A la recherche de la dimension d accompagnement dans l usage des projets individualisés en foyer d hébergement
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- René Normandin
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1 Collège Coopératif Rhône-Alpes A la recherche de la dimension d accompagnement dans l usage des projets individualisés en foyer d hébergement Vers de nouvelles pratiques professionnelles auprès de personnes présentant une déficience intellectuelle Mémoire déposé en vue de l obtention du Diplôme Supérieur en Travail Social D.S.T.S. Directeur de recherche : Présenté par : Monique Chauliac Pascale Monat-Gourbin LYON 2005
2 SOMMAIRE Avant-propos INTRODUCTION GENERALE p.2 PREMIERE PARTIE p.9 Chapitre 1 Vers une prise en charge humanisée et individualisée des personnes en situation de handicap Du XVIIIème siècle à aujourd hui, la dénomination de la déficience intellectuelle p La législation, indication d une prise en charge humanisée et organisée p Dans les institutions, du projet collectif au projet individuel p.20 Chapitre 2 Au Foyer de l Ile Barbe : une mise en place difficile du projet d accompagnement personnalisé L organisation du foyer de l Ile Barbe, le souci du bien-être des résidants p L émergence de projets individuels avant l arrivée du projet d accompagnement personnalisé p Des questions en suspens lors de la mise en place du projet d accompagnement personnalisé p.30 Chapitre 3 Quand l usage du projet d accompagnement personnalisé semble s inscrire dans des pratiques de prise en charge Quand le projet d accompagnement interroge les pratiques p Entre pratiques de prise en charge et celles d accompagnement : une question de place p La perte de la dimension d accompagnement dans l usage du projet p.41 Conclusion p.44
3 DEUXIEME PARTIE p.45 Chapitre 1 La construction de l enquête : des choix méthodologiques Définir l objet et les sujets de l enquête p Choisir une méthode d enquête : l entretien p Choisir un terrain d enquête : Le foyer de Domagne p La population d enquête : des professionnels volontaires p La réalisation de l enquête p Le traitement des données issues de l enquête p.53 Chapitre 2 Des finalités d autonomie et de bien-être et des pratiques éducatives de stimulation, de présence et de cadrage Des finalités qui se déclinent en missions et valeurs, en buts et en besoins p Des finalités en terme de fonction éducative : des missions et des valeurs p Des finalités en terme de visée p Des finalités en terme de réponse à des besoins p Les paroles sur des pratiques en termes de stimulation, de présence et de cadrage p Stimuler et conseiller p Etre présent et à l écoute p Gérer, cadrer et vérifier p.65 Chapitre 3 Les limites du projet d accompagnement individualisé inscrites dans des habitudes de pratiques L intérêt porté au projet d accompagnement individualisé : c est un outil indispensable p L usage du projet d accompagnement individualisé : c est le projet de l éducateur pour les personnes p Les limites à l usage du projet d accompagnement individualisé se constituent dans les pratiques éducatives p.80 Conclusion p.85
4 TROISIEME PARTIE p.86 Chapitre 1 «Il y a peut-être des habitudes de pratiques à changer» L usage du projet d accompagnement individualisé : une pédagogie de l adaptation p Quand l usage du PAI s inscrit dans une logique de suppléance et de fonctionnement collectif p Le frein à la dimension d accompagnement dans les projets : une question de respect et de place p.94 Chapitre 2 Au foyer de l Ile Barbe, la perte de la dimension d accompagnement dans l usage des projets : un changement en question dans les pratiques L usage du projet d accompagnement personnalisé : apporter des réponses à des besoins ou la pratique de la pédagogie de l adaptation p Une moindre prégnance de la référence à la vie de groupe dans les pratiques p Une interrogation quant à un possible changement de regard sur nos pratiques p Un manque de considération à l égard des résidants dans l usage du projet p Les ressorts dans les pratiques d accompagnement p Questionner un changement dans les pratiques p.104 Chapitre 3 Pour donner sa dimension d accompagnement au projet individualisé en foyer d hébergement : vers de nouvelles pratiques Distinguer les pratiques d accompagnement des pratiques de prise en charge p Inscrire le projet individualisé dans des pratiques d accompagnement p Faire du projet un espace de sécurité, de la différence à l altérité p Faire du projet une copropriété p Faire du projet une recherche de sens permanente p Vers un fonctionnement collectif plus démocratique p.114 Conclusion p.117 CONCLUSION GENERALE p.118 Références bibliographiques p.123 Bibliographie générale p.126 Sommaire des annexes p.129
5 1 Avant-Propos Depuis l obtention du diplôme d éducatrice spécialisée à l âge de 23 ans, la majeure partie de mon expérience s est déroulée auprès de personnes présentant une déficience intellectuelle, que ce soit en foyer d hébergement ou en appartements collectifs. Durant treize ans dans un même foyer, celui de l Ile Barbe, à Caluire, j ai partagé leur quotidien, et finalement, j entrais dans leur vie privée. Je faisais partie d une équipe, dans laquelle, il me semble, nous remettions régulièrement en question nos pratiques. J assurais, en parallèle, des vacations en tant que formatrice auprès de stagiaires moniteurs-éducateurs, à l ADEA, à Bourg en Bresse. J ai toujours accordé une place à la réflexion et à la formation dans mon parcours professionnel, c est pourquoi, tout en travaillant, j ai repris des études, à l université, et ai obtenu une licence en Sciences de l éducation. N ayant pas achevé la maîtrise, souhaitant me consacrer à une première maternité, j ai souhaité reprendre un parcours d études, plus orienté professionnellement. Le Diplôme Supérieur en Travail Social semblait correspondre à mon projet d accéder à une fonction de formatrice. Finalement, au début de la troisième année de formation, j ai quitté mon poste d éducatrice, pour occuper pleinement celui de formatrice. Mon questionnement prend sa source dans mon expérience d éducatrice, questionnement abondant, et concernant, d une façon ou d une autre, les modalités d accompagnement des personnes accueillies en foyer, et je crois, plus précisément, l espace que nous laissons aux résidants dans cet établissement, pour mener leur vie. Par ce travail de recherche, centré sur l usage des projets individualisés, je souhaitais contribuer à une amélioration des conditions d existence de ces personnes, but probablement ambitieux, mais que je continue de poursuivre dans ma nouvelle fonction, auprès de futurs professionnels qui seront amenés à travailler dans les foyers.
