Diviser par deux la consommation d énergie d ici 2050 : réflexions

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1 Diviser par deux la consommation d énergie d ici 2050 : réflexions Février 2005, analyse n 4 Par Jean-Yves Saliez, Négawatt et chercheur-associé à étopia

2 1 Avertissement Le présent document a été élaboré sur base d une communication orale faite lors du forum étopia «Kyoto 1 puis 2 : une chance, pas une contrainte». L exposé est développé en quatre temps : 1. Quelques faits 2. Où peut-on agir? 3. Quel monde pour demain? 4. Ne pas négliger la dimension culturelle! 1 Quelques faits : une croissance planétaire indispensable? C onsom m ation énergétique m ondiale Millions de tep Découverte gisem ents M oyen-orient Aujourd hui l humanité consomme environ millions de tep (tonnes équivalent pétrole). En 2050, si rien ne change, cette consommation pourrait atteindre le double. Pourtant, si nous voulons limiter l impact des activités humaines sur l équilibre du climat tel que nous le connaissons actuellement, il est communément admis qu il faudrait diviser par deux nos consommations actuelles. Autrement dit, au lieu de consommer millions de tep par an en 2050 (scénario si rien ne change), il faudrait en consommer 5 000, soit quatre fois moins. Afin de comprendre où nous pouvons agir, tentons de cerner les trois paramètres-clés qui conditionnent la consommation énergétique planétaire : 1. Croissance démographique 2. Degré de développement (économique) 3. Mode de production et de consommation

3 2 1.1 Premier paramètre : la croissance démographique 1.Croissance dém ographique En 2005,25 % de la population sontdes «consom m ateurs» Nous 6 Il y a 1 milliards d habitants de plus sur terre depuis Aujourd hui, nous sommes 6 milliards. Nous serons 9 milliards en 2050, d après les estimations des Nations Unies. Une bonne nouvelle, en apparence : le taux de croissance de la population mondiale ralentit (de 2 % en 1970 il est à 1,3 actuellement). Mais ce taux s applique à une population beaucoup plus grande : la plus importante génération de l Histoire arrive maintenant (1,2 milliards de personnes ont entre 12 et 19 ans)! Sur les 6 milliards, seuls environ 1,7 milliards sont actuellement des «consommateurs» : ils ont accès aux voitures, télévisions et autres biens de consommation propres au mode de vie occidental. Contrairement à l intuition répandue, une part très importante de ceux-ci se situe en-dehors du monde occidental : 40 % de la consommation se situe en Asie, aujourd hui. Mais demain? Le centre de gravité de l économie pourrait se déplacer vers l Asie. Et le nombre de consommateurs ne peut qu augmenter. On s attend à ce qu il grimpe à 2 milliards de personnes d ici L Europe dans tout cela ne représente plus grand chose (tout en bas du graphique «Nous»). En 2050, ce sera encore nettement moins.

4 3 1.2 Second paramètre : le degré de développement 2.Au plus vite le développem entplanétaire sera atteint, au plus vite la croissance énergétique se stabilisera 7 Vu le développement démographique, un réflexe instinctif pourrait consister à espérer ne pas voir les populations en développent atteindre un niveau comparable au nôtre (encore faut-il s entendre sur la notion de développement ), ou en tout cas retarder le mouvement. Outre que ceci serait inéquitable, le graphique ci-dessus montre que ce serait pire. En effet, au plus l indice de développement humain est elevé, au plus le taux de fécondité diminue. Au contraire, au moins cet indice est élevé au plus la population va continuer à croître. Face à l augmentation galopante de la population mondiale, il nous faut en fait galoper encore plus vite pour permettre à tous d atteindre un niveau de développement humain suffisant et stabiliser le paramètre «nombre d humain à pourvoir en énergie». 8

