- 1 - La Créativité. Notes de lectures : à propos de Gardner (1999 ; 2004)

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1 - 1 - La Créativité Notes de lectures : à propos de Gardner (1999 ; 2004) Introduction Dans nos sociétés occidentales, la notion d intelligence s apparente à une conception très restrictive. Elle est tout d abord définie, en particulier depuis les tests Binet-Simon, par le système scolaire. L École considère les disciplines académiques telles les Mathématiques et les Lettres comme étant les plus importantes, l intelligence est réduite au monde logico-verbal. D'ailleurs, Piaget a contribué à renforcer cette conception. En outre la notion d intelligence, en particulier celle définie par des tests QI, renvoie à l idée d un facteur G, facteur qui serait sensé traduire le niveau intellectuel général de l individu. Lorsque Gardner publie en 1983 son ouvrage «Frames of Mind: the Theory of Multiple Intelligence» (Les Intelligences multiples), il ouvre la voie à une autre conception de l intelligence, moins uniforme, et certainement plus près de la réalité. Tout d'abord, il considère qu il existe plusieurs intelligences et il en retient huit 1. Et celles-ci n ont pas a priori de liens entre elles, mais l auteur est conscient que, dans toute discipline, le sujet mobilisera plusieurs formes d intelligences comme nous allons le voir. L intelligence et la culture L intelligence tout d abord a besoin de prendre forme dans un système symbolique ce qui nous renvoie à la notion de symbole chez Zarifian (2005), l un des trois fondements de la vie psychique avec la réalité et l imaginaire. Dès lors, l intelligence n existe pas en soi, mais seulement au travers une culture donnée. C'est pourquoi la mesure de l intelligence est une démarche arbitraire, car il s agit d évaluer, par comparaison, le degré de maîtrise de codes culturels (mathématique, langage, savoirs encyclopédiques). Ces codes dont nous parle Gardner sont donc à la disposition de la personne. Celle-ci devra mobiliser des compétences en fonction de symboles qui vont prendre forme au travers des actions comme : écrire, dessiner, compter, danser, jouer de la musique. Chacune de ces actions appartient à des univers différents. Une multiplication fait appel à des aptitudes spécifiques. L enfant doit entrer dans un monde abstrait et apprendre à se détacher petit à petit de son corps (au lieu de compter sur ses doigts, il devra intérioriser une stratégie). Si nous regardons du côté de la musique, au contraire le rapport au corps est important. Jouer du violon, du piano ou de la guitare fait appel à des dimensions proprioceptives et anatomiques fondamentales : il s agit non seulement de gérer les positions des jambes, du dos ou des mains, mais le musicien doit entretenir un rapport à l instrument qui implique la totalité du corps. De manière plus précise, Gardner considère trois niveaux au travers lesquels l intelligence s exprime. 1 Intelligences : musicale, kinesthésique, langagière, logico-mathématique, spatiale, interpersonnelle, intrapersonnelle. (Gardner à rajouté l intelligence naturaliste, existentielle et spirituelle, mais ces deux dernières sont des hypothèses qu ils considèrent comme des pistes à explorer).