6 2 INTRODUCTION GENERALE Travailler en institution, et y vivre : deux réalités différentes pour des personnes qui partagent un temps commun. Réalités d un foyer d hébergement, où les uns composent le personnel éducatif, et où les autres sont les habitants, les résidants 1 de ce lieu. A partir de notre expérience en tant qu éducatrice spécialisée, dans ce type d établissement, et aujourd hui formatrice auprès de futurs professionnels, nous nous intéressons aux modalités d accueil et d accompagnement des personnes présentant une déficience intellectuelle, orientées dans ce lieu. Alors en poste au foyer de l Ile Barbe, à Caluire, institution gérée par l Association Lyonnaise de Gestion d Etablissements pour personnes Déficientes 2, nous constations une évolution dans l accompagnement éducatif des personnes accueillies. Tout d abord, l usage de certains termes a disparu laissant place à d autres ; par exemple, nous ne parlons plus de jeunes mais de résidants, plus de grands enfants mais d adultes, nous parlons moins de handicapés mais plutôt de personnes handicapées. De plus, certaines questions sont devenues de véritables objets de réflexion, en ce qui concerne la sexualité par exemple, inabordable quinze ans en arrière, voire tabou, cette notion est aujourd hui intégrée à 1 résidant avec un a selon l orthographe correspondant à la définition du dictionnaire, résident avec un e correspondant à celui qui réside dans un pays étranger à son pays d origine. 2 Dorénavant nous utiliserons le sigle ALGED
7 3 l ensemble de la réflexion sur les pratiques. La question de l autonomie est, en revanche, moins au centre des réflexions dans la mesure où elle s est peu à peu inscrite comme la finalité de l accompagnement, elle est devenue le leitmotiv dans l action sans que ce terme soit pour autant défini. La transformation de l habitat au sein du foyer nous donne aussi des indications d évolution. Il n existe plus de grands groupes, pour un total de soixante-six personnes il y a huit lieux de vie qui tendent à proposer une chambre individuelle avec, parfois, douche et télévision. Quant à la pratique des projets, nous avons vu progressivement émerger des projets individuels, sans pour autant supplanter les projets de groupe. Nous pouvons ainsi qualifier cette évolution d un passage de la prise en charge d une collectivité indifférenciée à celle, plus individualisée, de personnes ayant des besoins spécifiques. Ce passage bouleverse quelque peu les pratiques des éducateurs. Ce n est effectivement pas si simple, car nous sommes dans un cadre institutionnel, avec son organisation, ses règles de fonctionnement et la philosophie associative qui s y rapporte. Si ce passage apparaît comme positif, il ne signifie pas pour autant une prise en compte des caractéristiques individuelles. La plupart des personnes accueillies au foyer arrivent après un parcours déjà institutionnel, Institut Médico-Educatif, Institut Médico-Professionnel, parfois en externat logeant chez leurs parents, parfois en internat souvent pour des raisons d éloignement géographique de la famille. Ont-ils eu le choix, à l âge adulte, de leur lieu de travail et de leur lieu d habitation? Pour la grande majorité, la réponse est non. Nous connaissons la difficulté d obtenir une place dans un foyer, les listes d attente sont longues. Ainsi, avoir le choix d un foyer relève souvent de la chance. D autre part la solution de placement est souvent la demande des parents, étant à entendre comme ultime décision face à la difficulté, pour ces familles, de s occuper au quotidien de leur enfant devenu adulte. Il existe des situations, certes rares, où les personnes ont choisi d aller en foyer, et certaines ont obtenu une place dans l établissement qu elles souhaitaient.
8 4 Que les résidants aient décidé ou non d arriver là, une fois dans l institution quel espace ont-ils pour mener leur propre mode de vie? Nous constatons que leurs choix sont bien restreints en matière de vie affective, par exemple, ou de leurs sorties, ou bien même de l heure à laquelle ils mangent. Dans nos pratiques éducatives quotidiennes au foyer, auprès de onze résidants, dans la structure les Glycines ou structure semi-autonome selon l ancienne appellation, c est une de nos préoccupations de réfléchir à cet espace. Nous essayons d offrir des choix, dans les détails du quotidien, alors qu il est bien plus facile de leur imposer notre façon de voir et de faire, et ce, parce qu ils sont bien peu revendicatifs et tellement habitués à accepter, voire, oserons-nous dire, à se soumettre. Cette question de l espace du choix vient se renforcer avec l arrivée de la loi du 2 janvier , loi de rénovation de l action sociale et médico-sociale. En effet, dans un premier temps ce texte nous apparaît très positif sur les conditions de prise en charge des usagers de l action médico-sociale. La loi réaffirme leurs droits, a le souci de l évaluation des institutions, instaure des outils d accompagnement, met l accent sur la nécessité de participation des usagers au dispositif de prise en charge. Dans un deuxième temps, ce texte nous amène à une réflexion un peu plus critique. Cette nécessité de recourir à la loi pour réaffirmer des droits interroge les professionnels. Quand une évidence est ainsi rappelée c est qu elle ne fait plus évidence pour tous, avec un risque d amener à distinguer des droits de l homme d une part et des droits des usagers d autre part, c est à dire à distinguer des individus différents, ne bénéficiant pas des mêmes droits fondamentaux. Notre regard, sur ce texte de loi, porte plutôt sur les outils d accompagnement qui visent à une plus grande participation des usagers. Pour les foyers d hébergement, il est créé un livret d accueil, contenant un contrat de séjour et un projet d accompagnement individualisé, et le conseil d Etablissement déjà existant devient conseil de la vie sociale. Du côté des résidants, ces éléments s imposent à eux sans qu ils puissent rien en dire et parfois même, rien en juger en raison de leurs limites intellectuelles. Le fait qu ils signent leur contrat de séjour ne signifie 3 Extrait de la loi du 2 janvier 2002placé en annexe