5 4 Il y a une seconde raison pour laquelle il est nécessaire de promouvoir un développement global pour tous : le gaspillage énergétique est également le fait des pays moins développé, justement du fait de ce retard de développement. Comme le montre le graphique ci-dessus, chaque fois qu une nouvelle zone géographique opère son développement économique nouveau se produit, il se fait en atteignant plus vite son maximum de consommation énergétique pour la production d une unité de richesse économique, pour décroître ensuite et devenir de plus en plus performant sur le plan de la productivité énergétique. De tout ceci on est tenté de conclure qu il faut accélérer le développement économique. Oui mais oui mais les prévisions indiquent que bientôt le Sud dépassera le Nord. Ceci est illustré ci-dessous en matière de transports. En 2060, 75 % des tonnes-km seront au Sud. En 2050, le PNB du Brésil+Russie+Inde +Chine > G6. Ceci explique peut-être cela : une certaine mauvaise volonté du monde dit développé à soutenir le Sud dans ses démarches de développement. Sous produitdu développem ent: Bientôt(vers 2020),le Sud dépassera le Nord Troisième paramètre : la croissance, peut-être, mais sous quelle forme? Notons d emblée que nos modes de production et de consommation doivent être remis en cause, vu leur inefficience manifeste. Pour ne prendre qu un exemple, la production d une tonne de voiture, génère 8 tonnes de déchets. Cette perte de productivité a un impact sur les ressources mais aussi en terme de consommation d énergie : que de matières manipulées et transformées pour terminer en déchets! Et que dire du système de production alimentaire, dans lequel une part croissance d énergie fossile ne cesse d être injectée!

6 5 3.M ode de production & consom m ation Organisation de la production Les ingrédients d un yaourtaux fraises cum ulent3500 km 90 % de la matière que nous consom m ons ne finitjam ais sous forme de produit vendable. 1 tonne de voiture génère 8 tonnes de déchets. Un am éricain consom m e 100 kg de matière parjour Aux USA,ilfaut35 GJ d énergie fossile pourproduire 3,6 GJ d énergie sous forme d alimention (besoins annuels d un hum ain) Choix de consom m ation Toutce quiestproduitestconsom m é parquelqu un Ily a 5 kg de pétrole dans 1 kg de boeuf 10 Autre exemple quant à l inefficience de nos modes de production : l organisation de nos villes. Un habitant de Los Angeles dépense 6 fois plus d énergie pour son transport qu un parisien ou un londonien. Est-il plus heureux pour autant? Pas sûr Surtout que cette différence est essentiellement due à la manière d organiser l espace, et n implique pas nécessairement une modification/diminution de qualité de vie. Rester deux heures par jour dans sa voiture apporte-t-il bonheur et longévité? 50 % de la population mondiale vitdans des viles Presque toute la croissance de la population sera urbaine 11

7 6 2 Alors, où peut-on agir? Où peut-on agir? Croissance démographique : inévitable Développement planétaire : au plus vite, au mieux Mode de production et de consommation : innover! Des trois paramètres ci-dessous, seul le troisième est à considérer : l organisation de nos modes de consommation et de production est à réinventer profondément. Faut-il entrer en décroissance (économique) pour autant? Le débat est ouvert. On peut cependant douter d un modèle dans lequel la croissance économique serait arrêtée à court terme. Dans un tel contexte, l innovation est plus difficile, le progrès environnemental devient difficile (donc la conversion de l économie ne se fait pas), les progrès sociaux sont mis en cause et l instabilité géo-politique est plus grande. Bref, le risque de chaos dans un monde en réorganisation semble plus grand si le gâteau se réduit que si le gâteau grandit encore un peu. Le gâteau devra sans doute se réduire, mais cela n est peut-être pas nécessaire ni utile de le faire tout de suite. La croissance économique peut-elle être infinie? Rien n est moins certain. Faut-il pour autant revendiquer dès aujourd hui une forme de décroissance? Depuis le développement du chômage de masse dans les années 70, la critique du productivisme a perdu de sa vigueur. Toute activité économique est devenue bonne à prendre. On sait que le simple ralentissement de la croissance plonge nos sociétés dans le désarroi en raison du chômage et de l abandon des programmes sociaux, culturels et environnementaux, qui assurent un minimum de qualité de vie. On peut imaginer quelle catastrophe serait un taux de croissance négatif! De même qu il n y a rien de pire qu une société du travail sans travail, il n y a rien de pire qu une société de croissance sans croissance. Et réorienter l appareil de production pour consommer 4 à 10 x moins de ressources demande des investissements considérables, non disponibles en période de récession. A la vision d une société en croissance perpétuelle, les «simplifieurs» proposent une alternative : «moins de bien, plus de lien». «Le Simplifieur» revendique pouvoir travailler moins, vouloir moins, dépenser moins et être plus heureux Ce mouvement né aux USA dans les années 80, compte entre 10 et 80 millions de personnes suivant les estimations. Seraient-ils les précurseurs du monde de demain? Mais trêve de débat idéologique, le plus important aujourd hui à court terme, c est finalement d orienter la croissance pour qu elle soit utile au monde de demain.