2 - 2 - Tout d'abord, il y a l intelligence qui est définie de la manière suivante «potentiel biopsychologique» (p.59). L énoncé est court. Mais il suffit à comprendre que ce potentiel doit être mobilisé par la personne dans un «domaine» spécifique. Celui-ci peut être un métier, ou une discipline «exercée dans une société donnée». (p.59). Par exemple, le potentiel d un enfant s exprimera par la facilité à manier des couleurs et des formes. C est ce que l on nomme l univers des arts plastiques. C est le domaine dans lequel il se sentira à l aise. Mais, si les adultes (parents éducateurs enseignants) veulent permettre à l enfant de s exercer et de progresser, celui-ci pratiquera une telle discipline au sein de structures éducatives (il pratiquera cette discipline à l École maternelle, dans des ateliers spécialisés, et peutêtre plus tard dans une École d art). Dans ces structures se trouvent donc des personnes professionnelles qui évalueront ses compétences et son travail. Il mobilisera donc son potentiel, dans un domaine (l art) et dans un champ (des structures) où des personnes l accompagneront et l évalueront. Cette réalité sociale est importante à saisir, car le potentiel de l enfant associé au domaine (il a une affinité pour la musique) n a aucun sens en dehors des institutions (du champ). Des acteurs vont proposer à l enfant une panoplie d outils (instruments de musiques, méthodes, etc.). Ce contact, entre l enfant, et un univers culturel qui l attire, peut être l occasion d un développement ou d une fermeture. C est pourquoi la diversité est un mot d ordre pour Gardner. Pour repérer et exploiter un potentiel chez un enfant, il faut tout d abord qu il réalise des expériences dans de nombreux domaines. Gardner nomme cela les «expériences cristallisatrices». L auteur précise : «Au jardin d enfants et dans les classes primaires, la pédagogie devrait mettre l accent sur la diversification des expériences, car c est le moment où les enfants peuvent découvrir leurs inclinations et leurs aptitudes.» (Gardner, 2004, p. 50) Une éducatrice exprime bien cette idée en nous partageant son expérience. Lors d activités de bricolages, avec ses collègues, elles avaient proposé aux enfants un matériel restreint afin de réaliser différents objets (elles avaient peu de fournitures à disposition). Lors de l activité, les enfants étaient assez passifs et les différentes productions relativement pauvres sur le plan de l imagination. Quelque temps après, l animation fut répétée, mais avec un matériel plus varié et plus riche. Les échanges furent fructueux et plus dynamiques. Et surtout, les productions étaient plus intéressantes et originales. Il s avère que plus le monde technologique et celui des symboles sont enrichis (mais évidemment avec mesure), et plus l enfant réalise des expériences favorables à son développement. La créativité selon Gardner Dans la perspective que nos propose Gardner la créativité comprend trois éléments : a. La réflexion b. L idée du levier c. La mise en perspective Pour Gardner ces trois processus concernent d abord les adultes. Mais nous tenterons de comprendre en quoi ces trois notions peuvent s intégrer dans une pédagogie générale. La réflexion Tout d abord, Gardner (1999), dans sous ouvrage «Les personnalités exceptionnelles», nous présente de nombreux artistes (Picasso, Mozart, Virgnia Woolf) ayant laissé des cahiers personnels qui leur ont permis de poser leur réflexion sous forme d écrits, voire de dessins (la

3 - 3 - réalisation de croquis dans un cahier de dessin est une manière aussi de réfléchir pour Gardner). Cette possibilité de méditer sur son fonctionnement, sa journée, ses rencontres, le sens qu on donne à son travail, etc. est un élément fondateur de la créativité. Créer c est aussi penser, réfléchir avant ou après la production d un travail artistique. Même pendant un processus créateur, il peut y a avoir des «temps morts», des temps de répit où les choses peuvent être «mises à plat». Ceci évidemment implique une grande régularité. La réflexion n est pas seulement un acte isolé, mais elle implique le regard de l autre. L écoute d avis différents est importante pour Gardner : «Ne vous laissez pas désarçonner (car il importe de ne pas abdiquer ses propres facultés critiques) mais sachez profiter, surtout lors de la période de formation, des avis prudents de ceux qui connaissent bien votre domaine.» (Gardner, 1999, p. 206) Dans le cadre d une pédagogie générale, la réflexion peut être collective, pratiquée avant ou après une activité. L éducateur peut amener le groupe d enfants à parler sur des productions (dessins, peintures, musiques). Cet aspect nous renvoie à la notion de Parole chez Zarifian (2004). Il ne s agit pas seulement de nommer les choses, mais surtout de les comprendre. Mais la réflexion autour d un travail artistique peut aussi s exprimer sous forme d un monologue. C est une manière de mettre à distance le résultats et le désir qui s y rattache. L idée du levier Cette notion du levier renvoie à l idée de résilience. Pour Gardner deux éléments sont importants : savoir repérer et mobiliser ses points forts, et aborder les problèmes de manière originale, c est-à-dire par «des représentations multiples» (1999, p. 209). Mais pour cela il est nécessaire de découvrir ses forces. Et elles sont différentes pour chacun. D un point de vue pédagogique cela signifie : a) Que l enfant, sans l aide des adultes et d un milieu culturel riche, repère difficilement ses habiletés. Cette réalité psychologique est renforcée par nos sociétés qui ont une représentation très figée des compétences : c est souvent la logique qui prime et qui est mise en avant. b) Qu en admettant d autres compétences, en fonction par exemple des différentes intelligences que propose Gardner, il est plus aisé de mettre en place des activités propres à mettre en évidence les forces de l enfant. Il pourra dès lors les utiliser comme levier. c) Que l enfant faisant face à un problème artistique (jouer avec les formes et les couleurs) expérimente, par essais et erreurs, des solutions esthétiques. L éducateur l aidera à dépasser la «tentation du faire joli». Car, la créativité ne se réduit pas à la production d un objet esthétique sensé plaire au plus grand nombre. En bref les expériences «cristallisatrices» : seront d autant plus efficaces qu elles se manifesteront dans un environnement riche, permettront à l enfant de se connaître, d éprouver ses limites et ses aptitudes, mettront en relief les affinités des enfants.