9 5 pas qu ils le comprennent, ni qu ils sont d accord avec les clauses, ce qui pose la question de la valeur de ce document et de son utilité vis à vis de l objectif de leur plus grande participation. Nous pourrions imaginer des temps où les usagers seraient formés à la compréhension et à l usage de ces nouveaux outils, nous y reviendrons au terme de ce travail de recherche. Le projet individualisé existait déjà dans les établissements pour les enfants et adolescents, depuis un décret de Si la pratique en était courante aussi auprès des adultes, dans certains foyers, avant l arrivée de la loi de janvier 2002, ce n était pas le cas au foyer de l Ile Barbe. Pendant quatre ans l ensemble de l équipe éducative, et des cadres de l institution, après avoir bénéficié d une formation au projet individualisé, appelé projet d accompagnement personnalisé au foyer de l Ile Barbe, a travaillé à construire un support-projet 4. C est un document écrit relatif à ce qui a semblé, à l équipe, judicieux de faire apparaître ; ainsi, se déclinent les désirs du résidant, les constat et hypothèse de l équipe éducative, les besoins des personnes et les réponses à y apporter. Si nous nous sommes préparés pendant plusieurs années, les résidants, eux, n ont été informés de l usage de cet outil que quelques jours avant la mise en place. Quand celle-ci a débuté, nous avons été confrontés à quelques difficultés. Dans la structure des Glycines, nous constatons que pour certains résidants le terme de projet est synonyme de départ du foyer ou plus précisément de vivre en appartement, et nous avons tenté de donner quelques explications. Nous avons pris conscience qu il n était pas aisé, pour nous, d expliquer ce que recouvraient les termes projet et projet d accompagnement personnalisé, le travail préalable, n avait pas permis de faire émerger une signification commune. Nous nous trouvons en difficulté face à l incompréhension du support-projet par les résidants, et en même temps il y a une pression de la part des cadres de l institution pour appliquer la procédure. Les réunions de l ensemble du personnel éducatif donnent l occasion d échanger, sans pour autant clarifier ce qui pose vraiment problème. 4 placé en annexe
10 6 L individualisation de la prise en charge, l espace du choix, la participation de l usager, trois préoccupations qui traversent la loi du 2 janvier 2002 et traversent aussi la manière de mettre en place le projet d accompagnement personnalisé. Le constat général est que nous nous trouvons en difficulté pour utiliser cet outil, alors nous lui accordons de l importance. Ce qui nous a amené à poser notre question centrale en ces termes : Qu est-ce qui rend difficile l usage du projet d accompagnement individualisé, dans les pratiques éducatives, en foyer d hébergement? Nous avons noté qu un manque était ressenti par l équipe éducative, quant à l élaboration d un sens, en termes de signification et d orientation, à donner à ce nouvel outil. Nous découvrirons, par une approche des termes contenus dans projet d accompagnement individualisé et personnalisé, et à l appui d un ouvrage de J.P.Boutinet 5, que ce n est pas un projet de vie, c est l accompagnement qui est objet du projet. Ce premier éclairage nous conduira à explorer les pratiques éducatives, laissant apparaître la nette distinction à opérer entre prise en charge et accompagnement, entre faire à la place de l autre et lui faire de la place, ceci en nous basant, entre autres, sur une approche de l éducation de Philippe Meirieu 6. Nous ancrons dès à présent, notre recherche dans le champ des Sciences de l éducation, dont le projet est «d élaborer des modèles prenant en compte des variables de natures diverses et capables, tout à la fois, de nous permettre de comprendre la réalité éducative dans sa complexité et de nous donner à agir sur elle dans la conscience la plus claire possible des enjeux.» 7 C est bien la question de la place dans la relation éducative que nous nous proposons d éclairer. En confrontant les définitions retenues et des éléments de pratiques éducatives, avec l usage des projets au foyer de l Ile Barbe, nous notons que celui-ci repose sur un repérage des besoins, laissant peu de place à la parole du résidant. Nous pouvons illustrer ce propos avec M.G, résidant du foyer, qui a émis à plusieurs 5 J.P.Boutinet à partir de l ouvrage «Anthropologie du projet» 6 P.Meirieu à partir de l ouvrage «Frankenstein pédagogue» 7 P.Meirieu, M.Develay «Emile, reviens vite ils sont tous fous», p.45
11 7 reprises, le désir de changer de lieu de vie. Cependant, nous avons élaboré son projet autour d objectifs visant à investir de façon plus importante sa chambre actuelle, et ce parce que nous considérions que c était ce dont il avait besoin, et que nous ne voyions pas l intérêt pour lui de changer de groupe. Son désir est resté vaine parole. La conception, la mise en œuvre, les décisions, reviennent au personnel éducatif. Pourtant, à l appui des propos de J.Rouzel 8, nous verrons que nous pouvons définir le projet comme devant être issu de la projection de la personne elle-même. L ensemble de cette réflexion nous a conduit à émettre l hypothèse suivante : Parce qu il s inscrit dans des pratiques de prise en charge, l usage du projet individualisé, par les professionnels, en foyer d hébergement, perd sa dimension d accompagnement. Pour éprouver la validité de cette hypothèse, nous avons réalisé une enquête auprès du personnel éducatif, d un autre foyer d hébergement, aux caractéristiques similaires, afin de nous distancier de notre objet de recherche. Nous découvrirons, ainsi, le foyer de Domagne, à Ceyzériat, dans le département de l Ain, lieu de notre enquête. Les résultats ainsi obtenus feront l objet d une analyse au regard de notre hypothèse, d où découleront des axes de réflexion sur de possibles changements dans les pratiques professionnelles. Dans cette démarche, nous ferons référence à différents auteurs, outre Philippe Meirieu et Joseph Rouzel, déjà cités, nous emprunterons des éléments de réflexion à Henri-Jacques Stiker 9, à Jean Vassileff 10, et en dernière partie, à Cornelius Castoriadis 11. Ce travail de recherche s ancre dans une histoire, celle de la prise en charge des personnes en situation de handicap, dans une réalité quotidienne, celle du foyer de l Ile Barbe et dans un questionnement sur la difficulté de mettre en place les projets d accompagnement individualisés. C est pourquoi, dans une première partie, nous proposons de développer, d abord des aspects historiques, législatifs et 8 à partir de l ouvrage «Le travail de l éducateur spécialisé» 9 à partir de l ouvrage «Corps infirmes et sociétés» et de sa collaboration à la revue Esprit de décembre 1999, article Quand les personnes handicapées bousculent les politiques sociales 10 à partir de l ouvrage «La pédagogie du projet en formation» 11 à partir de l ouvrage «L institution imaginaire de la société»