8 7 3 Quel monde de demain? Cap sur2050 Rien n estplus constant(etim prévisible)que le changem ent La question critique à Londres en 1900 était le crottin de cheval. En 1910 les voitures étaientdevenues monnaie courante 15

9 8 3.1 Et si on voulait vraiment diviser notre consommation énergétique par deux d ici 2050, cela serait-il possible? La loi des petits chiffres qui ont des grands effets le prouve : à condition de faire de nombreuses fois un petit effort, on peut y arriver. Mais ce sera difficile : améliorer le productivité énergétique de l ordre de 4 % par an (faisant l hypothèse critiquable du maintien d une croissance économique moyenne de 1,5 % par an). A quelrythm e faut-ildécarboniserl économ ie? La loides Effetd'une petits chiffres décarbonisation quiontdes de grands 4 % paraneffets ,5 % /an Réduction de la dem ande ,7 % /an Production Comment peut-on y arriver? D ici 2050, une stratégie en 4 étapes peut être développée. Elles ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent se chevaucher dans le temps. Chaque étape suit cependant la loi du moindre effort : faire ce qui est facile avant ce qui est plus difficile (parce qu il n y a plus d autre choix), ce qui semble guider la marche du Monde. Pour commencer, «YAKA» éviter les consommations qui ne modifient en rien l appareil de production et de consommation (sobriété énergétique). Ensuite, «YAKA» investir dans l efficacité énergétique (efficacité énergétique - innovation technologique). Mais ceci a des limites. Très rapidement il faudra s attaquer à l organisation de nos modes de production d abord, de consommation ensuite. Enfin quant tout ceci sera réalisé, nous n aurons plus d autre choix que de songer à la sobriété énergétique. A moins bien sûr que d ici là de nouvelles sources énergétiques, de nouvelles innovations technologiques ou sociales n aient modifié la donne au point de ne plus nécessiter de diminution des consommations énergétiques.

10 tech existante 9 Alternatives au m ythe de l abondance énergétique Sobriétéénergétique R éduction de la consom m ation énergétique 2.Efficacité énergétique 3.Efficacité de production etde consom m ation 4.Sobriété de consom m ation Bouquetde production Nous le savons tous : le potentiel d économie d énergie est considérable mais pas mis en œuvre : Etude Negawatt France : 2/3 de la consommation en 2050 peut être évitée et divise les émissions de CO2 de 2000 par 2 Etude du Frauhofer Institute Belgique : -12 % entre 2000 et 2020, au lieu de +16% Etudes similaires en F, D, CH, NL, UK, USA. 1 Un exemple simple est celui de la voiture : seulement 1,5 % de l énergie consommée sert à déplacer le conducteur. Le reste est perdu en pertes au niveau du moteur et des transmissions, en réchauffement des pneus, de l air et des plaquettes de frein (plus d infos dans le livre Facteur 4 ou ). 100 = 10 Voiture :1,5 % sertà déplacerle conducteur 19 Il en est de même dans la production industrielle : alors que 100 unité d énergie sont injectées dans le système, seuls 10 servent réellement à fabriquer ce que l on souhaite.

