Le lavement des pieds par le vicaire général François Reynard

Transcription

1 Le lavement des pieds par le vicaire général François Reynard 01 Avant la fête de la Pâque, sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout. 02 Au cours du repas, alors que le démon a déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l'intention de le livrer, 03 Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu'il est venu de Dieu et qu'il retourne à Dieu, 04 se lève de table, quitte son vêtement, et prend un linge qu'il se noue à la ceinture ; 05 puis il verse de l'eau dans un bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu'il avait à la ceinture. L heure est venue, l heure qui est à l horizon de tout l Evangile: l heure du passage de ce monde à son Père, le Père qui a tout remis entre ses mains, dont il vient et vers qui il va. Ce retour au Père, Jésus ne le fait pas sans nous, mais nous avec lui : «Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, Jésus les aima jusqu au bout.» Les siens, tous, il est venu pour tous, et il y a ceux qui l accueillent, sans que l un exclue l autre. «Il les aima jusqu à l extrême.» L extrême, c est sa mort et sa Résurrection, c est aussi le don de l Esprit Saint qui introduit dans le mystère même de l union de Jésus à son Père. On est à un moment crucial: «Quoiqu il eût opéré devant eux tant de signes, ils ne croyaient pas en lui» Jn 12, 37, ou s ils croyaient en lui, ils n osaient l affirmer de peur d être exclus de la synagogue. Jésus est là avec un petit groupe de ceux qui le suivent, les douze. Cette heure, c est l heure de la trahison, de la livraison, «le démon a inspiré à Judas l intention de le livrer.» C est l heure de la livraison oui, mais la livraison que Jésus fait librement de sa vie, «personne ne m enlève ma vie, c est moi qui la donne» Jn 10, 18 «Ceci est mon corps livré pour vous.» C est bientôt la fête de la Pâque, de l agneau immolé, on est dans l ambiance pascale. Il va faire un geste insolite, souligné par le contraste avec le verset qui introduit le passage, et avec ce que Jésus dira plus loin: «Vous m appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison car vraiment je le suis.» Un geste symbolique, énigmatique, que nous allons prendre le temps de voir, de contempler, pour le comprendre de l intérieur : «Comprenez-vous ce que je viens de faire?» Un geste d esclave? Je ne le crois pas. C est le milieu du repas, et non le moment de l arrivée. Un geste d humilité? Non plus. Il me semble que Jésus, à ce moment, ne s humilie pas, il est humble. Ce geste est un geste prophétique qui dit le sens de ce repas, le repas qu a voulu Jésus, son repas, auquel il invite ses amis : un geste d hospitalité, d amour, qui prend la forme du service, et qui annonce la suite, un geste symbolique de l amour poussé jusqu à la mort, jusqu au don total. Le geste de quelqu un qui aime, qui est là pour ses amis, pour leur vie, le geste de quelqu un qui aime librement, le geste d une maman, ou d un amoureux qui exprime jusqu où Jésus veut vivre la communion avec ses amis, sa vulnérabilité. 1