12 8 institutionnels de la prise en charge, ce qui nous amènera à comprendre l évolution vers une prise en charge plus individualisée et l émergence de projets individuels. Ensuite, nous présenterons la réalité quotidienne du foyer de l Ile Barbe, avec l arrivée du projet d accompagnement personnalisé, ce qui nous permettra de cerner le contexte d émergence de notre question. Nous terminerons cette partie sur l ensemble des éléments conceptuels nous permettant d appréhender notre hypothèse. Dans une deuxième partie, nous proposons d exposer l ensemble de l enquête, avec en premier lieu la méthodologie retenue, qui s achèvera sur le traitement des données recueillies auprès de membres du personnel éducatif du foyer de Domagne. A partir d une analyse thématique, nous restituerons des éléments de ce discours, sur les finalités du travail éducatif, d une part, sur les pratiques, d autre part, nous permettant alors de concevoir une typologie de celles-ci. En dernier lieu, nous ferons apparaître ce que les professionnels interrogés ont pu exprimer sur l usage du projet d accompagnement individualisé, nous acheminant ainsi vers un premier constat. Dans une troisième partie, nous proposons d analyser les résultats de l enquête au regard de notre hypothèse, nous autorisant à la valider, et nous verrons, à la compléter. Nous retournerons, alors, dans le contexte d émergence de la question, le foyer de l Ile Barbe, afin d y repérer la pertinence du nouvel éclairage et la transformation, finalement, du questionnement. A partir de là seulement, dans un dernier temps, nous serons en mesure de proposer des pistes de réflexion, tout en considérant notre nouvelle fonction de formatrice et en lien avec l ensemble de l analyse. Il est temps, à présent, de s aventurer sur le chemin de l apprentie chercheuse que nous sommes, en ouvrant sur des éléments d histoire, qui amènent à cerner la situation actuelle.
13 9 Première partie Le dispositif d aide aux personnes en situation de handicap, aide financière et humaine, est désigné par le terme de prise en charge, c est pourquoi nous en ferons usage. Pour que ce dispositif existe, il a fallu que des personnes, à un moment donné, soient reconnues comme devant bénéficier d une aide. Dans un premier chapitre, nous proposons une approche historique des termes désignant une déficience intellectuelle et des textes de loi amenant une prise en charge organisée et humanisée. Nous finirons sur la mise en projet de la prise en charge institutionnelle, tout en constatant l individualisation de celle-ci. Le deuxième chapitre sera consacré au foyer de l Ile Barbe dans lequel nous exerçions. Cette présentation nous permettra de voir comment s instaure l aide aux personnes dans ce cadre institutionnel, comment elles y vivent et comment le personnel éducatif travaille. Nous verrons l émergence des projets individuels ainsi que la mise en place du projet d accompagnement personnalisé, suscitant débat et questions, et s avérant difficile. C est ce qui est au centre de notre questionnement. Le troisième chapitre concernera une approche conceptuelle du projet d accompagnement individualisé et personnalisé, et des pratiques éducatives, entre accompagnement et prise en charge. Ancré dans le champ des Sciences de l éducation, l ensemble de la réflexion permettra de mieux appréhender l hypothèse que nous avons émise.
14 10 CHAPITRE 1 Vers une prise en charge humanisée et individualisée des personnes en situation de handicap La désignation et la classification des handicaps peuvent paraître enfermantes pour les personnes concernées, pourtant elles ont permis d organiser et d humaniser la prise en charge de ces personnes. Des textes de loi et des déclarations sont venus concrétiser cette volonté, des institutions spécifiques pour personnes présentant une déficience intellectuelle ont émergé, avec des projets à l appui. Depuis quelques années la prise en charge est plus individualisée, la tendance est à reconnaître les caractéristiques propres à chaque personne, des projets plus individuels s instaurent. C est l ensemble de ce contexte que nous proposons maintenant de visiter Du XVIIIème siècle à aujourd hui, la dénomination de la déficience intellectuelle Au cours de ces années, nous avons pu constater, et nous constatons encore, combien la dénomination déficience intellectuelle est méconnue par ceux qui ne sont pas directement concernés par la question. Lorsque nous parlons de surdité ou de mal-voyance, par exemple, l opinion publique sait de quel type de déficience il s agit. Lorsque nous expliquons que nous travaillons auprès de personnes présentant un handicap mental, les questions fusent révélant une méconnaissance. L atteinte physique ou sensorielle, nous pouvons nous la représenter par le corps, alors que celle de la fonction intellectuelle demeure loin de l expérience du corps, tout comme la maladie mentale à laquelle elle est encore confusément associée. Pour beaucoup encore déficience intellectuelle est anormalité et folie. Pourtant, dans l histoire, c est à partir de la distinction entre déments et idiots à la fin du XVIIIème siècle, que s est développée la connaissance de cette déficience. Auparavant, l Hôpital général, créé en 1656, enfermait indifféremment des réprouvés, «en 1778, le plus grand de ces hôpitaux généraux en France, la Salpêtrière, abritait 8000 personnes, sous un régime mi-pénitenciaire, mi-