4 - 4 - La mise en perspective La mise en perspective, pour Gardner, c est la capacité de considérer ses points faibles, mais dans une optique critique et positive. C est-à-dire que les faiblesses sont l occasion de progresser. Gardner (1999, p. 212) précise : «seule la faculté de donner un sens et même parfois de tirer un regain d énergie d une expérience apparemment négative permet d affronter la vie avec assurance et efficacité.» La mise en perspective, comme son nom l indique, est bien une manière d avoir du recul sur soi, sur le résultat de ses tâtonnements. Un dessin, un morceau de musique ou une pièce de théâtre, chaque production artistique met en exergue non seulement la personnalité de l auteur, mais aussi ses forces et ses faiblesses techniques. Mais, de même avec le principe du levier, là aussi pour l enfant, une mise en perspective de ses fragilités et ses faiblesses peut s avérer difficile. L éducateur peut donc favoriser l évolution de l enfant, en lui permettant de prendre en compte ses «erreurs» et de les considérer comme l occasion d un apprentissage. Il l aide à relativiser ses «tâtonnements» afin d intégrer l expérience dans un projet. Il lui donne l occasion de développer sa capacité d anticiper et de projeter dans l avenir les résultats attendus (même si ceux-ci peuvent être décevants lorsqu il évalue le décalage entre ses attentes et le constat qu il pose sur sa production). Trois processus selon Gardner Réflexion Faire levier Mettre en perspective Processus général Penser sa pratique permet une orientation, un réajustement de son action. Le regard des autres est également un stimulateur de la pensée. Mobiliser ses points forts et les utiliser comme levier renvoie à la notion de résilience. Affronter des problèmes (esthétiques par exemples) c est, d un point de vue créatif, considérer ceux-ci sous de nombreux angles. La possibilité pour un sujet d utiliser ses expériences et ses tâtonnements (essais-erreurs) comme l occasion d un apprentissage est le fruit d un processus : la mise en perspective. Dimension pédagogique La réflexion en collectivité autour de productions (peintures, dessins), peut aider les enfants à construire des repères esthétiques. Afin de mettre en évidence les forces de l enfant, mais aussi ses affinités, il est nécessaire qu il puisse exploiter la richesse (culturelle, matérielle) de son environnement. Par les encouragements et les analyses de l éducateur, les tâtonnements de l enfant peuvent être mis en perspective. C est une manière de «relativiser» et ensuite d intégrer les «erreurs» dans un projet de création. Conclusion Gardner ne parle pas d intelligence créatrice. Mais par contre, dans ses ouvrages, il démontre que la créativité se manifeste par la multiplicité des expériences, et que celles-ci peuvent être des ressources fondamentales pour le développement de l enfant. La créativité fait recours à de nombreuses intelligences, en fonction des domaines et des champs. Plus les expériences mobilisent les compétences et plus l enfant pourra éprouver ses forces et ses limites. Le grand danger d une structure éducative est celui de considérer un point de vue restreint sur

5 - 5 - la notion de créativité et d intelligence. Si d aventure la créativité est vue comme la production d un bel objet, l enfant ne pourra pas réellement explorer et mobiliser ses ressources. Au contraire, la créativité s associe à la notion d intelligence chez Gardner, dans la mesure où cette dernière recouvre en fait plusieurs compétences (ce sont les huit intelligences). Cette conception permet ainsi d organiser des activités et des apprentissages qui touchent à de multiples univers (théâtre, peinture, musique) dont chacun d eux mobilise de nombreuses ressources chez l enfant. Cette mobilisation met ainsi en évidence les forces et les faiblesses, les affinités et les répulsions de l enfant face aux différents domaines auquel il est mis en relation. C est seulement dans la richesse des expériences qu il pourra développer ses compétences et sa créativité. Bibliographie Zarifian, E. (2005). Le goût de vivre. Retrouver la parole perdue. Paris : Odile Jacob. Gardner, H. (2004). Les intelligences multiples. Paris: Retz. Gardner, H. (1999). Les personnalités exceptionnelles. Paris : Retz.