2 Un geste qui exprime le don de sa vie? Mais elle est donnée depuis le départ. «Marie le déposa dans une mangeoire.» Depuis le début, il est livré, donné, à la merci de l accueil et du refus, Un geste qui met sa vie totalement entre nos mains, nous pécheurs, comme tous ceux qui lui veulent du mal ; il se met entre nos mains, il devient vulnérable. A chacun des douze, il dit : «Vous allez m abandonner, voici ma vie elle est là pour vous.» Je ne suis là que pour que vous viviez vraiment, ma vie n a d autre sens que pour que vous viviez. C est un geste d amour qui s accomplira à la croix. Il «dépose» son vêtement, comme il dépose, donne sa vie, c est le même verbe. Jusque-là, Jésus est le berger, celui qui conduit. Maintenant, il va s offrir dans la faiblesse et le silence jusqu à la mort. Il y a chez lui, un renoncement à être au dessus. Il ne se défendra pas, il se donne jusqu à l extrême. Un geste d amour qui se met à la portée de ses disciples, à notre portée, à nos pieds. Un geste pour chacun. Avec quelle tendresse Jésus a touché les pieds de ses disciples, les a regardés dans les yeux, appelé chacun par son nom et s est adressé à lui personnellement? Un geste qui révèle que nous sommes importants, présence de Dieu. Poser un tel geste, c est faire toucher du doigt, physiquement à quelqu un, par ce geste même, à quel point il est précieux. Jésus lave les pieds de Judas, de Pierre, des autres, il continue de les aimer ; il veut encore avoir part avec eux «Il est descendu aux enfers.» «On peut espérer pour tous, l Eglise nous le demande ; si je pense qu il y a quelqu un en enfer, c est que mon cœur est dur, qu il y est en partie, qu on n espère plus pour personne» H.U.Von Balthazar. Ce geste est révélation du mystère de Dieu : un Dieu qui aime, qui est vulnérable. Dans le mystère de l Incarnation, le Tout Puissant devient le plus petit, il est désarmé. Il a besoin des autres. Il veut demeurer en chacun de nous comme un ami : «Voici que je me tiens à la porte, et je frappe ; si quelqu un entend ma voix, s il m ouvre, j entrerai chez lui, je prendrai mon repas avec lui et lui avec moi.» Dieu s est mis humblement à nos pieds, mendiant notre amour ; nous pouvons accepter ou refuser ; il est dépendant de notre liberté, qu il ne force jamais. Notre Dieu est vulnérable, dès la crèche. Il faut prendre soin de cette présence, en nous, en l autre, en chacun de ceux qui nous sont confiés ; sa place, c est celle qu on lui fait. «Je vais t aider mon Dieu, à ne pas t éteindre en moi», écrivait Etty Hillesum. La vie de Dieu au service de la vie de l homme. «Qui donc est Dieu pour Dieu? C est l homme.» (M.Zundel) ; Dieu n a qu un désir : l homme, pour qu il vive. Il est à genoux devant celui qu il veut honorer. Ce geste instaure une nouveauté essentielle dans les relations entre Dieu et les hommes. Ce geste révèle le cœur de Dieu, et qui nous sommes appelés à devenir. 2

3 06 Il arrive ainsi devant Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : «Toi, Seigneur, tu veux me laver les pieds!» 07 Jésus lui déclara : «Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras.» 08 Pierre lui dit : «Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais!» Jésus lui répondit : «Si je ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi.» 09 Simon-Pierre lui dit : «Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête!» 10 Jésus lui dit : «Quand on vient de prendre un bain, on n'a pas besoin de se laver : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs,... mais non pas tous.» 11 Il savait bien qui allait le livrer ; et c'est pourquoi il disait : «Vous n'êtes pas tous purs.» Pierre a du mal à accepter ce geste, il le refuse même radicalement. Jésus à ses pieds, qui volontairement, lave ses pieds, c est pour lui inconcevable. Pierre refuse un acte qu il juge déplacé, qu il juge humiliant : Jésus est supérieur, je devrais lui laver les pieds. Et quelqu un de moins important que moi, faire pour moi le même geste. «Si je ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi», dit Jésus. Jésus doit réaliser ce que symbolise ce geste, le don jusqu à l extrême, le mystère de sa croix, de sa Pâque, et Pierre doit l accepter, accepter cette façon d être le Messie. Pierre croît que c est un geste de purification. Jésus, lui, parle d un autre bain : «Déjà vous voici net et purifiés grâce à la Parole que je vous ai dite» (Jn 15, 3), et souligne qu il faut suivre Jésus jusque dans sa Passion. «A travers sa mort, il conduira ses disciples au lieu mystérieux où il est lui-même.» Tu comprendras plus tard, lorsque l Esprit Saint aura été donné. Il s agit d abord de se laisser faire, d accepter qu un autre nous conduise sur ce chemin, d accepter ce geste de Jésus. «C est le mouvement d une vie évangélisée dans la forme du lavement des pieds.» C est par là que le disciple sera en communion avec Jésus. «Tu comprendras plus tard», dit Jésus : Pierre comprendra lorsque l Esprit Saint aura été donné, et qu il fera souvenir de tout ce que Jésus a dit, et qu il conduira à la vérité tout entière. Pierre est généreux ; mais il pressent qu il est redoutable de se laisser aimer ; on devient dépendant ; ma vie appartient à celui qui m aime, celui dont je me laisse aimer. Pierre pressent que s il accepte, il devra prendre le même chemin. Il sent qu il est inclus dans le destin de Jésus, dans l exclusivité christique ; nous sommes par vocation d être des vies pour, à la disposition de la vie des autres. On résiste à la croix, à aimer ceux qui nous haïssent, à accepter ceux qui nous rejettent ; spontanément on se protège : «Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent.» 3