15 11 charitable. On y envoyait pêle-mêle les indigents, les chômeurs chroniques, les paresseux et incapables, les vieillards sans ressources et sans famille, les libertins, les prostituées, les escrocs, les délinquants et criminels, les fous» 12. En 1793, Philippe Pinel, reconnu comme fondateur de la psychiatrie, arrive dans l un de ces hôpitaux, et c est lui qui va opérer une première distinction parmi tous ces enfermés, entre fous et criminels. Ensuite un autre médecin, élève de Pinel, Jean Etienne Esquirol introduit une distinction parmi les fous entre aliénés et débiles, avec les termes de démence et idiotie ; puis celle-ci est distinguée de l imbécillité et toutes deux découpées en trois niveaux. J.E.Esquirol donne cette définition de l idiotie : elle «n est pas une maladie, c est un état dans lequel les facultés intellectuelles ne se sont jamais manifestées, ou n ont pas pu se développer assez pour que l idiot ait pu acquérir les connaissances relatives à l éducation que reçoivent les individus de son âge et placés dans les mêmes conditions que lui. L idiotie commence avec la vie ou dans cet âge qui précède l entier développement des facultés intellectuelles et affectives ; les idiots sont ce qu ils doivent être pendant tout le cours de leur vie». 13 Au cours de cette période, le pouvoir médical devient important, celui-ci «notamment par la voie du médecin de famille, d une part, et par la domination sans conteste de ce nouvel espace asilaire, d autre part, s installe définitivement en cette fin du XVIIIème siècle.» 14 Aussi les déments et les idiots «sont à partir de maintenant entièrement tombés sous le contrôle de l ordre médical» 15. C est ainsi que l expérience effectuée auprès de l enfant sauvage de l Aveyron, en 1800, fut confiée à un jeune médecin, Jean Itard, et ce, alors que P.Pinel se détournera de ce cas considérant l enfant Victor 16 comme un «idiot incurable». 17 Au cours du XIXème siècle, certains vont essayer de donner leurs propres degrés de l idiotie, comme Voisin qui repère des formes légères de déficiences 12 R.Misès, R.Perron, R.Salbreux «Retard et troubles de l intelligence de l enfant» p.9 13 cité dans R.Misès, R.Perron, R.Salbreux id op cit p H.J.Stiker «Corps infirmes et sociétés» p H.J.Stiker id op cit p Prénom donné par Itard, voir p.36 dans «Victor de l Aveyron» 17 J.Itard «Victor de l Aveyron» p.x de la préface par F.Dagognet
16 12 intellectuelles, Bourneville qui ne distingue que deux degrés pour l idiotie et l imbécillité, Seguin qui décrit les arriérés ou retardés comme bien différents des idiots. 18 Mais ces approches ne représentent que peu d intérêt supplémentaire vis à vis de la définition de J.E.Esquirol. En 1882 est instaurée l obligation scolaire pour les enfants de 6 à 12 ans. Même si ce n était pas le but, cette obligation va permettre de repérer des enfants ayant des difficultés d apprentissage scolaire. Alfred Binet, psychologue, directeur du laboratoire de psychologie de la Sorbonne, est chargé du problème de l évaluation de l intelligence. Ainsi, avec T.Simon, il crée l échelle métrique de l intelligence en Les tests psychométriques de Binet et Simon fondent, à partir de là, et pour longtemps, la distinction entre débilité légère, moyenne, et profonde, rapportant chacune à un quotient intellectuel ou QI. Cet outil permet alors d identifier les enfants n ayant pas le niveau scolaire. La loi du 15 avril 1909 instaure des classes de perfectionnement pour enfants arriérés, dans lesquelles seront envoyés ces enfants repérés par les tests Binet-Simon. Durant tout le XXème siècle et aujourd hui encore le rapport au QI est utilisé. Peu à peu, les personnes présentant une déficience intellectuelle vont être appelées handicapées, dénommées ainsi avec la loi sur les travailleurs handicapés en 1957, comme toute autre personne atteinte d une déficience motrice ou sensorielle. De là va naître aussi l appellation handicapé mental. La classification française des déficiences intellectuelles, en 1965, s appuyant sur la détermination du QI, sépare l arriération profonde, appelée oligophrénie, de la déficience mentale, la déficience mentale étant découpée en profonde, moyenne et légère. En 1980, l Organisation Mondiale de la Santé 19, pour compléter la classification internationale des maladies, publie the International Classification of Impermaints, Disabilities and Handicaps, de Philippe Wood, qui devient dans la traduction française, en 1988, la Classification Internationale des Handicaps 20 : 18 R.Misès, R.Perron, R.Salbreux «Retard et troubles de l intelligence de l enfant»p Dorénavant, nous utiliserons, dans le texte, le sigle OMS pour Organisation mondiale de la santé. 20 Dorénavant, nous utiliserons, dans le texte, le sigle CIH
17 13 déficiences, incapacités, désavantages. 21 La déficience correspond à toute perte de substance ou altération d une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique, la CIH utilise le terme de «déficience de l intelligence, pour désigner des perturbations du degré de développement des fonctions cognitives telles que la perception, l attention, la mémoire et la pensée ainsi que leur détérioration à la suite d un processus pathologique.» 22 Les déficiences intellectuelles, rapportées à un QI, sont découpées en retard mental profond, QI<20, sévère, 20<QI<34, moyen 30<QI<49, léger 50<QI<70, et fonctionnement intellectuel limite 70<QI<85, reprenant ainsi un découpage déjà existant. Pourtant, René Zazzo, en 1979, signale que la limite de 70 pour la déficience légère «s établit actuellement à 75 ou 80. Dans les travaux de commission du 6 ème plan on a même proposé le chiffre de 85.» 23 Ce qui explique probablement une proportion de plus en plus élevée d enfants présentant une déficience légère, (de 8,7% en 1982 à 17,4% en ), alors que l ensemble des autres déficiences sont en proportion stable ou régressive. 25 «Les jeunes français ne sont pas devenus plus bêtes, mais le prix de l intelligence a augmenté.» 26 Sauf à la réduire à un QI, il devient très difficile aujourd hui de définir clairement la déficience intellectuelle. En effet, les situations sont multiples et complexes. Des troubles du comportement et de la personnalité, des maladies mentales peuvent se développer, se rajoutant à la déficience. L étiologie n est pas toujours connue. Des personnes en situation sociale précaire se retrouvent désignées avec une déficience légère. Nous citons une proposition de Stanislas Tomkiewicz, qui distingue la débilité mentale médico-psycholologique liée à une perturbation du fonctionnement cérébral, pour les enfants dont le QI se situerait en dessous de 50, 21 M.Jaeger «Guide du secteur social et médico-social» p ss la direction de M.J.Tassé et D.Morin «La déficience intellectuelle» p.9 23 R.Zazzo cité par N.Diederich dans «Stériliser le handicap mental?» p N.Diederich id op cit p dans N.Diederich id op cit p R.Zazzo cité par N.Diederich id op cit p.10