11 10 Pourtant, il est possible de faire beaucoup moins, en étant un peu plus intelligent au niveau de la conception. Il y a une bonne nouvelle : économiser l énergie, réorganiser le système de production est rentable (mais cela ne se sait pas)! Et ceci commence même à être reconnu aux Etats-Unis. Voir le Rapport Winning the Oil End Game ( : 180 milliards de dollars d investissements sur les dix prochaines années permettraient d alléger la facture énergétique de 130 milliards par an en En région Wallonne, 2 milliards d investissements sur 10 ans permettraient d économiser 8 milliards de dépenses énergétiques! 3.3 Si on regarde par secteur, où sont les défis? Sans nier que chacun a sa pierre à apporter à l édifice, notons tout de même qu une part très importante d amélioration se situe dans les logements et les transports, donc dans nos comportements et décisions individuels. Industrie : - 20 %. Aller plus loin est possible via une nouvelle conception des procédés de fabrication. Moins de matières, plus de recyclage. Bâtiments : très grand potentiel d amélioration : - 70 % dans les logements neufs Transports : - 50 % : alléger! moteurs hybrides, transports publics, ferroviaires et fluviaux. Dans les transports, c est peut-être là que résident les plus grands défis. Faire évoluer les transports, en regard des prévisions de croissance planétaires, peut avoir un impact positif déterminant sur le futur. Développer des véhicules ultra-légers, à partir de nouveaux matériaux est un défi stratégique et porteur de développement économique au sens classique du terme. Création-destructrice : le développement des technologies-clés de demain : véhicules ultra-légers matériaux ultra-légers biomatériaux Les gagnants d aujourd hui, sans innovation, sont les perdants de demain : des 12 entreprises composant le Dow Jones à l origine, il n en reste plus qu une (General Electric). 3.4 En conclusion Si on tente d imaginer le monde de demain, en tenant compte de l équation énergétique, on peut avancer les hypothèses suivantes : - de consommation énergétique = + d économie et d emploi Concevoir intelligemment : pour l usage réel, de manière à rendre la production économe (écologie industrielle) Réparer plus que jeter et acheter Louer des services plutôt que vendre des biens Organiser le territoire pour optimiser l usage de l énergie

12 11 Fin de la sous-traitance des transports Alimentation et agriculture : produire sous les bons climats, manger les produits locaux et de saison, beaucoup moins de viande Bâtiments passifs (solaires) évitant la climatisation Choix des matériaux en fonction de leur contenu énergétique Etiquetage énergétique généralisé et compris 4 Ne pas négliger la dimension sociale et culturelle pour atteindre l objectif La culture est un moteur puissant, mais aussi un frein. Actuellement, elle ne favorise pas les changements requis! Message d alerte : «L amélioration de l efficience a presque toujours été dépassée par l augmentation du volume!». Une part assez importante des changements à faire repose sur des dimensions culturelles, qu il est bien difficile d influencer. Tout le monde qu il est dans la moyenne et déjà efficace. L observation des faits montre qu il n en est rien. Mais les croyances ont la peau très dure : Nous sommes déjà efficaces Economiser de l énergie coûte cher et demande de réduire ses besoins Ce qui existe est bien Augmenter la production et la consommation sont plus rentables que les économies de consommation L avenir dépend d abord d une évolution des mentalités (et des comportements) et ensuite d une rupture technologique Du concrettoutde suite! C onduire une «auto»-mobile de manière souple etnon agressive permetd économ iser 20 à40 % de carburant Fin

13 12 Bibliographie Cette présentation a été réalisée en utilisant un nombre d information et d illustrations provenant des sources suivantes dans un but d intérêt général et non rémunéré : Alternatives Economiques, Hors Série n 63, 1 trimestre 2005, Le développement durable L Ecologiste, 12/2004 La jaune et la rouge, revue mensuelle de la société amicale des anciens élèves de l Ecole Polytechnique, août-sept 2004, n 597, Energie et Environnement La Revue Durable, 12/2004, Briser un tabou : réduire la consommation Le Monde Diplomatique, 01/2005 Bernard, Cheynet, Clémentin, 2003, Objectif Décroissance Von Weizsacker, Lovins, Lovins, 1997, Facteur 4