4 Si l Eglise, la communauté des disciples aime ainsi, elle devient vulnérable, elle ne s appartient plus. Elle est invitée à accepter de se laisser aimer ainsi, et par là, aimer déjà de cette manière là. «Servons la fraternité» : il faut d abord recevoir cette démarche de celui qui s est fait sans condescendance, notre frère, notre frère ainé ; accepter ce geste de Jésus, le recevoir de lui. Il s agit de recevoir l Esprit du Seigneur; c est à cette seule condition que nous pouvons comprendre et vivre ce message. «Si je ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi.» Ce geste n est donc pas facultatif, il est le cœur de l Evangile. 12 Après leur avoir lavé les pieds, il reprit son vêtement et se remit à table. Il leur dit alors : «Comprenez-vous ce que je viens de faire? 13 Vous m'appelez 'Maître' et 'Seigneur', et vous avez raison, car vraiment je le suis. 14 Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. 15 C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous. Il y a un lien entre la réaction de Pierre et la suite du récit : Jésus n explique pas le mystère symbolisé par son geste, sa croix, sa Pâque, mais il va éclairer, à partir de ce geste, ce que les disciples devront faire à leur tour, pour qu ils le comprennent de l intérieur. «Le contraste entre le statut de Jésus et son acte a été voulu pour que les disciples s en inspirent. Une différence de niveau demeure cependant évidente : de la relation maître-disciples, Jésus passe à celle des disciples entre eux ; d une relation fondatrice où lui seul a l autorité et le pouvoir, il passe à la relation entre frères.» Jésus veut entrer dans une relation nouvelle avec Pierre, où il est invité à accepter de se laisser laver les pieds. Jésus veut lui faire découvrir qu il est appelé à aimer les autres comme lui, Jésus, l aime, de cette manière-là. «Vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.comme j ai fait pour vous» Il s agit d imiter la manière de Jésus, cet amour-là, cet humble service des frères. Ce n est pas seulement un exemple, d ordre moral, mais une figure, un modèle, une image, qu il faut voir en profondeur et comprendre. Ce n est pas un modèle extérieur à imiter, mais un don qui génère le comportement à venir des disciples. «En agissant ainsi, je vous donne d agir de même.» Non pas matériellement laver les pieds, mais il s agit de «la disponibilité foncière et effective à être au service les uns les autres, un service sans réserve, exempt de la volonté de puissance.» Jésus révèle ainsi l attitude juste du service : non pas «faire pour», car là on risque d être encore supérieur, ou au dessus, mais «faire avec», en se mettant à la même taille. Et donc prêt à recevoir, à son tour, ou même d abord à recevoir. Non pas faire pour, mais entrer en communion, en vulnérabilité, dans une attitude d amour vrai. Jean Vanier l a appris auprès des grands handicapés. La communion, explique-t-il, n est pas la générosité, où on fait pour, où on est le fort ; quand on entre en communion, on devient vulnérable, on laisse tomber les murs ; l important n est pas d aboutir mais d être ensemble; c est le cœur de l Evangile vécu. «C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous.» 4