18 14 de la déficience mentale de type socio-psychologique concernant des enfants au caractère normal mais inadaptés à l école. 27 En ce début de XXIème siècle, la nouveauté est d accorder une place aux facteurs environnementaux et sociaux dans la détermination d un handicap. Ne pas en tenir suffisamment compte était un reproche fait à la CIH, trop basé sur un modèle médical, celle-ci a été révisée et a donné naissance à la Classification Internationale du Fonctionnement et de la santé, la CIF, adoptée dernièrement. La CIF organise l information en deux parties : fonctionnement et handicap d une part, et facteurs contextuels d autre part. Dans la première partie nous trouvons une composante organisme, et une composante activités et participation. Dans la deuxième partie nous trouvons les facteurs environnementaux et les facteurs personnels. 28 Nous sommes passés d une conception médicale à une conception sociale, il s agit de reconnaître le handicap en fonction des situations rencontrées, et non plus seulement en fonction de la déficience. C est pourquoi nous avons choisi, dans cet écrit, de parler de personnes en situation de handicap, bien que cet usage ne fasse pas l unanimité et ne soit pas encore répandu parmi les professionnels. Au fil du temps, le terme idiot, devenu insultant et dévalorisant, a définitivement disparu et a fait place au terme de déficient mental ou intellectuel. Le mot débile est devenu lui aussi insultant, mais continue cependant à être utilisé pour les cas de déficience grave. A l issu de ce balisage historique des termes, nous pouvons comprendre que la dénomination déficience intellectuelle ne se réfère pas à des difficultés circonscrites, ne permet pas de repérer un type de problème pour lequel il y aurait une réponse unique, «tout le monde, des professionnels aux parents, s accorde à dire qu en réalité il faudrait toujours procéder au cas par cas et non par généralisation.» 29 C est ainsi qu émerge la notion d individualité de la 27 cité dans Zribi et Poupée-Fontaine «Le dictionnaire du handicap»p sous la direction de DENORMANDIE P. et DE WILDE D. «Mieux connaître les besoins de la personne handicapée» 29 N.Diederich «Stériliser le handicap mental?» p.11
19 15 personne présentant une déficience intellectuelle, et la question d individualisation de la prise en charge La législation, indication d une prise en charge humanisée et organisée Nous avons précédemment parlé de la loi du 15 Avril 1909 créant des classes de perfectionnement pour les enfants dits arriérés, mais pour ce qui concerne les adultes présentant une déficience intellectuelle, les textes sont plus récents. Au début du XXème siècle, les politiques se soucient du sort des accidentés du travail, puis des mutilés et invalides de la 1 ère guerre mondiale, ce qui aboutit à des lois comme celle du 14 juillet 1905 sur l assistance obligatoire aux vieillards, infirmes et incurables, celle du 31 mars 1919 sur les pensions aux mutilés et victimes de la Grande Guerre, celle du 26 avril 1924 assurant l emploi des mutilés de la Guerre. 30 Sous le régime de Vichy, «des dizaines de milliers de malades mentaux, vieillards, infirmes, mutilés meurent de famine dans les hôpitaux psychiatriques en France» 31, et «un décret de 1942 limite l accès de certaines professions aux personnes atteintes de différences physiologiques. Les conditions physiques de l intelligence interdisent les emplois dans l éducation nationale pour tout être atteint d une maladie contagieuse ou d une infirmité, maladie, vice de constitution qui le rend impropre aux fonctions d enseignement» 32. Il faudra attendre la loi du 2 août 1949, sur l assistance à certaines catégories d aveugles et grands infirmes, pour abroger ce décret. Cette loi concerne aussi l infirmité congénitale ou acquise, et permet l obtention d une carte d invalidité, «l unification des dispositions sur l invalidité préfigure la naissance d un concept globalisant les différents types d atteinte à l intégrité individuelle, tout en signifiant les conséquences sociales qu elles occasionnent : le handicap.» 33 Ainsi c est avec l arrivée du terme handicap que les adultes atteints d une déficience intellectuelle vont être intégrés aux dispositions législatives. En effet, la 30 P.Doriguzzi «L histoire politique du handicap, de l infirme au travailleur handicapé»p.208et P.Doriguzzi id op cit p P.Doriguzzi id op cit p P.Doriguzzi id op cit p124
20 16 loi du 23 novembre 1957 s intitule loi sur le reclassement professionnel des travailleurs handicapés, et dans l article 1 est considéré comme travailleur handicapé «toute personne dont les possibilités d acquérir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d une insuffisance ou d une diminution de ses capacités physiques ou mentales» 34. L article 21 stipule «les travailleurs handicapés dont la diminution physique ou mentale est telle que leur placement dans un milieu normal de travail s avère impossible, peuvent être admis selon leurs capacités de travail, soit dans un centre d aide par le travail, soit dans un atelier protégé.» Finalement, sous le même vocable travailleur handicapé nous allons trouver des personnes aux capacités bien différentes, orientées pourtant vers un même type de structures de travail. Puis la loi du 13 juillet 1971, «intitulée diverses mesures en faveur des handicapés, remplace avantageusement la loi du 2 août 1949 : allocation de subsistance, protection contre la maladie, suppression de la limitation à trois ans des prises en charge hospitalières, allocation nationale au lieu des aides locales, cotisation maladie payée par l aide sociale, création d ateliers de travail protégés supplémentaires» 35 Le 30 juin 1975, la loi n , s intitulant loi d orientation en faveur des personnes handicapées, est votée. Dans l exposé des motifs, les objectifs du projet de loi étaient doubles : «il s agit d abord d affirmer dans leur ensemble les droits du handicapé et d indiquer en parallèle les moyens de leur mise en œuvre», «il s agit en second lieu de simplifier une législation devenue, au fil des apports successifs, extrêmement complexe.» 36 L article 1 commence ainsi : «La prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l éducation, la formation et l orientation professionnelle, l emploi, la garantie d un minimum de ressources, l intégration sociale et l accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l adulte handicapés physiques, sensoriels ou mentaux constituent une obligation nationale.» Cette loi crée deux commissions, la commission départementale d éducation spéciale, ou CDES, pour l orientation des enfants vers des structures adaptées à leur handicap, et pour la décision du droit à l allocation spéciale 34 extrait de la loi du 23 novembre 1957, J.O.du 24 novembre P.Doriguzzi «L histoire politique du handicap, de l infirme au travailleur handicapé»p CTNERHI Dossier professionnel réglementaire Handicap et droit p.4
