... (pointant un doigt vers la GRAND-.)... puis ris pas toi ma vieille... je vous garantis les enfants que mon histoire, elle est vraie. J étais tout jeune dans ce temps-là... dix-sept ans à peine. J avais été engagé pour travailler dans un chantier... comme cuisinier pour les bûcherons. (Pause.) En ce temps-là, il n y avait pas de belles routes pour se rendre du chantier à son village natal. Les bûcherons devaient passer l hiver dans le bois. La tape des mains et tout le monde s'immobilise.

9 163 Et c est comme ça que les histoires étaient transmises à cette époque. Bien sûr, les grands-parents donnaient un coup de main. La grand-mère aidait à la maison, à préparer les repas, nettoyer, laver le linge, raccommoder. Le grand-père allait donner un coup de main dans le champs ou à s'occuper des animaux. Maman? Oui? Dans c temps-là, les femmes n allaient pas travailler au bureau? Certaines, oui! Mais pour la plupart, leur travail était à la maison. Dommage! Oui, maman. C est dommage que vous ne soyez pas ici plus souvent. Oui, peut-être. Mais aujourd hui, il faut deux salaires pour vivre. Donc, votre père et moi, nous devons travailler tous les deux. Sauf, Élise, qu autrefois les femmes travaillaient bien fort elles aussi... mais elles ne recevaient pas de salaire pour leur travail. Eh oui!

10 164 Donc, ce n est plus comme autrefois? Non. Hélas, non! FIN Note 1 Jusqu en 1952, le service de radio en français en Saskatchewan a été offert par des stations anglaises, d'abord par des stations privées et, entre 1939 et 1952, par CBK, Watrous, la station de Radio-Canada en Saskatchewan.

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