5 Jésus, le Maître et le Seigneur, s agenouille pour aider à se mettre debout ; il se fait serviteur ; nous aussi, nous devons nous mettre à genoux pour nous mettre debout les uns par les autres et par lui. Jésus bouleverse le modèle dominant des sociétés, où spontanément, on cherche à devenir amis des gens du dessus, pas des gens du dessous. Jésus invite et initie à transformer une pyramide en un corps où chacun a sa place, quels que soient ses dons ou ses handicaps, où chacun est dépendant des autres et en communion avec eux. Il dévoile aussi une nouvelle façon d exercer l autorité, dans l humilité et le service, en recherche de communion, sans distance ni domination. Nous avons besoin de la force de l Esprit Saint, pour exercer l autorité de cette façon-là. C est un chemin pour toute l Eglise, pour nos communautés : diaconales, ministérielles, elles sont au service de l humanité, simplement pour qu elle vive son humanité, pour que l humain grandisse et advienne. Tous les membres sont importants, nécessaires à l Eglise, Corps du Christ. Toute hiérarchie devient diaconale et d abord dans l Eglise. Père, dans l unique paternité du Père, frères dans l unique Frère, à genoux pour servir et accepter de recevoir. Jésus nous exhorte à nous aimer ainsi, à nous pardonner ainsi. «Faites ceci en mémoire de moi.» Jésus fonde la communauté des disciples. L Evangile, c est le monde à l envers, ou plutôt à l endroit, pour nous rendre attentifs, sans condescendance, à ceux qui sont les derniers. «Dieu n est pas hors de portée, dans les cieux, Dieu est caché dans les cieux que sont les cœurs de tous ceux qui occupent les dernières places.» La difficulté de Pierre, c est la nôtre, la mienne. Voilà aussi pourquoi on peut recevoir ce geste comme un geste de purification mais intérieure, purification qui s accomplira à la croix. Le lavement des pieds est un moment de communion intense. Cette communion vécue ainsi est inséparable d une autre, la communion eucharistique. La communion à la table du Seigneur est inséparable de la communion vécue en lavant les pieds les uns des autres. Il faut passer du voir au faire. Il faut vivre de deux mémoires, l une cultuelle, l autre existentielle, en effet l une et l autre animent la conduite chrétienne. Servons la fraternité, deux ans pour apprendre ou réapprendre à marcher sur ce chemin. Pour cela, commençons par regarder Jésus : se laisser aimer par lui, s imprégner de ce geste ; et lui nous guidera pour apprendre à regarder les fragilités, et les merveilles, pour rencontrer en vérité d autres équipes, d autres personnes marquées par la pauvreté, et les souffrances de toutes sortes. Ce chemin renouvellera notre écoute de la Parole, et notre liturgie, en même temps que la Parole de Dieu et la liturgie nourriront notre démarche. Jésus s est fait notre frère, lui le maître et le Seigneur ; il faut recevoir de lui la manière de «servir la fraternité.» 5

6 Le samedi 24 septembre 2011, 1 Avant la fête de la Pâque, sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout. 2 Au cours du repas, alors que le démon a déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l'intention de le livrer, 3 Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu'il est venu de Dieu et qu'il retourne à Dieu, 4 se lève de table, quitte son vêtement, et prend un linge qu'il se noue à la ceinture ; 5 puis il verse de l'eau dans un bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu'il avait à la ceinture. 6 Il arrive ainsi devant Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : «Toi, Seigneur, tu veux me laver les pieds!» 7 Jésus lui déclara : «Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras.» 8 Pierre lui dit : «Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais!» Jésus lui répondit : «Si je ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi.» 6

7 9 Simon-Pierre lui dit : «Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête!» 10 Jésus lui dit : «Quand on vient de prendre un bain, on n'a pas besoin de se laver : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs,... mais non pas tous.» 11 Il savait bien qui allait le livrer ; et c'est pourquoi il disait : «Vous n'êtes pas tous purs.» 12 Après leur avoir lavé les pieds, il reprit son vêtement et se remit à table. Il leur dit alors : «Comprenez-vous ce que je viens de faire? 13 Vous m'appelez 'Maître' et 'Seigneur', et vous avez raison, car vraiment je le suis. 14 Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. 15 C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous. Jean 13,