21 17 d éducation, et la commission d orientation et de reclassement professionnel, ou COTOREP, pour les adultes. Celle-ci est aussi départementale, elle se prononce sur l orientation professionnelle et en matière d hébergement, elle décide des aides financières à partir d un guide-barème. «Elle peut être saisie d une demande par la personne handicapée elle-même, par ses parents ou ses représentants légaux, par une administration (DDTE, ANPE, Sécurité sociale) ou par un responsable d établissement ou service, médical ou social.» 37 Ce texte de loi est actuellement objet de réforme. Une seconde loi est votée le même jour, n , la loi relative aux institutions sociales et médico-sociales. Comme il est dit dans l exposé des motifs, elle «tend à améliorer la situation actuelle dans le domaine social et médico-social sur trois points : la coordination des institutions ; leur statut et plus particulièrement celui des institutions à caractère public ; les moyens financiers mis à leur disposition.» 38 L article premier nous apprend ce que sont les institutions sociales et médicosociales au sens de la loi, et nous trouvons dans ce texte, toutes les dispositions relatives à la création et au fonctionnement de ces établissements. En ce qui concerne la participation des usagers à ce fonctionnement, l article 17 dit : «Dans tout établissement privé visé à l article 3 de la présente loi, dont les frais de fonctionnement sont supportés ou remboursés en tout ou partie par les collectivités publiques ou les organismes de sécurité sociale, les usagers, les familles des mineurs admis et les personnels sont obligatoirement associés au fonctionnement de l établissement. Un décret fixera les modalités d application du présent article.» Ainsi, le décret du 17 Mars 1978 prévoit un conseil de maison dans les établissements privés accueillant des personnes ayant une déficience et il existe un autre décret pour les établissements recevant des personnes âgées. Ensuite c est un même décret pour tous les établissements, décret du 31 Décembre 1991 qui crée le conseil d établissement 39, composé des représentants des familles, des usagers et des professionnels, présidé par le directeur de l établissement. Par la suite, en 1987 est votée la loi en faveur de l emploi des travailleurs handicapés, c est cette loi 37 M.Jaeger «Guide du secteur social et médico-social» p CTNERHI Dossier professionnel réglementaire Handicap et droit p M.Jaeger «Guide du secteur social et médico-social» p.91
22 18 qui crée l obligation d employer des travailleurs reconnus handicapés, à hauteur de 6% de l ensemble des salariés ou bien de verser une contribution à un fonds destiné à faciliter leur insertion professionnelle. Le 2 janvier 2002 est votée la loi de rénovation de l action sociale et médicosociale, c est la réforme de la loi n du 30 juin 1975, laquelle est ainsi remplacée. Ce texte de loi pose les fondements en ces termes : «L action sociale et médico-sociale tend à promouvoir, dans un cadre interministériel, l autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l exercice de la citoyenneté, à prévenir les exclusions et à en corriger les effets.» 40 La loi vient réaffirmer les droits des usagers : «L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médicosociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur», 41 et donne un moyen pour cela, «toute personne prise en charge par un établissement ou un service social ou médico-social ou son représentant légal peut faire appel, en vue de l'aider à faire valoir ses droits, à une personne qualifiée qu'elle choisit sur une liste établie.» 42 Ce texte amène des éléments supplémentaires par rapport au précédent et nous souhaitons retenir ce qui nous paraît essentiel dans le cadre de notre recherche. Les objectifs sont clairement exprimés, le fondement de l action sociale et médico-sociale repose sur une évaluation continue non seulement des besoins mais aussi des attentes de tous les groupes sociaux ; c est une façon de sortir de la logique d action en réponse aux besoins uniquement. L instauration d une charte nationale portant sur les principes éthiques et déontologiques de l intervention sociale renforce une volonté de lisibilité des missions. L obligation de permettre à chaque personne reçue en établissement d exercer ses droits et libertés individuels permet de réaffirmer ces droits. Cependant, il y a un risque, comme nous l avons dit, d être amené à distinguer un droit spécifique aux usagers du droit relatif à tous. S il s avère nécessaire de rappeler ainsi la loi, c est que celle-ci ne serait pas suffisante pour 40 Article 2 de la section 1 du chapitre I de la loi n Article 8 de la section 2 du chapitre I de la loi n Article 9 de la section 2 du chapitre I de la loi n
23 19 garantir les droits. Les usagers ont un recours possible à une personne qualifiée pour les faire valoir, encore faut-il qu ils soient tenus informés de cette possibilité. L accompagnement des personnes doit être individualisé et favoriser leur développement, leur autonomie et leur insertion, en recherchant leur consentement éclairé, avec la nécessité de leur participation directe à la conception et mise en œuvre de leur projet d accompagnement ; dans cette perspective d associer en tout les usagers, ils ont accès à toutes les informations concernant leur prise en charge. La création d un livret d accueil à l entrée de l établissement et l instauration d un contrat de séjour ou d un document de prise en charge vont dans ce sens aussi, puisqu il est demandé la participation de la personne accueillie, mais sans que soit posée la question de la qualité de cette participation. Le conseil d Etablissement est remplacé par le conseil de la vie sociale, et le projet d établissement qui était à durée illimitée, est dorénavant révisable tous les cinq ans. L ensemble de ces nouveautés démontre une volonté de donner à l usager des possibilités de se mettre en action, de ne pas se trouver en situation d assistanat, de mettre l usager au centre du dispositif d action, selon la formule consacrée. Ce texte de loi tend à redonner de l humanité à l action sociale et médico-sociale, mais incite aussi au débat. Certains points nous interpellent parce qu ils semblent nécessiter une plus ample réflexion, parmi eux, la participation des usagers à leur projet. En effet, si nous sommes d accord sur le principe, nous pouvons nous questionner, «comment comprendre et définir les modalités de la participation des usagers à leur avenir, à l organisation de leur accompagnement éducatif et social, à la définition de leur projet de vie ou de soin? Comment concevoir et organiser des formes d association des personnes qui prennent en compte leurs différences, leur vulnérabilité, leur handicap sans les y réduire?» 43 Ce déroulement historique des textes de loi nous montre comment la prise en charge des personnes en situation de handicap s est humanisée, en reconnaissant en toute personne un être humain à part entière nécessitant une aide financière 43 extrait d un article dans ASH n 2247 du 25 janvier 2002 p.37
24 20 d une part, relationnelle d autre part, et comment la prise en charge s est organisée autour de ces deux nécessités. Après l émergence du concept d individu dans un collectif, nous assistons à l émergence du concept de participation de l individu dans ce collectif, au travers, entre autres, de la participation à son projet d accompagnement. Le travail à partir de projets n est pas nouveau dans les institutions, c est ce que nous proposons de regarder maintenant Dans les institutions, du projet collectif au projet individuel L orientation vers un lieu d hébergement pour les personnes, adultes, présentant une déficience intellectuelle, est effectuée après un passage à la Commission Technique d Orientation et de Reclassement Professionnel. Les lieux d hébergement, régis maintenant par la loi du 2 janvier 2002, sont majoritairement gérés par des associations, pouvant elles-mêmes assurer la gestion d un ou de plusieurs établissements. Il existe différents lieux d hébergement, ayant chacun leur appellation et une spécificité quant au handicap des personnes accueillies : Les maisons d accueil spécialisées, ou MAS, «sont spécialisées dans l accueil à temps complet ou à temps partiel d adultes gravement handicapés sur le plan mental, moteur, sensoriel et des polyhandicapés.» 44 Les foyers à double tarification, ou FDT, «concernent des personnes handicapées et polyhandicapées, que leur dépendance totale ou partielle, constatée par la COTOREP, rend inaptes au travail et qui ont besoin d une aide pour la plupart des actes de la vie courante, ainsi que d une surveillance médicale et de soins constants» 45. La double tarification correspond à une double fixation de dépenses autorisées par le président du Conseil général et par le préfet, suivie d un double financement, aide sociale départementale (comme pour les foyers), sécurité sociale (comme pour les MAS). Les foyers de vie ou occupationnels sont destinés à des «personnes handicapées adultes, à l autonomie réduite, ne pouvant pas travailler, mais qui, pour autant ne nécessitent pas de surveillance et de soins constants comme dans une MAS» 46. Ils sont sous compétence du Conseil général. Ces trois types de structures sont 44 M.Jaeger «Guide du secteur social et médico-social» p M.Jaeger id op cit p M.Jaeger id op cit p.143
25 21 destinés à des personnes qui ne sont pas en capacité de travailler. Il en existe un autre pour celles qui travaillent en centre d aide par le travail ou en atelier protégé, les foyers d hébergement. Les personnes accueillies, sur notification de la COTOREP, sont en général plus autonomes que celles accueillies dans les foyers de vie. Ils sont sous compétence, également, du Conseil général. C est dans ce type d établissements que nous travaillions, le personnel éducatif est composé, pour l essentiel, d éducateurs spécialisés, de moniteurs-éducateurs et d aides médicopsychologiques. Dans ces institutions, les modalités d accompagnement sont déterminées dans un projet d établissement, lequel s inscrit dans un projet associatif. Il nous a paru intéressant de pouvoir relever ces différents niveaux de projet, du plus philosophique au plus pratique. Le projet associatif «est l entité la plus large. Il désigne un ensemble d écritures positionnant un dispositif par rapport à l ensemble du secteur social et médico-social (populations à laquelle il s adresse, géographie du champ d intervention). Il affirme des principes et des valeurs : une philosophie de l action et une représentation des personnes destinataires, et des moyens d intervention.» 47 Le projet d établissement, «il réfère à une mission précise, donc à un texte réglementaire, fixant les conditions d exercice de cette mission et sa référence administrative, les moyens mis à disposition, le mode d accès des usagers à l établissement ou au service (conditions et processus d admission, règlement intérieur précisant les rapports entre usager et service), les modalités d évaluation concernant la marche générale du service ou de l établissement.» 48 Dans les institutions pour enfants et adolescents, les instituts médico-pédagogiques et les instituts médico-professionnels, nous trouvons aussi les projets pédagogiques, dans lesquels s inscrivent «le type d approche des difficultés de la personne, l organisation de l enseignement ou des apprentissages, les stratégies d insertion, ( ), le type de parcours possible de l usager et les modes d évaluation mis en place.» 49 Dans les foyers accueillant des adultes, se déclinent des projets de groupe et des projets d activité. 47 J.Danancier «Le projet individualisé dans l accompagnement éducatif»p J.Danancier id op cit p J.Danancier id op cit p.14
Le décret du 2 mars 2006 a institué le Diplôme d Etat d Aide Médico-Psychologique de niveau V.
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